Les langues régionales face au français
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1Dès qu'il s'agit de distinguer ce qui différencie les diverses langues de France, il existe un grand flou dans l'esprit du grand public, qui a bien du mal à les définir par rapport à la langue française.
2S'il conçoit aisément que « la langue de la République française est le français », comme le spécifie l'Article 2 de la Constitution de la Cinquième République (25 juin 1992), il ne sait pas comment en délimiter les contours, sinon en la définissant comme la langue de référence, celle qui est enseignée à l'école, et qui est aussi celle des dictionnaires et des textes officiels.
3Il n'en reste pas moins qu'auprès du français, coexistent des langues dites régionales, et que grâce à l'amendement de la Constitution voté le 25 juillet 2008, il est désormais officiellement reconnu que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
4Mais qu'entend-on par langue régionale ? On en fait souvent un synonyme de dialecte ou de patois, l'un ou l’autre de ces termes correspondant à un idiome traditionnellement parlé sur un territoire particulier du pays. C'est alors qu'une deuxième question vient souvent à l'esprit, qui fait entrer en jeu une autre dénomination : la langue régionale se confond-elle avec le français régional ?
Langue régionale et français régional
5L'histoire linguistique de la France à partir du Moyen Âge peut aider à clairement les différencier.
6Dès la fin du XIIe siècle, la langue française — en particulier parce que c'était celle qui se parlait et s'écrivait autour du roi de France — avait commencé à acquérir un certain prestige. Elle avait déjà abondamment puisé dans les autres langues qui s'étaient développées ailleurs dans le pays : celles de ses voisins immédiats, mais aussi celle qui s'exprimait dans la poésie des troubadours du Midi , et qui lui apportait à la fois délicatesse et élégance, raffinement et nuances lexicales.
7Ainsi enrichie, et à mesure que le royaume s'agrandissait, la langue française avait réussi à s'imposer au cours des siècles à toute la population, un peu plus rapidement dans la moitié nord, et avec plus de retard dans la partie méridionale. Si bien qu'au moment de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui, en 1539, imposait le français à la place du latin dans tous les écrits officiels, cette langue française avait déjà fait du chemin dans l'ensemble du pays.
8Mais il ne faudrait pas croire que le français était déjà le moyen d'expression le plus naturel de tous les habitants de la France. Bien au contraire, pendant encore des siècles, le français était resté une langue seconde, apprise pour les besoins de la vie publique, tandis que pour tous les actes de la vie quotidienne, c'est la langue que les usagers nommaient le patois qui était employée spontanément, non seulement à la campagne, mais aussi dans les milieux urbains, en tous lieux et dans toutes les classes de la société : qu'on le nomme patois, dialecte ou langue régionale, il s'agit toujours de la même réalité, avec seulement des précisions portant sur le nombre d'usagers plus ou moins important et sur leur implantation géographique plus ou moins réduite.
9Ce n'est que vers le début du XXe siècle que les patois, ces langues régionales qui ne couvraient déjà que des zones géographiques peu étendues, ont commencé à reculer sérieusement devant le français des écoles de la République, une et indivisible, et soucieuse de promouvoir une langue unique, uniformisée et normalisée. Cette langue française idéalisée, et que l'on a depuis lors enseignée dans toute la France, a peu à peu pénétré dans chaque village. Mais comme elle se superposait chaque fois à des langues différentes, elle a été apprise et assimilée sans uniformité, aussi bien dans la façon de prononcer que de construire une phrase, et encore plus facilement dans le choix des formes lexicales, en donnant ainsi naissance dans chaque région à ce l'on a pu nommer un français régional.
Genèse du français régional
10Il en est résulté que les patois ont été progressivement supplantés par le français, jugé plus prestigieux car il était la langue de l'école et de l’ascension sociale.
11S'il est souvent difficile de faire le départ entre ce français régional et la langue de substrat qui lui a donné sa couleur, c'est parce que, dans l'usage de ceux qui étaient alors des bilingues dans leur vie quotidienne, les deux langues avaient peu à peu eu tendance à fusionner.
12Inversement, ce français appris par des patoisants avait lui-même subi l'influence de cette langue du terroir, et des formes patoises se sont introduites tout naturellement dans la langue commune. Sans doute les mots régionaux ont-ils d'abord été sentis comme étranges et étrangers dans une phrase française, pour ensuite se prononcer « à la française », et pour finir par ressembler à des mots français de souche. C'est cette langue que l'on qualifie de français régional, puisqu'il n'est connu ou employé que localement.
Les langues régionales de France
13On l'aura bien compris, les langues régionales ne se confondent pas avec le français régional, qui, lui, n'est qu'une variété de français, alors que les langues régionales se définissent comme des langues de différentes origines (latine, germanique, celtique ou encore d'origine inconnue, comme le basque), mais historiquement présentes sur le territoire français, de façon continue, et sur des emplacements géographiques bien identifiés.
14Le volume 66 de cette revue semestrielle, avec le béarnais et le gascon comme point de départ, inaugure toute une nouvelle série qui se propose d'offrir un panorama vivant d'une bonne partie des langues régionales qui ont accompagné l'histoire de la France depuis des siècles et qui, comme on pourra le constater, n'ont pas dit leur dernier mot.
Pour citer cet article
Référence papier
Henriette Walter, « Les langues régionales face au français », Modèles linguistiques, 66 | 2012, 13-15.
Référence électronique
Henriette Walter, « Les langues régionales face au français », Modèles linguistiques [En ligne], 66 | 2012, mis en ligne le 26 février 2013, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/280 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.280
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