Navigation – Plan du site

AccueilNuméros71Traduire le subjonctif dans la la...

1

Traduire le subjonctif dans la langue médiévale après les verbes d’opinion

Translating the Subjunctive in Medieval French after Verbs of Opinion
Xavier Leroux
p. 9-30

Résumés

Contrairement à la langue moderne qui emploie systématiquement le subjonctif après je crois que, la langue ancienne offre la possibilité d’un choix entre l’indicatif et le subjonctif. L’étude de cette opposition complémentaire s’appuie sur un relevé d’occurrences effectué dans plusieurs textes dramatiques du Moyen Âge et du début du XVIe siècle. Elle établit que la séquence {je croi que + SP} paraît plus fréquente en moyen français et se spécialise vraisemblablement en {je croi que + estre au SP}. La valeur modalisatrice de cet emploi du subjonctif semble échapper aux conclusions de G. Moignet et marquer la négation d’une relation d’implication assumée par la pensée commune.

Haut de page

Texte intégral

0. Introduction

1La traduction des textes médiévaux en français moderne confronte le traducteur à des difficultés bien spécifiques, liées notamment au fait que la langue-source et la langue-cible avec lesquelles il doit se colleter ne sont pas, en l’occurrence, deux langues étrangères l’une à l’autre, mais deux états distincts et successifs d’une même langue. Il s’agit donc de mesurer des écarts linguistiques dont l’analyse demeure souvent délicate. Alors qu’il est toujours très attentif aux questions lexicales ou sémantiques, le traducteur a parfois tendance à négliger ce qui touche à la syntaxe, parce que, dans ce domaine, une application intelligente et rigoureuse de la grammaire semble résoudre assez facilement les écarts linguistiques en question. Par exemple, l’emploi des modes étant effectivement régi par des principes communs aux deux états de langue envisagés, le traducteur peut bien être tenté de recourir à un système d’équivalences que vérifient les principales grammaires de l’ancien et du moyen français.

2Nous voudrions cependant nous arrêter sur un emploi très spécifique du subjonctif dans la langue médiévale, que nous avons pu relever au cours de nos recherches dans plusieurs textes dramatiques du Moyen Âge qui formeront le corpus de cette étude. Pour être plus précis, nous envisagerons l’emploi du subjonctif présent dans une complétive introduite par que et régie par un verbe d’opinion – en l’occurrence le verbe croire – conjugué à la première personne de l’indicatif présent. Autrement dit, nous tenterons de préciser la valeur modalisatrice de la construction {je croi que + SP} dans l’ancienne langue. Ces restrictions dans la définition du cas envisagé en accentuent volontairement le caractère paradoxal, du moins si l’on s’en tient aux règles énoncées par la grammaire du français moderne. En effet, alors que l’emploi du subjonctif dans une complétive implique ordinairement l’intervention d’une pesée critique dans la visée du locuteur, le verbe de la principale rassemble ici toutes les conditions pour que l’opinion exprimée ne puisse être remise en cause, car c’est assurément lorsque le verbe croire est conjugué à la première personne de l’indicatif présent qu’il est considéré comme le plus actualisant.

3La question pragmatique et sous-jacente à cette étude est d’établir si cet emploi du subjonctif doit être ou non répercuté dans la traduction en français moderne du texte médiéval, la traduction, comme un révélateur, aidant elle-même à mettre au jour certaines subtilités du texte et permettant de préciser ce qui doit – ou devrait – transhumer de la langue-source vers la langue-cible.

1. État des lieux

4En français moderne, hormis lorsque l’emploi du subjonctif est imposé par des contraintes lexicales ou syntaxiques, « l’indicatif est obligatoire après des verbes, des noms ou des adjectifs exprimant une certitude, une croyance, une affirmation, une prévision ou une probabilité » (Riegel / Pellat / Rioul 1996, p. 324). Ainsi, alors que le français moderne accepte l’énoncé Je crois qu’il est heureux, il faut considérer comme fautif *Je crois qu’il soit heureux, parce que l’emploi du subjonctif dans la subordonnée n’est pas admis. En revanche, quand le verbe recteur est nié, l’emploi du subjonctif devient possible et permet de modaliser l’énoncé. Dans ce cas, « [l]e choix du subjonctif met l’accent sur l’interprétation du procès subordonné et suspend sa valeur de vérité, contrairement à l’indicatif » (Riegel / Pellat / Rioul 1996, p. 325). On accepte dès lors les énoncés Je ne crois pas qu’il est heureux et Je ne crois pas qu’il soit heureux, que l’on oppose précisément à cause du mode utilisé dans la subordonnée. Ainsi, après je crois que, la langue moderne n’offre pas l’alternative modale qu’elle permet cependant lorsque le verbe recteur est nié. Dans l’ancienne langue, je croi que pouvait au contraire être suivi du subjonctif. Il s’agit donc ici d’observer en moyen français un cas d’opposition complémentaire – en l’occurrence entre le subjonctif et l’indicatif – que le français moderne a nivelé par l’emploi exclusif de l’indicatif.

5Cette étude s’inscrivant dans une perspective diachronique, il convient de rappeler l’histoire de la construction syntaxique envisagée. En latin, la question du subjonctif dans une complétive objet après un verbe d’opinion ne se pose pas, puisque s’impose alors la proposition infinitive. L’emploi d’une complétive à un mode personnel ne se développe qu’en latin postclassique. G. Moignet note que les raisons qui interviennent dans le choix du mode sont obscures, mais qu’elles restent liées au regard critique que l’idée regardante peut faire peser sur l’idée regardée. Il structure son analyse en distinguant « la construction des verbes sentiendi et sciendi de celle des verbes dicendi et putandi » (Moignet 1959, p. 212). Les verbes putandi – ou d’opinion – sont suivis du subjonctif dans les exemples relevés et G. Moignet formule cette conclusion qui pourrait expliquer le maintien du subjonctif au Moyen Âge : « Nous avons là une indication utile sur la cogitation qui habite le mode subjonctif, et nous n’aurons pas lieu de nous étonner de voir cet emploi persister dans les langues romanes » (Moignet 1959, p. 225).

6Toutefois, le cas du verbe credere est l’objet d’un développement particulier, parce qu’il apparaît dans le seul exemple où un verbe d’opinion est suivi de l’indicatif. G. Moignet souligne alors la capacité de credere à être classé parmi les verbes putandi – lorsque, soumis à une pesée critique, « son sens de croyance est […] approfondi en opinion » – ou parmi les verbes sciendi – lorsque son sens de croyance « implique une adhésion immédiate, et non une cogitation » (Moignet 1959, p. 225). Compris comme un verbe de connaissance, credere est donc suivi de l’indicatif, comme le sont effectivement les verbes sciendi en latin postclassique. En somme, selon qu’il est suivi du subjonctif ou de l’indicatif, le verbe credere exprime une conjecture ou une certitude.

7Dans l’ancienne langue, l’indicatif et le subjonctif alternent encore après le verbe croire. Dans le prolongement de ses remarques sur le latin postclassique, G. Moignet conclut que l’emploi du mode dans la subordonnée est conditionné par la dualité sémantique de croire en position de verbe recteur : « croire traduit, non une opinion, mais plutôt une conviction, une croyance ; il s’applique proprement à tout ce qui touche à la foi ou s’en approche. Une pesée critique l’affectant altère ce sémantisme thétique et le rend à peu près synonyme de cuidier, c’est-à-dire qu’il sert à exprimer une croyance mal fondée du point de vue du locuteur » (Moignet 1959, p. 558-559).

8G. Moignet étudie séparément la syntaxe de je croi et note, « au XIIIe siècle, une fréquence beaucoup plus grande du subjonctif que dans la période précédente » (Moignet 1959, p. 559). Quoique minoritaire, cet emploi est bien illustré par les différents textes consultés. Pour expliquer le choix du subjonctif qui dépend « de préférences d’ordre stylistique » (Moignet 1959, p. 561) et qui lui semble impondérable, G. Moignet répartit les exemples répertoriés en deux catégories distinctes et opposées. Le subjonctif implique soit « que la croyance ne va pas sans une certaine réserve du locuteur », soit qu’il s’agit « d’une conviction fermement établie et considérée par le locuteur comme pleinement justifiée et légitime » (Moignet 1959, p. 562). Ainsi, « la pesée critique constitue tantôt un quantum de signe –, une certaine soustraction sémantique, tantôt un quantum de signe +, une surabondance. Peut-être même serait-il plus exact de voir dans la subordination critique le signe d’une oscillation du + au – et du – au +, la subordination acritique correspondant au contraire à un état d’équilibre, c’est-à-dire à la stabilité sémantique » (Moignet 1959, p. 562-563). À côté d’un emploi avec l’indicatif qu’il faudrait donc considérer comme le degré zéro de la subordination critique après je croi, le subjonctif apparaîtrait dans une tournure marquée, résultant d’une pesée critique hyperbolique aussi bien positive que négative.

9Les conclusions de cette étude s’imposent depuis dans les grammaires d’ancien et de moyen français. Dans sa Grammaire de l’ancien français, G. Moignet fait la synthèse de ses propres travaux sans les édulcorer (Moignet 1988, p. 223-225). Dans sa Syntaxe de l’ancien français, Ph. Ménard estime que « l’opposition entre l’indicatif et le subjonctif reste claire dans la majeure partie des cas » (Ménard 1994, p. 150, § 155c), ce qui nous semble discutable. De son côté, Cl. Buridant, dans sa Grammaire nouvelle de l’ancien français, confirme que, dans le cas où l’agent de l’opinion s’identifie avec l’énonciateur, « le mode du verbe subordonné dépend […] du degré de certitude de la croyance » (Buridant 2000, p. 342) ; il considère cependant que « [p]enser et croire sont plus rares dans cet emploi » (Buridant 2000, p. 343). Enfin, dans leur Syntaxe du moyen français, R. Martin et M. Wilmet estiment que l’emploi du subjonctif résulte d’une pesée dubitative, mais ils n’envisagent pas la capacité du subjonctif à renforcer l’affirmation d’une croyance quasi certaine (Martin / Wilmet 1980, p. 54-55).

10On notera que cet emploi du subjonctif est encore illustré dans la langue classique. En effet, au XVIIe siècle, « [i]l s’agit, […] d’un tour bien attesté, et qui se justifie si l’on considère que dans une opinion personnelle il peut subsister une marge d’incertitude » (Spillebout 1985, p. 223). C’est donc la présence d’une pesée dubitative qui continue d’expliquer le maintien de cette construction.

11Explicitement ou non, les grammaires consultées reprennent ainsi les premières conclusions de G. Moignet que nous envisageons ici de préciser et de rediscuter.

2. Étude du corpus et remarques préliminaires

  • 1 Notre objectif étant de comparer les deux termes d’une même opposition complémentaire, les cas où l (...)
  • 2 Mystère de saint Vincent (ci-après SV) (15025 v.) : {IP1 + IP} x 29 (v. 901, 1121, 2814, 3620, 4156 (...)
  • 3 Mystère de sainte Barbe (ci-après SB) (23792 v.) : {IP1 + IP} x 24 (v. 914, 1572, 1578, 2034, 2152, (...)
  • 4 Mystère du siège d’Orléans (ci-après SO) (20536 v.) : {IP1 + IP} x 32 (v. 1552, 2293, 2531, 2677, 3 (...)
  • 5 Mystère des Actes des Apôtres (ci-après AA) ( 60000 v.) : {IP1 + IP} x 56 (J1 : 9 ; J2 : 15 ; J3 : (...)
  • 6 Jeu de saint Nicolas (ci-après SN) : v. 1426.
  • 7 Jeu de Robin et Marion (ci-après RM) : v. 335.
  • 8 Jeu de la Feuillée (ci-après F) : v. 581.
  • 9 Courtois d’Arras (ci-après CA) : v. 165.
  • 10 Pacience de Job (ci-après PJ) : v. 4905.
  • 11 Mystère du Viel Testament (ci-après VT) : t. 5, v. 40178.

12Cette étude s’appuie sur un large relevé des occurrences du verbe croire à l’IP1 suivi d’une complétive au présent de l’indicatif ou du subjonctif1. Quatre mystères de la fin du XVe siècle ou de la première moitié du XVIe siècle ont été consultés dans leur intégralité : le Mystère de saint Vincent2, le Mystère de sainte Barbe3, le Mystère du siège d’Orléans 4et le Mystère des Actes des Apôtres5. Nous avons également relevé la construction {je croi que + SP} dans quelques autres textes qui, cependant, n’ont pas été l’objet d’un examen systématique : le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel (fin XIIe s.)6, le Jeu de Robin et Marion7 et le Jeu de la Feuillée8 d’Adam le Bossu (XIIIe s.), Courtois d’Arras (XIIIe s.)9, la Pacience de Job (XVe s.)10 et le Mystère du Viel Testament (XVIe s.)11.

13La consultation systématique d’un corpus homogène comptant à peu près cent vingt mille vers a permis de relever 19 occurrences de la séquence {je croi que + SP} à côté de 141 occurrences de {je croi que + IP}. La séquence {je croi que + SP} apparaît ainsi régulièrement dans les textes consultés, avec une fréquence qui demeure inférieure à 15% des occurrences relevées. L’examen partiel de plusieurs autres textes vient ajouter à cet ensemble 6 occurrences de la séquence au subjonctif.

  • 12  La seule fois où la séquence {je croi que + SP} n’est pas construite avec le verbe estre – autreme (...)

14Une brève analyse des 25 exemples de {je croi que + SP}, rapportés à la fin de cette étude, permet d’établir que le verbe employé dans la subordonnée est très majoritairement le verbe estre, utilisé dans une structure attributive (SV1, SV3, SB1, SB2, SO3, SO5, SO6, AA1, AA6, AA8, RM1, PJ1, VT1) ou pour indiquer une situation spatiale ou figurée au sens de ‘se trouver’ (SO1, SO2, SO4, AA2, AA3, AA4, F1). On relève encore les tournures impersonnelles il soit (AA7) et ce soit (AA5), à côté de (il) y ait (SV2, CA1). Dans un seul exemple emprunté au texte le plus ancien du corpus, le verbe subordonné n’est pas le verbe estre (SN1). La comparaison avec les exemples relevés par G. Moignet en ancien français nous amène à faire l’hypothèse d’une spécialisation en moyen français de la séquence {je croi que + SP} en {je croi que + estre au SP}. En effet, l’examen des 61 occurrences de {je croi que + IP} dans le Mystère du siège d’Orléans et le Mystère de saint Vincent montre que, dans ce cas, estre alterne régulièrement avec d’autres verbes, mais qu’il en est tout autrement quand la subordonnée est au subjonctif, puisque le verbe estre est alors employé, pour ainsi dire, de manière exclusive12:

Subordonnée à l’IP

avec le verbe estre

avec un autre verbe

Subordonnée au SP

avec le verbe estre

avec un autre verbe

SO

32

20

12

6

6

0

SV

29

16

13

3

2

1

Total

61

36

25

9

8

1

  • 13 Voir Buridant 2000, p. 313-314.

En moyen français, l’alternance de l’indicatif et du subjonctif semble ainsi privilégiée lorsque je croi que est construit avec le verbe estre13.

  • 14 Dans le DMF, les exemples de la tournure recherchée sont majoritairement, mais pas exclusivement, c (...)

15En faisant apparaître une récurrence dans l’emploi de la séquence {je croi que + SP}, ces premières remarques laissent supposer qu’il n’est pas d’abord lié à des « préférences d’ordre stylistique » (Moignet 1959, p. 561). En outre, une lecture attentive des textes du corpus interdit de penser que le subjonctif est la marque spécifique de l’expression d’une forte croyance, équivalant à un quantum de signe + dans l’analyse de G. Moignet. Une telle croyance peut en effet être exprimée par une tournure infinitive qui constitue alors un latinisme14 :

Quant à moy, je croy fermement
Jhesucrist estre Filz de Dieu (AA, 2e journée)

Elle peut aussi être exprimée avec l’indicatif dans la subordonnée, comme dans les exemples suivants où la puissance assertive de l’énoncé est soutenue par différents marqueurs d’insistance :

et croy bien que ceste façon / est bonne, je n’en doubte mie. (SO, v. 2531-2532)
et croy de vray, sans contredire, / qu’elle est une esprouvee sorciere ! (SO, v. 12899-12900)

Enfin, une simple consultation du DMF montre que le verbe croire en moyen français, tout comme le verbe credere en latin postclassique, peut aussi bien être rangé parmi les verbes d’opinion que parmi les verbes de connaissance. Or, dans les deux cas, les exemples relevés attestent de l’alternance de l’indicatif et du subjonctif dans la subordonnée. Pas plus que la précédente, cette explication ne saurait donc suffire à éclairer la répartition des modes après je croi que.

16Sans rejeter les conclusions de G. Moignet qui semblent cependant insuffisantes, il convient donc de rechercher les conditions susceptibles de justifier de l’emploi du subjonctif après je croi que.

3. Emplois conditionnés du subjonctif

17Comme en français moderne, l’emploi du subjonctif dans la subordonnée peut être conditionné par le statut du verbe recteur. G. Moignet précise en effet que le subjonctif « est quasi constant dans la complétive quand les verbes en cause sont sous négation, sous interrogation ou sous hypothèse » (Moignet 1988, p. 225). Ainsi, en SV2, le fait que le verbe croire apparaisse lui-même dans une subordonnée hypothétique entraîne l’emploi du subjonctif dans la complétive. D’une façon sensiblement comparable, en PJ1, le verbe croire est le pivot d’une proposition principale dont dépend une subordonnée hypothétique.

18Ailleurs, le subjonctif est amené par une pesée hypothétique moins explicite. En SO1, le verbe croire n’est pas directement placé sous hypothèse :

  • 15 Lire je croy qu’il y soit.

Mander luy convient a grant arre,
a Roan, je croy qu’i luy soit15,
voire jusques en Engleterre,
se d’aventure il y estoit. (SO1)

Incidente au discours, la proposition je croy qu’i luy soit ouvre un niveau d’énonciation supplémentaire dont la modalité assertive est en fait atténuée par le développement du propos en une alternative finalement placée sous hypothèse par le v. 3340. Dans ce passage, il convient de traduire je croy qu’i luy soit par “si, comme je le crois, il y est”, plutôt que par “je crois qu’il y est”.

19En AA1, le verbe croire régit deux subordonnées coordonnées par ou. Tandis que la première est à l’indicatif, la seconde est au subjonctif :

Je n’y oys creature nee,monsigneur,
je croy qu'ilz sont mors
ou qu'ilz soient sailliz dehors ;
qui ne me croit, si aille voir !
– Qu'ilz sont hors ? C'est bon assavoir,
tu nous mectroys tantost en doubte ! (AA1)

  • 16 La capacité du moyen français à employer les deux modes après je croi que permet dans la langue-sou (...)

20Alors qu’il est bien persuadé que ceux qu’il recherche sont morts, le locuteur envisage malgré tout la possibilité qu’ils soient seulement sailliz dehors. Le second terme de cette alternative dépend ainsi de l’invalidation du précédent. En l’occurrence, le coordonnant ou a proprement le sens de ‘sinon’ et, pour conserver la nuance introduite par l’alternance des modes, il convient de traduire le passage par ”je crois qu’ils sont morts, à moins qu’ils ne soient sortis”16.

21Si, dans ces quatre exemples, l’emploi de la séquence {je croi que + SP} est bien déterminé par la mise sous hypothèse plus ou moins explicite de l’énoncé, aucune pesée critique ne paraît expliquer a priori l’emploi du subjonctif dans les autres passages relevés.

4. Emplois non-contraints du subjonctif

22Pour établir un critère d’emploi de {je croi que + SP} hors des situations contraintes envisagées précédemment, un premier indice est fourni par CA1, l’unique exemple relevé dans Courtois d’Arras. L’emploi du mot ains devant le verbe croire amène l’expression de « la face positive d’une idée présentée d’abord sous sa face négative » (Moignet 1988, p. 335). Ains « joue le rôle d’opérateur d’inversion à l’intérieur de l’ensemble des propositions incompatibles » (Buridant 2000, p. 560). Ce passage suggère que l’emploi du subjonctif après je croi que signale une rupture logique dans le développement du discours. En l’occurrence, le jugement que le locuteur porte sur un personnage entre en contradiction avec son apparence.

23Cette hypothèse de recherche est vérifiée dans les textes par la comparaison de deux situations dramatiques a priori similaires, qui recourent cependant pour l’une à la séquence {je croi que + IP} et pour l’autre à {je croi que + SP}. Dans l’exemple cité ci-dessous du Mystère du Siège d’Orléans, Salisbury reprend à son compte une proposition du Comte de Suffolk (SO, v. 2469-2476) qui a déjà trouvé l’appui de Lord Scales (SO, v. 2477-2484). Ce consensus permet au personnage d’affirmer à l’indicatif qu’il croit effectivement que ceste façon est bonne :

Oultre plus vous avez cy dit,
par voz advis, qu’i seroit bon
de myner sans nul contredit
leur bouloart, par grant rendon,
adfin que avoir le puissons
par mine et par artillerie ;
et croy bien que ceste façon
est bonne, je n’en doubte mie. (SO, v. 2525-2532)

A contrario, dans le Mystère de saint Vincent, l’empereur de Rome fait appeler ses conseillers, sans pour autant leur préciser la cause de cette convocation. À son retour, le messager rend compte à l’empereur de leur réaction et dit ouvertement ce qu’il en pense :

Touz sont joieux de la nouvelle.
Je croy qu’elle soit bonne et belle.
Noz dieux le vueillent par leur grace ! (SV1)

Puisque les gens se réjouissent de cette nouvelle, celle-ci doit être bonne et belle. Devant cette croyance qu’impose la doxa, le messager recourt pourtant à la séquence {je croi que + SP}. Ce faisant, il ne nie pas que la nouvelle soit bonne et belle, mais il réfute la relation d’implication communément admise entre les deux faits énoncés, conscient sans doute qu’il est toujours dangereux de se fier aux apparences. En l’occurrence, cette visée critique est vérifiée par le vœu formulé à la fin de l’extrait, car, si le messager croyait assurément que les gens ont raison de se réjouir de cette bonne et belle nouvelle, il n’aurait pas besoin de supplier les dieux de faire que cela soit.

24Les textes consultés proposent deux autres situations assez comparables, qui n’amènent pourtant pas à l’emploi du même mode dans la subordonnée. Dans le premier exemple, le recours à l’indicatif marque le fait que, comme l’indique la réaction d’un second personnage au dernier vers du passage, la croyance exprimée paraît incontestable :

Et sans plus faire demeuree
partez, je croy qu’il en est temps ;
la treve n’a gueres duree
on ne l’a pas accordee grant.
– Y dit voir ; temps est de partir. (SO, v. 6253-6257)

Dans le second exemple extrait du Mystère des Actes des Apôtres, plusieurs groupes de personnages convergent vers un même lieu de l’espace scénique. Porcius Festus, le gouverneur de Césarée, a convenu la veille de retrouver au prétoire le grand prêtre Ananie et plusieurs autres Juifs :

– Bien croy que l'heure soit venue
que le conseil des Juifs on oyt
et au pretoire il fault qu'on soit
pour sçavoir la fin où pretendent.
– Bien croy que ja vous y attendent,
temps sera que vous y trouvez. (AA8)

  • 17 Notons qu’aucun indice morphologique ne nous permet de déterminer si, dans la seconde réplique de c (...)

Au premier vers de ce passage, l’emploi du subjonctif dans croy que l’heure soit venue marque une discordance dans le déroulement de cette entrevue. En effet, les termes de son organisation ne sont pas respectés, puisque, comme l’indique le texte, les Juifs n’ont pas attendu Porcius Festus pour se rendre au prétoire17.

25Un troisième exemple, également emprunté au Mystère des Actes des Apôtres, vient conforter l’hypothèse de recherche formulée plus haut. Des diables se penchent sur le corps d’un personnage manifestement mort, dont ils veulent conduire l’âme en enfer. Ils s’interrogent néanmoins :

[…] sçais tu point si ceste ame
a faict de son corps departie ?
– Nenny, mon esprit y varie :
je ne l’ay oncq veue sortir.
– Veue ne l’ay à son partir
et croy qu’el soit encor au corps ;
quant d’elle bien je me records,
je suis en tres grant troublement.
– Si est il mort certainement,
je ne peulx bien ce cas entendre. (AA4)

  • 18 Un écart comparable entre les apparences et la croyance du personnage explique probablement l’emplo (...)

26Contraint de reconnaître avec les autres qu’il n’a pas vu l’âme du personnage quitter son corps, un diable croit qu’el soit encor au corps. La modalisation de la phrase signale ici que le lien a priori logique entre la mort du personnage et le partir de son âme est remis en question ou, pour le dire autrement, que la croyance exprimée entre en contradiction avec l’état du personnag18.

Le rapprochement de ces premiers exemples fait apparaître que l’emploi du subjonctif après je croi que tend à marquer le caractère paradoxal d’une situation, en contestant ou en niant la relation d’implication logique que l’on établirait spontanément entre deux termes relevant de la situation donnée.

Comme on l’a vu, cette modalisation du discours s’applique fréquemment aux énoncés qui visent à déterminer, par l’emploi du verbe estre, la nature ou la situation d’une personne. Ainsi, à l’exception de SO1 dont le cas est traité plus haut, tous les exemples relevés dans le Mystère de sainte Barbe et le Mystère du siège d’Orléans portent sur le personnage éponyme ou principal de la pièce.

27D’une manière humainement inexplicable, sainte Barbe échappe à ceux qui la recherchent et elle résiste à ses bourreaux. L’un croit dès lors qu’elle soit invisible (SB1), un autre qu’elle soit impassible (SB2). L’explication de ces emplois du subjonctif ne se trouve pas dans un quantum de signe + ou –, car ces situations ne sont marquées ni par la conviction ni par le doute. Les personnages sont amenés reconnaître à un être humain des qualités surnaturelles, l’invisibilité et l’impassibilité ; ils sont contraints d’envisager une croyance paradoxale, puisqu’elle présente une contradiction interne. Ainsi, par exemple, nous ne pouvons traduire Je croy qu’elle soit invisible ! (SB1) par ”Je suis sûr qu’elle est invisible !” ou ”Je doute qu’elle soit invisible !”, mais par ”Je dois admettre qu’elle est invisible !”. Dans la langue-source, le subjonctif souligne l’incohérence d’une croyance qui s’impose malgré tout au locuteur.

  • 19 Pour des raisons très similaires, dans le Mystère du Viel Testament (VT1), Nabuchodonosor en vient (...)

28Dans le Mystère du siège d’Orléans, le regard que les personnages portent sur Jeanne d’Arc appelle aussi régulièrement le subjonctif. Après s’est longtemps méfiés de la Pucelle, les Français finissent par accepter son autorité, parce qu’ils voient en elle une servante de Dieu. En SO2 et SO4, cette déclaration en forme d’allégeance est marquée par la forte conviction du personnage ; il est possible alors que l’emploi de {je croi que + SP} coïncidence avec un quantum de signe +, mais il est plus probable que le subjonctif souligne l’importance du revirement du personnage vis-à-vis de la Pucelle, sa soumission semblant d’autant plus incroyable que son hostilité semblait définitive19. En revanche, dès lors que semble admis par tous que la Pucelle est envoyée par Dieu, le subjonctif ne s’impose plus, car cette croyance ne revêt plus aucun caractère paradoxal :

Je suis de vostre oppinion
et croy que c’est chose divine. (SO, v. 10381-10382)

29Le premier vers cité ici indique indiscutablement que l’oppinion exprimée est partagée par plusieurs et peut par conséquent être formulée à l’indicatif.

30Du côté anglais, on considère que la Pucelle est une possédée, de sorte que l’un croit qu’elle soit immortelle / ou que au deable soit donnee (SO5), d’autres qu’elle soit infidelle (SO3, SO6) ou encore qu’elle soit […] / […] engendree de l’Antecrist (SO6). De la même façon que dans le Mystère de sainte Barbe, ces personnages sont obligés de reconnaître à la jeune fille des qualités surnaturelles. Le subjonctif révèle alors le caractère proprement incroyable d’une croyance qui s’impose pourtant à eux. En SO6, il convient de remarquer la coordination de complétives au subjonctif et d’une dernière complétive à l’indicatif :

si croy qu’elle soit infidelle
ou engendree de l’Antecrist,
voire ou ung deable en lieu d’elle,
et que Lucifer la conduit ! (SO6)

31L’emploi de l’indicatif dans cette dernière complétive confirme certainement que le moyen français ne favorise – ou ne permet – l’alternance des modes que lorsque je croi que est construit avec le verbe estre. Il marque aussi sans doute qu’une croyance en un fait n’a pas le même poids qu’une croyance touchant à la définition de l’être. Apparemment caractéristique du français de la seconde moitié du XVe siècle et du début du XVIe siècle, cet usage semble indiquer dans l’histoire des mentalités une plus durable soumission du croire à une pesée critique quand il concerne l’être ou l’état d’une personne, comme un indice linguistique des questions humanistes qui animent cette période charnière.

32Remarquons cependant que nous retrouvons les traces d’une contradiction interne propre à motiver la présence du subjonctif dans les plus anciens exemples de notre corpus. En RM1, les deux emplois successivement relevés semblent manifester l’inquiétude de Marion qui craint que Robin n’ait été frappé à cause d’elle par le chevalier. Ni dubitative, ni convaincue, la jeune bergère préférerait ne pas avoir à croire ce dont témoignent assez clairement les cris de son ami. En F1, Gillos annonce au subjonctif que le maisnie Hellekin est déjà proche, parce que cette information surprend le groupe des personnages auquel Rikeche vient d’annoncer qu’il ne cuit pas k’ele demeure (F, v. 575). Autrement dit, lorsque l’un pense qu’elle ne devrait pas tarder, l’autre affirme que son arrivée est imminente. Notons enfin que SN1, le plus ancien exemple et le seul à ne pas être construit avec le verbe estre ou une tournure impersonnelle, vérifie notre hypothèse. Dans le dialogue qui l’oppose au roi, le preudom fait preuve d’une très forte conviction, de sorte qu’un quantum + suffirait à expliquer l’emploi du subjonctif dans la subordonnée. Du reste, J. Dufournet traduit ici {je croi que + SP} par ‘je suis sûr et certain que’ (SNtrad, p. 177). Mais on constate que la croyance exprimée entre en contradiction totale et manifeste avec celle du roi et de sa cour. Alors que le preudom juge que le roi doit estre a faus tenus dans le dernier vers de SN1, le roi reconnaît lui-même peu après : Mais je n’en creïsse nului ! (SN, v. 1434). Comme dans plusieurs exemples vus ci-dessus, le subjonctif permet ici l’expression d’une croyance paradoxale.

5. Limites rencontrées à l’hypothèse de recherche formulée

33Comme nous l’avons déjà noté, l’hypothèse de recherche que nous formulons ici pour expliquer l’emploi du subjonctif après la séquence {je croi que} n’est pas exclusive des conclusions auxquelles aboutit G. Moignet. Ainsi, en AA2, on ne relève aucune espèce de négation de la relation d’implication entre la croyance exprimée et les causes de cette croyance. Puisque le personnage en question, en tous temps et toutes saisons, / pour son ame envers Dieu labeure et tousjours est en oraisons, il paraît logique que le locuteur croit qu'il y soit de ceste heure. De même, en AA5, l’accord explicite des deux interlocuteurs exclut que le recours au subjonctif soit fondé sur la négation d’une relation d’implication logique interne au discours ou à la situation. Dans les deux cas, nous devons envisager que la séquence {je croi que + SP} résulte d’un quantum de signe +, autrement dit de la forte conviction du locuteur. En revanche, en AA3, c’est la réserve du locuteur qui constitue un quantum de signe – et entraîne l’emploi du subjonctif.

34Enfin, un dernier exemple, également relevé dans le Mystère des Actes des Apôtres (AA7), échappe aux explications de G. Moignet comme à l’hypothèse que nous avançons. En effet, dans un enchaînement de répliques marquées par la répétition de je croi que, plusieurs personnages professent leur foi avec conviction. Malgré ce quantum de signe +, c’est régulièrement l’indicatif qui est employé après je croi que. Dans une seule réplique, le subjonctif est employé :

35Je croy et tiens pour verité,
nobles seigneurs, qu'il soit ainsi. (AA7)

Rien ne permet de supposer que la séquence {je croi que + SP} marque une conviction du personnage supérieure à celle des autres. En revanche, nous remarquons que, dans ce seul cas, le pronom personnel il, sujet de la complétive, ne renvoie pas à Dieu, mais est employé dans une tournure impersonnelle. En l’occurrence, il nous semble que l’emploi du subjonctif dans qu’il soit ainsi est influencé par la formule optative Ainsi soit-il !

6. Conclusion

Confirmée a contrario par l’analyse de plusieurs emplois de {je croi que + IP} dans notre corpus, l’hypothèse de recherche formulée ici semble apporter une explication complémentaire aux conclusions de G. Moignet. En effet, lorsque l’emploi du subjonctif dans la subordonnée n’est pas contraint, il apparaît que {je croi que + SP}, qu’on relève en moyen français surtout sous la forme {je croi que + estre au SP}, traduit le plus souvent une rupture dans le développement logique qui doit mener le locuteur à l’expression d’une croyance. L’emploi du subjonctif dénonce alors une pensée paradoxale, soit que les apparences entrent en contradiction avec l’appréciation du locuteur, soit que l’opinion exprimée contredise la pensée commune. Ainsi, alors que {je croi que + IP} permet l’affirmation d’une croyance comme la conséquence d’un raisonnement jugé cohérent, {je croi que + SP} introduit l’expression d’une croyance marquée par la négation partielle ou totale d’une relation d’implication pleinement assumée par la pensée commune. De ce point de vue, la séquence {je croi que + SP} fonctionne suivant le mécanisme de la concession.

36Il arrive que cette explication coïncide avec l’expression d’une croyance mal assurée du point de vue du locuteur ou, au contraire, d’une croyance marquée par une très forte conviction. Mais, bien souvent, la situation contextuelle vérifie chez le locuteur l’absence d’une pesée critique renvoyant clairement à un quantum positif ou négatif. Sans invalider les conclusions de G. Moignet, notre analyse propose une explication pour les occurrences qu’elles ne résolvent pas. Peut-être n’avons-nous fait ici que préciser les causes de l’emploi du subjonctif quand une « croyance ne va pas sans une certaine réserve du locuteur » (Moignet 1959, p. 562 ; nous soulignons), mais nous aurons du moins offert la possibilité d’une approche plus fine de ces emplois et de leur traduction.

7. Relevé des exemples

Mystère des Actes des Apôtres :

AA1

Je n’y oys creature nee,
mousi[gn]eur, je croy qu'ilz sont mors
ou qu'ilz soient sailliz dehors ;
qui ne me croit, si aille voir !
– Qu'ilz sont hors ? C'est bon assavoir,
tu nous mectroys tantost en doubte ! (AA, 2e journée)

AA2

en tous temps et toutes saisons,
pour son ame envers Dieu labeure,
car tousjours est en oraisons,
et croy qu'il y soit de ceste heure ; (AA, 2e journée)

AA3

Je croy qu’il soit du paÿs de Tust
à quelque marchant de cotton. (AA, 3e journée)

AA4

[…] sçais tu point si ceste ame
a faict de son corps departie ?
– Nenny, mon esprit y varie :
je ne l’ay oncq veue sortir.
– Veue ne l’ay à son partir
et croy qu’el soit encor au corps ;
quant d’elle bien je me records,
je suis en tres grant troublement.
– Si est il mort certainement,
je ne peulx bien ce cas entendre. (AA, 4e journée)

AA5

Voicy, il n’en faut point doubter,
Jupiter qui tout bien procure !
– Et je croy que, sans resister,
que ce soit le dieu de Mercure,
car il mect son entente et cure
d'ensuyvre le dieu d'excellence. (AA, 4e journée)

AA6

J'ay le plus douloureux remort
que jamais me puist souvenir,
car je croy que Pierre soit mort
dont nul bien ne pourroit venir
de plourer par grant desconfort.
Helas ! qui s'en pourroit tenir ?
Icy entre Paul en la prison et
trouve sainct Pierre comme mort.
(AA, 4e journée)

AA7

Amys, tous serez gariz, mes que
vous croyez, comme j'ay descrit,
en nostre sauveur Jhesucrit
sans y avoir aucune doubte !
– En luy est ma pensee toute.
Je croy qu'il est vroy filz de Dieu
et qu'il print la mort ou millieu
du monde pour tout l'humain gendre.
– Je croy que c'est luy qui vint prendre
en la vierge humaine nature,
qui fut manteau et couverture
de sa haulte divinité.
– Je croy et tiens pour verité,
nobles seigneurs, qu'il soit ainsi.
– Et de moy, je le croy aussi.
– Je croy qu'il est vray Dieu et homme,
redempteur d'Israel, si comme
noz saincts prophetes l'ont escript. (AA, 5e journée)

AA8

– Bien croy que l'heure soit venue
que le conseil des Juifs on oyt
et au pretoire il fault qu'on soit
pour sçavoir la fin où pretendent.
– Bien croy que ja vous y attendent,
temps sera que vous y trouvez. (AA, 8e journée)

Courtois d’Arras :

CA1

Ciertes vilains ne samblés mie ;
ains croi bien en mon cuer et pens
q’an vous ait cortoisie et sens. (CA, v. 164-166)

Jeu de la Feuillée :

F1

Si croi bien ke soient chi près. (F, v. 581)

Pacience de Job :

PJ1

  • 20 « 4905. que seroys mal de vous ABFGHJK, Je vous pry n’entrez en courroux D, omis K » (PJ, p. 123).

Et, si en aucune manière
Conmançons a parler ou vous,
Je croy que soiez mal de nous,
Mes tenir je ne m’en pourroye
De parler, quoy qu’avenir doye. (PJ, v. 4903-4907)20

Jeu de Robin et Marion :

RM1

Sainte Marie ! J’oi Robin !
Je croi que il soit entrepris ;
Anchois perdroie mes brebis
Que je ne li alasse aidier !
Lasse ! Je vois le chevalier !
Je croi que pour moi l’ait batu.
Robin, dous amis, que fais tu ? (RM, v. 334-340)

Mystère de sainte Barbe :

SB1

Par Jupiter, el nous abuse !
Je croy qu'elle soit invisible !
– Par Mahom, il n’est point possible
Qu’en ceste cité soit mussee. (SB, v. 12467-12470)

SB2

Je cuyde bien estre informé
Que par tourmens soit invincible.
Je croy qu’elle soit impassible : (SB, v. 16991-16993)

Jeu de saint Nicolas :

SN1

Je croi bien qu’il te puist venquir
Et faire te loi relenquir,
Dont tu dois estre a faus tenus. (SN, v. 1426-1427)

Mystère du siège d’Orléans :

SO1

  • 21 Lire je croy qu’il y soit.

Mander luy convient a grant arre,
a Roan, je croy qu’i luy soit21,
voire jusques en Engleterre,
se d’aventure il y estoit. (SO, v. 3337-3340)

SO2

De riens ne vous vueil contredire ;
mes ainçois vous vueil obeÿr,
et se vous ay volu mesdire,
vous en requiers pardon ouÿz.
Dame, je vueil bien acomplir
voz diz et voz commandemens,
et croy bien de vray, sans mentir,
que Dieu soit en vous vrayement. (SO, v. 9117-9124)

SO3

c’est une deablesse enragee
Et croy qu’elle soit infidelle ! (SO, v. 12915-12916)

SO4

n’ayez ja peur qu’on vous mefface ;
que je croy que soit en la grace
de Dieu qui a sus tous povoir ! (SO, v. 14948-14950)

SO5

Je croy qu’elle soit immortelle
ou que au deable soit donnee ;
jaymés n’ouÿz parler de telle,
je ne say s’elle est deable ou fee ! (SO, v. 15517-15520)

SO6

Il est bien vray que oncques puis
que ceste mauldicte Pucelle
vint en France et en ce païs,
guerre nous a esté rebelle ;
si croy qu’elle soit infidelle
ou engendree de l’Antecrist,
voire ou ung deable en lieu d’elle,
et que Lucifer la conduit ! (SO, v. 18149-18156)

Mystère de saint Vincent :

SV1

Touz sont joieux de la nouvelle.
Je croy qu’elle soit bonne et belle.
Noz dieux le vueillent par leur grace ! (SV, v. 1075-1077)

SV2

Je puisse Apolo advouez,
si je croy qu’en toute l’empire
y ait generacion pire
ne gens aussi prestz a la main. (SV, v. 2457-2460)

SV3

Aussi tost qu’il les a tenuz,les a il point fait mectre a mort ?
– Je croy que le vieillart soit mort,
car fort decrepit et chenu
estoit et l’envoya tout nu
rudement batant en exil. (SV, v. 10453-10458)

Mystère du Viel Testament :

VT1

Je croy que veritablement
Le Dieu d’Israel soit Dieu des dieux ; (VT, v. 40178-40179)

Haut de page

Bibliographie

Textes du corpus :

AA = Simon Gréban. Le Mystère des Actes des Apôtres, CNRS-Lamop (UMR 8589) : http://eserve.org.uk/anr/

CA = Courtois d'Arras, jeu du XIIIe siècle, Edmond Faral (éd.), Paris, Champion (CFMA, 3), 1922, 2e éd. revue.

F = Adam le Bossu, trouvère artésien du XIIIe siècle. Le Jeu de la Feuillée, Ernest Langlois (éd.), Paris, Champion (CFMA, 6), 1923, 2e éd. revue.

PJ = La Pacience de Job, Albert Meiller (éd.), Paris, Klinckiesck, 1971.

RM = Adam le Bossu, trouvère artésien du XIIIe siècle. Le Jeu de Robin et Marion, Ernest Langlois (éd.), Paris, Champion (CFMA, 36), 1924.

SB = Le Mystère de sainte Barbe en cinq journées, Mario Longtin et Jacques-Charles Lemaire (éd.), Orléans, Paradigme, à paraître.

SN = Jehan Bodel. Le Jeu de saint Nicolas, Albert Henry (éd.), Genève, Droz (TLF, 290), 1982.

SNtrad = Dufournet, J. (2005), Jean Bodel. Le Jeu de saint Nicolas, Paris, GF Flammarion.

SO = Le Mistere du siege d’Orleans, Vicki L. Hamblin (éd.), Genève, Droz (TLF, 546), 2002.

SV = X. Leroux, ‘Fin sans Fin’ – Travaux de philologie et études sur le théâtre du Moyen Âge, dossier pour l’Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Paris IV – Sorbonne, 2011, t. 2.

VT = Le Mistère du Viel Testament, James de Rothschild / émile Picot (éd.), Paris, Firmin-Didot (Société des anciens textes français), 1878-1891.

Ouvrages :

Buridant, Cl. (2000), Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, Sedes.

Martin, R. & Wilmet, M. (1980), Manuel du français au Moyen Âge. 2. Syntaxe du moyen français, Bordeaux, Sobodi.

Ménard, Ph. (1994), Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux, Bière (études Médiévales), 4e éd. revue, corrigée et augmentée.

Moignet, G. (1959), Essai sur le mode subjonctif en latin postclassique et en ancien français. Thèse pour le doctorat, Paris, PUF.

Moignet, G. (1988), Grammaire de l’ancien français, Paris, Klincksieck, 2e éd. revue et corrigée.

Riegel, M., Pellat, J.-Chr. & Rioul, R. (1996), Grammaire méthodique du français, Paris, PUF, 2e éd. corrigée.

Spillebout, G. (1985), Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard.

Haut de page

Notes

1 Notre objectif étant de comparer les deux termes d’une même opposition complémentaire, les cas où le verbe subordonné n’est pas au présent n’ont pas été retenus. Lorsque l’indicatif et le subjonctif du verbe subordonné sont indifférenciés, nous avons préféré considérer que la forme est à l’indicatif. Nous relevons la séquence {estre + participe passé} quand elle exprime l’état résultant de l’achèvement du procès et que le participe passé peut être assimilé à un attribut du sujet.

2 Mystère de saint Vincent (ci-après SV) (15025 v.) : {IP1 + IP} x 29 (v. 901, 1121, 2814, 3620, 4156, 4200, 4372, 4559, 6083, 6677, 6695, 7317, 7941, 8143, 8443, 8520, 10599, 11187, 11223, 11229, 11410, 11617, 11976, 12197, 13180, 13273, 14332, 14610, 14734) vs {IP1 + SP} x 3 (v. 1076, 2458, 10455).

3 Mystère de sainte Barbe (ci-après SB) (23792 v.) : {IP1 + IP} x 24 (v. 914, 1572, 1578, 2034, 2152, 4413, 4973, 5787, 6972, 8628, 8834, 10658, 10796, 14269, 14516, 15987, 16445, 17067, 21768, 22740, 22767, 22842, 22954, 23735) vs {IP1 + SP} x 2 (v. 12468, 16993).

4 Mystère du siège d’Orléans (ci-après SO) (20536 v.) : {IP1 + IP} x 32 (v. 1552, 2293, 2531, 2677, 3829, 5229, 6254, 6263, 6271, 7750, 7860, 10362, 10382, 10965, 11037, 11521, 12662, 12899, 12978, 14013, 15003, 15170, 15772, 16438, 17596, 17761, 17825, 18112, 18418, 19767, 19993, 20269) vs {IP1 + SP} x 6 (v. 3338, 9123, 12916, 14949, 15517, 18153).

5 Mystère des Actes des Apôtres (ci-après AA) (> 60000 v.) : {IP1 + IP} x 56 (J1 : 9 ; J2 : 15 ; J3 : 10 ; J4 : 10 ; J5 : 9 ; J6 : 0 ; J7 : 0 ; J8 : 2 ; J9 : 1) vs {IP1 + SP} x 8 (J1 : 0 ; J2 : 2 ; J3 : 1 ; J4 : 3 ; J5 : 1 ; J6 : 0 ; J7 : 0 ; J8 : 1 ; J9 : 0) (avec J1 = 1re journée, J2 = 2e journée, etc., en l’absence de numérotation des vers dans l’édition consultée).

6 Jeu de saint Nicolas (ci-après SN) : v. 1426.

7 Jeu de Robin et Marion (ci-après RM) : v. 335.

8 Jeu de la Feuillée (ci-après F) : v. 581.

9 Courtois d’Arras (ci-après CA) : v. 165.

10 Pacience de Job (ci-après PJ) : v. 4905.

11 Mystère du Viel Testament (ci-après VT) : t. 5, v. 40178.

12  La seule fois où la séquence {je croi que + SP} n’est pas construite avec le verbe estre – autrement dit en SV2 –, l’emploi du subjonctif est contraint par la mise sous hypothèse du verbe recteur (voir infra).

13 Voir Buridant 2000, p. 313-314.

14 Dans le DMF, les exemples de la tournure recherchée sont majoritairement, mais pas exclusivement, construits avec le verbe estre.

15 Lire je croy qu’il y soit.

16 La capacité du moyen français à employer les deux modes après je croi que permet dans la langue-source la coordination de deux complétives, là où la langue moderne doit opter pour une subordonnée circonstancielle afin de mieux traduire la mise sous hypothèse de la seconde complétive.

17 Notons qu’aucun indice morphologique ne nous permet de déterminer si, dans la seconde réplique de cet extrait, le verbe attendent est à l’indicatif ou au subjonctif.

18 Un écart comparable entre les apparences et la croyance du personnage explique probablement l’emploi du subjonctif en SV3. Alors qu’un messager vient lui rendre compte du supplice infligé à Valérien, l’empereur Maximien demande si, comme cela lui semblerait logique, le vieil évêque a été mis à mort. Le messager sait qu’il a été condamné à l’exil et, pour suivre l’avis de l’empereur, préfère croire que le vieillart soit mort, mais rien ne lui permet effectivement de le penser.

19 Pour des raisons très similaires, dans le Mystère du Viel Testament (VT1), Nabuchodonosor en vient à reconnaître au subjonctif la supériorité du dieu d’Israël. Ailleurs, dans le Mystère des Actes des Apôtres (AA6), saint Paul constate malgré lui de décès de saint Pierre, qu’il trouve comme mort dans la prison, et pressent certainement que les apparences sont trompeuses, puisque le prisonnier ne tarde pas à rouvrir les yeux. En l’occurrence, quoique les faits lui donnent tort par la suite, le personnage ne doute pas de la mort de saint Pierre et n’exprime pas non plus une conviction forte en recourant au subjonctif : il signale simplement un intenable désaccord entre ce qu’il voudrait croire et ce que les apparences le poussent à croire.

20 « 4905. que seroys mal de vous ABFGHJK, Je vous pry n’entrez en courroux D, omis K » (PJ, p. 123).

21 Lire je croy qu’il y soit.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Xavier Leroux, « Traduire le subjonctif dans la langue médiévale après les verbes d’opinion »Modèles linguistiques, 71 | 2015, 9-30.

Référence électronique

Xavier Leroux, « Traduire le subjonctif dans la langue médiévale après les verbes d’opinion »Modèles linguistiques [En ligne], 71 | 2015, document 1, mis en ligne le 31 août 2017, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/759 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.759

Haut de page

Auteur

Xavier Leroux

Membre du laboratoire Babel (EA 2649)

Professeur de français médiéval à l'Université de Toulon

xavier.leroux@univ-tln.fr

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search