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1. Le monologue intérieur
1Jusqu’à la publication des premiers fragments de l’Ulysse de James Joyce en 1919 et 1920, ne connaissait guère, en fait de monologue, que celui qui relève plus ou moins de la définition que donnent les dictionnaires : paroles prononcées, dans une pièce de théâtre, par un personnage qui est seul en scène.
2Tel le fameux monologue de Hamlet : « To be or not to be… ». Hamlet est seul en scène ; il exprime ses pensées ; il pourrait se contenter de penser sans parler, mais les nécessités théâtrales exigent qu’il pense à haute voix.
- 1 Les numéros entre croches correspondent au numéro de page de l’édition du livre.
3En principe, le personnage qui parle doit donc être seul. Il y a pourtant monologue lorsque, quoique n’étant pas seul, il parle comme s’il l’était, bien qu’au théâtre cela s’appelle plutôt un a parte. Mais qu’il y ait ou non d’autres (6)1 personnages sur la scène, la condition essentielle est que celui qui parle n’ait pas et ne veuille pas avoir d’auditeurs. Par contre, le fait de parler à quelqu’un qui s’appelle encore dans l’usage courant monologuer, mais en réalité n’est plus du monologue.
4Né au théâtre, on conçoit que le monologue se soit introduit aisément dans le livre, par exemple dans le roman. L’auteur, au lieu de raconter que son personnage pense ceci ou cela, lui fait dire à lui-même ce qu’il pense, de la même façon que la chose se passe sur la scène. Dans une page du Père Goriot sur laquelle nous reviendrons, Balzac aurait pu écrire : « Rastignac pensait que tout le monde se moquait de lui… ». Il use du monologue intérieur et écrit : « Tout le monde se moque de moi, se dit Rastignac… ».
5Dans le roman moins encore qu’au théâtre, il n’est indispensable que le personnage soit seul : il suffit, pour qu’il y ait monologue, que celui-ci exprime ses pensées sans intention de les faire entendre d’un auditeur. Et le monologue peut aussi bien se comprendre d’un long morceau ou de (7) quelques phrases insérées au cours d’un récit ou d’un dialogue. Tel est, aussi vieux que la littérature elle-même et quelques raffinements qu’on ait pu y apporter, le monologue traditionnel.
6Avec ce qu’on appelle aujourd’hui le monologue intérieur, celui par exemple de Mrs Bloom au dernier chapitre d’Ulysse, il n’est personne qui, dès la première lecture et préalablement à toute analyse, n’ait le sentiment qu’une considérable nouveauté est entrée dans la littérature.
7L’intérêt sera de rechercher en quoi consiste cette nouveauté, comment elle peut se définir et quelle en est l’origine ; mais il convient auparavant de rappeler comment elle est venue au jour.
2. L’instauration
- 2 Je renvoie à la préface de Valery Larbaud publiée en tête de la traduction française de Gens de Dub (...)
- 3 Traduit en français par Y. Fernandez, H. du Pasquier et J.-P. Reynaud sous le titre de Gens de Dubl (...)
8(8) Je n’ai pas à raconter ici la vie et à analyser l’œuvre de James Joyce2 et m’en tiendrai à ce qui concerne notre sujet. De toute évidence, le grand écrivain portait en lui-même la nécessité de la nouvelle formule dans laquelle son génie devait s’exprimer, et nous verrons tout à l’heure que ce fut, en effet, dès sa vingtième année, entre 1901 et 1903, qu’il en prit conscience. Pendant plusieurs années, l’idée germa sans se manifester, et l’on n’en trouve aucune trace dans ses deux premiers livres, Chamber Music, paru en 1907, et Dubliners, achevé la même année et paru en 1914 seulement3.
- 4 Traduit en français par Ludmila Savitsky sous le titre de Dedalus, 1924 (NDA).
9(9) À la même époque, il terminait son premier roman, commencé en 1904, Portrait de l’artiste jeune par lui-même4, qui parut à New York en 1916 et fonde sa réputation.
10On a voulu trouver du monologue intérieur dans le Portrait de l’artiste jeune ; en réalité, il n’y en a que quelques lignes, ceci de l’aveu de l’auteur lui-même qui m’a dit les avoir écrites à peu près inconsciemment, et qui n’en témoignent que mieux du travail qui se produisait en lui.
11Une autre trace de ce travail se manifeste dans l’ébauche qu’il avait commencée de son Ulysse, en même temps qu’il écrivait Dubliners ; loin d’avoir les dimensions énormes de l’Ulysse définitif, ce proto-Ulysse n’aurait été qu’une courte nouvelle, mais était déjà conçu comme le tableau d’une journée du principal personnage. Après y avoir renoncé pour écrire le Portrait de l’artiste jeune, Joyce y revint une fois celui-ci achevé et y travailla pendant sept ans, 1914-1921, Trieste-Zurich-Paris.
12En 1919 et 1920, des fragments en parurent (10) dans une revue de New York, The Little Review, qui fut poursuivie et saisie en raison des passages soi-disant immoraux de l’œuvre.
- 5 Europe, juin 1929 (NDA).
13Et immédiatement, avant même la parution en librairie, le retentissement fut énorme. Comme a dit Philippe Soupault5, « l’atmosphère littéraire qui baigne la Grande-Bretagne et les États-Uniens en fut complètement modifiée » ; mais ce ne fut pas seulement l’atmosphère littéraire des pays anglo-saxons, ce fut celle du monde lettré tout entier.
14Pour ce qui est de la France, ce retentissement se cristallise en une conférence que fit Valery Larbaud à la Maison des Amis du Livre, le 7 décembre 1921, ensuite publiée dans la Nouvelle Revue Française d’avril 1922, et donnée plus tard comme préface à Gens de Dublin.
- 6 La traduction française par Auguste Morel et Stuart Gilbert, avec révision de Valery Larbaud, a par (...)
15Ulysse allait peu après paraître en volume, février 1922, à la librairie Shakespeare, à Paris, parce qu’interdit en Angleterre et aux États-Uniens6.
- 7 Nouvelles Littéraires, 9 mars 1929 (NDA). – D’origine espagnole, hispaniste de formation, Jean Cass (...)
16(11) « Comment, écrit Jean Cassou7, raconter cette journée dublinoise plus vaste que tous les siècles de l’histoire, décrire les mouvements stellaires qui écartent Stephen Dedalus et Leopold Bloom et les rapprochent l’un de l’autre ? Comment retracer les routes par lesquelles on franchit les broussailles de tous les langages, argot, vocabulaire du Moyen Âge, du journalisme, style parlé, académismes, dialogues, poésie débridée et toute pure, pour aboutir enfin à l’extraordinaire monologue intérieur de Mrs Bloom ?… »
- 8 Revue Nouvelle, juillet-août 1929 (NDA). – En 1928, Pierre d’Exideuil avait publié Le couple humain (...)
17Pour donner une idée de l’impression qu’Ulysse produisit parmi les jeunes écrivains, je citerai encore ces lignes de Pierre d’Exideuil8 :
« Tout ce qu’il traverse dans la tête d’un individu, prodigieusement quotidien, d’idées, de souvenirs, de vantardises, et avec la minutie et le désordre d’évocation qui peut y régner, tout ce que la pensée d’un homme voit surgir, à toute minute, de velléités ridicules, tout cela est rendu avec les boursouflures de l’orgueil et de la bêtise collective et particulière que chacun de nous a en partage. (12) Toute cette meute de pensées s’agite en nous, sans repos, comme un troupeau apocalyptique, troupeau aux courses énergumènes. Élucubrations incohérentes, déformations hilarantes, visions démonologiques, prouesses scatologiques, bouffées de poésie, telle est la bacchanale silencieuse et rapide qui se profile au fond de nous, comme au fond de la caverne de Platon se profilaient des ombres, mais moins inquiétantes ».
- 9 William Carlos Williams (1883-1963) est un écrivain américain qui partage sa vie entre la médecine (...)
18La formule du monologue intérieur, suivant laquelle était écrite une partie du livre, était arrivée au grand jour de la renommée, et fut immédiatement employée en France par Valery Larbaud dans Amants heureux amants et en Amérique par William Carlos Williams9. Bientôt (1924), dans le délicieux roman Juliette au pays des hommes, Jean Giraudoux pouvait écrire (p. 149) que « ce qui intriguait Paris en ce moment, ce n’était certes pas la mort, c’était le monologue intérieur ». Et la question se posa aussitôt : quelles étaient les origines de cette sensationnelle nouveauté ?
- 10 Victor Bérard (1864-1931), helléniste et homme politique, est connu pour sa traduction en prose ryt (...)
19On ne diminue en rien la gloire de James Joyce à rechercher ce qu’en érudition on appellerait ses « sources », comme Victor Bérard a recherché les (13) sources de l’Odyssée elle-même, comme les théologiens recherchent celles du Sermon sur la Montagne10. Mais qui sait quand la question aurait été élucidée, si James Joyce, avec une générosité sans exemple dans l’histoire des lettres, n’avait révélé lui-même que trente-cinq ans avant la publication d’Ulysse, le monologue intérieur avait été employé et en réalité créé dans mon roman, les Lauriers sont coupés.
- 11 Edmond Jaloux (1878-1949), critique littéraire et romancier français. Auteur d’une Histoire de la l (...)
C’est, en effet, en 1887, que les Lauriers sont coupés parurent dans la Revue Indépendante, puis l’année suivante en librairie. Quel en était le thème ? Edmond Jaloux11 l’a résumé dans les termes suivants :
20« Dans les Lauriers sont coupés il ne se passe à peu près rien : un jeune homme est amoureux d’une jolie fille, lui donne un peu d’argent, se promène avec elle et finit par ne rien obtenir. Il s’en va en se déclarant qu’il ne la reverra plus, mais il n’est pas très sûr qu’il tienne parole ».
- 12 Préface de l’édition définitive, 1924 (NDA).
21(14) L’originalité de l’œuvre était précisément que le monologue intérieur y était employé pour la première fois, cela non pas accidentellement, mais d’une façon continue et systématique, depuis le commencement jusqu’à la fin. Selon les expressions de Joyce rapportées par Valery Larbaud12 :
«… le lecteur se trouvait, dans les Lauriers sont coupés, installé, dès les premières lignes, dans la pensée du personnage principal, et c’est le déroulement ininterrompu de cette pensée qui, se substituant complètement à la forme usuelle du récit, apprenait au lecteur ce que fait ce personnage et ce qui lui arrive ».
22Quant au succès du livre, il avait été mince. Le volume, comme tous ceux publiés par la librairie de la Revue Indépendante, avait été tiré à 420 exemplaires numérotés, dont 20 sur grand papier ; un certain nombre en furent donnés à titre de service de presse, et un très petit nombre trouvèrent acheteurs ; le stock, lorsque la revue cessa de paraître, fut vendu à vil prix aux libraires Vanier et Deman, à part quelques grands papiers que je préférai détruire de mes propres mains.
23(15) L’accueil fait au livre par les personnes qui le reçurent à titre gracieux ne fut guère meilleur, sauf un petit nombre d’exceptions… il est vrai que la qualité de quelques-unes compensait la quantité.
24D’abord une lettre de Mallarmé, 8 avril 1888:
- 13 Je possède de Mallarmé une seconde lettre relative aux Lauriers sont coupés, du 8 octobre 1897, don (...)
«… Vous savez que j’ai particulièrement apprécié ce roman à ma première lecture dans la Revue Indépendante ; et aujourd’hui en le feuilletant je reconnais que vous avez là fixé un mode de notation virevoltant et cursif qui, en dehors des grandes architectures littéraires, vers ou phrases décorativement contournées, a seul raison d’être, pour exprimer, sans mésapplication des moyens sublimes, le quotidien si précieux à saisir. Il y a donc là plus qu’un bonheur de hasard, mais une de ces trouvailles vers quoi nous nous efforçons tous en sens divers »13.
25Je regretterai éternellement que Mallarmé m’ait dit et ne m’ai pas écrit ce qu’il avait pensé du livre lors de sa publication en revue ; tout en l’excluant, bien entendu, de la définition vertigineuse qu’il (16) donnait de la littérature, il avait été le seul (avec peut-être Huysmans) à pressentir ce que Joyce devait découvrir plus tard : les immenses possibilités du monologue intérieur. Je me rappelle son expression : «… l’instant pris à la gorge… ».
26Huysmans, disais-je, sembla en avoir lui aussi quelque intuition… « C’est curieux… c’est curieux… », répétait-il, sans rien préciser d’ailleurs. De lui, je possède un billet où il rappelle seulement la sensation de nouveauté qu’il avait éprouvée.
- 14 J.H. Rosny (1856-1940), connu aussi sous le pseudonyme de J.H. Rosny aîné – il écrivit avec son frè (...)
27À Mallarmé et Huysmans, il faut joindre J. H. Rosny14 qui, dès le premier jour, manifeste pour le livre un intérêt qu’il ne devait plus cesser de lui accorder.
- 15 E. Hennequin (1858-1888), mort tragiquement à l’âge de 30 ans était effectivement, à l’époque où on (...)
28D’Émile Hennequin15, qui avait alors la réputation d’un critique important, je reçus une lettre où il reconnaissait dans le livre « le roman d’analyse réduit à être seulement l’énumération d’une suite de mouvements d’âme ».
- 16 Charles Le Goffic (1863-1932) est un critique, poète et romancier breton, militant régionaliste et (...)
29De Loti, un billet assez embarrassé. En 1890, quelques pages hostiles de Charles Le Goffic16, sur lesquelles je reviendrai.
30Un peu plus tard, un mot d’Ajalbert, dans l’enquête (17) de Jules Huret, où il place le livre parmi les intéressantes manifestations du symbolisme.
31Une lettre de Courtine, qui se déclare « grand admirateur des Lauriers sont coupés ».
- 17 Paul Adam (1862-1920), écrivain français très fécond et critique d’art. Politiquement contradictoir (...)
- 18 Rémy de Gourmont (1858-1915) est un écrivain, journaliste et critique d’art proche des symbolistes. (...)
32Quelques mots, par-ci par-là, dans quelques revues. Ajoutons de chaleureuses paroles de Paul Adam17 ; des félicitations de Goncourt qui fit au livre l’honneur d’une reliure de choix. Une lettre ultérieure (9 août 1897) de Rémy de Gourmont me disant qu’il avait « suivi ce petit roman avec délices dans la Revue Indépendante en 1887 » ; et, plus tard, quelques pages dans le IIme Livre des Masques18.
- 19 George Moore (1852-1933), un des plus grands écrivains irlandais et critique d’art. A vécu à Paris (...)
33Georges Moore, avec qui je suis en correspondance depuis 1886, m’avait écrit de Londres, 17 mai 1887, pendant que le roman paraissait en revue19 :
- 20 Henri Monnier (1799-1877), illustrateur caricaturiste et dramaturge, créateur du personnage de M. P (...)
C’est Henri Monnier rendu lisible20 ; la petite vie de l’âme dévoilée pour la première fois. Une musique étonnante de points-et-virgules ; seulement je crains la monotonie. Nous verrons ; en tout cas, c’est neuf ».
34Je reçus encore de lui quelques mots au mois de décembre suivant, puis dix ans plus tard, 22 juillet (18) 1897, une lettre où il me disait que j’avais trouvé la forme la plus originale de notre temps, mais que la psychologie était un peu naturaliste… « Ça semble un contresens », ajoutait-il ; mais non ; c’est la critique exacte ».
35Je ne me rappelle pas autre chose.
- 21 Le Mercure de France est une revue d’avant-garde littéraire créée en 1890 par un groupe d’amis réun (...)
36En 1897, le Mercure de France qui reprenait alors les principales œuvres du symbolisme, avait publié une réédition du livre. Enfin, le Gil Blas illustré le reproduisit, mais il convient de noter que ce fut pour des raisons personnelles21.
37Réédition et publication n’empêchèrent pas le livre de sombrer dans l’oubli, et un de mes biographes, dans une brochure qu’il me consacrait en 1923, ne le mentionne même pas parmi mes œuvres ! Autre symptôme. L’exemplaire par moi offert à Goncourt, grand papier, relié par ses soins avec mention de sa main, ayant été offert quelques années après la vente de sa bibliothèque au libraire Camille Bloch, pourtant si érudit et si avisé, fut refusé par lui avec un éclat de rire.
38Dans sa préface de l’édition définitive, Larbaud a trop bien expliqué les causes de cet oubli pour que je veuille y revenir. Pris de plus en plus par (19) mes études d’histoire des religions et mon théâtre, j’avais fini par presque oublier moi-même ce livre de ma jeunesse, lorsque James Joyce prononça le Lazare veni foras.
Les circonstances de cette résurrection intéresseront peut-être par leurs à-côtés les personnes curieuses de l’histoire du monologue intérieur ; elles se présentent sous l’aspect d’un film à multiples épisodes.
39Le premier épisode remonte aux années 1901-1903 ; il pourrait s’intituler « l’Œuf de Christophe Colombe », ou « la Marmite de Denis Papin ». Voici la scène : un jeune écrivain, vingt ans (James Joyce en personne, lit au cours d’un voyage à Paris les Lauriers sont coupés.
40… Et il faut que nous arrêtons un instant ici. Pourquoi Joyce a-t-il adopté la formule du monologue intérieur ? Évidemment, nous le disions plus haut, parce qu’il la portait en lui ; la circonstance qui la lui révéla lui fit simplement prendre conscience de lui-même. Cette circonstance fut la lecture du petit roman français où précisément la (20) formule avait été créée. Mais voici le coup d’œil de l’homme de génie ; alors que personne (sauf Mallarmé et peut-être Huysmans et Rosny) n’avait aperçu les immenses possibilités de la formule ébauchée dans ce livre, Joyce, lui, les aperçut, sans doute pas immédiatement, mais avec toute leur portée, avec une portée qui dépassait jusqu’à l’infini la réalisation que j’en avais ébauchée.
41… Revenons à notre film.
42Le second épisode se place en 1917. James Joyce est à Zürich ; il est en train d’écrire Ulysse (1914-1921) ; il voit dans un journal suisse que je fais représenter un drame à Genève ; il m’écrit pour me demander si je suis bien l’auteur des Lauriers sont coupés ; il ignore mon domicile ; mais il se dit que le consulat de France doit posséder l’adresse d’un Français qui en 1917 fait jouer une pièce à Genève. Inutile d’ajouter qu’elle ne m’est jamais parvenue.
43Troisième épisode. Fin de l’année 1921. Ulysse est achevé ; des fragments en ont paru ; le livre lui-même est à l’imprimerie. James Joyce cause avec quelques écrivains parmi lesquels est Valery (21) Larbaud. Ceux-ci expriment au grand écrivain leur admiration pour ce qu’ils croient être son invention. Joyce les interrompt et leur déclare que le monologue intérieur a été créé, non pas par lui, mais près de trente-cinq ans auparavant, par un écrivain français, et il leur cite mon nom et le titre de mon livre.
44La déclaration cependant passe à peu près inaperçue. Valery Larbaud m’a même raconté qu’il y attacha ce jour-là si peu d’importance qu’il oublia le titre de mon livre et se rappela seulement que Joyce lui avait parlé de moi. Effectivement, dans sa conférence du 7 décembre 1921, non seulement il ne parle pas des « sources » d’Ulysse, mais il me semble attribuer à Joyce lui-même l’invention du monologue intérieur, sans pourtant l’affirmer catégoriquement.
- 22 Reproduites dans le volume : Dostoïewsky, 1923 (NDA).
- 23 André Gide, à qui je demandais récemment s’il avait lu mon livre à l’époque où celui-ci avait paru (...)
45Parmi les écrivains qui, de plus en plus, se préoccupent de la nouvelle formule instaurée par Joyce, personne ne connaît ou ne se rappelle les Lauriers sont coupés. André Gide donne, février-mars 1922, six conférences sur Dostoïevski22, au cours desquelles (22), traitant du monologue intérieur, il en refuse l’invention à James Joyce et le fait remonter à Edgar Peu, Robert Browning et Dostoïevski lui-même, sans aucune allusion aux Lauriers sont coupés23.
- 24 René Lalou (1889-1960), professeur de lettres (il a notamment enseigné à Paris au lycée Henri IV) e (...)
- 25 Il s’en est, depuis, loyalement expliqué dans une note qu’on trouvera dans la prochaine édition de (...)
46Au moment où André Gide donnait ses conférences sur Dostoïevski, René Lalou achevait son Histoire de la littérature contemporaine, qui devait paraître à l’automne 1922 suivant24. René Lalou avait lu les Lauriers sont coupés ; mais il avait été surtout frappé de défauts que je conteste si peu que j’y reviendrai tout à l’heure ; et, aujourd’hui que justice a été rendue par ailleurs aux qualités de l’œuvre, je m’explique qu’il ait pu se laisser arrêter par l’agacement qu’ils lui causèrent25. (24) En tout cas, on le vit lui aussi attribuer le monologue intérieur à Dostoïevski, à Browning et, allant plus loin que Gide, à Proust et même à Paul Morand.
47Larbaud lui-même, dans un compte rendu qu’il publia du livre de Lalou dans la Nouvelle Revue Française de février 1923 et qu’il avait probablement écrit au mois de décembre 1922, s’abstenait de signaler cette omission parmi d’autres qu’il relevait… Puis-je faire à quiconque un reproche de cet oubli, puisque moi-même, dans la protestation que je publiai contre le livre de Lalou dans les Cahiers Idéalistes de février 1923, je mentionnai les Lauriers sont coupés sans dire un mot de la formule qui y était employée ?
48Le quatrième « épisode » se déroule à une date qu’on peut situer très vraisemblablement entre la fin de décembre 1922 et la fin de février 1923. James Joyce est de nouveau en présence de Valery Larbaud ; il reparle des Lauriers sont coupés ; il insiste ; et le « talky » recueille ces paroles :
49(24) – Read it, you shall see what it is.
50Et nous arrivons au plus extraordinaire de nos épisodes.
51Cinquième épisode. – Réunion d’écrivains. Valery Larbaud n’a pu encore lire les Lauriers sont coupés, mais il a été fortement ému de ce que lui a révélé James Joyce ; il raconte la conversation ; il dit combien il en est impressionné ; il demande si on connaît mon livre ; il dit sa hâte de le lire…
52Malaise général…
53Je ne citerai aucun nom ; l’affaire appartient au passé ; la plupart des « opposants » d’alors sont d’ailleurs revenus à d’autres sentiments.
54On sait quelle chose variable est la « cote » d’un écrivain ! La « cote » de Edouard Dujardin, tombée assez bas dans les années qui avaient précédé la guerre, avait brusquement remonté à la fin de celle-ci et dans les années qui l’avaient suivie ; mais, pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la littérature, une réaction s’était bientôt produite, dans un milieu à vrai dire assez limité, mais auquel appartenaient précisément les écrivains que notre cinquième épisode met en scène.
55(25) De ceux-ci, aucun, en réalité, n’en veut personnellement à l’homme ; mais on en veut à ses tendances politiques et sociales, et de là à dénigrer son œuvre littéraire, il n’y avait qu’un pas ; le symbolisme, dont on se refuse à entendre parler dans le groupe, est un suffisant prétexte ; ceux qui ont lu les Lauriers sont coupés ne savent se rappeler que les défauts qui déjà avaient arrêté René Lalou ; style démodé ; livre illisible… Enfin on veut lancer Ulysse, et quelques-uns se demandent si c’est le moment d’attirer l’attention de la critique sur une œuvre dont certains pourraient peut-être lui opposer la priorité… Joyce lui, le grand écrivain, n’a pas été effleuré de cette crainte ; mais les admirateurs d’un grand écrivain n’ont pas tous sa mentalité, et ce que les disciples retiennent quelquefois le moins volontiers du maître, ce sont ses qualités morales. La personne qui doit éditer la traduction française est précisément celle qui montre le plus de générosité ; elle proteste que de telles craintes sont ridicules et qu’elles désoleraient Joyce s’il en avait connaissance ; on ne l’écoute pas ; et voici les paroles, les paroles bien françaises et (26) même bien parisiennes celles-là, que recueille le talky :
56– Joyce avait bien besoin de repêcher ce bouquin !
57Valery Larbaud pourtant ne l’entend pas ainsi ; il se refuse à suivre les conseils de ceux qui le détournent de lire le volume ; il se décide à aller en personne le demander au Mercure de France, le lit et je ne puis que citer ce qu’il raconte lui-même de l’impression qu’il en ressentit :
On m’avait préparé à trouver à chaque ligne des défauts et des tares d’époque, mots et tournures démodés, charabia symboliste, etc. Au contraire, je me trouvais devant une belle œuvre française dans toute sa fraîcheur et sa pureté, où les traces d’époque, de mode, étaient en nombre insignifiant (disparues d’ailleurs dans l’édition définitive), et dont l’ensemble supportait et supporte la comparaison avec les meilleurs ouvrages d’imagination, en prose, de notre langue.
58Et, dans la préface de l’édition définitive :
Je constatais qu’en effet les Lauriers sont coupés, bien que totalement différents, par l’esprit (27) et par le style, de l’ouvrage de James Joyce, devraient être considérés comme une des sources formelles d’Ulysse. Mais surtout je fus stupéfait de penser qu’un tel livre, d’une valeur littéraire si évidente, et qui contenait toute la technique d’une forme nouvelle, séduisante, riche en possibilités de toute sorte, capable de renouveler le genre « roman » ou de s’y substituer complètement, avait pu demeurer inaperçu pendant de si nombreuses années.
59En 1921, Larbaud avait dédié sa nouvelle Amants, heureux amants au grand écrivain irlandais qu’il considérait alors comme le créateur de cette forme. Lorsqu’il lut pour la première fois les Lauriers sont coupés, Il venait d’achever Mon plus secret conseil, été 1923, et crut devoir me le dédier dans les termes suivants : « A Edouard Dujardin, auteur de Les Lauriers sont coupés (1887), a quo… ». On peut dire que de cette dédicace quelque peu sibylline date, après trente-cinq ans d’indifférence, le retour à mon livre de l’intérêt du public lettré.
- 26 Chez l’éditeur Messein, 1924. Une traduction anglaise due à Stuart Gilbert, l’un des traducteurs d’ (...)
60L’année suivante, Larbaud continuait son geste en écrivant pour l’édition définitive des Lauriers (28) sont coupés26 la préface qui devait avoir le retentissement que l’on sait.
61James Joyce avait tiré du tombeau Les Lauriers sont coupés ; Valery Larbaud fut celui qui recueillit le ressuscité, le prit par la main et le conduisit parmi les hommes. Ce tableau formera, si l’on veut, notre sixième et dernier épisode.
- 27 Voir note 10 (NDE).
62L’article que, dans les Nouvelles Littéraires du 17 janvier 1925, Edmond Jaloux27 lui consacra, s’associant ainsi à l’œuvre accomplie par Valery Larbaud, en fut la consécration.
63Il n’arrive pas très fréquemment, disait-il, qu’un livre qui a passé à peu près inaperçu lors de son apparition, sorte de l’oubli après de longues années et se trouve tout à coup en position d’œuvre importante. Mais enfin cela arrive. Il est bien certain que nous avons en ce moment l’illusion qu’une pareille erreur n’est plus possible, et cependant, dans cinquante ans, il est vraisemblable que de l’amas des ouvrages qui paraissent tous les jours, trois ou quatre livres surgiront, qui seront (29) probablement ceux auxquels on a attaché le moins d’importance au moment de leur apparition, alors que toutes les nouveautés dont nous nous engouons les unes après les autres auront pris à leur tour leur caractère d’anciennes nouveautés, c’est-à-dire de vieilleries… Le cas vient de se produire pour Les Lauriers sont coupés.
En dehors des Lauriers sont coupés, le monologue intérieur avait-il été employé avant Ulysse ?
- 28 Arthur Schnitzler (1862-1931), Edouard Dujardin (1861-1949) (NDE).
64Arthur Schnitzler, qui a à peu près mon âge28 a publié en 1901 son Leutnant Gustl qui passe pour être écrit suivant cette formule. Il y aurait lieu d’examiner si, pour être en effet écrit à la première personne et au présent, le roman comporte vraiment les caractères profonds et essentiels du monologue intérieur. On ne peut nier, en tout cas, qu’il en soit proche, et il est intéressant de constater qu’il a été écrit l’année même où James Joyce lisait pour la première fois Les Lauriers sont coupés. Arthur Schnitzler les connaissait-il ?
65Il y a quelques années, Valery Larbaud et une (30) étudiante de l’Université de Francfort, Mlle Édith Weyel qui préparait une thèse sur le monologue intérieur, prièrent Robert Ernst Curtius de lui poser la question. Dans une lettre adressée à Mlle Weyel, datée d’Adelboden du 5 août 1926, et que j’ai lue moi-même, Arthur Schnitzler répondit qu’il ne les connaissait pas et ajoutait que, peu après la publication du Leutnant Gustl, Georges Brandès lui avait écrit pour les lui signaler.
66Sans mettre aucunement le geste de Georges Brandès au niveau de celui de James Joyce, il est curieux de constater que, tandis que mes compatriotes les oubliaient, Les Lauriers sont coupés restaient en la mémoire d’un Irlandais et d’un Danois, lesquels étaient, ce qui me touche tout particulièrement, l’un un critique de haute qualité et l’autre le plus grand écrivain de l’époque.
67À côté de la question Schnitzler, lequel avait employé le monologue intérieur avant Ulysse, il y a les questions Dostoïevski, Browning et autres, qui l’auraient employé avant même Les Lauriers sont coupés. Nous les examinerons lorsque nous aurons défini le monologue intérieur lui-même ; nous établirons qu’il s’agit, dans les passages (31) allégués, de tout autre chose ; mais voulût-on y reconnaître quelques-uns des caractères du monologue intérieur, il ne pourrait jamais s’agir que d’aspirations et de tendances, et le problème ne ressortirait jamais qu’à l’étude des antécédents de la formule. Une chose, en effet, ne peut être contestée, c’est que le premier emploi voulu, systématique et continu du monologue intérieur date des Lauriers sont coupés, 1887, et que son instauration glorieuse date d’Ulysse, premiers fragments parus 1919.
Larbaud me signale encore, à titre de curiosité, la brusque et très brève apparition du monologue intérieur (trois mots) dans un roman de Armando Palacio Valdes, El Cuarto Poder, paru en Espagne vers 1890. On y lit ceci (cité de mémoire) : Il s’était sottement conduit. Il avait fait une piètre figure. Il aurait dû… ». Après quoi le récit à la troisième personne continue normalement.
- 29 Yves Gandon (1899-1975), critique littéraire, essayiste et romancier, auteur du Pré aux Dames, chro (...)
68Il y a évidemment là un cas de monologue (32) intérieur, – à moins, comme me le suggérait Yves Gandon29, que cette subite apparition de la première personne ne soit une simple coquille typographique ! Quoi qu’il en soit, une demi-ligne perdue au milieu d’un livre ne sera jamais, Larbaud l’a bien noté, qu’une curiosité.
- 30 Manuscrit autographe, mars-avril 1930 (NDA).
D’où provient l’expression elle-même de « monologue intérieur » ? Valery Larbaud en attribue la paternité30 à Paul Bourget, lequel l’a employée dans son roman Cosmopolis, paru en 1893, où on lit, à la suite d’un monologue tout stendhalien (et nullement « monologue intérieur ») du principal personnage, les lignes que voici :
Ce petit monologue intérieur n’était pas très différent de celui qu’aurait prononcé dans une circonstance analogue n’importe quel jeune homme intéressé par une jeune fille dont la mère se conduit mal (tome 1, page 40).
69(33) Paul Bourget connaissait Les Lauriers sont coupés ; il témoignait de la sympathie à la Revue Indépendante, à laquelle il avait donné un article ; mais il est trop évident que dans ce texte de Cosmopolis il n’entendait aucunement viser la nouvelle formule.
70L’invention de l’expression, dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui, semble être due à Valery Larbaud lui-même.
3. Essai d'une définition
71L’écrivain qui compose un roman se place dans la situation d’un observateur qui assisterait à tous les faits et gestes du personnage qu’il met en scène et jouirait de la faculté de descendre dans ses plus secrètes pensées, soit qu’il se contente de les raconter à ses lecteurs, soit qu’il s’efforce d’en expliquer le déroulement, tel un témoin bien informé exposerait devant le tribunal ce qu’il a vu et entendu (vous jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité), avec ou sans psychologie de l’accusé.
- 31 Les « romans les plus récents » de Bernanos sont Sous le soleil de Satan (1926), L’imposture (1927) (...)
72Quelques-uns parmi les romans simplement narratifs sont de parfaites réussites. Parmi les romans psychologiques, certains (tels, entre les plus récents, ceux de Bernanos31) pourraient passer pour les analyses en trois cents pages qu’un critique aurait écrites de récits qui n’en auraient que cent cinquante. Les romans qui se donnent pour (35) programme de raconter sans juger ne s’abstiennent pas plus que les autres d’expliquer. Quant à ceux où le principal personnage dit JE, on voit le plus souvent celui-ci se substituer simplement à l’auteur pour exhiber son mécanisme psychologique. Et nombreux sont, j’imagine, les lecteurs qu’a fini par fatiguer jusqu’à l’exaspération cette continuelle intervention d’un écrivain qui ne laisse pas son personnage faire un geste ou dire un mot sans s’avancer lui-même et courtoisement leur expliquer pour quelle raison… et pour quelle raison…
- 32 Exemples évidents, entre mille autres : l’entrée de Phèdre et la déclaration à Hippolyte, dans la t (...)
73Le théâtre a tout au moins l’avantage de nous délivrer de ces importunités (sauf le cas pourtant où elles réapparaissent sous les espèces d’un confident ou celles d’une exagération de connaissance de soi-même prêtée au personnage principal). Si tant de poètes ont été attirés par la forme dramatique, ce n’est pas parce que celle-ci leur donne la joie un peu grossière (et généralement cher payée) de réaliser leurs conceptions en chair et en os dans une atmosphère de carton peint, mais parce qu’elle leur permet précisément de laisser parler les voix profondes qu’ils entendent dans leurs cœurs. Tel est, en effet, au théâtre, l’intérêt, non pas (36) seulement des quelques monologues qu’on y rencontre et qui sont en somme assez rares, mais des parties de dialogues dans lesquelles le personnage parle comme s’il se parlait à lui-même, soit dans une réplique qui a l’air de s’adresser et qui en fait ne s’adresse pas à l’interlocuteur, soit dans une phrase jetée au milieu du discours, soit dans un simple membre de phrase, où monte comme une bouffée le cri du subconscient et qui ne sont autre chose que des bouts de monologues dissimulés32. En ce sens, le véritable dialogue dramatique est une continuelle combinaison de monologues dissimulés par qui s’exprime l’âme du personnage et de dialogues proprement dits, – avec cette bienheureuse circonstance que l’auteur n’est jamais là pour l’interrompre de ses commentaires. La beauté de la forme dramatique n’est pas, comme l’ont cru quelques réalistes, de reproduire la conversation que deux personnes auraient pu avoir dans la réalité ; elle est de faire jaillir de leur subconscient les choses qui y sont enfermées et qui (37) dans la réalité ne seraient jamais montées jusqu’à leurs bouches. Ces choses, Wagner les faisait dire par son orchestre ; le romancier psychologue les analyse ex professo ; Racine les exprime, non seulement dans les répliques, mais dans les monologues (monologues véritables ou monologues dissimulés) qu’il entremêle continuellement à celles-ci.
74Et c’est ce que tout d’abord le monologue intérieur permettra de réaliser dans le roman.
75Le premier objet du monologue intérieur est, en demeurant dans les conditions et le cadre du roman, de supprimer l’intervention, au moins l’intervention apparente de l’auteur et de permettre au personnage de s’exprimer lui-même et directement, comme le fait au théâtre le monologue traditionnel.
76Le monologue intérieur est donc, avant toute chose, un monologue… J’entends qu’il a la même raison d’être qu’a au théâtre le monologue traditionnel, c’est-à-dire qu’il est premièrement le discours par lequel le personnage qui nous est présenté expose lui-même et directement sa pensée.
77Le monologue intérieur est, en second lieu, un (38) discours sans auditeur ; et en cela il suit encore les règles du monologue traditionnel.
78Il est, en outre, un discours non prononcé ; aussi les critiques anglais l’appellent-ils l’unspoken ou le silent monologue. En cela diffère-t-il du monologue traditionnel ? Pas davantage ; car nous savons que, si au théâtre le monologue est récité à haute voix, c’est en vertu d’une convention qui s’impose obligatoirement ; mais dès que la pièce est lue au lieu d’être écoutée, rien ne force à imaginer le personnage parlant à haute voix. Dans le roman d’ailleurs, le monologue traditionnel n’est pas donné comme prononcé à haute voix, sauf cas exceptionnels ; en principe, le monologue a pour objet d’exprimer des pensées et non de rapporter des paroles.
79Lorsque Valery Larbaud, dans une lettre adressée le 20 février 1924 à René Lalou, écrivait qu’il est le « monologue sans voix de la conscience », il ne faisait donc qu’accentuer un caractère qui lui est commun avec le monologue traditionnel ; quand il le disait « indéclamable » et ajoutait qu’on ne peut le lire à haute voix que « d’un ton aussi voisin que possible des paroles prononcées en rêve », (39) je crois bien qu’il ne faisait que demander au lecteur du monologue de Mrs Bloom ce que je demanderais, si j’étais directeur de théâtre, au comédien qui récite le « To be or not to be »…
- 33 Page 397 de la traduction française (NDA).
80Suit-il de là que le monologue intérieur doive obligatoirement, comme le monologue traditionnel, s’employer à la première personne ? Au théâtre comme dans le roman, il y a encore monologue, lorsque, se parlant à lui-même, le personnage se dit TU, comme on le fait couramment dans certaines provinces, ou lorsqu’il parle à la troisième personne comme le font les nègres dans les récits de voyage et comme nous le verrons faire au Caliban de Robert Browning ; la seconde et la troisième personne, en réalité, ne sont là qu’une première personne déguisée. Si nous laissons de côté le théâtre et nous en tenons au roman, il y a encore monologue, lorsque l’écrivain, employant la troisième personne, rapporte les pensées du personnage de la même façon que les historiens de l’antiquité rapportaient les paroles de leurs héros en « discours indirect » ou de la même façon dont usaient Flaubert et les naturalistes avec leurs récits à l’imparfait, à la condition toutefois que (40) le romancier s’interdise toute intervention personnelle. Exemple, dans Ulysse, le passage qui commence par l’explication des pensées de Gertie et devient le monologue intérieur de celle-ci tout en restant à la troisième personne33 ; c’est ce qu’on pourrait appeler, par analogie avec le « discours indirect », le « monologue intérieur indirect ». Cette fois encore, le IL (ou le ELLE) dissimule le même JE que celui du monologue traditionnel.
81Retenons donc que le monologue intérieur, par là même qu’il est un monologue, est, avant toute chose : primo un discours du personnage qui nous est présenté, secundo un discours sans auditeur et tertio un discours non prononcé. Et cherchons ailleurs ses caractéristiques. En passant en revue quelques-unes des définitions qui en ont été données depuis l’époque où l’apparition d‘Ulysse le mit à l’ordre du jour, nous pourrons du même coup reconnaître comment il a été compris et rassembler les éléments de la définition que nous en proposerons nous-même, en les complétant et (41) en les corrigeant au besoin. On nous pardonnera d’avoir recueilli côte à côte des textes qui s’appliquent, les uns au monologue intérieur modestement ébauché dans Les Lauriers sont coupés, les autres à la géniale réalisation d’Ulysse ; il s’agit, dans ce chapitre, de rechercher les caractéristiques d’une formule, et non d’en apprécier la mise en œuvre.
82Le monologue intérieur, disait Valery Larbaud dès 1924 dans la préface déjà citée, est l’expression « des pensées les plus intimes, les plus spontanées, celles qui paraissent se former à l’insu de la conscience et qui semblent antérieures au discours organisé »… Ainsi permet-il « d’atteindre si profondément dans le Moi le jaillissement de la pensée et de la saisir si près de sa conception… ».
83Nous avons vu le même écrivain caractériser, d’après James Joyce, le monologue intérieur des Lauriers sont coupés comme « le déroulement ininterrompu de la pensée du personnage ».
84« Son caractère essentiel, dit Edmond Jaloux en reprenant les expressions de Valery Larbaud, est de représenter, non seulement la parole intérieure, mais la pensée intime en formation ».
85(42) Ces trois premiers textes résument d’une façon heureuse l’idée que l’on se fait le plus généralement du monologue intérieur, et indiquent en substance les différents éléments qui le caractérisent. Nous allons les retrouver au fond de la plupart des articles que nous allons citer. Si nous essayons pourtant de dissocier ces différents éléments, nous constatons que c’est la « matière » du monologue intérieur, c’est-à-dire la matière des choses qui y sont décrites, qui a plus vivement frappé les critiques, lesquels, pour se faire entendre, ont accumulé les images les plus diverses.
86Edmond Jaloux explique, dans le même article, que la nouveauté de la formule des Lauriers sont coupés « est dans cette prodigieuse délicatesse à saisir toutes les nuances de l’esprit, à mêler le monde extérieur au monde intérieur, à noter en petites phrases courtes, vives et légères, le perpétuel travail de volition, de réflexions, d’inconscient, qui tisse et détisse sans fin des toiles presque indistinctes au fond de notre âme ».
87Le résultat, dit-il encore, est d’évoquer « cet état de confusion complète où les choses du dehors s’entrechoquent, (43) se mêlent et se télescopent mutuellement pour aboutir à cette impression de vie qui forme notre conscience essentielle… ».
88Ainsi est exprimé, ajoute-t-il, « cet élément instable, grouillant, indiscernable, presque effrayant à force de protéisme et de plasticité, qui mène sa vie fugitive au fond de notre esprit » et « donne à la réalité l’intensité d’un cauchemar et le mystère d’une hallucination… ».
- 34 Juliette au pays des hommes, pp. 149, 156, 159 (NDA).
89Dès 1924, Jean Giraudoux avait relevé, avec la pénétration amusée qu’on lui connaît, quelques-unes des caractéristiques du monologue intérieur dans le roman où nous l’avons vu apporter à celui-ci la consécration d’être l’événement parisien du jour. « Le monologue intérieur, avait-il expliqué, était un accès de franchise tels que tous les revêtements imposés à l’âme depuis Aristote jusqu’aux symbolistes en étaient ébranlés. C’était ce tremblement d’âme qui secouait depuis deux mois les littérateurs parisiens… ». Et déjà il parlait des « monstres que déchaîne la confession » et de la ventouse du monologue intérieur »34…
- 35 Revue Nouvelle, article cité (NDA).
90(44) Quelques années plus tard, Pierre d’Exideuil35 comparait le monologue intérieur à « une cloche à plongeur qui nous descend soudain à des profondeurs marines. Au milieu d’une végétation fantastique ou irréelle suspendue dans la masse d’eau, une faune profuse évolue, faune d’animaux et de poissons étranges aux corps rendus transparents sous l’éclairage conique des projecteurs. Nous les voyons se mouvoir en même temps que nous pouvons étudier leurs contractions, leurs allées et venues, leurs mœurs, leurs réflexes. S’ils appréhendent une nourriture, nous suivons ensuite l’aliment dans sa course interne jusqu’au cloaque ».
- 36 Les Marges, février 1929 (NDA). – Eugène Montfort (1877-1936), essayiste, critique et romancier, di (...)
91Pour Eugène Montfort36, le monologue intérieur, (dans son état brut) devrait recueillir « tout ce qui s’entend d’étrange et de confus, lorsque, à un poste récepteur de T.S.F., on cherche à joindre une communication, à saisir une émission en faisant tourner l’aiguille sur le cadran. C’est un mélange de bruits incompréhensibles, sans suite, de paroles cassées, d’éclats de voix bizarres, de (p. 45) sifflements diaboliques, dont on se sent délivré quand on a enfin trouvé le rayon, l’onde qu’on cherchait ».
92Eugène Montfort ajoute qu’il est impossible de donner les choses telles quelles et c’est sur quoi nous reviendrons.
- 37 Revue des Deux-Mondes, 1er août 1925, repris dans Esquisses anglaises, 1930 (NDA). – Louis Gillet ( (...)
93La Revue des Deux Mondes elle-même a publié, de Louis Gillet, une étude sur James Joyce, laquelle, bien que quelque peu sévère, n’en témoigne pas moins d’une rare compréhension. « La gageure de M. Joyce, dit Louis Gillet37, est de noter sans omission, sans rien escamoter, tout cet informulé, ce fond de perceptions vagues, de sensations obtuses, d’associations biscornues, ces ébauches, ces commencements, ces à peu près d’idées, cette matière fluide, flottante, insaisissable, cette poudre, ce chaos de sentiments, de réminiscences, d’images ou de débris d’images qui composent la « pensée » à l’état naturel, la pensée « se faisant » au lieu de la pensée « faite ».
94« C’est, écrit encore Louis Gillet, la substance de l’âme que l’on cherche à saisir, la pensée à l’état (46) naissant, la radiographie profonde de la vie en fuite, dans son perpétuel devenir ».
95Tout ceci implique, bien entendu, que les choses ne sont données dans le monologue intérieur qu’en tant qu’elles sont pensées par le personnage, et telles qu’elles sont pensées par lui, sans aucune préoccupation de ce qu’elles peuvent être objectivement. C’est ce qu’a si parfaitement exprimé James Joyce en disant que dans Les Lauriers sont coupés « le lecteur est installé, dès les premières lignes, dans la pensée du personnage »… (la suite ci-dessus). Le personnage des Lauriers sont coupés expose, non pas ce qui se passe autour de lui, mais ce qu’il voit se passer ; non pas les gestes qu’il accomplit, mais ceux qu’il a conscience d’accomplir ; les paroles, non pas qui lui sont dites, mais qu’il entend ; tout cela, tel qu’il l’incorpore à la propre et unique réalité. Tout, en somme, comme écrit Edmond Jaloux, est là état de conscience.
Bien qu’appelant surtout l’attention sur l’extraordinaire richesse des états d’esprit décrits par le monologue intérieur et son caractère subjectif, (47) les critiques qui l’ont étudié ont, pour la plupart, mis en relief l’esprit suivant lequel cette description y est conçue.
96Nous venons d’entendre Valery Larbaud parler d’un « discours non organisé », de « la pensée intime en formation ». Pierre d’Exideuil explique dans l’article déjà cité : « la pensée non encore filtrée et décantée… la pensée à l’état brut… ».
97Et c’est ce qu’a bien vu le critique de la Revue des Deux Mondes :
98« Ordinairement, écrit Louis Gillet, nos paroles sont soumises à une architecture, à une construction au moins grammaticale, aux besoins du raisonnement… Il s’agit maintenant de briser les cadres, d’arracher la phrase (Prends l’éloquence et tords-lui le cou !) aux gonds de la logique, de libérer les mots des formes de la syntaxe et de les associer dans un ordre spontané ou même de ne plus les associer du tout ».
- 38 Cahier du Mois, janvier 1925 (NDA). – André Berge (1902-1995), médecin, spécialiste en psychologie (...)
- 39 Revue Européenne, mai 1929 (NDA). – Marc Chadourne (1895-1975), essayiste et romancier, est aussi a (...)
99On a comparé le monologue intérieur à une projection cinématographique. André Berge38 précise « un film pris sur le vif en des circonstances (48) particulièrement délicates et que l’on projetterait ensuite au ralenti sur l‘écran d’une paisible salle de spectacle »39.
100Marc Chadourne9 compare le monologue intérieur (dénomination qu’il n’aime pas) à un film de conscience déroulé par l’écrivain. « Toutes les idées et images, sensations physiologiques et affectives, dit-il, qui successivement ou simultanément se développent en un cerveau, Joyce s’efforce de les photographier tout-venant… » (Il vaudrait mieux dire : d’aspect tout-venant… »). « Ces films, continue-t-il, s’entrecroisent et se superposent en un puzzle qui, indéchiffrable à première vue, révèle au lecteur attentif et doué de mémoire un panorama d’une merveilleuse unité. Et c’est, ajoute-t-il, la plus grande innovation de Joyce… Ce film du conscient et du subconscient se poursuit, ramenant périodiquement des associations, des noyaux de sensations, d’images et d’idées, variant avec chacun des sujets… ».
- 40 Revue de Paris, 15 juin 1929 (NDA). – Marcel Thiébault (1897-1961), critique littéraire et dramatur (...)
101Reprenant l’idée du « film de conscience », Marcel Thiébault10 expose que Joyce, dans le monologue (49) intérieur, reproduit « toutes les pensées qui traversent le cerveau du personnage considéré40. Et cela dans l’ordre ou l’apparent désordre dans lequel elles se présentent, rien n’étant oublié, même de ce qui concerne les tristes nécessités de nos machines humaines ». Et il oppose justement le monologue traditionnel dans lequel « les écrivains dégageaient de la pensée de leurs personnages les éléments qui leur paraissaient essentiels et les ordonnaient selon les règles de la logique ».
- 41 Nouvelle Revue Française, avril 1929 (NDA). – Stuart Gilbert (1883-1969), traducteur en anglais de (...)
102Stuart Gilbert, l’un des traducteurs et le perspicace commentateur d’Ulysse, définit le monologue intérieur « une reproduction exacte et quasi photographique des pensées, telles qu’elles prennent forme dans la conscience du penseur, nuclei qui attirent par une sorte de capillarité d’autres associations, lesquelles donnent à première vue une impression d’incohérence… »41.
103Je poursuivrai la série de ces notations en citant la traduction qui m’a été donnée d’un article en japonais consacré par une revue de Tokyo aux Lauriers sont coupés, dans lequel l’auteur, (50) M. D. Horiguchi explique fort bien que par le monologue intérieur « tous les actes du personnage du roman sont ainsi mis en relief par le jeu continuel des ressorts les plus secrets de ses sentiments et non par les développements externes qu’on trouve dans la plupart des romans ordinaires ».
- 42 Vient de paraître, décembre 1925 (NDA). – Yves Gandon (1899-1975) est un écrivain, auteur, entre au (...)
104A l’exposé de ce programme du monologue intérieur, Yves Gandon42 ajoute une observation nouvelle, en écrivant que « seul sans doute un poète a quelque chance de réussir dans une si audacieuse entreprise ».
- 43 Cf. note 7 (NDE).
105Presque en même temps, Louis Gillet, dans l’article cité43, prononçait à propos du monologue intérieur le mot de poésie. « De plus en plus, disait-il, la poésie et même le théâtre s’efforcent d’élargir, aux dépends du rationnel, la part du clair-obscur, de l’inarticulé, du trouble et du crépusculaire… ».
106Sauf ces exceptions, les critiques n’ont pas semblé se rendre compte que la conception qu’ils exposaient du monologue intérieur était à peu près celle même que l’on se fait aujourd’hui de la poésie. Il suffirait (51) presque, en effet, de reprendre les interprétations que nous venons de rassembler, pour en obtenir une sorte de définition. Il nous est, en tout cas, devenu impossible d’accorder la qualité poétique à une œuvre où intervient le raisonnement et qui n’émane pas directement des profondeurs du subconscient. Quant à moi, je salue dans le monologue intérieur une des manifestations de cette entrée fulgurante de la poésie dans le roman, qui est la marque de l’époque.
- 44 Cf. note 8 (NDE).
107Ce caractère « poésie » du monologue intérieur, cette présentation de la pensée à sa naissance sans préoccupation logicienne, ne pouvait s’exprimer que par le moyen de phrases exemptes elles-mêmes de préoccupation raisonnante. Nous avons vu Edmond Jaloux44 reconnaître comment ces séries de petites notations successives appelaient les séries de « petites phrases courtes » que l’on trouve dans Les Lauriers sont coupés. La forme sembla avoir été là imposée par le fond. Mais ce n’est pas tant de « petites phrases courtes » qu’il faut parler, que de phrases très simples, très directes, aussi peu « construites », j’entends aussi peu cicéroniennes que possible, de phrases réduites (52) au minimum grammatical. En fait, les cas de monologue intérieur qu’on a voulu découvrir dans les longues phrases à incidentes, dans les longues phrases archiconstruites de Marcel Proust, par exemple, n’en relèvent aucunement. Par le seul fait qu’elle est « construite », une phrase à incidentes perd tout caractère de représentation cinématographique de la pensée. La chose ne devrait même pas être discutée.
- 45 Marcel Jousse (1886-1961), alias le Père Jousse, jésuite, est un chercheur en anthropologie et en p (...)
- 46 Voir notamment Mercure de France, 1er mars 1924 (NDA). –Jules de Gaultier (1858-1942), philosophe f (...)
- 47 J’ai déjà signalé le cas curieux de ce philosophe, si pénétrant quand il se meut dans l’abstrait, e (...)
108Nous pouvons aller plus loin. En même temps qu’il est un retour aux formes essentielles de la poésie, le monologue intérieur est un retour, évidemment modernisé, aux formes primitives du langage ; et c’est la doctrine même de l’origine musicale de la parole qui est ici illustrée. Pierre d’Exideuil a noté que « le langage intérieur n’obéit plus aux règles physiologiques de l’expression audible » alléguées par le P. Jousse45. Jules de Gaultier a établi, en effet46, que la poésie consistait en une sorte de reprise du langage primitif, lequel n’était que « le prolongement et l’extériorisation dans le milieu sonore de la vibration (53) nerveuse identifiée avec la réalité même de l’émotion physiologique », l’homme transmettant alors à l’homme « d’une façon entièrement adéquate » son « état de sensibilité ». Ainsi la poésie serait-elle « une tentative biologique en vue de reconstituer, par des moyens nouveaux appropriés aux circonstances du nouveau langage, le pouvoir ancien ». Moins heureux est Jules de Gaultier dans le choix des exemples qu’il donne à l’appui de sa théorie47.
- 48 Revue hebdomadaire, 20 avril 1929 (NDA) – Marcel Brion (1895-1984), à la fois d’origine provençale (...)
109Le caractère « poésie » du monologue intérieur nous a conduits nécessairement à son caractère « musique », lequel n’est guère resté moins inaperçu des critiques, à l’exception pourtant de Marcel Brion qui a insisté sur le côté musical de l’œuvre de Joyce, et a été jusqu’à écrire que « la seule manière efficace d’aborder la première lecture d’Ulysse, la lecture de déblaiement, serait de la déchiffrer comme on le fait d’une sonate ou d’une fugue »48.
110(54) La plupart des critiques ont comparé le monologue intérieur à toutes sortes de choses, film, T.S.F., radiographie, cloche à plongeur ; ils n’ont pas, au moins à ma connaissance, signalé l’analogie, disons la parenté que présentent ces petites phrases successives avec les motifs musicaux tels, par exemple, que les a employés Richard Wagner. Mais il convient de préciser ce qu’il faut entendre par « motif musical » et spécialement par le motif wagnérien.
111Le « motif » en musique, dans l’acception la plus courante, s’entend d’une phrase très courte, si courte qu’elle peut se réduire à deux notes, parfois à un seul accord, – cela par opposition avec la phrase plus ou moins longue des mélodies, chansons populaires ou airs d’opéra. Mais le motif wagnérien se différencie du motif classique, en ce que celui-ci est plutôt un thème de développement (et en conséquence devrait se nommer « thème » plutôt que « motif) », tandis que le motif wagnérien, s’il est employé quelquefois par Wagner comme thème à la façon des symphonies classiques, est le plus souvent employé par lui sans développement, surtout dans le Ring et dans (55) Parsifal. À l’état pur, le motif wagnérien est une phrase isolée qui comporte toujours une signification émotionnelle, mais qui n’est pas reliée logiquement à celle qui précèdent et à celle qui suivent, et c’est en cela que le monologue intérieur en procède. De même que le plus souvent une page de Wagner est une succession de motifs non développés dont chacun exprime un mouvement d’âme, le monologue intérieur est une succession de phrases courtes dont chacune exprime également un mouvement d’âme, avec cette ressemblance qu’elles ne sont pas liées les unes aux autres suivant un ordre rationnel mais suivant un ordre purement émotionnel, en dehors de tout arrangement intellectualisé.
112On me dira qu’il y a souvent dans Wagner plus d’ordre logique, plus d’arrangement rationnel que je ne le suppose. J’ai déjà reconnu qu’il emploie souvent le développement thématique à la façon des symphonies classiques ; je reconnais volontiers que l’apparition des motifs n’a pas toujours toute la spontanéité possible ; il y a parfois dans Wagner des choses peu wagnériennes ; mais il est trop évident que l’influence d’un novateur s’exerce par (56) ce qu’il apporte de nouveau et non par ce qu’il conserve du passé.
113Mais il y a plus. Il faut, au moins théoriquement, distinguer en musique le « motif » et le « leitmotiv ».
114On connaît surtout, dans Wagner, les motifs en tant que leitmotiv, c’est-à-dire les motifs qui reparaissent dans le drame chaque fois que la même émotion reparaît. Un drame musical pourrait fort bien être composé de motifs qui ne se reproduiraient pas, c’est-à-dire des motifs qui ne seraient pas des leitmotive. De même, le monologue intérieur pourrait être composé de simples motifs, tous différents ; en fait, et par la force des choses, le leitmotiv devait y prendre une place considérable.
- 49 Voir ci-dessus, respectivement, notes 10 et 11 (NDE).
- 50 Même procédé dans Antonia, dans Les Epoux d’Heur-le-Port, dans Le Mystère du dieu mort et ressuscit (...)
115Marcel Thiébaut et Stuart Gilbert, au cours des études citées49, ont noté dans Ulysse ces retours de motifs. Je demande pardon de rapprocher une fois de plus la modeste tentative qu’ont été Les lauriers sont coupés et la géniale réalisation qu’est Ulysse ; si pourtant l’on regarde de près Les lauriers sont coupés, on verra qu’ils sont pleins de leitmotiv… On en trouvera un exemple particulièrement évident, au commencement du huitième chapitre, (57), dans la reprise des motifs du prélude ou dans le récit que le héros fait à Léa de l’emploi de sa journée, au milieu du dernier ; ce récit est construit systématiquement avec les motifs du roman, les uns tels quels, les autres déformés à dessein50.
- 51 Nouvelle Revue Française, février 1925 (NDA).– Gabriel Marcel (1889-1973), philosophe, dramaturge, (...)
116De cette origine poétique et musicale du monologue intérieur, Gabriel Marcel me permettra de trouver la confirmation dans un article assez malencontreux où il reproche précisément aux Lauriers sont coupés de transposer dans le roman les procédés du poème et de la musique51.
117Hélas ! cher monsieur, c’était mon programme même.
118Je trouve par bonheur dans l’étude si compréhensive, si perspicace, que Valery Larbaud a consacrée à James Joyce, une autre confirmation de mon point de vue. Voici ce que nous lisons page XXXIII de cette étude (préface de Gens de Dublin) :
119« Sur cette trame, ou plutôt dans les casiers ainsi préparés, James Joyce a distribué peu à peu son (58) texte. C’est un véritable travail de mosaïque. J’ai vu ses brouillons. Ils sont entièrement composés de phrases en abrégé barrées de traits de crayon de différentes couleurs. Ce sont des annotations destinées à lui rappeler des phrases entières, et les traits de crayons indiquent, selon leur couleur, que la phrase rayée a été placée dans tel ou tell épisode. Cela fait penser aux boîtes de petits cubes colorés des mosaïstes ».
120… Moi qui ai reçu une éducation musicale, cela me fait penser aux leitmotive wagnériens.
De cet ensemble d’observations nous conclurons que le monologue intérieur, comme tout monologue, est un discours du personnage mis en scène et a pour objet de nous introduire directement dans la vie intérieure de ce personnage, sans que l’auteur intervienne par des explications ou des commentaires, et, comme tout monologue, est un discours sans auditeur et un discours non prononcé ; mais il se différencie du monologue traditionnel en ce que :
-
quant à sa matière, il est une expression de la pensée la plus intime, la plus proche de l’inconscient.
-
quant à son esprit, il est un discours antérieur à toute organisation logique, reproduisant cette pensée en son état naissant et d’aspect tout-venant,
-
quant à sa forme, il se réalise en phrases directes réduites au minimum syntaxial, et ainsi répond-il essentiellement à la conception que nous nous faisons aujourd’hui de la poésie.
121D’où je tire cet essai de définition :
122Le monologue intérieur est, dans l’ordre de la poésie, le discours sans auditeur et non prononcé, par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l’inconscient, antérieurement à toute organisation logique, c’est-à-dire en son état naissant, par le moyen de phrases directes réduites au minimum syntaxial, de façon à donner l’impression « tout-venant ».
(60) La formule du monologue intérieur, telle que nous avons essayé de la préciser, est-elle viable ? L’exemple d’Ulysse serait une suffisante réponse, si cette admirable réussite d’un écrivain de génie n’avait, comme toutes les grandes œuvres, soulevé des objections, quelquefois assez inattendues. J’en donnerai un exemple.
- 52 L’Œuvre, 25 juin 1925 (NDA) – André Billy (1882-1971) romancier, auteur de biographies (Balzac, Did (...)
123« Le monologue intérieur, écrit André Billy, outre celui d’être le plus plat et le plus facile des procédés, a l’inconvénient d’en être le plus fatigant »52.
124On pourrait objecter à André Billy que les choses les plus difficiles sont quelquefois celles qui paraissent les plus faciles, et que la facilité et aussi bien la platitude se reconnaissent beaucoup plus facilement dans certains jugements dont le mieux qu’on puisse dire est qu’ils sont simplistes. Ce que le rédacteur de L’Œuvre écrit du roman même de James Joyce nous apporte-t-il des vues plus approfondies ? Je suis persuadé qu’André Billy (61) ne parle jamais de livres qu’il n’ait lus ; ainsi s’expliquera-t-on sans doute que le même homme qui analyse avec tant de finesse et d’originalité certains romans, ne sache de l’Ulysse que constater les dimensions. On pensera, en tout cas, qu’il ne suffit pas pour apprécier l’œuvre d’un maître tel que Joyce, d’en relever la pagination, pas plus que, pour apprécier l’œuvre d’un débutant, il ne suffira de jeter les yeux sur le « Vient de paraître » communiqué par l’éditeur.
- 53 Candide, 23 mai 1929 (NDA) – Auguste Bailly (1878-1967), romancier, historien et auteur de monograp (...)
- 54 Sur la tentative de Jean-Richard Bloch, voir p. 112 (NDA) – Jean Bloch, aliasJean-Richard Bloch (18 (...)
125L’objection qu’Auguste Bailly adresse au monologue intérieur est, au contraire, d’un critique qui a étudié de près l’œuvre dont il parle53. Pour lui, la « tranche de vie intérieure » qu’est la nouvelle formule n’est ni moins arbitraire ni moins fausse que l’analyse de l’ancien roman psychologique, pour cette raison, dit-il, que « l’auteur est contraint à nous la présenter comme une sorte de ligne continue » alors que « nous ne pensons pas sur un plan, mais sur plusieurs plans simultanément54 ». La question ne peut être discutée en quelques lignes ; un psychologue dirait, je crois, (62) non pas que nous pensons simultanément sur plusieurs plans, mais que notre pensée court d’un plan à l’autre avec une rapidité qui après coup peut sembler être mais n’est pas de la simultanéité ; et c’est précisément cette course « à bâtons rompus » dont le monologue intérieur donne l’impression ; la « ligne continue de Joyce est en réalité une ligne brisée.
126Quant à ce que nous avons appelé le « tout-venant » du monologue intérieur, les critiques s’en sont également préoccupés. Sans mettre en cause le livre de Joyce, Eugène Montfort alléguait, article cité, que « l’informe magma » qui était à la base du monologue intérieur ne pouvait pas être reproduit tel quel, et qu’un choix devait être opéré.
127Dans l’article de la Revue des Deux Mondes consacré au grand écrivain irlandais, Louis Gillet reproche à celui-ci de tout dire ; mais en même temps, il l’accuse d’employer tous les artifices, « toutes les ficelles, tous les trucs, toutes les herbes de la Saint-Jean » et de substituer à la pensée du malheureux Bloom « les lubies de sa verve, les prouesses, les broderies, les girandoles, les moulinets de son étourdissante et burlesque fantaisie ».
- 55 Revue des Deux-Mondes, 1er septembre 1929, également repris dans Esquisses anglaises (NDA).
128(63) Au cours d’un article ultérieur consacré à Virginia Woolf55, le même critique revient sur ce sujet ; après avoir, avec la pénétration et la verve qui lui sont propres, rappelé le programme d’Ulysse, il conclut :
« Entreprise chimérique, parce qu’il n’existe pas de langage pour traduire ce qui échappe au langage. L’auteur lui-même ne se fait pas faute de s’évader de son programme et de développer, à mesure qu’il avance, d’immenses fugues lyrico-épiques, satiriques, dramatiques, qui n’ont plus rien de commun avec le dessein initial. Le livre, commencé par un réaliste, s’achève en fantasmagorie ».
129D’après Marcel Thiébault, « il serait injuste de reprocher à Joyce de tout dire et de nous livrer une informe bouillie de pensée… La fabrication de ces films de conscience n’est pas une œuvre de paresse, ajoute-t-il, car en fait elle est non pas reproduction (ce qui est techniquement impossible) mais recréation ».
130En paraissant se contredire, ces opinions concordent. Une reproduction complète, une (64) reproduction véritable du film de conscience » est quelque chose de pratiquement inimaginable. Et c’est pourquoi nous avons plusieurs fois précisé que le monologue intérieur ne doit pas donner la pensée « tout-venant », mais en donner l’impression. Et ainsi se manifeste-t-il œuvre d’art beaucoup plus que l’analyse logicienne du roman psychologique.
131On pourrait même dire qu’il ne semble guère pouvoir être réalisé continûment avec toute sa rigueur. Dans l’article déjà cité, Gabriel Marcel reproche aux Lauriers sont coupés des « passages discursifs »… Si l’ébauche qu’ont été Les lauriers sont coupés n’avait contenu aucune dérogation à ses propres directives, elle aurait réalisé ce que n’a réalisé aucun chef chef-d’œuvre… On trouverait de telles « erreurs » même dans les monologues intérieurs d’Ulysse ; il ne manque pas dans Wagner de passage peu wagnériens ; il y a parfois du Lefranc de Pompignan dans Hugo. Il est assez misérable de se limiter à rechercher dans une œuvre ses défaillances, au lieu d’en étudier les tendances, surtout lorsqu’elles ont apporté quelque nouveauté.
4. Ce qui est peut-être monologue psychologique ou monologue dramatique ou monologue intime, mais n'est pas monologue intérieur
132Les éléments d’une définition du monologue intérieur étant rassemblés, et sans faire de celle que nous avons proposé une regula fidei, il nous sera facile de distinguer ce qu’on a cru en être et ce qui en est véritablement.
133Monologue intérieur et monologue traditionnel sont pareillement, nous l’avons reconnu, des discours sans auditeurs et (sauf la convention théâtrale qui exige qu’ils soient récités à haute voix) des discours non prononcés. Ainsi voit-on monologuer Hamlet dans le drame de Shakespeare ou Rastignac dans Le père Goriot, et personne ne prétend trouver dans leurs soliloques des monologues intérieurs. Mais si la confusion n’est pas possible quand il (66) s’agit des monologues de Shakespeare ou de Balzac, elle est peut-être plus facile quand il s’agit de formules intermédiaires, telles que celles qu’on a dénommées le monologue psychologique ou le dramatic monologue, et qu’on retrouve, par exemple, l’une dans Dostoïevski, l’autre dans Browning.
134Nous avons raconté comment, dans l’une de ses conférences de 1922, André Gide avait déclaré que Dostoïevski, Edgar Poe et Robert Browning avaient employé cette forme littéraire, ajoutant même qu’ils l’« avaient amenée du premier coup à toute la perfection diverse et subtile qu’elle pouvait atteindre ».
135Dans une conversation qu’ils eurent peu après, Valery Larbaud crut l’avoir convaincu de son erreur ; mais le repli d’André Gide ne fut que momentané ; la lettre qu’il m’écrivit le 4 juillet 1930 le montre revenu à ses premières positions.
136« Certains contes de Poe, dit-il (entre autres : Le cœur révélateur), et d’admirables poèmes de Browning (Sludge en particulier) n’en restent pas moins à mes yeux de parfaites, d’indépassables réalisations du genre monologue intérieur. Et l’inoubliable Krotkaïa de Dostoïevski ».
137(67) Ceci ne concorde pas trop avec la phrase que j’ai citée de la même lettre où il m’écrit que « les dates sont là pour m’attester précurseur »… Mais laissons ce détail… Nous avons trouvé une opinion analogue chez René Lalou ; nous en trouverons une semblable chez Charles du Bos, et il ne serait pas difficile d’allonger la liste.
138On n’aurait à reprocher à ces vues que de donner à l’expression « monologue intérieur » une extension exagérée, et la question ne serait qu’une question de mots, si elles ne comportaient une grave méconnaissance de ce que le monologue intérieur a apporté de fondamentalement nouveau dans la littérature.
139La plupart des critiques que nous avons cités ont écrit que le monologue intérieur avait particulièrement pour objet de nous conduire dans l’inconscient du personnage, c’est-à-dire d’en exprimer tout l’informulé… voir cloche à plongeur, T.S.F., radiographie, etc. et c’est, en effet, ce que réalise souverainement le monologue intérieur, surtout quand il est manié par un James Joyce. Mais que le monologue intérieur d’un Joyce exprime un plus grand nombre de sentiments et (68) sensations, qu’il pénètre plus profondément dans les dessous de l’âme du personnage, je ne vois là qu’une différence de tendance ou de réalisation, et non la nouveauté qui le caractérise essentiellement.
140La nouveauté essentielle qu’a apportée le monologue intérieur consiste en ce qu’il a pour objet d’évoquer le flux ininterrompu des pensées qui traversent l’âme du personnage, au fur et à mesure qu’elles naissent, sans en expliquer l’enchaînement logique, et en donnant l’impression d’un « tout-venant ». Nous disions tout à l’heure qu’un choix est matériellement nécessaire ; ce qui est propre au monologue intérieur, ce n’est pas l’absence de choix, c’est que le choix n’est pas fait sous le signe de la logique rationnelle. La différence ne consiste pas en ce que le monologue traditionnel exprime des pensées moins intimes que le monologue intérieur, mais en ce qu’il les coordonne, en démontre l’enchaînement logique, c’est-à-dire les explique, et le plus souvent se contente de les résumer.
141Dostoïevski a décrit, avec sa géniale maîtrise, des êtres illogiques, inconséquents, contradictoires, (69) en même temps que livrés à toutes les poussées de leur inconscient ; mais un écrivain peut montrer qu’un personnage est illogique et rester lui-même parfaitement logique dans sa description. Ce grouillement de la pensée larvaire, de la pensée en formation, Dostoïevski peut l’avoir exprimé ; mais au lieu de l’exprimer tel quel, comme a fait Joyce, et dans l’état même où il naît dans l’esprit, il l’a expliqué, analysé, ce qui est le procédé traditionnel.
142Si l’on va au fond des choses, ce grouillement ténébreux de l’inconscient, les grands classiques l’ont exprimé, eux aussi, dans la langue rationalisée qui était celle de leur temps ; mais ils ne l’ont peut-être pas intellectualisé davantage que n’a pu faire Dostoïevski. On ne croise certes dans Phèdre ou Andromaque ni anormaux, ni dégénérés, ni alcooliques ; on ne s’y heurte à aucune de ces risibles confessions à tout bout de champs ni à ce satanisme pour maisons closes qui sont devenus les lieux communs de la littérature russe ; mais Racine n’en a pas moins pénétré aussi loin que qui que ce soit dans l’âme humaine ; s’il a peint des Occidentaux et non des Russes, qui le regrettera ? (70). On devra en tout cas se garder de confondre ce qui est profond et ce qui est morbide.
143Il y a un demi-siècle, Zola et les écrivains naturalistes s’imaginaient faire plus vrai que les classiques parce qu’ils donnaient la parole à des apaches. Nos contemporains tombent dans une illusion semblable lorsqu’ils insinuent qu’il y a plus de profondeur à décrire les états d’âme d’un dégénéré que d’un homme bien portant, – comme s’il suffisait de mettre en scène un paralytique général pour écraser Racine et Molière!
144Joyce n’avait aucun besoin d’aller à l’école du roman russe pour étudier les profondeurs humaines. En réalité, le monologue intérieur n’a pas inventé le sondage des profondeurs humaines ; il en a apporté une expression nouvelle, laquelle ne se trouve pas plus dans les monologues de Raskolnikoff ou de Stavroguine, que dans ceux de Phèdre ou d’Hermione.
- 56 Une fâcheuse histoire, traduction française de la librairie Nelson, Paris, 1926, p. 28 (NDA).
145Loin d’avoir employé ce que nous appelons le monologue intérieur, Dostoïevski l’a en quelque sorte condamné, en ce sens qu’après en avoir entrevu la possibilité, il a déclaré qu’il se refusait à l’essayer. Voici, en effet, la curieuse page que je (71) relève dans une de ses nouvelles intitulée Une fâcheuse histoire, écrite en 186256 :
146« On sait que des raisonnements entiers traversent parfois nos cerveaux avec une vitesse vertigineuse. Se présentant à nous sous la forme de sensations, non seulement ils ne peuvent être formulés sous une forme littéraire, mais encore nul idiome humain ne saurait rendre leur signification exacte. Sans nous arrêter devant les difficultés de cette tâche, nous essaierons cependant d’interpréter, sinon le sens entier des idées de notre héros, du moins ce qu’il y avait en elle de moins saugrenu ».
147Dostoïevski, on le voit, après s’être excusé de ce manque de logique, annonce qu’il « essaie d’interpréter », ce qui est, à proprement parler, le contraire du monologue intérieur. Il en est exactement au même point que Balzac qui, après le monologue de Rastignac, que j’ai cité, écrit les lignes suivantes : « Ces paroles sont la formule brève des mille et une pensées entre lesquelles il flottait ».
148(72) L’erreur d’un homme qui, comme André Gide, est un maître critique autant qu’un grand écrivain, provient de ce que, dans sa conception du monologue intérieur, il n’a pas tenu un compte suffisant des éléments qui constituent la profonde nouveauté de la formule réalisée par James Joyce. Et la preuve en est que le même André Gide qui reconnaît du monologue intérieur dans les œuvres de Dostoïevski, n’est pas éloigné d’en reconnaître dans ses propres œuvres :
149« Je crois aussi, m’écrivait-il le 4 juillet dernier, avoir usé à plusieurs reprises de cette forme qui vous est chère, en particulier dans certains chapitres des Caves du Vatican, où l’assassinat de Fleurissoire par Lafcadio n’est exposé, expliqué, que par le monologue de ce dernier. Ma Bethsabé n’est qu’un long monologue de David ; mais, du moment qu’il est extériorisé sur la scène, peut-on encore dire qu’il reste « intérieur » ? objecterait Larbaud ».
150Les caves du Vatican sont un grand chef-d’œuvre, le monologue de Lafcadio est une des plus admirables pages de notre littérature, aussi bien que certains romans de Dostoïevski sont (73) parmi les plus puissants qui aient été écrits… Nous n’avons, quant aux monologues d’André Gide, qu’à répéter ce que nous avons dit de ceux de Dostoïevski.
151Est-il besoin d’ajouter qu’il n’est aucunement impossible que l’on relève dans ces écrivains, surtout chez Dostoïevski et chez Browning, des mots, des phrases entières présentant réellement les caractères du monologue intérieur ? Lorsqu’un mouvement est à la veille de se produire, il est fréquent d’en voir apparaître des prodromes ; mais nous répétons que seul compte, comme acte de naissance d’une formule, son emploi voulu, systématique et continu, tel qu’il a été ébauché dans Les lauriers sont coupés et réalisé dans Ulysse.
- 57 Liberté, 22 janvier 1925, pour revenir à la charge dans un article du 22 avril consacré à Ulysse (N (...)
Le nom de Marcel Proust avait été également prononcé en 1922. Quelques années plus tard dans un article consacré aux Lauriers sont coupés57 Robert Kemp soutenait la même thèse ;
(74) « L’œuvre de Marcel Proust, écrivait-il, fourmille de monologues intérieurs. Quand Marcel s’éveille, écoute les bruits de la rue, devine le temps qu’il fait d’après la teinte de ses rideaux, repasse les impressions qu’il a éprouvées auprès d’Albertine et discute en soi-même la sincérité et la vertu de son amie, n’est-ce pas du monologue intérieur ? ».
- 58 Voir ci-dessus, pages 51-52 (NDA).
152– Non, Robert Kemp, ce n’est pas du monologue intérieur. Car, premièrement, Proust l’eût-il voulu, la contexture même de ses énormes phrases chargées d’incidentes est a priori inconciliable avec l’expression de la pensée à l’état naissant58 ; et, secondement, son dessein est, au contraire, d’expliquer comment ses pensées se déduisent et, loin de les exposer dans leur suite irraisonnée, d’en démontrer l’enchaînement.
153Je prends un exemple que je crois convaincant. C’est le passage d’Albertine disparue (pages 113-114) qui commence par les mots : « Et parce que, derrière ces balustres de marbre de diverses couleurs, maman lisait en m’attendant… ».
154Dès les premiers mots, on voit Proust annoncer (75) son intention formelle de démontrer comment ses pensées se sont déduites les unes des autres. Ce « parce que », à lui seul, nous transporte aux antipodes du monologue intérieur.
155J’ai entendu citer les passages relatifs à la sonate de Vinteuil (Du côté de chez Swann), au sommeil d’Albertine (La Prisonnière), à la mort de Bergotte (ibid.) : là comme ailleurs, Proust se propose avant tout d’expliquer. Et là où il y a explication, il n’y a pas monologue intérieur.
- 59 Entretiens sur Tolstoï, 1924 ; Approximations, 1930 (NDA).
156Je ferai la même réponse à Charles du Bos qui, parlant d’Anna Karénine, écrivait en 1924 et, non sans quelque imprudence, répétait en 1930 les choses que voici59 : « Au tournant décisif de son destin, Anna Karénine gagne la gare et nous assistons alors au plus incroyable des monologues intérieurs, ce monologue intérieur dont en tant que genre on voulait bien nous apprendre récemment qu’il venait d’être inventé ».
157Il est parfaitement évident que la littérature n’est pas née dans les années qui ont précédé 1924, (76) pas plus qu’elle n’était née avec Mallarmé, ou avec les romantiques, ou avec Racine, ou avec la Pléiade. Il s’agit seulement de savoir si dans les années qui ont précédé 1924, une certaine nouveauté n’est pas venue au jour, que n’avaient pas connue les âges précédents.
158Quant aux contes d’Edgar Poe, Le cœur révélateur a beau être un récit à la première personne, ce n’est jamais qu’un récit, quelque puissant qu’en soit le pathétique.
- 60 Figaro, 27 septembre 1930. Le passage cité de Stendhal fait partie des Pensées (Filosofia nova) pub (...)
159Le nom de Stendhal a été lui aussi allégué. Or, au moment où je terminais cet essai, je lisais un article d’Henri Martineau dont le titre indique suffisamment le sujet : Stendhal, précurseur de James Joyce60, avec les lignes suivantes extraites de cahiers de notes (encore inédits) de Stendhal jeune homme :
160« On pense beaucoup plus vite qu’on ne parle. Supposons qu’un homme pût parler aussi vite (77) qu’il pense et sent, que cet homme, une journée entière, prononçât de manière à n’être entendu que d’un seul homme tout ce qu’il pense et sent, qu’il y eût cette même journée, toujours à côté de lui, un sténographe invisible qui pût écrire aussi vite que le premier penserait et parlerait. Supposons que le sténographe, après avoir noté toutes les pensées et sentiments de notre homme, nous les traduisît le lendemain en écriture vulgaire, nous aurions un caractère peint pendant un jour aussi ressemblant que possible ».
161Henri Martineau ne prononce pas, dans cet article, les mots de monologue intérieur ; mais aucun texte n’est mieux capable de montrer combien Stendhal en est loin. Dans le programme qu’il esquisse, il n’y a pas l’ombre, en effet, d’une inférence au caractère pré-logique qui appartient à cette formule, et il y a, par contre, une préoccupation d’exprimer la pensée absolument « tout-venant » que James Joyce, nous l’avons vu, n’a jamais envisagée. Plus encore que Dostoïevski, que Proust, que Poe et que Tolstoï, Stendhal est aux antipodes du monologue intérieur.
- 61 Mémoires de ma vie morte, 1906, premier chapitre ; traduction en français, 1922 ; édition complète, (...)
162Beaucoup plus près en était le grand et charmant (78) George Moore, lorsqu’en 190661 il écrivait ces deux lignes aussi savoureuses que caractéristiques, que je me trouve obligé de citer dans le texte original :
163« My nonsense thoughts amuse me ; I follow my thoughts as a child follows butterflies ».
164La traduction française porte : « Mes pensées, vagabondes, m’amusent : je le suis comme un enfant suit des papillons »… Si George Moore avait dit de ses pensées qu’elles étaient « vagabondes », il n’aurait rien dit que tout autre n’ait pu dire ; avec le mot « nonsense », qui signifie dénué de signification, l’intuition du grand écrivain a exprimé tout ce qu’il y avait d’irrationnel dans l’enchaînement des pensées que déroulait ce qu’on devait appeler plus tard l’« unspoken monologue ». C’est ce que me confirmait récemment George Moore lui-même dans une lettre datée du 8 novembre 1930 :
165« Le mot « vagabond » écrivait-il, ne va pas au fond de ma pensée ; « irrationnel » que vous suggérez l’exprime mieux, mais irrationnel est (79) un mot que je déteste. Voici mon interprétation du monologue intérieur : Quand la raison cesse d’aller dans les coulisses pour tourner la manivelle, nous commençons d’entendre une musique exquise. La cage est ouverte et les oiseaux (nos pensées) chantent en vers libres ».
- 62 Max Jacob (1876-1944), poète, romancier, essayiste, peintre et grand épistolier. Auteur, notamment, (...)
166Il y aurait lieu, d’autre part, d’étudier le cas de Max Jacob, lequel, après une série d’œuvres qui y tendent de plus en plus, a abouti, en 1922, à ce chef-d’œuvre, Le cabinet noir, qui présente un si grand nombre des caractères du monologue intérieur62.
167Louis Gillet a cru trouver quelque chose d’analogue dans la tentative de Charles Péguy de reproduire le mouvement interne de la pensée, tentative qui « lui venait, écrit Louis Gillet, de Bergson et de la superstition du spontané, du non-rigide, de la conscience à l’état naissant ; il se faisait scrupule de corriger, de diriger ; il donnait sa copie avec les ratures, les incorporait à sa phrase »… sans s’apercevoir que c’est cela même « qui prête à son œuvre une si grande monotonie et précisément l’apparence de ce qu’il haïssait le plus, les formules ».
168(80) Il semble, au contraire, que reproduire toutes les « ratures » de la pensée, lorsque celle-ci se meut dans l’ordre rationnel, est tout autre chose que d’en exprimer les antécédents pré-logiques, et que la principale caractéristique du monologue intérieur sera toujours de se développer dans l’irrationnel.
- 63 Vient de paraître, mars 1924 (NDA).
Nous avons vu René Lalou citer en 1922, dans son Histoire de la littérature contemporaine, comme les premiers maîtres du genre, Paul Moran, Marcel Proust, Dostoïevski et Browning. Dans un compte rendu d’Amants, heureux amants publié deux ans plus tard63, laissait de côté les trois premiers. Interrogé récemment à ce sujet, il m’écrivait, 8 août 1930, que c’était de propos délibéré qu’il « n’avait plus retenu les noms de Morand et de Proust » et que l’emploi du monologue lui semblait « moins décisif chez Dostoïevski, où il n’est qu’un moment de l’œuvre (sauf peut-être dans le Sous-Sol ?) que chez Browning où des poèmes (81) entiers, clos et indépendants, sont des monologues ».
169Venons donc à Browning, qui, on l’a vu, est également allégué par André Gide. Voici ce qu’écrivait René Lalou dans l’article de 1924 :
170Robert Browning avait vu toutes les possibilités du monologue intérieur, témoin la méditation solitaire du Pape et le bavardage logiquement désordonné d’Hyacinthus dans The Ring and the Book, ou encore cet extraordinaire Caliban upon Setebos, où Caliban redoute si fort un auditeur qu’il n’ose parler en son nom, énonçant ses pensées sous le déguisement grammatical d’une troisième personne anonyme.
- 64 Les remarques de Dujardin qui, aujourd’hui, seront sans doute interprétées comme carrément colonial (...)
171J’avoue que j’ai beau réfléchir et me prendre la tête entre les mains, il m’est impossible de comprendre que le fait de parler de soi-même à la troisième personne et anonymement indique que « l’on redoute un auditeur »…Si, non content de parler de lui-même à la troisième personne, le bon nègre, au lieu de dire : « Bon nègre aimer confiture… » parle de lui-même anonymement et dit : « Li aimer confiture… », cela signifierait-il qu’il ne veut pas être entendu ?64
172(82) La question importante est de savoir si les monologues de Browning sont vraiment des discours sans auditeurs et des discours non prononcés ; elle est aussi de savoir s’ils relèvent de l’ordre logique ou de l’ordre irrationnel. N’ayant moi-même de l’œuvre de Browning qu’une connaissance imparfaite, j’ai préféré recourir à la compétence de Valery Larbaud, toute spéciale ainsi que celle de René Lalou sur la littérature anglaise, et j’ai reçu de lui la réponse ci-dessous :
173« Les exemples qu’on a présentés en première ligne, écrit-il, quand on a voulu attribuer l’invention de monologue intérieur à Robert Browning étaient mal choisis. My Last Duchess et M. Sludge the Medium supposent l’un et l’autre un auditeur réel et visible qui pourrait à n’importe quel moment intervenir et changer le monologue en dialogue.
174« La même fin de non-recevoir s’applique aux monologues de Robert Browning dans lesquels la personne qui parle s’adresse à un absent et parfois à tout un auditoire imaginaire. Il n’y a là, en effet, que l’extension – démesurée – d’un procédé courant chez les romanciers du (83) dix-septième siècle (par exemple, ma déclaration au médaillon).
175« Mais il existe dans l’œuvre de Robert Browning une classe de longs monologues (1500, 2000 vers) où rien ne nous autorise à supposer que le personnage qui parle s’adresse à un auditeur, réel ou imaginaire ; et, à première vue, rien ne semble les distinguer de ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de monologue intérieur. (C’est le cas de Dominus Hyacinthus de Archangelis, cité par René Lalou). Mais, si nous examinons ces monologues avec pus d’attention, nous constatons en eux des caractères spécifiquement dramatiques, différents de – et jusqu’à un certain point opposés à ceux du monologue intérieur.
176« D’abord, on peut toujours les supposer parlés, selon la convention qui permet les monologues au théâtre, et parce qu’un homme vivement ému « parle tout seul ». Ensuite, et surtout, ces monologues appartiennent à la dramaturgie par leur substance et leurs limites : tout en eux concourt à la peinture d’un caractère donné dans des circonstances données. (Ainsi le présent extérieur, le casuel, qui jouent un si grand rôle dans le monologue (84) intérieur, n’y tiennent qu’une place restreinte). On peut donc dire que chacun de ces monologues est par lui-même une comédie ou un drame dont nous n’entendons que le héros, par qui nous apprenons tout ; et on pourrait imaginer Tartuffe ou Le Misanthrope refaits sous cette forme : les personnages et les événements nous étant représentés par le bavardage solitaire du héros qui médite et se souvient, et qui, en même temps, se décrit involontairement lui-même.
177« On a donc bien nommé le monologue de Robert Browning en lui appliquant l’épithète de dramatique, et il était nécessaire d’inventer une expression nouvelle pour désigner le monologue non dramatique mis en œuvre dans Les lauriers sont coupés ».
178La conclusion de Valery Larbaud semble s’imposer. L’erreur des critiques a été de confondre des choses qui doivent être distinguées. Déjà, dans son Histoire de la littérature contemporaine, René Lalou semblait s’être rendu compte de la différence qui existe entre le monologue intérieur et les diverses formes de monologues traditionnels, en dénommant monologue « intérieur » celui qu’il (84) attribue à Joyce et à Larbaud, et monologue « intime » celui qu’il attribue à Dostoïevski et à Browning. Comme je lui demandais si dans sa pensée les deux expressions étaient synonymes :
179« J’ai cherché, m’a-t-il répondu dans la lettre déjà citée, à établir une nuance en parlant d’abord de « monologue intérieur », puis de « monologue intime ». J’entendais par « monologue intime » un moyen psychologique d’expression plus directe employée par Browning et Dostoïevski, la forme d’art du premier restant le poème dramatique et du second, le roman. Si on adoptait cette nuance de vocabulaire, on pourrait sans équivoque réserver le nom de « monologue intérieur » à une œuvre dont ce genre serait la forme même. En d’autres termes le monologue intérieur serait devenu avec vous, Joyce et Larbaud un genre indépendant ».
180Nous ne pensons pas que l’expression « monologue intime » fasse fortune ; « intime » ou « intérieur », la nuance est imperceptible, et il semble que celles de monologue « psychologique », et de monologue « dramatique » caractérisent mieux les variétés du monologue traditionnel qui existaient avant 1887. Ce qui importe en tout cas, et il y a (86) là plus qu’une question de mots, c’est de reconnaître que le monologue intérieur, tel qu’il est né en 1887 et a été génialement réalisé trente ans plus tard, a apporté dans la littérature quelque chose qui formellement était nouveau.
5. Les origines du monologue intérieur
181Que le monologue intérieur ait été créé en 1887 et non trente ans plus tard, la question reste posée, quelles en sont les origines ?
182À vrai dire, le mot « origines » peut se prendre en deux sens. Les origines du monologue intérieur (qu’on pourrait alors appeler origines littéraires) peuvent s’entendre de la série des formes littéraires qui, depuis plusieurs siècles, ont constitué une tradition suivant laquelle a été possible, à la faveur d’un ensemble de circonstances données, la création de cette formule.
183D’autre part, on peut entendre par origines du monologue intérieur (et ce serait plutôt cette fois les origines historiques) les circonstances mêmes, les faits historiques, qui ont amené cette création.
- 65 Quant aux réserves qui, à notre avis, s’imposent à ce sujet, voir ci-dessus, pages 39-40 (NDA).
- 66 Par exemple, dirai-je, les monologues « dissimulés » de Racine ; voir ci-dessus, pages 36-37 (NDA).
184Je ne dirai qu’un mot des origines « littéraires » ; Valery Larbaud s’est attaché et continue à s’attacher (88) à les étudier, et il me suffira de résumer les conclusions auxquelles il est arrivé. Pour lui, l’étude des origines du monologue intérieur consiste à retrouver la série des formes littéraires caractérisées, précise-t-il, par l’emploi de la première personne du singulier65, l’expression en apparence immédiate et spontanée des pensées et des sentiments intimes, et la stylisation du parler pour soi-même, qui ont constitué la tradition suivant laquelle (à la faveur d’un ensemble de circonstances données, ainsi que nous le disions à l’instant) la création en a été rendue possible. À son avis, la ligne générale de cette tradition, en France, passe par Montaigne, Mme de Lafayette, Stendhal, le long monologue « gratuit » et les apartés du théâtre romantique ; mais lui-même reconnaît qu’il doit y avoir bien d’autres chaînons dans cette série de monologues66 qui, sans avoir eux-mêmes rien de commun avec le monologue intérieur, en ont préparé la naissance.
185(89) Le cours de mes travaux d’histoire sociologique m’a conduit à m’intéresser davantage aux circonstances, autrement dit, aux faits de l’histoire, mieux encore à l’évolution qui a rendu non seulement possible mais nécessaire la création d’une forme littéraire nouvelle. Pour ce qui me concerne personnellement, un recul de près d’un demi-siècle me permettra, je l’espère, d’en parler avec objectivité. Mais la question personnelle est d’un intérêt secondaire ; aussi bien, le fait personnel ne peut-il être considéré sociologiquement que comme l’individuation d’un phénomène général.
186Certains critiques semblent croire que le monologue intérieur aurait aussi bien pu naître cent ans ou eux cent ans plus tôt. D’autres, me réservant la gloire de son invention (dont je les remercie) écrivent que, par une sorte d’intuition prophétique (ils me comblent), j’ai devancé de trente ans mon époque… L’on ne comprendrait pas chez des écrivains qui se respectent une si complète absence de méthode, si on ne se rappelait à quel point quelques-uns des plus intelligents, des plus fins et des plus sensibles de nos critiques sont étrangers aux disciplines historiques. En fait, les critiques (90) qui énoncent de tels jugements en sont restés au point où en étaient certains professeurs de lycée de ma jeunesse quand ils imaginaient les grands écrivains de tous les temps et de tous les pays, depuis Homère jusqu’à Hugo, à l’image d’écoliers assis côte à côte sur les bancs de la même classe, chacun faisant de son mieux « son devoir».
187Une formule nouvelle tire son origine des nécessités de l’époque où elle naît, et non de celles dont les préoccupations sont périmées, ni de celles d’une époque à venir ; il y a là une loi de l’évolution littéraire qu’on s’étonne de voir méconnue. Le monologue intérieur ne pouvait naître à une époque où l’évolution littéraire ne le comportait pas ; s’il est né en 1887, quelque modeste qu’ait été cette naissance, c’est que l’évolution littéraire qui s’est produite à cette époque l’exigeait.
188Certes, comme toute formule nouvelle, il a pu avoir des antécédents, et on a le droit de rechercher comment il a pu être pressenti ; mais il n’a pu être pressenti que dans la mesure même où l’évolution dont il est issu la été elle-même ; si les monologues psychologiques d’un Dostoïevski ou les monologues dramatiques d’un Browning présentent (91) quelques-uns de ses caractères, c’est en tant que prodromes du mouvement qui allait s’inaugurer avant même que les deux écrivains n’aient disparu.
189Dans un sens opposé, on ne peut dénier a priori que le monologue intérieur ait pu naître, nous ne disons pas antérieurement à l’évolution qui devait le produire, mais à un moment de cette évolution antérieur à celui où il aurait dû naturellement apparaître ; et c’est sur quoi nous aurons à revenir bientôt. Ce qui importe en tout cas, c’est de déterminer quel est le mouvement littéraire dont il relève et d’où, tôt ou tard, il devait nécessairement sortir.
- 67 Editions du Mercure de France, 1922, pp. 25-27 (NDA).
190Quant à savoir qui a été « l’inventeur » du monologue intérieur, la question est de celles que la moindre conception sociologique de l’histoire littéraire interdit de poser, et je ne pourrais ici que répéter ce que j’ai dit, il y a quelques années, dans mon essai sur les Premiers poètes du vers libre67. Aussi bien que dans le domaine social, aussi bien que dans le domaine religieux, « l’invention » dans le (92) domaine de l’art et de la littérature, loin d’être l’œuvre personnelle de l’écrivain qui le premier lui aura donné corps, est le produit des aspirations d’une génération réalisé un jour par un des hommes de cette génération, lequel se sera quelquefois à peine rendu compte lui-même de la portée de son apport.
191La vérité est que le monologue intérieur devait être et a été essentiellement une manifestation de ce qu’il y eut de plus profond dans le grand mouvement qui trouva ses premières expressions dans les poèmes de Mallarmé et de Rimbaud, qui se déclencha vers 1885 par l’entrée dans la vie littéraire de la génération symboliste, et qui, en réalité, renouvela de fond en comble la littérature française.
192Comment les jeunes gens de 1885 comprirent-ils la poésie ? Cette question domine l’histoire de la littérature française depuis un demi-siècle. Ils comprirent la poésie comme l’expression de la vie intérieure. La réaction contre le romantisme et le parnasse fut complète ; le monde extérieur n’existe plus pour les jeunes gens de 1885 qu’en tant qu’il est conçu par l’esprit. Il n’est question (93) que de l’âme dans la littérature de cette époque ; le monde extérieur n’est qu’un décor qui se monte et se démonte à la commande du poète. Mais cette réalité essentielle, cette vie intérieure que les, classiques avaient cherchée dans la direction de ce qu’ils appelaient la raison, nous la cherchâmes dans la direction jusque-là méprisée (on dirait aujourd’hui refoulée) de l’inconscient. Et c’était une considérable nouveauté. L’objet même que nous attribuions à la poésie nous entraînait à en exclure tout ce qui relevait du raisonnement, du récit, de la démonstration. Nous fûmes ceux qui libérèrent la poésie du joug du rationalisme.
193Enfin, la génération symboliste a réalisé l’œuvre d’introduire la poésie dans tous les domaines de la littérature. Jusque-là, il y avait les vers et la prose ; il y eut désormais la poésie et la non-poésie.
194Je n’entreprendrai pas ici l’étude de ce considérable mouvement ; l’histoire en est d’ailleurs connue ; je me contenterai d’appeler l’attention sur le côté qui m’en est le plus familier et qui, à mon avis, a été le plus important : l’influence de la musique.
195En établissant l’opposition fondamentale du (94) monde de la « Représentation » et du monde de la « Volonté de Vivre », Schopenhauer nous enseignait que, si le premier relevait des arts basés sur le concept, le second lui échappait complètement. Le symbolisme érigea en souverain principe la différenciation des deux domaines.
196Or quel était l’art, libre de tout concept, à qui Schopenhauer avait accordé la puissance d’exprimer le monde de la Volonté ? La musique. C’est pourquoi l’influence de Wagner a été si considérable en 1885 ; Wagner a été, d’abord, le truchement par qui la plupart d’entre nous ont pénétré dans Schopenhauer, et, ensuite, le magnifique exemple dépassant tout ce que le vieux philosophe de Francfort pouvait imaginer, et démontrant comment la musique savait être Volonté de Vivre. Délibérément, nous assîmes la poésie sur le trône schopenhauérien de la musique. Et c’est ce qu’on entend lorsque l’on dit que le symbolisme, libérant du servage de l’intellectualisme, la poésie lui a restitué sa valeur musicale.
197Le cadre de cette étude ne nous permet pas d’examiner les rapports qui peuvent être relevés entre la philosophie bergsonienne et le mouvement de (95) 1985. Rappelons seulement qu’Henri Bergson, bien qu’étant de quelques années notre aîné (il est né en 1859), n’a commencé à exposer ses doctrines qu’à la fin du dix-neuvième siècle, et que le grand ouvrage qui les a proprement divulguées, L’évolution créatrice, date de 1907. Si Bergson a exprimé quelques-unes des tendances du symbolisme, on ne peut donc aucunement dire qu’il les ait inspirées ; il semble bien plutôt être l’un de ceux qui en ont recueilli l’héritage. Quoi qu’il en soit, le grand succès qu’il obtint au commencement du siècle est une preuve, entre d’autres, qui établit à quel point le mouvement de 1885 a été une profonde et durable rénovation.
198Comme le bergsonisme, le freudisme n’a guère connu la célébrité qu’au commencement de ce siècle ; il procède, en partie du moins, du même mouvement par l’importance qu’il a donnée aux plus profondes couches de l’inconscient dans la formation de la pensée.
199Pour nous en tenir à ce qui concerne plus particulièrement notre étude, nous retiendrons que les grandes caractéristiques du mouvement de 1885, (96) à savoir : cette vie de la pensée donnée comme objet à la poésie, – cette conception musicale, c’est-à-dire désintellectualisée, de la poésie, – enfin, cette entrée foudroyante de la poésie ainsi comprise dans la prose et notamment dans le roman, sont précisément les principes profonds du monologue intérieur.
200Reste à savoir si celui-ci devait être l’un des premiers-nés ou l’un des derniers nés du mouvement.
201Je m’excuse de passer d’une grande question d’ordre général à une question toute particulière, laquelle d’ailleurs m’a été souvent posée : comment l’homme qui écrit ces lignes est-il venu à imaginer le monologue intérieur ? L’intérêt, je le répète, est de voir un phénomène général s’individualiser dans un cas particulier.
202Il est trop évident que j’ai subi, en 1885, les mêmes influences que mon groupe ; mais il en est une que je subissais peut-être plus que les autres : celle de la musique allemande, et je puis dire que j’ai contribué à la développer autour de moi. J’indiquais tout à l’heure l’analogie, généralement méconnue, qu’il y a entre les motifs musicaux et (97) les petites phrases directes du monologue intérieur. Je vais livrer un secret : Les Lauriers sont coupés ont été entrepris avec la folle ambition de transposer dans le domaine littéraire les procédés wagnériens que je me définissais ainsi : – la vie de l’âme exprimée par l’incessante poussée des motifs musicaux venant dire, les uns après les autres, indéfiniment et successivement, les « états » de la pensée, sentiment ou sensation, et qui se réalisait ou essayait de se réaliser dans la succession indéfinie de courtes phrases donnant chacune un de ces états de la pensée, sans ordre logique, à l’état de bouffées montant des profondeurs de l’être, on dirait aujourd’hui de l’inconscient ou du subconscient…
Que le monologue soit né du mouvement de 1885, les critiques ne semblent guère y avoir songé. Plus clairvoyant avait été un écrivain qui, avec l’intention de combattre le symbolisme, avait su en reconnaître les manifestations. Je parle de Charles Le Goffic, qui, dans son livre intitulé (98) Les romanciers d’aujourd’hui paru en 1890, rangea parmi celles-ci Les lauriers sont coupés, auxquels il consacrait quelques pages dont j’extrais les lignes suivantes :
- 68 Alexandre Coquelin (1841909), dit Coquelin Cadet, pour le distinguer de son frère aîné, est un acte (...)
203«… Qu’un romancier s’impose le programme suivant : dans le désordre de la vie cérébrale, avec la confusion perpétuelle des sentiments, des idées et des sensations, le trouble qu’apportent les circonstances extérieures au développement logique de la pensée, les sautes brusques de cette pensée même, se rappeler et tâcher à décrire dans leur minutie absolue tous les sentiments, idées, sensations, qui peuvent traverser un cerveau humain de sept heures à dix heures du soir, si vous n’arrivez pas avec un programme comme celui-là à confectionner un monologue pour Coquelin Cadet68, je dis que vous n’aurez point été fidèle à votre programme… ».
204Sauf l’allusion aux monologues de Coquelin Cadet, très à la mode en 1890, l’analyse du monologue intérieur est assez pertinente pour prouver que Charles Le Goffic savait ce qu’il disait quand il en faisait un produit du mouvement symboliste.
205Trente-cinq ans plus tard, avec la clairvoyance (99) dont témoigne tout son article, Louis Gillet devait lui aussi, dans la Revue des Deux Mondes, signaler la véritable origine du monologue intérieur:
206«Il est curieux, disait-il d’Ulysse, que cette espèce de roman intégral, la tentative la plus soutenue qu’on ait faite pour épuiser la somme du réel, soit issue en même temps du naturalisme et de la boîte de Pandore symboliste. Et cependant cela s’explique, puisque tout le réel consiste dans la conscience claire ou confuse qu’on en a. L’âme, déclare M. Joyce, l’âme, en un sens, est tout ce qui est ».
207« Seule vit notre âme », écrivais-je en 1885 en tête de mon premier livre.
208On devine pour quelles raisons Louis Gillet associe ici le naturalisme au symbolisme ; mais ce qu’il dit du réel, de la conscience qu’on en a et de l’âme, ne s’applique véritablement qu’à celui-ci.
Une étude complète du mouvement né en 1885 aboutirait au surréalisme qui l’a poussé à ses extrêmes conséquences en essayant d’exprimer (100) directement et sans aucune mise au point rationnelle les données de l’inconscient. Lorsqu’en 1921 ils ont publié Les champs magnétiques, André Breton et Philippe Soupault n’avaient pas lu Les lauriers sont coupés et ne connaissaient pas les fragments d’Ulysse qui venaient de paraître à New York ; les caractéristiques du monologue intérieur ne s’y trouvent pas moins, ainsi que dans les poèmes qui suivirent et dans les tentatives d’écriture automatique. L’écriture automatique, qu’est-ce, en effet, sinon précisément le tout-venant (mais un tout-venant sans correctif) des pensées qui montent de l’inconscient indépendamment de tout classement et de toute élaboration intellectualiste ?
209Nous concluons de ce qui précède que, si le monologue intérieur ne peut être considéré comme le dernier aboutissement du mouvement de 1885, il est plus impossible encore d’y voir l’une de ses premières manifestations ; Le fait même qu’il entendait remonter aux sources inconscientes et, sans la supprimer, réduire au minimum et dissimuler l’élaboration rationnelle, oblige à le situer à un stade très avancé de l’évolution. Si les choses avaient suivi leur cours normal, le monologue intérieur (101) aurait été la dernière venue des manifestations du symbolisme. C’est en ce sens que nous pourrons dire que Les lauriers sont coupés ont été l’enfant du mouvement de 1885, mais l’enfant né avant terme.
210Et voilà qui explique, au moins en partie, non seulement que le livre n’ait eu aucun succès en 1887 ni en 1888, mais qu’il n’ait éveillé alors aucun écho et soit resté une tentative isolée. Et ainsi répondra-t-on à une objection qui pourrait être élevée : si le monologue intérieur des Lauriers sont coupés exprimait les tendances de son temps, pourquoi ce livre n’a-t-il pas eu à son apparition le succès que semble devoir toujours obtenir une œuvre qui réalise ce qu’attendent les contemporains ?
211Je me suis élevé tout à l’heure, avec toute l’assurance que peut donner le sentiment de posséder une méthode, contre les critiques qui, en l’absence eux-mêmes de toute méthode, ont cherché l’origine historique du monologue intérieur en dehors des circonstances qui l’ont fait naître, ou l’ont présenté comme l’anticipation d’une évolution postérieure. Mais que le mouvement symboliste (102) se soit déclenché aux environs de 1885, cela ne signifie nullement qu’en 1887 ou 1888 il ait été suffisamment mûr pour que dès ce moment l’heure fût venue du monologue intérieur. On n’a donc pas le droit de déclarer que Les lauriers sont coupés ont devancé leur temps, si l’on entend par là qu’ils ont anticipé sur un mouvement qui devait se produire trente ans plus tard ; on en a le droit, si l’on entend que, bien qu’issus du mouvement symboliste, ils sont nés avant leur heure.
212Mais l’insuccès d’une œuvre peut également s’expliquer, au moins en seconde ligne, par ses qualités ou plutôt par ses défauts propres et par les circonstances de son apparition.
213Dira-t-on des Lauriers sont coupés : mauvaise réalisation d’une œuvre heureusement conçue ?
214Je ne ferai pas, avec près d’un demi-siècle de recul, de fausse modestie. Les seuls témoignages de Joyce, de Larbaud et de Jaloux m’interdiraient de croire à une œuvre entièrement manquée. Peut-être l’enthousiasme de la découverte a-t-il incité Larbaud à quelque exagération, quand il a déclaré que Les Lauriers sont coupés sont « un parfait chef-d’œuvre à mettre auprès des plus grands romans de (103) de la littérature française… ». Il me suffit qu’Edmond Jaloux ait pu écrire dans son article des Nouvelles Littéraires qu’« il y a dans Les Lauriers sont coupés des pages qui sont de véritables prodiges de réussite… ». De nombreux témoignages, en tout cas, ont largement contrebalancé quelques opinions défavorables. Mais si le livre n’est pas un livre manqué, il n’est pas non plus et surtout il n’était pas, lorsqu’il parut dans la Revue Indépendante en 1887, un livre parfaitement réussi.
215Je vois une des causes de l’insuccès des Lauriers sont coupés en 1887 dans les excès d’une langue « symboliste » que je compliquais encore de prétendues réformes grammaticales ! Sans défendre des erreurs que je déplore depuis longtemps, je demanderai pourtant aux écrivains qui continuent aujourd’hui à juger sévèrement la langue de leurs aînés s’ils sont parfaitement sûrs que celles qu’ils emploient eux-mêmes (voir telle anthologie de la « poésie moderne ») sera mieux appréciée dans quarante ans.
216De ces erreurs, nous nous sommes d’ailleurs, mes camarades et moi, corrigés peu à peu. L’édition originale des Lauriers sont coupés publiée l’année (104) suivante en librairie, contient déjà quelques atténuations, bien timides encore. Plus importantes sont les corrections apportées en 1897 par l’édition du Mercure de France. Dans la dernière, en 1924, je me suis efforcé de mettre les choses au point sans perdre l’atmosphère primitive… Quel eût été le sort des Lauriers sont coupés si le texte publié en 1887 avait été « lisible »
217Une autre cause peut, jusqu’à un certain point, rendre compte de l’insuccès du livre. Voulant faire de la dédicace que j’inscrivais à sa première page une profession de foi, j’aurais pu dédier mon livre à Richard Wagner… Aurait-on compris ?… le nom de Wagner aurait en tout cas été évocateur… Je dédiai mon roman à Racine, « au suprême romancier d’âmes ».
218Une telle dédicace n’était pas seulement une réaction contre les injustices des romantiques ; elle n’était pas seulement l’affirmation de mon extrême admiration de la beauté classique ; elle marquait ma volonté de rattacher, contre vents et marées, ma tentative à la tradition ; elle signifiait surtout l’ambition, étonnamment pure chez un écrivain de vingt-cinq ans, de continuer, avec d’autres moyens (105) et sur un autre plan, la conquête poétique racinienne. C’est ce qui ne fut aucunement compris. Il y avait trop loin entre l’ordre de la raison où avait évolué le dix-septième siècle et l’ordre irrationnel où j’essayais de pénétrer. la plupart de mes amis me demandèrent pourquoi j’avais dédié mon livre à Racine. Au lieu d’orienter mes lecteurs, ma dédicace les dérouta.
219Larbaud a obligeamment expliqué, dans sa préface, quelles autres causes, au cours des années qui suivirent, contribuèrent à faire oublier mon livre jusqu’au jour où Joyce le ressuscita. Je n’y reviendrai pas. Nous voyons aujourd’hui, au moins parmi les écrivains qui ne s’enfoncent pas dans leur ignorance, se dissiper peu à peu l’espèce de défaveur dans laquelle était tombé le symbolisme avant la guerre. Du symbolisme, on commence à comprendre qu’il y a mieux à se rappeler que les oripeaux, évidemment démodés, dont il se revêtit il y a quarante ans. La caractéristique des grands mouvements littéraires est précisément de susciter un bouillonnement où le pis se mêle au mieux. Sourions des attitudes où se complurent les jeunes gens de 1885, comme nous (106) sourions de celles des jeunes gens de 1830, comme on sourira de celles des jeunes gens de 1931, et considérons l’œuvre accomplie. Tout ce qui se fait de bon actuellement est né en 1885 ; de 1885 date la libération de la poésie, et cette entrée triomphale de la poésie dans le roman qui est la caractéristique de la littérature contemporaine.
- 69 Bernard Faÿ, Revue européenne, août-septembre 1930 (NDA). – Bernard Faÿ (1893-1978), professeur au (...)
220En vérité, le symbolisme n’a été que le commencement du grand mouvement antirationnel qui devait transformer la littérature et qui, non seulement se continue aujourd’hui, écrivait récemment l’un des esprits les plus fins et les plus clairvoyants, mais ne fait qu’arriver à son plenum. « Nous vivons actuellement dans l’ère symboliste », écrivait récemment l’un des esprits les plus fins et les plus clairvoyants de l’époque69.
221Le romantisme a eu, comme le classicisme du dix-septième siècle français, la chance de produire les grands hommes en qui il s’est incarné. Le mouvement de 1885 a eu ses maîtres, Mallarmé et Rimbaud, mais qui appartenaient à la génération (107) précédente ; dans la génération qui est née en 1885 à la vie littéraire, il n’a trouvé aucun grand nom qui l’exprime ; le trouvera-t-il dans la génération qui a suivi ? Rien n’est plus vraisemblable, puisque c’est dans cette génération seulement qu’il s’est complètement réalisé. Je ne serais pas étonné que, pour la postérité, l’écrivain de génie qui représentera le mouvement de 1885 ne soit l’écrivain irlandais qui commença à écrire dans les premières années du vingtième siècle.
6. Le monologue intérieur chez les écrivains contemporains
222J’aurais voulu examiner quels sont, parmi les écrivains français contemporains, ceux qui emploient le monologue intérieur et de quelle façon ils l’emploient. Je me contenterai de quelques brèves indications et, sans prétendre aucunement donner une liste complète, me bornerai à citer ceux dont j’ai pu lire les livres.
223On se rappelle que le premier en France avait été Valery Larbaud, qui l’a réalisé en grand écrivain. Précisons les dates : Amants, heureux amants, écrit 1921, paru novembre même année ; Mon plus secret conseil, écrit 1921-1922, paru septembre 1923 ; ensemble en librairie (et précédé de Beauté, mon beau souci) sous le titre Amants, heureux amants, fin 1923.
- 70 Jean Schlumberger (1877-1968), écrivain et éditeur, co-fonde La Nouvelle Revue Française (NRF) en 1 (...)
- 71 Dominique Braga (dates ?) est un écrivain d’origine brésilienne, critique littéraire à la revue Eur (...)
- 72 Henri Decoin (1890-1969), champion de France de natation, aviateur pendant la première guerre mondi (...)
- 73 Adrienne Monnier (1892-1955) écrivain, est surtout connue comme libraire (La Maison des Amis des Li (...)
- 74 Emmanuel Berl (1892-1976) historien, essayiste, journaliste (lance Marianne en 1932) entre en polit (...)
224Parmi les œuvres entièrement écrites en monologue intérieur, il faut citer de Jean Schlumberger70 (109) une au moins des belles nouvelles publiées sous le titre Les yeux de dix-huit ans ; de Dominique Braga, le roman « 5000 », récit sportif71; d’Henri Decoin, un autre roman sportif, Quinze rounds, histoire d’un combat de boxe72 ; d’Adrienne Monnier, tantôt sous son nom tantôt sous le pseudonyme de Sollier, de courtes pièces dont l’une au moins est une complète réussite, La servante en colère73 ; d’Emmanuel Berl, une nouvelle de grand style, Saturne74.
- 75 Léon Bopp (1896-1977), écrivain, essayiste, journaliste (en Angleterre, 1920-1922) et philosophe su (...)
- 76 Marie Dujardin (dates ?) : cette Marie, auteur « qui m’est particulièrement cher » pourrait bien êt (...)
225La tendance actuelle, laquelle, à vrai dire, se recommande d’Ulysse même, semble plutôt être d’insérer des morceaux en monologue intérieur parmi d’autres qui sont des récits, des scènes ou des dialogues. C’est ce qu’on trouve dans le Jean Darien de Léon Bopp75. Je citerai également le roman d’un écrivain qui m’est particulièrement cher, ce qui ne m’empêche pas de le juger avec objectivité. La guérison immorale, de Marie Dujardin, et les nouvelles déjà parues dont le recueil doit s’intituler Divertissement dans les palaces, et où l’on trouve des exemples étonnamment réussis de ce que, page 40, j’ai appelé le « monologue intérieur indirect » c’est-à-dire à la troisième personne76.
- 77 Pierre-Jean Jouve (1887-1976), romancier, poète et critique. Au début des années 1920, grâce à la p (...)
- 78 Marie-Anne Comnène (1887-1978) est une romancière, historienne et traductrice de lointaine origine (...)
- 79 Albert Cohen (1895-1981), poète, romancier, dramaturge suisse francophone, connu pour son engagemen (...)
226(110) Chez d’autres écrivains, le monologue intérieur est employé d’une façon plus fragmentaire encore, en quelques pages ou même quelques phrases qui viennent s’intercaler au milieu d’un récit ou d’une analyse. Tel Pierre-Jean Jouve, dans les trois admirables romans qu’il a publiés : Paulina 1880, Le monde désert et Hécate77. Tels encore Marie-Anne Comnène, dans Rose Colonna78. Tel, Albert Cohen, dans son pathétique Solal79 ; notons particulièrement, pages 235-239, l’énorme monologue intérieur d’Aude, avec ses déformations de mots et ses ruptures de sens si significatives.
- 80 Léon-Paul Fargue (1876-1947), poète et essayiste, habitué des salons littéraires et des « mardis » (...)
227Si le nombre des écrivains qui emploient le monologue intérieur véritable n’est pas considérable, le nombre en est grand, par contre, qui s’en inspirent. Le premier de tous, il faut citer le grand poète Léon-Paul Fargue dans quelques-unes des pages qui ont été réunies sous les titres d’Espaces et de la Lampe à huile80.
- 81 François Berge (dates) est le frère d’André Berge (voir II, p. 47, n. 8) avec qui il fonde en 1924 (...)
- 82 Georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974), écrivain (romancier, dramaturge, poète), traducteur, peint (...)
- 83 Georges Pillement (1898-1984), essayiste, romancier, dramaturge et traducteur (93 traductions pour (...)
- 84 Cf. ci-dessus Chap. III, note 8.
228Parmi les romanciers, François Berge dès son premier roman, La Fille Aztèque81, Ribemont-Dessaignes et ses terrifiantes Frontières humaines82, Georges Pillement, dont la Valencia, sans être jamais du monologue intérieur, baigne dans une (111) exquise atmosphère de confidence à soi-même…83. Quant à André Berge84, il reconnaît que ses romans ne s’apparentent qu’assez lointainement avec la nouvelle formule ; « je suis persuadé pourtant, ajoute-t-il, que bien des pages de ces livres seraient différentes de ce qu’elles sont, si je n’avais pas connu le monologue intérieur ; je lui dois au moins une plus grande aisance dans les transitions entre le récit et les méditations de mes personnages ». Voilà ce que beaucoup d’entre les jeunes écrivains pourraient dire avec lui.
- 85 Cf. ci-dessus Chap. II, note 6.
229Peut-être est-ce l’ambiance du monologue intérieur qui a valu à l’un des meilleurs parmi ceux-ci, Jean Cassou85, qui pourtant ne l’a jamais formellement employé, de renouveler l’inspiration romantique (toujours un peu extérieure) en y apportant le sentiment de confession pénétrante qui imprègne ses œuvres à la fois délicieuses et profondes : les Harmonies viennoises, Le pays qui n’est à personne, La clé des songes.
- 86 Cf. ci-dessus Chap. III, note 24.
230Le vaste roman-poème où la vision est toujours un état d’âme, La nuit kurde de Jean-Richard Bloch86, ne contient qu’un petit nombre de pages positivement écrites suivant la nouvelle formule, mais (112) est comme nimbé de son esprit. On lui doit, en outre, la tentative à laquelle j’ai fait allusion ci-dessus, et qui a suscité l’enthousiasme de critiques américains, lorsque le livre a été traduit en anglais ; c’est ce chapitre VI de la troisième partie où, « Saad et Mirzo disant une chose des lèvres, en pensant une autre avec l’esprit, en rêvant une troisième sans le savoir », le conteur recourt à la formule du musicien et dispose les six textes les uns au-dessus des autres, de façon que le lecteur les embrasse d’un seul coup d’œil.
- 87 A la rencontre de France, 1930, précédemment paru dans La Nouvelle Revue Française de juillet même (...)
231Prendrons-nous comme nouveau témoin de l’influence chaque jour grandissante du monologue intérieur un écrivain, Jacques de Lacretelle, dont les œuvres semblent assez éloignées de cette formule, et qui a écrit sur la solitude et le genre de rêverie que la solitude permet87, quelques pages que nous aurions pu joindre aux définitions que nous avons réunies du monologue intérieur, si le mot lui-même y avait été prononcé, et qui en donnent en tout cas le sentiment le plus juste et le plus délicat, – cela contre l’homme qui a été (113) l’anti-monologue intérieur en personne, Anatole France !
- 88 L’imposture (Plon, 1927) est le second roman de Georges Bernanos (NDE).
232Mais le fait le plus décisif peut-être est que le monologue intérieur a fini par forcer la porte de celui de nos romanciers qui plus que tout autre est resté attaché à l’antique procédé de l’analyse ex professo. Voir, entre autres exemples, page 71 de L’Imposture88.
- 89 Voir ci-dessus, pages 36-37 (NDA).
- 90 Un exemple de monologue « dissimulé » tel que l’imagine Dujardin en 1930 avait déjà été produit en (...)
On peut se demander si, après avoir pris une telle place dans le roman, le monologue intérieur n’est pas appelé à pénétrer également dans le théâtre, disons à le renouveler. Rien n’empêche d’imaginer au cours du dialogue une série de monologues « dissimulés89 » qui différeraient des monologues « dissimulés » de Racine en ce que, au lieu d’être la traduction rationalisée de la pensée du personnage, ils exprimeraient celle-ci antérieurement à son organisation logique, c’est-à-dire en son état naissant et d’aspect tout-venant, (114) – autrement dit, où le personnage laisserait parler telles quelles au cours du dialogue les voix enchevêtrées de son cœur…90
233Quoi qu’il en soit de la possibilité d’introduire le monologue intérieur dans le drame, son entrée dans le roman est aujourd’hui un fait acquis, et Valery Larbaud reste persuadé, comme déjà il le déclarait en 1924, que l’avenir lui appartient.
« Beaucoup d’auteurs, m’écrivait-il récemment, craignent de dérouter le public en usant de cette formule neuve, encore considérée comme d‘« extrême avant-garde », et que sa dangereuse facilité défend contre les artisans médiocres. Elle finira cependant par être vulgarisée ; mais, avant cette époque, de belles œuvres auront été écrites en monologue intérieur, ou dans une prose que l’influence de cette forme aura pénétrée. Ces œuvres, comme celles de l’époque symboliste, auront un succès réel, à force de temps et à l’écart du grand public. L’élite, dans laquelle ne figurent ni les pédants ni ceux qu’on appelle en France les snobs, élite qui se reforme toujours en secret et en silence derrière la masse des lecteurs entraînés par la publicité ou la mode, les accueillera, et c’est de là qu’elles (115) rayonneront. Alors les vulgarisateurs pourront venir. Dans dix ans, dans vingt ans peut-être ».
234Un fait, en tout cas, peut confirmer la prédiction de Valery Larbaud : des chefs-d’œuvre de la taille d’Ulysse ont toujours ouvert sa voie à une littérature nouvelle.
Index des noms cités91
- 91 Sont compris dans cet index les noms des écrivains dont une œuvre est mentionnée sans que leur nom (...)
235Adam Paul (II, p. 17 ; n. 16)
Ajalbert Jean (II, p. 16)
Apollinaire Guillaume (III, n. 22)
Aristote (III, p. 43)
236Bailly Auguste (III, p. 61 ; n. 23)
Balzac Honoré de (I, p. 6 ; IV, p. 65-66, 71)
Barrès Maurice (II, n. 15)
Bérard Victor (II, n. 9)
Berge André (III, p. 47 ; n. 8 ; VI, p. 111)
Berge François (VI, p. 110)
Bergson Henri (IV, p. 79 ; V, p. 94-95)
Berl Emmanuel (VI, p. 109)
Bernanos Georges (III, p. 34 ; n.1 ; VI, p. 113)
Billy André (III, p. 60 n. 22)
Bloch Camille (II, p. 18)
Bloch Jean-Richard (III, p. 61 ; n. 24 ; VI, p. 111)
Bopp Léon (VI, p. 109)
Bos Charles du (IV, p. 67, 75)
Bourget Paul (II, p. 32-33 ; n. 28)
Braga Dominique (VI, p. 109)
Brandès Georges (II, p. 30)
Breton André (V, p. 99)
Brion Marcel (III, p. 53 ; n. 18)
Browning Robert (II, p. 22, 23, 30 ; III, p. 39 ; IV, p. 66, 73, 80-85 ; V, p. 90)
237Camus Albert (III, n. 11)
Cassou Jean (II, p. 11 ; n. 6 ; III, n. 8 ; VI, p. 111)
Céline L.F. (II, n. 16)
Chadourne Marc (III, p. 48 ; n. 9)
Chamson André (II, n. 7)
Claudel, Paul (I, p. 6 ; n. 1)
Cocteau Jean (III, n. 11)
Cohen Albert (VI, p. 110)
Comnène Marie-Anne (VI, p. 110)
Conrad Joseph (III, n. 9)
Coquelin Cadet (V, p. 98)
Courteline George (II, p. 17)
Curtius Robert Ernst (II, p. 30)
238Daniel-Rops (II, n. 7)
Decoin Henri (VI, p. 109)
Dostoïevski (II, p. 9, 13, 21-23, 30 ; IV, p. 66, 68-73, 77, 80, 85-86 ; V, p. 90)
Dujardin Edouard (II, p. 21-23, 30 ; III, p. 41-42, 46, 49, 51, 56-57, 64 ; IV, p. 73, 84-85 ; V, p. 91, 96-97, 99-105)
Dujardin Marie (VI, p. 109)
239Exideuil Pierre d’(II, p. 11 ; n. 7 ; III, p. 44, 52 ; n. 5)
240Fargue Léon-Paul (VI, p. 110)
Faÿ Bernard (V, p. 106)
Fernandez, Y (II, p. 8, n. 2)
Flaubert Gustave (III, p. 39)
France Anatole (VI, p. 113)
Freud Sigmund (V, p. 95)
241Gandon Yves (II, p. 32 ; n. 27 ; III, p. 30 ; n. 12)
Gaubert Ernest (VI, p. 118)
Gaultier Jules de (III, p. 52-53 ; n. 16)
Gémier Firmin (I, n. 1)
Gide André (II, p. 21-23 ; n. 21 ; IV, p. 66, 72-73, 81)
Gilbert Stuart (II, p. 10, 28 ; n. 5, 24 ; III, p. 49, 56 ; n. 11)
Gillet Louis (III, p. 45, 47, 50, 62-63 ; n. 7 ; IV, p. 79 ; V, p. 98-99)
Giraudoux Jean (II, p. 12 ; III, p. 43 ; n. 4)
Goncourt Edmond de (II, p. 17-18)
Gourmont Rémy de (II, p. 17 ; n. 17)
242Hardy Thomas (II, n. 7)
Hennequin E. (II, p. 16 ; n. 14)
Homère (V, p. 90)
Horiguchi M.D. (III, p. 50)
Hueffer F.M., voir Madox Ford
Hugo Victor (III, p. 64 ; V, p. 90)
Huret Jules (II, p. 17)
Huysmans Joris-Karl (II, p. 16-17, 20 ; III, n. 18)
243Jacob Max (IV, p. 79)<
Jaloux Edmond (II, p. 13, 28 ; n. 10 ; III, p. 40, 41-43, 46, 51 ; n. 8 ; V, p. 102)
Jousse Marcel (III, p. 52 ; n. 15)
Jouve Pierre-Jean (VI, p. 110)
Jouvenel Henry de (II, n. 7)
Joyce James (I, p. 5, 7 ; II, p. 8-14, 19-31 ; III, p. 40-41, 45-46, 48-49, 53, 56-57, 59-64 ; n. 8 ; IV, p. 67, 70, 73, 76-77, 85, 86 ; V, p. 98-100, 102, 105, 107 ; VI, p. 109, 115)
244Kemp, Robert (IV, p. 73-74)
245Lacretelle Jacques (VI, p. 112)
Lafayette Mme de (V, p. 88)
Lalou René (II, p. 22-23, 25 ; III, p. 38 ; n. 8 ; IV, p. 67, 80-85)
Larbaud Valery (II, p. 2-4, 8-10, 12-15, 21, 23-24, 25-29, 31-33 ; n. 1, 2, 5 ; III, p. 38, 41, 47, 57 ; n. 11 ; IV, p. 66, 72, 80, 82, 84-86 ; V, p. 87-88, 102, 105 ; VI, p. 108, 114-115)
Léautaud Paul (III, n. 22)
Lefranc de Pompignan (III, p. 64)
Le Goffic Charles (II, p. 16 ; n. 15 ; V, p. 97-98)
Loti Pierre (II, p. 16)
Lugné-Poe (I, n. 1)
246Madox Ford Ford, alias F.M. Hueffer (III, n. 9)
Mallarmé Stéphane (II, p. 15-16, 20 ; n. 12 ; IV, p. 76 ; V, p. 92, 106)
Mann Thomas (III, n. 18)
Marcel Gabriel (III, p. 57, 64 ; n. 21)
Martineau Henri (IV, p. 76, 77)
Maulnier Thierry (II, n. 7)
Mistler Jean (II, n. 7)
Molière (IV, p. 70, 84)
Monnier Adrienne (VI, p. 109)
Monnier Henri (II, p. 17 ; n. 19)
Montfort Eugène (III, p. 44-45, 62 ; n. 6)
Moore George (II, p. 17-18 ; n. 18 ; IV, p. 78)
Morand Paul (II, p. 23 ; IV, p. 80)
Morel Auguste (II, p. 10 ; n. 5 ; III, n. 11)
247Palacio Valdes Armando (II, p. 31)
Pasquier H. du (II, p. 8 ; n. 2)
Péguy Charles (IV, p. 79)
Pillement Georges (VI, p. 110)
Platon (II, p. 10)
Pléiade La (IV, p. 76)
Poe Edgar (II, p. 22 ; IV, p. 66, 76-77)
Proust Marcel (II, p. 23 ; III, p. 52 ; IV, p. 73-75, 77, 80)
248Racine (III, p. 36-37 ; n. 2 ; IV, p. 69-70, 76 ; V, p. 88, 104-105 ; VI, p. 113)
Reynaud J.-P. (II, p. 8 ; n. 2)
Ribemont-Dessaignes (VI, p. 110)
Rimbaud Arthur (V, p. 92, 106)
Rosny J.H. (II, p. 16, 20 ; n. 13)
249Sartre Jean-Paul (III, n. 11)
Savitsky Ludmila (II, p. 9 ; n. 3)
Schlumberger Jean (VI, p. 108)
Schnitzler Arthur (II, p. 29-30 ; n. 26)
Schopenhauer (V, p. 94)
Shakespeare (I, p. 5 ; IV, p. 65-66)
Simenon, Georges (III, n. 11)
Soupault Philippe (II, p. 10 ; n. 4 ; V, p. 99-100)
Stendhal (IV, p. 76-77 ; V, p. 88)
250Thiebault Marcel (III, p. 48, 56, 63 ; n. 10)
Tolstoï Léon (IV, p. 75, 77)
Turelure Toussaint (I, n. 1)
251Valdes Armando Palacio (II, p. 31)
Vanier Léon (II, p. 14)
Vallette Alfred (II, n. 20)
Vallotton Felix (II, n. 17)
252Wagner Richard (III, p. 37, 54-56, 64 ; V, p. 94, 104)
Weyel Edith (II, p. 30)
Williams William Carlos (II, p. 12 ; n. 8)
Woolf Virginia (III, p. 62)
Wurmser André (II, n. 7)
253Zola Emile (IV, p. 70)
Notes
1 Les numéros entre croches correspondent au numéro de page de l’édition du livre.
2 Je renvoie à la préface de Valery Larbaud publiée en tête de la traduction française de Gens de Dublin, citée ci-après (NDA).
3 Traduit en français par Y. Fernandez, H. du Pasquier et J.-P. Reynaud sous le titre de Gens de Dublin, 1926, avec la préface de Valery Larbaud (NDA).
4 Traduit en français par Ludmila Savitsky sous le titre de Dedalus, 1924 (NDA).
5 Europe, juin 1929 (NDA).
6 La traduction française par Auguste Morel et Stuart Gilbert, avec révision de Valery Larbaud, a paru en 1929 (NDA).
7 Nouvelles Littéraires, 9 mars 1929 (NDA). – D’origine espagnole, hispaniste de formation, Jean Cassou (1897-1986) est un écrivain français (poète, romancier, essayiste, critique littéraire et artistique, traducteur), fondateur et conservateur du Musée national d’art moderne (1945-1965) et grand résistant. En 1929, Jean Cassou, qui compte parmi les « jeunes écrivains » que mentionne Dujardin, vient de publier trois romans et un Panorama de la littérature espagnole contemporaine. Ses mémoires, Une vie pour la liberté sont publiés en 1981 chez Robert Laffont (NDE).
8 Revue Nouvelle, juillet-août 1929 (NDA). – En 1928, Pierre d’Exideuil avait publié Le couple humain dans l’œuvre de Thomas Hardy. Essai sur la sexualité dans les romans,contes et poèmes du Wessex, dans les éditions de cette même revue. Pierre d’Exideuil fait partie de l’intelligentsia de l’époque dont certains membres, lui-même entre autres, contribuent en 1932 à un important ouvrage collectif, Le Rajeunissement de la Politique préfacé par Henry de Jouvenel avec notamment Daniel-Rops, André Chamson, Jean Mistler, Thierry Maulnier, et André Wurmser, curieux assemblage de gens de tous bords, parmi lesquels certains seront élus à l’Académie française (NDE).
9 William Carlos Williams (1883-1963) est un écrivain américain qui partage sa vie entre la médecine et l’écriture. Poète, essayiste, dramaturge et romancier, il joue un rôle important dans les débuts du modernisme. Politiquement, il est à gauche et son anti-capitalisme lui vaudra d’être victime du maccarthysme comme « pro-communiste » (NDE).
10 Victor Bérard (1864-1931), helléniste et homme politique, est connu pour sa traduction en prose rythmée de l’Odyssée (1924). En 1931, l’année même où Dujardin publie Le monologue intérieur, Bérard fait paraître L'Odyssée d'Homère. Etude et analyse. Auparavant, avec son propre bateau, il avait tenté de refaire le voyage d’Ulysse et, de 1927 à 1929 publié une sorte de compte rendu de son périple sous le titre de Les navigations d’Ulysse (4 volumes, Armand-Colin) (NDE).
11 Edmond Jaloux (1878-1949), critique littéraire et romancier français. Auteur d’une Histoire de la littérature française et de nombreux essais, notamment, sur les littératures étrangères (Rilke, Goethe, etc.) (NDE).
12 Préface de l’édition définitive, 1924 (NDA).
13 Je possède de Mallarmé une seconde lettre relative aux Lauriers sont coupés, du 8 octobre 1897, dont les termes ne me sont pas moins précieux » (NDA).
14 J.H. Rosny (1856-1940), connu aussi sous le pseudonyme de J.H. Rosny aîné – il écrivit avec son frère, J.H. Rosny jeune (1859-1948) jusqu’en 1907 – est un romancier français né en Belgique, auteur de science-fiction (La guerre du feu, 1909, roman préhistorique, eut un immense succès) (NDE).
15 E. Hennequin (1858-1888), mort tragiquement à l’âge de 30 ans était effectivement, à l’époque où ont été publiés Les Lauriers sont coupés, un critique très apprécié. Il est l’auteur de La critique scientifique (1888) consultable sur Gallica. Le jugement qu’il porte sur le roman de Dujardin, cité par celui-ci, est quelque peu ambigu (NDE).
16 Charles Le Goffic (1863-1932) est un critique, poète et romancier breton, militant régionaliste et royaliste d’inspiration maurassienne. Il collabore à l’Action française, ainsi qu’à la Revue critique des idées et des livres. Avec Maurice Barrès il fonde une revue littéraire Les Chroniques. En 1890, dans Les romanciers d’aujourd’hui, il publie « quelques pages hostiles » à Dujardin dont celui-ci donne un extrait ci-après au chapitre V, « Les origines du monologue intérieur » (voir p. ***) (NDE).
17 Paul Adam (1862-1920), écrivain français très fécond et critique d’art. Politiquement contradictoire, il est d’abord naturaliste et proche des courants libertaires – son premier roman, Chair molle (1885), lui vaut d’être condamné à quinze jours de prison et à une amende – puis il devient symboliste, boulangiste, antidreyfusard, si bien qu’on serait tenté de voir en lui le type même de l’anarchiste d’extrême-droite, s’il n’était aussi antimilitariste et anticapitaliste (cf. son Eloge de Ravachol, 1892, lire en ligne). A certains égards il fait penser à L.-F. Céline (NDE).
18 Rémy de Gourmont (1858-1915) est un écrivain, journaliste et critique d’art proche des symbolistes. Il a joué un rôle important au Mercure de France. Son Livre des Masques, portraits symbolistes (1896), que mentionne Dujardin, suivi d’un Deuxième livre des masques (1898) est un témoignage de première importance sur le mouvement symboliste. Il a pour sous-titre « Gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui » (consultable sur Gallica). Les deux ouvrages sont illustrés par Félix Vallotton (NDE).
19 George Moore (1852-1933), un des plus grands écrivains irlandais et critique d’art. A vécu à Paris où il a connu les grands peintres de l’époque. A introduit l’impressionisme en Angleterre. Ami d’Edouard Dujardin dans une relation où le romancier français n’a pas forcément le beau rôle. Voir l’article de D. O’Kelly dans le premier fascicule de ce tome : 29-64 (NDE).
20 Henri Monnier (1799-1877), illustrateur caricaturiste et dramaturge, créateur du personnage de M. Prudhomme (NDE).
21 Le Mercure de France est une revue d’avant-garde littéraire créée en 1890 par un groupe d’amis réunis par Alfred Vallette – Le Gil Blas illustré est un hebdomadaire servi avec le Gil Blas, quotidien républicain créé en 1879 et qui paraît jusqu’en 1938 après une interruption en 1914. Gil Blas est un journal « léger et grivois » dont l’objectif est d’« amuser les gens qui passent, leur plaire aujourd’hui et recommencer le lendemain ». Journal très littéraire qui publie des poèmes, des nouvelles et des romans (NDE).
22 Reproduites dans le volume : Dostoïewsky, 1923 (NDA).
23 André Gide, à qui je demandais récemment s’il avait lu mon livre à l’époque où celui-ci avait paru (bien qu’alors il fût encore au collège, m’a répondu par une lettre, 4 juillet 1930, dont on me saura gré de citer l’amusant commencement : « Par contre [ainsi commence la lettre] je me souviens fort bien de la représentation d’Antonia… ». Et quant au monologue intérieur : « Les dates en tout cas sont là, ajoutait-il, pour vous attester précurseur » (NDA) – Antonia est le premier volet de La légende d’Antonia, une trilogie dont la première représentation a eu lieu en 1891. C’est à cette pièce que Gide fait allusion. Elle avait été précédée en 1887 de A la gloire d’Antonia, petit poème en prose symboliste d’une douzaine de pages publié à Paris et à Bruxelles (NDE).
24 René Lalou (1889-1960), professeur de lettres (il a notamment enseigné à Paris au lycée Henri IV) est l’auteur de l’Histoire de la littérature française contemporaine (1870 à nos jours) dont le premier tome paraît en 1922. Il y est notamment question du symbolisme et du mouvement anti-naturaliste. De nombreux autres tomes ont suivi (NDE).
25 Il s’en est, depuis, loyalement expliqué dans une note qu’on trouvera dans la prochaine édition de son Histoire de la littérature contemporaine. Pour ce qui est des antécédents du monologue intérieur, on trouvera dans la même édition la mise au point que nous signalons plus loin (NDA).
26 Chez l’éditeur Messein, 1924. Une traduction anglaise due à Stuart Gilbert, l’un des traducteurs d’Ulysse, va paraître sous le titre : Well to woods no more (sic) (NDA). – [Le « titre en question » ne signifie rien. Faute de frappe ? La traduction est en fait : We’ll (go) to the woods no more (NDE)].
27 Voir note 10 (NDE).
28 Arthur Schnitzler (1862-1931), Edouard Dujardin (1861-1949) (NDE).
29 Yves Gandon (1899-1975), critique littéraire, essayiste et romancier, auteur du Pré aux Dames, chronique romanesque de la sensibilité française, en douze volumes (1942-1966) (NDE).
30 Manuscrit autographe, mars-avril 1930 (NDA).
31 Les « romans les plus récents » de Bernanos sont Sous le soleil de Satan (1926), L’imposture (1927) et La joie (1928) (NDE).
32 Exemples évidents, entre mille autres : l’entrée de Phèdre et la déclaration à Hippolyte, dans la tragédie de Racine (NDA).
33 Page 397 de la traduction française (NDA).
34 Juliette au pays des hommes, pp. 149, 156, 159 (NDA).
35 Revue Nouvelle, article cité (NDA).
36 Les Marges, février 1929 (NDA). – Eugène Montfort (1877-1936), essayiste, critique et romancier, dirige le premier numéro de la Nouvelle Revue française en novembre 1908 A la suite d’une dissension avec Gide et quelques autres membres du comité de rédaction à propos du contenu, ce numéro n’est pas distribué. Gide reprendra l’édition de la revue, avec un nouveau « numéro 1 », mais sans Monfort. Ce dernier est notamment l’auteur de Vingt-cinq ans de littérature française, tableau de la vie littéraire de 1895 à 1920 en plusieurs volumes abondamment illustrés (NDE).
37 Revue des Deux-Mondes, 1er août 1925, repris dans Esquisses anglaises, 1930 (NDA). – Louis Gillet (1876-1943) est historien de l’art et critique littéraire. Il s’intéresse, entre autres, à la littérature d’expression anglaise (Joyce, D.H. Lawrence). Il écrit des articles sur l’art dans la Revue des Deux-Mondes. Son article de 1925 est intitulé « du côté de chez Joyce », allusion évidente à Proust (NDE).
38 Cahier du Mois, janvier 1925 (NDA). – André Berge (1902-1995), médecin, spécialiste en psychologie de l’enfance, essayiste et romancier, co-fondateur de la revue littéraire mensuelle Les Cahiers du Mois (1924-1927, soit 26 numéros) dans laquelle publient la plupart des écrivains de l’époque, parmi lesquels, outre James Joyce, les critiques Jean Cassou, Edmond Jaloux, René Lalou, cités par Dujardin dans la présente monographie (NDE).
39 Revue Européenne, mai 1929 (NDA). – Marc Chadourne (1895-1975), essayiste et romancier, est aussi administrateur colonial (Océanie, Cameroun). Au début de la seconde guerre mondiale, il se réfugie aux Etats-Unis. Il traduit Romance (L’Aventure), roman que Conrad avait écrit en 1903 en collaboration avec Ford Madox Ford, alias F.M. Hueffer (1873-1939), écrivain et éditeur anglais (NDE).
40 Revue de Paris, 15 juin 1929 (NDA). – Marcel Thiébault (1897-1961), critique littéraire et dramaturge, dirige une grande maison d’édition et la Revue de Paris. Cette revue dont l’existence, avec un certain nombre d’interruptions, s’étend sur près d’un siècle et demi (1829-1970), est une revue littéraire, en rivalité avec la Revue des Deux-Mondes. Balzac y a publié plusieurs romans, et Flaubert Madame Bovary en version expurgée (NDE).
41 Nouvelle Revue Française, avril 1929 (NDA). – Stuart Gilbert (1883-1969), traducteur en anglais de nombreux écrivains français (Camus, Cocteau, Sartre, Simenon, etc.) a collaboré à la traduction française de Ulysses par Auguste Morel et Valery Larbaud. Il avait relevé un certain nombre d’erreurs et a proposé sa collaboration. Gilbert est aussi un des premiers critiques joyciens (NDE).
42 Vient de paraître, décembre 1925 (NDA). – Yves Gandon (1899-1975) est un écrivain, auteur, entre autres romans, de Ginèvre (1948), Grand prix du roman de l’Académie française (NDE).
43 Cf. note 7 (NDE).
44 Cf. note 8 (NDE).
45 Marcel Jousse (1886-1961), alias le Père Jousse, jésuite, est un chercheur en anthropologie et en psychologie de l’enfant. Il est l’élève, entre autres, de Marcel Mauss, du psychologue Pierre Janet et de l’abbé Rousselot, fondateur de la phonétique expérimentale. Sa recherche porte sur les rapports entre la pensée, le geste et le langage sous sa forme orale. Il a enseigné à la Sorbonne, à l’Ecole d’Anthropologie de Paris, à l’Ecole pratique des Hautes Etudes et au Laboratoire de rythmo-pédagogie. Il est notamment l’auteur de l’Anthropologie du geste (Gallimard, 2008), ouvrage posthume qui regroupes trois de ses principaux écrits (NDE).
46 Voir notamment Mercure de France, 1er mars 1924 (NDA). –Jules de Gaultier (1858-1942), philosophe français influencé par Schopenhauer et Nietzche. Sa pensée tourne autour du bovarysme, conçu comme une fuite du réel que l’homme crée pour échapper à son tragique destin.Est notamment l’auteur de Le bovarysme : essai sur le pouvoir d’imaginer (1902), réédité en 2006, et de La Fiction universelle (1903), réédité en 2010 (NDE).
47 J’ai déjà signalé le cas curieux de ce philosophe, si pénétrant quand il se meut dans l’abstrait, et dont les yeux se troublent dès qu’il descend dans le monde des apparences (NDA).
48 Revue hebdomadaire, 20 avril 1929 (NDA) – Marcel Brion (1895-1984), à la fois d’origine provençale et irlandaise (O’Brien), est avocat de formation. Historien de l’art spécialiste, entre autres, de la Renaissance italienne (Giotto, Botticelli…) historien, essayiste, (il a notamment écrit sur l’Allemagne romantique), biographe (une douzaine d’ouvrages) romancier et auteur de nouvelles (une vingtaine de titres) Polyglotte et cosmopolite, Brion laisse une œuvre riche et diverse. Un recueil d’une partie de ses articles (Joyce, Huysmans, Thomas Mann…) a été publié en 1994 sous le titre Les Labyrinthes du temps : Rencontres et choix d'un Européen (José Corti) (NDE).
49 Voir ci-dessus, respectivement, notes 10 et 11 (NDE).
50 Même procédé dans Antonia, dans Les Epoux d’Heur-le-Port, dans Le Mystère du dieu mort et ressuscité (NDA).
51 Nouvelle Revue Française, février 1925 (NDA).– Gabriel Marcel (1889-1973), philosophe, dramaturge, musicien et critique littéraire, est considéré comme le représentant de l’existentialisme chrétien. Auteur de nombreux ouvrages, notamment, pour la période qui nous concerne ici, du Journal métaphysique 1914-1923, Gallimard, Paris, 1927 et de Être et avoir, 1918-1933, Aubier, Paris, 1935 (NDE).
52 L’Œuvre, 25 juin 1925 (NDA) – André Billy (1882-1971) romancier, auteur de biographies (Balzac, Diderot, Sainte-Beuve), critique littéraire et journaliste à L’Œuvre et au Figaro. Il est membre de l’Académie Goncourt après une élection à rebondissements. Il est l’auteur de plus de 11 000 chroniques. Billy était proche d’Apollinaire et de Paul Léautaud (NDE).
53 Candide, 23 mai 1929 (NDA) – Auguste Bailly (1878-1967), romancier, historien et auteur de monographies littéraires (NDE).
54 Sur la tentative de Jean-Richard Bloch, voir p. 112 (NDA) – Jean Bloch, aliasJean-Richard Bloch (1884-1947), historien, écrivain (romans, nouvelles, récits de voyage), homme politique et militant communiste. Il contribue en 1923 à la création de la revue Europe. Il passe les années de guerre (1941-1945) dans l’Union Soviétique où il réalise des émissions radio en français. Après la guerre, il est conseiller de la République (1946-1947) (NDE).
55 Revue des Deux-Mondes, 1er septembre 1929, également repris dans Esquisses anglaises (NDA).
56 Une fâcheuse histoire, traduction française de la librairie Nelson, Paris, 1926, p. 28 (NDA).
57 Liberté, 22 janvier 1925, pour revenir à la charge dans un article du 22 avril consacré à Ulysse (NDA).
58 Voir ci-dessus, pages 51-52 (NDA).
59 Entretiens sur Tolstoï, 1924 ; Approximations, 1930 (NDA).
60 Figaro, 27 septembre 1930. Le passage cité de Stendhal fait partie des Pensées (Filosofia nova) publiées par Henri Martineau quelques mois plus tard aux éditions du Divan, tome II, pages 123-124 ; voir également pages 179 et suiv. (NDA)
61 Mémoires de ma vie morte, 1906, premier chapitre ; traduction en français, 1922 ; édition complète, 1928 (NDA). – Titre en anglais : Memoirs of my dead life. La citation que donne Dujardin est tout au début du premier chapitre, à la p. 3 de l’édition de D. Appleton and Company, New York, 1914. Le narrateur est à Londres, il se promène à St. James’s Park un dimanche d’avril. Virginia Woolf s’en est peut-être souvenue lorsque Mrs Dalloway se promène à Londres un matin de printemps et passe par le même parc. Le texte de G. Moore est à la première personne et donne une idée de l’« unspoken monologue », le monologue muet ; le récit de V. Woolf est à la troisième personne, selon la formule du « stream of consciousness »(NDE).
62 Max Jacob (1876-1944), poète, romancier, essayiste, peintre et grand épistolier. Auteur, notamment, du Cornet à Dé (1916) et d’un Art poétique (1922). La première édition du Cabinet noir, lettres et commentaires, date de 1922, mais l’édition définitive est de 1968 (NDE).
63 Vient de paraître, mars 1924 (NDA).
64 Les remarques de Dujardin qui, aujourd’hui, seront sans doute interprétées comme carrément colonialistes et racistes, donc odieuses, ainsi que le vocabulaire utilisé (« le bon nègre » et « li ») doivent être lus dans le contexte de l’époque. Ce qui ne doit pas être compris comme une « excuse », mais comme une explication historique. A l’époque, la France est toujours une « puissance » coloniale, et la mentalité générale est colonialiste. C’est alors politiquement correct. Sinon, on est catalogué comme communiste ou anarchiste. Ne pas oublier le célèbre slogan publicitaire «Y’a bon Banania » illustré dans de nombreuses affiches, créé pendant la première guerre mondiale. On voit par exemple un tirailleur sénégalais hilare, tasse en main, index dressé, vantant par sa gestuelle la boisson chocolatée que connaissent la plupart des Français. Ledit slogan avait disparu depuis le début des années 1970 – sans doute une des retombées de mai 68 – ,mais il est réapparu en 2003 lorsque la Société Nutrimaine a succédé à Banania. Commerçante, mais pas férue d’histoire, ladite société. Elle vient de perdre un procès intenté par le Mrap pour atteinte à la dignité humaine (NDE).
65 Quant aux réserves qui, à notre avis, s’imposent à ce sujet, voir ci-dessus, pages 39-40 (NDA).
66 Par exemple, dirai-je, les monologues « dissimulés » de Racine ; voir ci-dessus, pages 36-37 (NDA).
67 Editions du Mercure de France, 1922, pp. 25-27 (NDA).
68 Alexandre Coquelin (1841909), dit Coquelin Cadet, pour le distinguer de son frère aîné, est un acteur de la Comédie Française qui s’était spécialisé dans le monologue. Il écrit du reste deux livres sur la question : Le monologue moderne (1881) et L’Art de dire le monologue (1884), tous les deux en ligne sur Gallica (NDE).
69 Bernard Faÿ, Revue européenne, août-septembre 1930 (NDA). – Bernard Faÿ (1893-1978), professeur au Collège de France, historien (XVIIIe s., Etats-Unis), traducteur de Gertrude Stein, administrateur général de la Bibliothèque nationale sous le régime de Vichy, est condamné à perpétuité pour collaboration en 1945, puis grâcié en 1959 (NDE).
70 Jean Schlumberger (1877-1968), écrivain et éditeur, co-fonde La Nouvelle Revue Française (NRF) en 1908. Il est célèbre pour avoir refusé le manuscrit de Du côté de chez Swann, le premier tome de La Recherche, publié en novembre 1913 par Grasset (NDE).
71 Dominique Braga (dates ?) est un écrivain d’origine brésilienne, critique littéraire à la revue Europe. En 1924, il publie chez Gallimard un récit sportif, « 5000 », monologue intérieur d’un coureur de demi-fond dans lequel il utilise la technique cinématographique du ralenti (NDE).
72 Henri Decoin (1890-1969), champion de France de natation, aviateur pendant la première guerre mondiale, journaliste sportif, écrivain, mais surtout scénariste et réalisateur (abondante filmographie dans des genres très divers). Quinze rounds (1926) est le suivi d’un match de boxe en discours intérieur (NDE).
73 Adrienne Monnier (1892-1955) écrivain, est surtout connue comme libraire (La Maison des Amis des Livres, 7, rue de l’Odéon), comme éditrice et comme organisatrice de rencontres littéraires où se retrouvent de nombreux écrivains et musiciens. En 1929, elle publie la première traduction en français de Ulysses de Joyce (NDE).
74 Emmanuel Berl (1892-1976) historien, essayiste, journaliste (lance Marianne en 1932) entre en politique dans les années 30. On le voit alors louvoyer entre la gauche du Front populaire et le régime de Vichy dont il se détourne en 1941 pour se retirer en Corrèze avec sa nouvelle femme, la célèbre chanteuse Mireille. Il est notamment l’auteur de Sylvia (1952) et le co-réalisateur de Cent ans d’histoire de France (1962) qui obtient le Grand Prix de littérature de l’Académie Française (NDE).
75 Léon Bopp (1896-1977), écrivain, essayiste, journaliste (en Angleterre, 1920-1922) et philosophe suisse. Etudes à la Sorbonne, thèse sur Amiel. Publie en 1935 Esquisse d’un traité du roman (NDE).
76 Marie Dujardin (dates ?) : cette Marie, auteur « qui m’est particulièrement cher » pourrait bien être la seconde femme de Dujardin, qu’il épouse en 1924. Il a alors 63 ans, elle est de trente ans sa cadette, elle serait donc née au début des années 1890. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une romancière et poétesse. Elle publie plusieurs romans, La guérison immorale, préfacé par Edouard Dujardin en 1929, Un de bonne famille en 1938 et beaucoup plus tard, en 1949, La Belle que voici, avec, encore lui, un avant-propos de Dujardin, qui meurt la même année, à 87 ans. Le titre rappelle le second vers de la célèbre comptine : « La belle que voici n’en reviendra jamais ». Ce roman pourrait bien être un hommage à l’auteur des Lauriers sont coupés (NDE).
77 Pierre-Jean Jouve (1887-1976), romancier, poète et critique. Au début des années 1920, grâce à la psychanalyste Blanche Reverchon, sa seconde femme qui est traductrice de Freud, il découvre l’importance de l’inconscient dans la production littéraire et artistique (peinture et musique). Il publie successivement les trois romans mentionnés par Dujardin : en 1925 Paulina 1880, que Bertuccelli adapte au cinéma (1972), Le Monde désert en 1927, Hécate en 1928 (NDE).
78 Marie-Anne Comnène (1887-1978) est une romancière, historienne et traductrice de lointaine origine grecque. Avec son mari Benjamin Crémieux, elle a traduit Pirandello. Son roman Rose Colonna date de 1930 (NDE).
79 Albert Cohen (1895-1981), poète, romancier, dramaturge suisse francophone, connu pour son engagement politique en faveur d’un Etat sioniste. Il écrit une saga qui prend la forme d’une tétralogie dont la rédaction demandera plus de trente ans : Solal (1930), Mangeclous (1938) et, troisième volet, Belle du Seigneur, commencé dans les années 30, mais publié par Gallimard en1968. Ce roman-fleuve lui vaut le Grand Prix de l’Académie Française, une critique unanimement élogieuse et un immense succès public. Un « chef-d’œuvre absolu », selon Joseph Kessel. La tétralogie sera complète avec Les Valeureux (1969) (NDE).
80 Léon-Paul Fargue (1876-1947), poète et essayiste, habitué des salons littéraires et des « mardis » de Mallarmé au début du siècle, il fréquente l’élite intellectuelle et se lit notamment d’amitié avec Maurice Ravel qui mettra Rêves (1929) en musique. Espaces et Sous la lampe sont de 1929 (NDE).
81 François Berge (dates) est le frère d’André Berge (voir II, p. 47, n. 8) avec qui il fonde en 1924 la revue Les Cahiers du mois. Traducteur (de l’allemand : Les Pygmées de Paul Schebesta, 1940) et romancier (La Fille Aztèque, 1928) (NDE).
82 Georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974), écrivain (romancier, dramaturge, poète), traducteur, peintre (familier de Duchamp et de Picabia), musicien, il est un membre actif du mouvement « dada » et fréquente les surréalistes avec qui il rompt en 1929. Frontières humaines, un de ses douze romans, date de 1929 (NDE).
83 Georges Pillement (1898-1984), essayiste, romancier, dramaturge et traducteur (93 traductions pour l’essentiel de l’espagnol), est spécialiste des littératures espagnole et hispano-américaine. Il a aussi écrit des livres d’art et de tourisme. Valencia entre deux rêves est publié par Grasset en 1931 (NDE).
84 Cf. ci-dessus Chap. III, note 8.
85 Cf. ci-dessus Chap. II, note 6.
86 Cf. ci-dessus Chap. III, note 24.
87 A la rencontre de France, 1930, précédemment paru dans La Nouvelle Revue Française de juillet même année (NDA) – Jacques de Lacretelle (1888-1985) écrivain et essayiste, membre influent de l’Establishment littéraire, connu notamment pour son second roman Silbermann (1922) contre l’anti-sémitisme, qui lui vaut le prix Femina et qui figurait en 1951 sur la liste des douze meilleurs romans du siècle.
88 L’imposture (Plon, 1927) est le second roman de Georges Bernanos (NDE).
89 Voir ci-dessus, pages 36-37 (NDA).
90 Un exemple de monologue « dissimulé » tel que l’imagine Dujardin en 1930 avait déjà été produit en 1923 par le dramaturge américain Eugene O’Neill avec Strange Interlude. Cette longue pièce – elle dure quatre heures – avait été montée à Broadway en 1928. Elle avait valu à O’Neill le Prix Pulitzer. Strange Interlude est le parfait exemple de ce que nous préférons appeler « discours intérieur ». Nous en donnons des extraits dans l’Annexé 2 « Les contemporains » (NDE).
91 Sont compris dans cet index les noms des écrivains dont une œuvre est mentionnée sans que leur nom soit donné (NDA = note de l’auteur). – Les chiffres romains renvoient à l’un des six chapitres ; les pages (p.) sont celles de l’original de 1931 ; les noms en italiques renvoient aux auteurs cités ou mentionnés dans les notes (n.) de l’éditeur (NDE).
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Référence papier
Edouard Dujardin, « ANNEXE », Modèles linguistiques, 76 | 2017, 205- 267.
Référence électronique
Edouard Dujardin, « ANNEXE », Modèles linguistiques [En ligne], 76 | 2017, document 9, mis en ligne le 10 juin 2019, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/5328 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.5328
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