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V. Deux prosateurs béarnais classiques

Petit historique de la graphie béarnaise

Jean-Marie Puyau
p. 163-169

Texte intégral

1Comme son nom l’indique, l’écriture dite béarnaise trouve son origine au XIe en Béarn et plonge ses racines dans les textes les plus anciens attestés jusqu’à présent. Voici ce qu’en écrit Yan dou Bousquét en 1897, dans le n° 1 des « Reclams de Biarn e Gascounhe » :

L'orthographe traditionnelle, celle de nos Chartes et de nos Fors, celle que préconise M. Lespy, veut…

2Le béarnais, qui fut jadis langue d’État en vigueur non seulement en Béarn mais également dans les pays voisins, Soule, Basse Navarre et Bigorre, n’a jamais cessé d’être écrit. Comme toute expression d’une communauté humaine, il a subi diverses influences culturelles au gré de l’histoire.

3La première normalisation, c’est-à-dire le passage de l’usage scriptural à la norme orthographique, a été opéré par Vastin Lespy (Pau 1817-1897) et rendue publique par l’édition de sa « Grammaire béarnaise » en 1858. Vastin Lespy, professeur au lycée impérial, futur lycée Louis Barthou, républicain convaincu, a fondé sa normalisation orthographique sur l’étude approfondie des textes anciens du béarnais, lui permettant de dégager une graphie traditionnelle qu’il a cependant su actualiser et rendre accessible au plus grand nombre en prenant en compte l’évolution « naturelle » de la langue béarnaise.

4Une quarantaine d’années plus tard, le 1er avril 1900, la graphie de Lespy a subi à son tour une normalisation opérée dans le cadre de la toute jeune société félibréenne, l’Escole Gastoũ Febus, sous la direction scientifique du linguiste romaniste, toujours de renom, Édouard Bourciez (1854-1946), qui fut sa vie durant professeur à l’Université de Bordeaux. Cette seconde normalisation de l’écriture béarnaise a rendu la graphie de Lespy plus simple encore mais, conséquemment, lui a enlevé, sinon un peu de son âme, du moins deux de ses traits caractéristiques qui constituent à eux seuls une part importante du capital identitaire béarnais :

  • -x/-ix pour transcrire le son [ch] comme dans Mirepeix, Baudreix, Loubix, Soeix ou Ledeuix ou même Amendeuix ;

  • le redoublement de certaines voyelles essentiellement en syllabe finale comme dans Laas, Morlaas, Neez, Puyoo

5Après cette seconde normalisation, une troisième s’en suivit en 1905 qui n’apporta rien de décisif et retira parfois un peu de clarté au texte rédigé par É. Bourciez. Fait plus marquant, dans son dictionnaire de 1932, Simin Palay introduit le « ẹ » dit pointé pour transcrire le [-e] final atone. Ce n’est que 70 ans plus tard que « Pays de Béarn et de Gascogne » puis l’IBG (Institut Béarnais et Gascon) l’adoptèrent finalement, après divers essais, sous l’impulsion lumineuse de l’universitaire palois, Bernard Moreux, qui proposa de remettre en usage cet habile procédé typographique que l’outil informatique permettait enfin de reproduire aisément.

6Notre graphie patrimoniale, qu’il convient résolument d’appeler béarnaise et non moderne (ce qui ne veut pas dire grand-chose, eu égard à la formidable relativité de ce qualificatif) ou pire encore, phonétique, ce qui pourrait signifier « dépourvue d’histoire » dans l’esprit de ceux qui utilisent cet adjectif, alors que c’est tout le contraire, eh bien notre graphie, donc, est bel et bien traditionnelle et héritière d’une longue histoire. Elle est en outre, malgré la normalisation félibréenne, encore porteuse d’une bonne dose d’identité béarnaise.

Quelques règles de prononciation pour lire le béarnais

Préambule

  • Transcriptions phonétiques en API – notez que [ś] et [ź] représentent des sifflantes apico-alvéolaires et que [ť] est un [t] palatal.

  • Conventions typographiques : le béarnais est écrit en italique, la transcription phonétique entre [crochets] et la traduction entre « guillemets ».

  • Sur le plan sociolinguistique, nous avons choisi de retranscrire le béarnais selon la variante de la région paloise.

  • Orthographe suivie pour la transcription des textes béarnais : celle de Simin Palay dans son monumental Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes (Paris, CNRS, 2ème édition, 1974, 1039 p.), avec cependant de menus assouplissements dans le but de respecter certaines variantes dialectales sensibles comme l’opposition [j] / [ӡ].

Quelles sont les principales différences par rapport à l’orthographe française ?

Premier principe à retenir

7→ tout ce qui est écrit se prononce, en particulier toutes les consonnes doubles et toutes les consonnes finales, à quelques exceptions près, comme dans le nom du petit pays qui a donné naissance à la langue béarnaise, le Béarn qui se dit [bi’arr] ou [be’arr] et que l’on écrit avec un –n final : Biarn / Bearn. En effet, ce –n final ne se fait entendre que dans la dérivation : Biarnés [biar ’neś].

  • Les consonnes doubles dans caddèt [kad’dεt] « cadet », calle [‘kallɔ] « caille  », pinnà [pin’na] « gambader  », arrecattà [arrekat’ta] « ranger »… s’entendent très nettement.

  • -s- / -ss- se prononcent comme en français sauf dans les mots suivants où –ss- a vraiment une prononciation géminée : dessarrà [deśśa’rra] « desserrer », dessecà [deśśe’ka] « dessécher », essegassà [eśśega’śa] « enlever les ronces  », desseparà [deśśepa’ra] « séparer », essoucà, [eśśu’ka] « dessoucher », essày [eś’śaj] « essai », essouyà [eśśu’ja] « ramoner »…

  • Consonnes finales : dans lou pas [lu’paś] « le pas », le -s se fait très nettement entendre, de même que le -t final dans qu'a cantàt [kakan’tat] « il a chanté » et le -p dans lou loup [lu’lup] « le loup ».

Deuxième principe à retenir

8→ l'accent tonique. En béarnais toutes les voyelles ne se prononcent pas avec la même intensité. Celles qui se prononcent avec plus de force que les autres sont appelées toniques. Pour faciliter le repérage et la lecture de ces voyelles dites toniques, nous les avons indiquées en caractères gras.

  • Aquéste gouyate que c a nte h è re ber ò y [a’keśtɔgu’jatɔke’kantɔ’hεrɔβe’rɔj]. →« Cette jeune fille chante très joliment. »

9On remarque rapidement qu’il n’y a que deux places possibles dans l’accent tonique béarnais :

  • sur l’avant-dernière syllabe →Minye ! [‘miɲɟɔ]« Mange ! »

  • sur la dernière syllabe →Que minyàm [kemiɲ’ɟam] « Nous mangeons. »

Les consonnes béarnaises ont la même valeur qu'en français sauf…

  • lh qui se prononce un peu comme le « -gli- » de l’italien ou le « - lh-  » du portugais  : lhéyt [λejt] « lit  », tribalhà [triba’λa] « travailler », sourélh [śu’reλ] « soleil ».

  • th final qui se prononce [t], [c] ou [ť] dans la montagne ou [ť] à l'ouest du Béarn, un peu comme dans le français « tiens » : bèth [bɛc] / [bɛť] « beau », éth [ec] / [eť] « lui ». Notez que la palatale [c] est en voie de disparition au profit de [tʃ]. th à l’initiale se prononce [ť] thic [ťik] « peu » ; à l’intervocalique il se prononcera [ť] ou [tʃ] : pothe [‘pɔťɔ] ou [‘pɔtʃɔ] « poche ».

  • ny qui ne se rencontre qu’entre deux voyelles et se prononce de manière particulière, comme s’il y avait une sorte de [d] transitoire entre le [n] et le [y]. Ainsi minyà [miɲ’ɟa] « manger », sìnyẹ [‘śiɲɟe] « singe ».

  • dy, qui ne se rencontre qu’entre deux voyelles et se prononce de manière particulière, comme s’il y avait un double [d] mouillé entre la voyelle et le [j]. Ainsi bilàdyẹ [bi’laɟɟe] « village », didyàus [diɟ’ɟauś] « jeudi ».

  • h qui est toujours fortement aspiré : hilh [hiλ] « fils », gahà [ga’ha] « prendre ».

  • r rr, (–r- simple et le –rr- double) qui n'ont pas la même prononciation, le premier est légèrement roulé avec un battement unique du bout de la langue, le second l'est beaucoup plus vigoureusement avec un battement multiple : lou pourét [lupu’ret] « le poulet » ≠ lou pourrét [lupur ’ret] « le poireau ».

  • y qui, en fin de mot ou après voyelle, équivaut au français « -ill » comme dans « bouille », « taille », « veille » ou « fille »... Ainsi qu’èy [kεj] « j’ai », que bouy [ke’βuj] « je veux », pay [paj] « père », que boy [ke’βɔj] « je vais », hèyte [‘hεjtɔ] « faite »…

  • -sc- qui se prononce comme deux « s » : descidà [deśśi’da] « décider »…

  • -sch- qui se prononce comme deux « ch » : escharre [eʃ’ʃarrɔ] « courtilière », eschourdà [eʃʃur ’da] « assourdir », eschalagàs [eʃʃala’gaś] « grosse averse ».

  • -bl- / -gl- qui, placés entre deux voyelles, se prononcent souvent comme s’il y avait deux –b- ou deux –g- : agradàblẹ [agra’dabble] « agréable », esbisaglà [eźbiźag’gla] « éblouir ».

Les voyelles béarnaises ont la même valeur qu'en français sauf…

  • -e- qui est prononcé [e] excepté quand il se trouve dans la dernière syllabe d'un mot qui en comporte plusieurs. Dans ce dernier cas, il est prononcé [ɔ], [ɐ] ou [æ]. Ainsi, dans l’expression « il se dispute », qui se dit en béarnais [keśpe’lejɔ], [keśpe’lejɐ] ou encore [keśpe’lejæ], écrit que-s peléye.

  • o / ò qui se prononce normalement très ouvert comme dans le français « bol ».

  • o qui, placé devant une voyelle, se prononce [ w ] : quoan [kwan] « quand », hoéc [hwek] « feu »…

  • -, appelé -e pointé, qui transcrit un [é] final atone : bàdẹ [‘bade] « naître », que léyẹn [ke‘lejen] « ils/elles lisent »…

Le u se prononce exactement comme dans le français « lune ».

10Cependant, lorsqu’il se trouve après une autre voyelle, il aura le son [ou] comme dans le français « poule », mais atténué. Soient les exemples ci-dessous.

  • au est prononcé [ au ], en insistant sur le : que bau [ke’βau]« je vais ».

  • èu est prononcé [ ɛu ], en insistant sur le è : lou cèu [lu’sɛu] « le ciel ».

  • éu est prononcé [ eu ], en insistant sur le é : lou péu [lu’peu] « les cheveux ».

  • iu est prononcé [ iu ], en insistant sur le : que biu [ke’βiu] « il vit ».

  • òu est prononcé [ ɔu ], en insistant sur le ò : que bòu [ke’βɔu] « il veut ».

L'accent circonflexe

11placé sur a, e, i, ou et u indique le caractère nasalisé de la voyelle : lou câ [lu’kã] « le chien », lou hê [lu’hẽ] « le foin », lou bî [lu’βĩ] « le vin », lou bouhoû [luβu’hũ] « la taupe », û [ỹ] « un ». D’une manière générale, toutes les voyelles nasales sont toniques.

12En béarnais, contrairement au français, les groupes -an, -en, -in, -un se prononcent respectivement, comme dans le français standard  :

« Anne », « benne », « fine », « lune ».

Écrire en béarnais

  • Se reporter aux paragraphes précédents consacrés à la lecture du béarnais, notamment au premier principe

  • L’alphabet utilisé dans cet ouvrage comprend 25 lettres :
    a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, w, x, y, z.

Noter que la lettre V

13qui est prononcée comme en français, n’est utilisée que dans des mots récemment empruntés à la langue française comme →validà [vali’da] – virùs [vi’ryś] ou velò [ve’lɔ]

  • En principe, ni le K ni le W ne font partie de l’alphabet béarnais ; ils seront néanmoins utilisés pour écrire les noms propres d’origine étrangère, comme le philosophe Kant, ainsi que les abréviations internationalement reconnues comme kg / km / kw...

  • Les variantes sont nombreuses en béarnais, elles sont retranscrites le plus souvent dans la manière d’orthographier les mots. Ainsi, « vous chantez » [kekan’tat] ou [kekan’tats], sera écrit soit que cantat soit que cantats, en fonction de la zone géographique du parler considéré. D’une manière générale en béarnais, le « y » [j] et le « j » [ʒ] en début de mot ou entre deux voyelles, alternent en fonction des zones dialectales. Ainsi, selon les endroits, « moi » se dit [ju] en béarnais, comme dans le français « yo-yo », ou bien [ʒu] comme dans « joujou », nous l’écrirons you ou jou ; « Il y a » se dit [ke’ja] ou [ke’ʒa], nous l’écrirons que y a ou que j a ; « Se promener » se dit [paśe’jaś] ou [paśe’ʒaś], nous l’écrirons passeyà- s ou passejà-s.

Accent tonique et accent écrit.

14Tous les accents écrits indiquent le caractère tonique de la voyelle et, s’il s’agit d’un e, ils précisent en outre son timbre : é / è [e] / [ε]. En dehors de l’accent circonflexe qui, nous l’avons vu plus haut, transcrit en béarnais un son nasal, les deux autres accents ont strictement la même valeur qu’en français :

  • l’accent aigu, qui ne s’emploie que sur le –e, ferme la voyelle en [e] →la létre pé [la’letrɔ’pe] « la lettre p » - qu’abém [ka’βem] « nous avons ».

  • l’accent grave ouvre la voyelle →lou pè [lu’pε] « le pied » - qu’abèm [ka’βεm] « nous avions ».

  • Sur les autres voyelles, a, i, o et u, l’accent grave signale le caractère tonique de la voyelle →àdyẹ [‘aɟɟe] « âge » - bìbẹ [‘biβe] « vivre » - òmi [‘ɔmi] « homme » - bùrrẹ [‘byrre] « beurre » - brrou [‘burru] « âne ».

  • D’un usage extrêmement rare en béarnais, le tréma ne se rencontre que sur le u après voyelle afin d’en préciser la prononciation non diphtonguée, comme dans le français « cahute » ou « bahut » →flaüte [fla’ytɔ] « flûte » - reüni [rrey’ni] « réunir ».

Quand faut-il accentuer les voyelles toniques ?

15Il faut mettre un accent écrit sur toutes les voyelles toniques, sauf sur –a, -i, -o, -u quand ils sont :

  • placés dans l’avant-dernière syllabe d’un mot terminé par un –e, suivi ou non d’une consonne →Cante ! [’kantɔ] « Chante ! » - que cantes [ke’kantɔś] « Tu chantes » - Que canten [ke’kantɔn] « Ils/ elles chantent » - bile [’bilɔ] « ville » - lendedie [lende’dijɔ] « lendemain » - Qu’espies [keś’pijɔś] « Tu regardes » - Qu’estudien [keśty’dijɔn] « Ils étudient » - coste [‘kɔśtɔ] « côte » - bougne [‘buɲɔ] « bosse » - puntes [‘pyntɔś] « pointes »…

Dans tous les autres cas, la voyelle tonique portera donc un accent écrit

  • é ou è, toujours accentués →counténte [kun’tentɔ] « contente » - bère [‘bεrɔ] « belle »…

  • cantà [kan’ta] « chanter » - bertàt [ber ’tat]« vérité » - acì [a’śi] « ici » - goarìt [gwa’ri] « guéri » - acò [a’kɔ] « ça » - esquilhòt [eśki’λɔt] « noix » - gahùs [ga’hyś] « hibou » - sablùt [śab’blyt] « sablonneux » - cal[ka’lu] « chaleur » - aglt [a’glut] « avalanche » - càdẹ [‘kade] « tomber » - que béni [ke’βeni] « je vends » - bèrrou [‘bεrru] « verrat » - bìmi [‘bimi] « osier » - lòcou [‘lɔku] « imbécile » - csẹ [‘kuźe] « coudre » - enclùmi [eŋ’klumi] « enclume »…

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Marie Puyau, « Petit historique de la graphie béarnaise »Modèles linguistiques, 66 | 2012, 163-169.

Référence électronique

Jean-Marie Puyau, « Petit historique de la graphie béarnaise »Modèles linguistiques [En ligne], 66 | 2012, mis en ligne le 07 mars 2013, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/298 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.298

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Auteur

Jean-Marie Puyau

Institut Béarnais et Gascon

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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