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VARIA
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Le sort (cyclique) d’un infixe: *-id(i)- et ses avatars en ladin dolomitique

Claire Meul et Pierre Swiggers
p. 107-125

Résumé

Cet article fournit une analyse de processus, de nature cyclique, qui ont affecté le sort de l’infixe (latin) -ID(I)- en ladin dolomitique (variété « rhéto-romane »). Ce morphème, de nature dérivationnelle, a fait l’objet d’un processus d’intégration flexionnelle dans les verbes de la première conjugaison en ladin dolomitique, mais cette intégration (partielle) présente une intéressante variation diatopique et dastratique (examinée ici sur la base d’une enquête dialectologique), à laquelle s’ajoute l’action de facteurs glottopolitiques (en rapport avec le statut des différentes variétés ladines), lexicaux (opposition entre verbes héréditaires et néologismes), et sémantico-pragmatiques (exploitation fonctionnelle de l’infixation pour marquer des oppositions aspectuelles).

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Texte intégral

0. Introduction

  • 1 Nous adopterons ici le terme ‘infixe’ par conformité avec la tradition suivie par les grammaires hi (...)

1Dans cette contribution, qui se situe au carrefour de la grammaire comparée des langues romanes et de la typologie linguistique, nous examinons une série de phénomènes en rapport avec ce qu’on peut entendre par ‘élaboration flexionnelle’ et ‘désintégration flexionnelle’. Nous présenterons d’abord quelques considérations générales (1); ensuite, nous nous attacherons à circonscrire l’objet de cette étude, qui ressortit, de manière générale, à la restructuration des formes verbales du latin aux langues romanes (2). Nous nous intéresserons plus particulièrement à un problème de restructuration et de variation fonctionnelle, à savoir le sort de l’infixe1 verbal -id(i)- en ladin dolomitique, un ensemble de dialectes rhéto-romans parlés dans le massif des Dolomites en Italie septentrionale (3).

1. Considérations générales

2Par ‘élaboration/désintégration flexionnelles’ nous entendons des phénomènes morphologiques et morphosyntaxiques qui relèvent de la flexion, i.e. l’ensemble de marquages qui affectent, (en principe) de façon régulière, des paradigmes qui sont en corrélation avec les catégories grammaticales (telles que par ex. le genre, le nombre, la personne). La flexion se distingue (de manière plutôt graduelle qu’absolue) de la dérivation, qui englobe les marques qui affectent, de façon plus aléatoire, des fractions/sous-séries de paradigmes en corrélation avec des distinctions sémantiques (par ex., dans le domaine verbal, les catégories aspectuelles de l’inchoativité : dormir → s’endormir; de l’itérativité: sauter → sautiller; de la causativité: boire → abreuver, etc.).

  • 2 Comme l’avait observé Guillaume (cf. Guillaume 2004:141), la désintégration flexionnelle, ou ‘défle (...)

3L’élaboration (ou réélaboration, cf. infra) flexionnelle peut se dérouler selon différents vecteurs: (a) le passage de la dérivation à la flexion: par ex., le morphème dérivationnel latin -esc-, utilisé originellement pour la dérivation de verbes inchoatifs (ou ‘transformatifs’) (rubēre ‘être rouge’ rubēscĕre ‘devenir rouge, rougir’) acquiert un statut flexionnel dans la plupart des langues romanes (cf., en français, le morphème -iss de la conjugaison FINIR) ; (b) le passage d’un morphème libre à un morphème lié: par ex., l’agglutination de l’ablatif latin mente ‘de cette manière, dans cet esprit’ à des adjectifs (dans la forme féminine) afin de créer des adverbes en -ment (fr. rapide-ment, it. veloce-mente) (cf. Brinton & Traugott 2005 : 63) ; (c) l’apparition d’une flexion (par ex. à partir de morphèmes autonomes, éventuellement sous une forme tronquée). Parallèlement, la désintégration flexionnelle peut assumer plusieurs formes : (a’) passage de la flexion à la dérivation: par ex., la désinence – (voyelle)nt du participe présent qui peut acquérir une valeur nominalisante (= dérivationnelle) dans les langues romanes (par ex., en fr., les adjectifs puissant, savant) (cf. Luraghi 1998 : 355-365, Brinton & Traugott 2005 : 79) ; (b’) passage de la flexion à un statut lexical ou lexicalisé (Brinton & Traugott 2005 : 80 donnent comme exemple bus, formé sur la base du datif pluriel en -ibus dans omnibus ‘pour tous’) ; (c’) remplacement de structures dérivationnelles par des formes lexicales autonomes ou par des synthèmes comportant des éléments non liés (unbound forms) (cf. le remplacement de formes diminutives dérivationnelles par des lexèmes autonomes ou par des constructions avec un élément libre, de type ‘petit’, ‘moins/moindre’ etc.) ; (d’) perte de la flexion (cf. le phénomène général de la réduction ou même disparition de flexions casuelles)2.

2. Le passage du système verbal du latin aux langues romanes

4Les formes verbales (personnelles) du latin peuvent être décrites synchroniquement comme étant constituées de trois éléments :

  • 3 Il n’y a pas toujours de correspondance stricte entre le thème du perfectum et l’indication d’un pr (...)
  • 4 Cf. e.a. Aronoff (1994:45-46) pour une explication de cette notion.
  • 5 Le redoublement manque d’ordinaire dans les parfaits à altération vocalique (cf. Meillet & Vendryes (...)
  • 6 Le futur du subjonctif s’exprime au moyen d’une périphrase formée par le participe futur en -tūrus (...)
  • 7 Le passif du perfectum est obtenu par la combinaison du participe passé en -tus/sus et les formes d (...)

5Le système verbal du latin se fonde sur l’opposition entre deux blocs aspectuels : l’infectum, indiquant le processus en voie d’accomplissement vs le perfectum, indiquant le processus accompli. Tout verbe latin possède deux thèmes, l’un pour constituer les temps et modes de l’infectum ; l’autre pour former les temps et modes du perfectum3 (Meillet & Vendryes 1925:261). Mis à part les verbes irréguliers, la conjugaison latine comprend quatre types dans la formation de l’infectum : (1) les bases se terminant par la voyelle dite ‘thématique’4 -Ā- (1re conjugaison, type amā-(re)) ; (2) les bases se terminant par la voyelle thématique -Ē- (2e conjugaison, type monē-(re)) ; (3) les bases se terminant par les voyelles thématiques brèves -ĕ- ou -ĭ- (3e conjugaison, types tegĕ-(re), tĕg-o et capĕ-(re), căpi-o) ; (4) les bases formées par la voyelle thématique -Ī- (4e conjugaison, type audī-(re)). Quant à la formation des thèmes du perfectum, on distingue (i) les parfaits en -uī- précédé des voyelles thématiques -Ā- (la plupart des verbes de la 1re conjugaison: amāuī) ou -Ī- (la plupart des verbes de la 4e conjugaison : audīuī); (ii) les parfaits en -- non précédé d’une voyelle thématique (la plupart des verbes de la 2e conjugaison: monuī ; (iii) les parfaits dits ‘sigmatiques’ en -- (surtout des verbes de la 3e conjugaison: texī) ; (iv) les parfaits en -ī-, parfois avec altération de la voyelle radicale (fugĕre parf. fugī ; agĕre parf. egī), et/ou avec redoublement5 de la syllabe initiale (cadĕre cecidī ; currĕre cucurrī). Chacun de ces deux thèmes (infectum et perfectum) comporte, à l’indicatif, un présent, un prétérit et un futur, et au subjonctif, un présent et un prétérit6 (pour les différentes marques temporelles et modales qui y correspondent, cf. tableau [1]). Les marques temporelles et modales sont suivies par les désinences personnelles : à l’infectum, on a une flexion active et passive ; le perfectum, par contre, présente deux séries de désinences actives7, l’une pour l’indicatif parfait, l’autre (coïncidant avec les désinences actives de l’infectum) pour le reste des temps/modes parfaits. Quant à la structure morphologique ‘interne’ du radical, il peut s’agir soit d’un morphème simple (type dic-(ĕre)), soit d’un morphème complexe. Par morphème complexe, nous entendons les formes du radical verbal (remontant en général à une racine indo-européenne) dans lesquelles se présente un morphème dérivationnel qui lui-même peut être simple ou complexe (par ex., le morphème dérivationnel fréquentatif -(i)t-: dic-(i)t-(āre) ‘répéter’ < dic-(ĕre) ‘dire’). À son tour, le radical simple ou complexe peut être précédé d’un préfixe, identique avec ou réductible à une des prépositions en latin (par ex., pro-fug-(ĕre) < fug-(ĕre), pro-iec-t-āre ‘accuser’ < iac-t-āre ‘rejeter, relancer’, fig. ‘claironner, se vanter’ < iacĕre ‘jeter, lancer’).

6Le système verbal latin tel qu’il vient d’être décrit a été soumis à de nombreuses transformations (aussi bien dans la direction inflexive que déflexive) dans son évolution aux langues romanes. Nous en avons signalé quelques exemples dans le tableau [1] : on y voit que les transformations affectent les trois constituants principaux (base – marques temporelles/modales – désinences personnelles) de la forme verbale en latin. Dans ce qui suit, nous nous attarderons sur les processus qui ont affecté le morphème dérivationnel -id(i)- dans son évolution du latin aux variétés du ladin dolomitique.

  • 8 Cf. à ce propos e.a. les études de Sittl (1884), Sinclair (1954) et surtout Berrettoni (1971) et Ha (...)
  • 9 Cf. Iliescu (1990:163-164): «Il est parfois difficile d’établir s’il s’agit, comme point de départ, (...)
  • 10 Dans les langues romanes, des doublets, où des formes infigées peuvent alterner avec des formes non (...)
  • 11 Certaines variétés romanes (e.a. corse, piémontais) et rhétoromanes (romanche) dispose d’un autre p (...)
  • 12 Cf. e.a. Tekavčić (1972, vol. II:335-337, 434-444), Meyer-Lübke (1890-1906, vol.II:268-269), Rudes (...)

7À ce propos, il convient de préciser que le parcours suivi par -id(i)- coïncide partiellement avec celui de l’infixe -i/esc-. Ce dernier avait acquis en latin une très grande vitalité8, en tant que morphème dérivationnel des verbes dits ‘inchoatifs’ (en scĕre). Le point de départ de la dérivation inchoative était le plus souvent un verbe statif en -ēre (cf. cal-ēsc-ĕre ‘devenir chaud’ < calēre ‘être chaud’), mais on trouve également des dérivations à partir de substantifs (ign-ēsc-ĕre ‘prendre feu’ < ignis ‘feu’) ou d’adjectifs9 (clār-ēsc-ĕre ‘devenir clair’ < clārus ‘clair’) (cf. Haverling 2000 ; Maiden 2003:8). Quant à sa distribution à l’intérieur du paradigme verbal latin, l’infixe -i/esc- était limité aux temps et modes de l’infectum (cf. aussi le tableau [1]: ind.prés. 1. erub-ēsc-ō ‘je deviens rouge’ vs ind.parf. 1. erubŭi ‘je suis devenu rouge’). Son absence du perfectum est traditionnellement expliquée par une incompatibilité sémantico-aspectuelle : l’infixe, exprimant la transformation d’un certain état, est sémantiquement incompatible avec le parfait, qui indique l’accomplissement de cette transformation, et par conséquent l’acquisition d’un état permanent (cf. Berrettoni 1971 : 155). En espagnol et en portugais, le statut dérivationnel de l’infixe -i/esc- a été (partiellement) respecté au plan sémantique (par ex., esp. abon-ec-er ‘améliorer’ < bueno ‘bon’, afortal-ec-er ‘renforcer’ < fuerte ‘fort’, Dworkin 1985 : 298), mais l’infix a été réinterprété au niveau paradigmatique : il s’y est étendu à toutes les formes du paradigme verbal, celles du perfectum (cf. en port. ind.parf. 1. pad-ec-í) incluses. D’autres évolutions se sont produites dans les langues gallo- et italo-romanes, ainsi qu’en catalan, où l’infixe -i/esc- a perdu entièrement sa valeur sémantique inchoative et est devenu partie intégrante10 d’une sous-classe de verbes de la «quatrième» conjugaison, c’est-à-dire celle en -i-. Quant à sa distribution ‘intra-paradigmatique’, dans les langues gallo- et italo-romanes, l’infixe a été imbriqué dans de nombreux ‘patrons’ distributionnels (cf. Maiden 2003). Ainsi, en français (standard), il se manifeste dans toutes les personnes de l’indicatif (1. je fin-i-s = °|finiS|, avec soustraction du morphophonème /S/, vs je mens, 4. nous fin-iss-ons) et du subjonctif présents (1. que je fin-iss-e, 2. que nous fin-iss-ions), de l’indicatif imparfait (1. je fin-iss-ais) et du participe présent (fin-iss-ant), mais il n’apparaît pas dans le futur simple (1. je finirai ~ je mentirai), le conditionnel (1. je finirais ~ je mentirais), l’indicatif parfait (1. je finis ~ je mentis), le subjonctif imparfait (1. je finisse ~ je mentisse), le participe passé (1. j’ai fini ~ j’ai menti) et l’infinitif (finir ~ mentir), où il faut accepter comme base descriptive l’allomorphe /fini/. La configuration est différente dans les langues italo-romanes et en catalan, où l’insertion de l’infixe est limitée aux formes verbales à radical tonique, i.e. en général11 le singulier et la troisième personne du pluriel de l’indicatif et du subjonctif présents (cf. en italien, ind.prés. 1. fin-ísc-o vs 4. Finiámo ; subj. prés. 1. fin-ísc-a vs 4. Finiámo ; ind.imp. 1. Finívo ; ind.fut.s. 1. finirò, etc.). Traditionnellement12 on se réfère à des facteurs phonologiques pour expliquer le lien entre l’infixe et les formes originellement rhizotoniques du paradigme verbal : l’insertion de l’infixe (tonique) ‘stabilise’ la position de l’accent sur la terminaison et protège ainsi le radical contre des changements vocaliques (surtout la diphtongaison) qu’il subirait suite au déplacement de l’accent (cf., par ex., en fr., un verbe de la 4e sans infixe : part-ir, ind.prés. 3. il part(-t) vs un verbe de la 4e conjugaison avec infixe : pourr-ir, ind. prés. 3. il pourr-i-t ; en it., un verbe de la 4e sans infixe mor-ire, ind. prés. 3. muor-e vs un verbe de la 4e avec infixe : forn-ire, ind.prés. 3. forn-ísc-e).

8Or, c’est la configuration rhizotonique (insertion de l’infixe dans l’ind./subj.prés. 1, 2, 3, 6 vs absence de l’infixe dans le reste du paradigme) que nous retrouvons pour les vestiges de l’infixe -id(i)- dans les dialectes ladins dolomitiques. Contrairement à l’infixe -i/esc-, l’infixe -id(i)- en ladin dolimitique s’est intégré à la première conjugaison (i.e. la conjugaison en -a-). Nous y reviendrons dans la section suivante.

Fig. 1: Structure de la forme verbale en latin et processus évolutifs du latin aux langues romanes.

3. Le sort de -id(i)- dans les variétés du ladin dolomitique

3.1. Parcours historique: de -id(i)- en latin vers -e(i)- en ladin dolomitique

  • 13 Le segment -ίζ- a été adopté en latin d’abord sous la forme –ISS- (cf. graecisso, purpurisso, etc.) (...)

9Comme son homologue -i/esc-, le segment -id(i)- (et ses variantes orthographiques -iz- et -iss-), hérité du grec -ίζ-13, remplissait en latin une fonction dérivationnelle (sans restriction à l’infectum), d’abord dans les verbes provenant de verbes grecs en -ίζω (par ex., gargar-idi-āre ‘se gargariser’ < γαργαρίζειν), et dans un stade plus avancé en tant que morphème dérivationnel qui se joint à des bases proprement latines (par ex., amār-iz-āre ‘rendre amer’ < adj. amārus,-A,-UM ‘amer’, tabl-iss-āre ‘jouer aux dés’ < tab(ul)a ‘plateau, table (de jeu)’) (Job 1893:361). Dans son évolution aux langues romanes, -id(i)/iz/iss- maintient ce statut dérivationnel / lexical(isé). En français, la forme (populaire) -id(i)-, générant pour la plupart des verbes à aspect itératif-intensif, aboutit à la désinence –oy[-er] (guerr-oy-er, flamb-oy-er, nett-oy-er), qui correspond à l’italien -eggi[-are] (guerr-eggi-are, drap-eggi-are ‘draper’), au roumain –ez[-a] (rînch-ez-a ‘ronfler’, cut-ez-a ‘risquer’), et à l’espagnol et au portugais -e(j)[-ar] (esp./port. guerr-e-ar, port. baf-ej-ar ‘insuffler, réchauffer, (fig.) avantager’) (cf. Meyer-Lübke 1890-1906, vol. II : 660-661). D’autre part, en roumain, en ladin dolomitique, et dans de nombreux dialectes italiens (e.a. l’abruzzien, le trévisan, le napolitain, le corse), -id(i)- a acquis, outre sa fonction dérivationnelle, un rôle flexionnel, se limitant aux formes rhizotoniques (= les personnes 1, 2, 3 et 6 de l’indicatif et du subjonctif présents), du paradigme d’une sous-classe de verbes de la première conjugaison. Nous présentons ci-dessous les distributions (parallèles) des vestiges des infixes -id(i)- et -i/esc- en ladin dolomitique, respectivement caractéristiques de la première et quatrième conjugaison (Valentin 2008 : 54, 117) :

Fig. 2: Les paradigmes Ia/b et IVa/b en ladin dolomitique (badiot).

3.2. Le problème à étudier: approche méthodologique

  • 14 Plus précisément, des 2040 verbes de la première conjugaison, 619 verbes (= 30,3% du corpus) étaien (...)
  • 15 Les verbes avaient été sélectionnés entre autres en fonction de leur occurrence ‘pan-dialectale’: a (...)

10Une étude pilote (cf. Meul 2009) effectuée sur la base du dictionnaire de la variante badiot de Mischì (2001) avait démontré que, contrairement à ce qui était le cas pour l’infixe -ësc- (< -i/esc-), la délimitation des sous-groupes Ia vs Ib en ladin était loin d’être stable, et que l’insertion l’infixe -ëi- (< -id(i)-) dans les formes rhizotoniques du paradigme verbal était souvent facultative : des 2040 verbes de la première conjugaison répertoriés dans le dictionnaire de Mischì, une centaine14 de verbes admettaient – selon le dictionnaire – aussi bien le paradigme sans infixe que le paradigme avec infixe. Afin de mieux comprendre la variabilité du mécanisme l’infixation en ladin dolomitique, nous avons proposé, lors d’une enquête menée sur le terrain, un répertoire d’à peu près 140 verbes de la première conjugaison à 77 locuteurs ladins, à qui nous avons demandé de fournir la troisième personne de l’indicatif présent (une forme susceptible de recevoir l’infixe, cf. le tableau [2]) des verbes en question. Le réseau d’enquête comprenait treize villages, distribués sur cinq vallées. Neuf variétés ladines différentes ont été examinées, à savoir le badiot parlé dans la partie méridionale et le marebban dans la partie septentrionale du Val Badia ; le gardenais dans le Val Gardena ; le fassan (subdivisé dans les sous-dialectes brach, cazet et moenat) dans le Val di Fassa ; le fodom dans la partie occidentale et le collais dans la partie orientale du Val Cordevole ; et, finalement, l’ampezzan parlé à (et dans les alentours de) Cortina d’Ampezzo (cf. fig. [3])15. Nos informateurs étaient répartis en trois fourchettes d’âge (12-30 ans vs 31-50 ans vs +50 ans). Par village, nous avons interviewé une moyenne de six locuteurs, dont, idéalement, deux personnes entre 12 et 30 ans, deux entre 31 et 50 ans et deux locuteurs ayant plus de 50 ans. Ce n’est que pour les dialectes badiot, marebban, et gardenais que nous avons pris en compte plusieurs villages ; quant aux autres variétés ladines, nous avons limité les enquêtes à une seule localité (donc 1 village par dialecte). Dans ce qui suit, nous présenterons les résultats les plus importants de cette recherche.

Fig. 3: Variétés ladines et villages ayant fait l’objet de l’enquête.

3.3. Résultats et éléments d’interprétation

  • 16 Nous avons ‘hiérarchisé’ les facteurs causatifs en fonction de leurs ‘valeurs d’effet’, i.e. des me (...)

11Les enquêtes ont confirmé, voire renforcé, l’impression de la ‘versatilité’ du phénomène de l’infixation en ladin dolomitique. Ainsi, des 141 verbes retenus dans notre échantillon, il n’y en avait que 16 (+/- 11% du questionnaire) qui étaient, sans exception (i.e., chez tous nos informateurs, indépendamment de leur âge ou de leur dialecte), conjugués sans infixe ; et, inversement, 2 (+/- 1%) verbes conjugués par tous les informateurs avec infixe. Cela implique que pour la plupart du corpus, i.e., les 123 verbes (+/- 87%) restants, nous avons pu identifier les deux formes avec et/ou sans infixe. L’analyse statistique des réponses de nos informateurs a révélé que la tripartition du stock (verbes sans infixe vs verbes avec infixe vs verbes sans/avec infixe) se fonde sur un réseau de variables linguistiques, géolinguistiques (diatopiques et géographiques, la situation géographique étant liée à un contexte glottopolitique différent) et sociales. Nous les parcourrons ci-dessous par ordre de priorité16.

  • 17 L’origine étymologique des verbes a été établie à l’aide de l’Etymologisches Wörterbuch des Dolomit (...)
  • 18 Dans les exemples que nous citons, nous n’indiquerons que les radicaux des infinitifs; les désinenc (...)

12Le premier constat qui s’impose est que l’insertion de l’infixe est a priori déterminé par deux critères de type ‘intralinguistique’, à savoir l’origine étymologique des verbes et la constitution prosodique du radical verbal. Plus précisément, pour qu’un verbe soit susceptible de recevoir l’infixe, il faut (généralement) qu’il soit (a) caractérisé comme ayant une origine17 non indigène (néologismes, tels que film-18 ‘filmer’, fotocopi-, program- ‘programmer’; emprunts aux dialectes allemands, tels que ciauni- ‘mâcher’ < vieux haut-allemand kiuwan ; tafl- ‘couvrir de bois’ < tirolais täflen; emprunts aux dialectes italiens septentrionaux (vénètes), tels que davagn- ‘gagner’ < vénète davagnar-) et/ou (b) reconnu comme ayant un radical polysyllabique, souvent formé à l’aide de certains suffixes dérivationnels/évaluatifs intégrés au thème verbal (par ex. pascent- ‘paître’ < latin pascĕre + suffixe factitif -ent-āre ; sfrogor- ‘fragmenter, éparpiller’ < latin fricāre + suffixe diminutif/fréquentatif -ul-āre). D’autre part, les verbes qui ne peuvent prendre l’infixe (il s’agit de 16 verbes dans notre cas) s’avèrent être, pour la plupart, des verbes indigènes, remontant, par voie directe, au latin (par ex. adurv- ‘utiliser’ < latin adoperāre, salud- ‘saluer’ < latin salūtāre) et/ou des thèmes verbaux simples, monosyllabiques (sporc(h)- ‘salir’ < it. sporcare, zac(h)- ‘mâcher’ < dialecte it. septentrional zacàr). Les deux verbes de notre échantillon qui étaient conjugués invariablement (et donc par tous les informateurs) avec l’infixe, à savoir plindern- ‘saccager, déménager’ et passen- ‘convenir’, sont deux emprunts au tirolais (plindern, passn), qui en outre se terminent tous les deux par le morphème -en- (ou -n syllabique), caractéristique des infinitifs allemands.

13La zone ‘grise’ constituée des 123 verbes de notre corpus pour lesquels nous avons pu identifier les deux formes – avec/sans infixe – est donc circonscrite par deux facteurs intralinguistiques, l’un étymologique, l’autre de type morpho-prosodique. Nous avons pu constater que l’attitude ‘ambigüe’ de ce groupe de verbes face à l’insertion de l’infixe peut se situer à deux niveaux: (1) parfois les deux formes (sans et avec infixe) d’un verbe ont été réalisées/acceptées par le même locuteur (variabilité libre ‘intrapersonnelle’) ; (2) parfois les deux formes (sans et avec infixe) d’un verbe étaient citées par des locuteurs différents, appartenant à différentes fourchettes d’âge dans la même communauté, ou à un autre sous-groupe dialectal (variabilité libre ‘interpersonnelle’ ou variabilité ‘diatopique’). Dans cette optique, pour chacun de ces 123 verbes, un locuteur donné peut donc opter pour un (i) un ind. prés. 3. sans infixe ; (ii) un ind.prés. 3. avec infixe; (iii) deux ind. prés. 3., l’un sans infixe, l’autre avec infixe. Le problème qui se pose alors consiste à déterminer les facteurs qui jouent dans les options prises quant à la conjugaison des verbes appartenant à cette ‘zone grise’.

  • 19 Par contre, nous avons constaté que la variation ‘micro-dialectale’ (= différences entre les villag (...)

14Il est apparu que le choix ((i), (ii), ou (iii)) du locuteur est déterminé en premier lieu par son appartenance ‘dialectale’ (et géopolitique). De l’analyse statistique que nous avons effectuée, il appert que les variétés ladines que nous avons examinées attestent des attitudes divergentes par rapport à l’insertion de l’infixe19. Nous avons pu subdiviser la zone ladine en trois groupes dialectaux entre lesquels il y a des différences (statistiquement) significatives quant à l’insertion de l’infixe.

  1. Un premier groupe est constitué par les locuteurs badiots, marebbans et gardenais (cf. supra, fig. [3]), qui se sont révélés les plus enclins à employer l’infixe: ils conjuguent, en moyenne, 50% (badiot), 47% (marebban) et 45% (gardenais) des 123 verbes concernés avec l’infixe.

  2. Cette tendance s’inverse dans un deuxième groupe, formé par les locuteurs du collais, du fassan et de l’ampezzan, qui, en moyenne, ne conjuguent, respectivement, que 22% (collais), 17% (fassan) et 15% (ampezzan) du répertoire avec l’infixe.

  3. Une position intermédiaire est occupée par les locuteurs du fodom, qui, en moyenne, insèrent l’infixe en 37% des cas.

  • 20 Nous pensons ici en premier lieu à l’organisation du système éducatif. Ainsi, dans les vallées de B (...)

15Les raisons sous-tendant cette bi-/tripartition dialectale/géolinguistique par rapport au mécanisme de l’infixation sont à chercher, à notre avis, dans le contexte politico-administratif et glottopolitique des vallées. Plus particulièrement, dans le Val Badia (dialectes badiot et marebban) et dans le Val Gardena (dialecte gardenais), le ladin est beaucoup plus enraciné dans la vie quotidienne et jouit en même temps de plus de facilités et de droits socio-administratifs20. Dans cette perspective, il n’est donc pas surprenant qu’un processus typique et très ‘ladinisant’, telle que l’infixation dans les verbes de la première conjugaison, y soit plus productif que dans les autres vallées (Cordevole, Fassa et Ampezzo) qui sont plus ‘italianisées’, aussi bien au niveau politique et administratif qu’au niveau linguistique.

  • 21 Plus particulièrement, il s’agit des verbes suivants: s’abun- ‘s’abonner’, colaur- ‘collaborer’, de (...)

16Une observation complémentaire est que la différence entre trois groupes dialectaux par rapport à l’insertion de l’infixe était surtout perceptible en ce qui concerne la conjugaison des néologismes. Treize21 des 123 verbes ont été considérés comme étant des verbes néologiques, empruntés aux langues standard environnantes (l’italien et l’allemand). Ainsi, les locuteurs appartenant au premier groupe dialectal établi ci-dessus, c.-à-d. le badiot, le marebban et le gardenais, ont préféré, en règle générale – respectivement en 95%, 88% et 73% des cas – les formes avec infixe pour les verbes néologiques (donc par ex. parchej-ëi-a ‘il gare (la voiture)’ plutôt que parcheja). En fodom, le pourcentage des néologismes conjugués avec infixe diminue à 50%, et en collais, en fassan et en ampezzan les proportions se sont à nouveau complètement renversées, les néologismes étant conjugués généralement sans infixe (donc parcheja plutôt que parchej-é-a). Ces observations concordent avec la subdivision géographique du territoire établie ci-dessus et s’expliquent de la manière suivante: dans le Val Badia et le Val Gardena,l’infixe sert à signaler le caractère «ladin» des verbes néologiques (distingués ainsi de leurs sources italiennes ou allemandes), alors que dans le reste du territoire ladin, l’absence de l’infixe dans les verbes néologiques confirme l’absence de non-démarcation des variétés ladines par rapport aux langues prêteuses (l’italien et l’allemand).

17L’alternance formelle (insertion/omission de l’infixe) se double parfois, dans les zones où le marquage de la ‘ladinité’ est le moins fort, d’une exploitation fonctionnelle: on y relève, sporadiquement, une différenciation ‘sub-sémantique’ (de nature aspectuelle) entre formes sans et formes avec infixe. Plus particulièrement, il est apparu, au cours des enquêtes, que les locuteurs fassans et ampezzans acceptent, pour certains verbes, les deux formes avec/sans infixe avec beaucoup plus de facilité que les locuteurs des autres variétés ladines (cf. supra, l’option (iii) et ‘variabilité intrapersonnelle’). Il s’est avéré que cette abondance de doublets de formes infixées vs formes non-infixées pouvait entraîner certaines nuances de type sémantico-aspectuel. Ainsi, les locuteurs fassans et ampezzans (et dans une mesure beaucoup plus restreinte les locuteurs des autres variétés ladines) avaient parfois tendance à associer la forme sans infixe avec des événements instantanés/concrets/ponctuels, tandis que la forme correspondante avec infixe était mise en rapport avec des actions générales ou typiques, habituelles, ou caractéristiques, souvent appuyées au niveau syntaxique par l’addition de certains compléments adverbiaux exprimant l’itération, la continuité ou le caractère habituel. Cf. les exemples suivants (dialecte ampezzan) :

  • Él pìzo él ciácola con él dotór ‘le garçon bavarde avec le médecin’ vs Él pìzo nó laóra ma él ciacol-é-a dutaldì ‘le garçon ne travaille pas, mais bavarde toute la journée’ 

  • Él s’inaprofita che sa màre non é ‘il profite de l’absence de sa mère’ vs Él ʼl é un che s’inaprofit-é-a ‘c’est quelqu’un qui en profite, c’est un profiteur’ (avec une connotation générique: un bon vivant; un profiteur éhonté)

  • 22 Une enquête supplémentaire (réalisée en juillet-août 2009) a révélé en effet qu’on retrouve le même (...)
  • 23 Par le biais d’une enquête électronique (février 2009), centrée sur la valeur aspectuelle de l’infi (...)

18Ce phénomène de différenciation aspectuelle entre paradigme sans et avec infixe se présente principalement en fassan et en ampezzan : dans respectivement 52% et 56% des cas, les locuteurs identifient les différences sémantico-aspectuelles susmentionnées. Dans les autres variétés, ces pourcentages ne s’élèvent qu’à 3% des cas au maximum. Nous proposons comme hypothèse qu’il s’agirait d’une particularité propre aux variétés plus ‘périphériques’22 du ladin, proches du vénitien. Cette (ré)interprétation de l’infixe en tant que marqueur de l’aspect habituel (ou typique, ou générique) semble s’inscrire dans une évolution ‘déflexivisante’ (et ‘lexicalisante’) qui s’est accomplie ou est en train de s’accomplir: de morphème flexionnel, fonctionnant comme pivot ‘vide’ de structuration verbale, vers un segment doté de caractéristiques semi-dérivationnelles / déverbatives. Une analyse plus approfondie23 a révélé qu’il s’agit bel et bien d’un statut semi-dérivationnel, semi-flexionnel: malgré ses valeurs sémantico-aspectuelles, l’infixe demeure circonscrit aux formes rhizotoniques du paradigme verbal. L’extension de l’infixe vers les formes arhizotoniques (par ex. ind.prés. 4. nos *ciacol-é-ón, 5. vos *ciacol-é-à) est rejetée et considérée comme hautement agrammaticale. Un énoncé du type ‘nous bavardons toujours’ correspondrait donc, malgré ses connotations habituelles, à nos ciacolón sènpre (ampezzan), avec un ind. prés. 4. sans infixe.

19La détermination linguistique (origine étymologique et schème prosodique) et la détermination diatopique et géopolitique se croisent avec un facteur sociolinguistique : en effet, l’infixation en ladin dolomitique est également conditionnée par des variables sociales (sociolinguistiques). Plus particulièrement, nous en avons pu isoler deux qui se sont avérés pertinents, à savoir l’âge des locuteurs et leurs compétences / affinités en / avec (le) ladin. Quant à ce premier facteur, l’analyse statistique a démontré que les informateurs les plus jeunes, i.e. ceux entre 12 et 30 ans (cf. supra), étaient significativement moins tentés d’utiliser l’infixe, ce qui laisse présager que la conjugaison à infixe est en voie d’extinction chez la plus jeune génération de locuteurs. Quant au rapport entre l’infixation et le degré d’affinité des locuteurs avec leur dialecte, nous avons pu établir que, curieusement, les locuteurs non-natifs (ceux qui n’ont appris le ladin qu’à un âge plus avancé, comme deuxième ou troisième langue à côté de l’italien et/ou de l’allemand) emploient plus fréquemment l’infixe que les locuteurs natifs du ladin. On se trouve ici devant un cas d’hypercorrection: le paradigme sans infixe est ressenti facilement comme étant trop semblable aux langues maternelles (l’italien et/ou l’allemand), d’où les locuteurs en question préfèrent, en parlant le ladin, faire usage de l’infixe qui ajoute une tonalité ‘ladinisante’ à la forme verbale.

4. Conclusion

20Nous avons étudié ici un aspect du processus complexe de la désintégration et de la réélaboration du système flexionnel verbal dans le passage du latin aux langues romanes. Le cas particulier du sort de l’infixe -ID(I)- en ladin dolomitique nous a paru très intéressant, vu que sa complexité exemplifie l’interaction – à une intensité et un degré d’intégration variables – entre des facteurs d’ordre synchronique et diachronique, d’ordre diatopique et géopolitique, et d’ordre sociolinguistique. Ce cas illustre aussi que l’évolution de structures flexionnelles et dérivationnelles n’est pas un processus monolithique, mais qu’il s’agit d’une mosaïque de développements à conditionnement variable et soumis à des réélaborations et ‘réinterprétations’ formelles et fonctionnelles, en rapport étroit avec la situation concrète des parlers et de leurs locuteurs.

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Notes

1 Nous adopterons ici le terme ‘infixe’ par conformité avec la tradition suivie par les grammaires historiques romanes (Meyer-Lübke 1890-1906, Rohlfs 1966-1969, Tekavčić 1972). Notons toutefois que le terme s’applique habituellement aux consonnes insérées à l’intérieur des racines verbales (cf. les nasales infigées /m/ et /n/ dans les indicatifs présents latins ru-m-pere ‘casser, briser’ et vi-n-cere ‘gagner’, s’opposant aux parfaits sans l’infixe nasal rŪpĪ et vĪcĪ. Les morphèmes analysées ici ont été appelés par d’autres auteurs ‘suffixe’, ‘affixe’ ou ‘interfixe’ (cf. Malkiel 1958 et 1973-1974) et ‘augment’ (Maiden 2003, 2005a/b).

2 Comme l’avait observé Guillaume (cf. Guillaume 2004:141), la désintégration flexionnelle, ou ‘déflexivité’ est à apprécier comme un processus graduel et non absolu: «Historiquement, elle [sc. la déflexivité] va à l’extrême, qu’elle avoisine d’aussi près que possible, sans jamais atteindre au degré qui serait une annulation absolue de l’inflexivité».

3 Il n’y a pas toujours de correspondance stricte entre le thème du perfectum et l’indication d’un procès accompli: cf. le cas des prétérito-parfaits (meminī ‘je me souviens’, ōdī ‘je hais’) (cf. Meillet & Vendryes 1925:263).

4 Cf. e.a. Aronoff (1994:45-46) pour une explication de cette notion.

5 Le redoublement manque d’ordinaire dans les parfaits à altération vocalique (cf. Meillet & Vendryes 1925:266).

6 Le futur du subjonctif s’exprime au moyen d’une périphrase formée par le participe futur en -tūrus suivi du subjonctif présent de esse (sim, sis, sit, etc.).

7 Le passif du perfectum est obtenu par la combinaison du participe passé en -tus/sus et les formes de l’auxiliaire esse (par ex., mŏnitus sum ‘j’ai été averti’).

8 Cf. à ce propos e.a. les études de Sittl (1884), Sinclair (1954) et surtout Berrettoni (1971) et Haverling (2000); pour l’analyse morphologique, cf. surtout Keller (1992).

9 Cf. Iliescu (1990:163-164): «Il est parfois difficile d’établir s’il s’agit, comme point de départ, d’un nom ou d’un verbe. La seule possibilité d’orientation est la chronologie des attestations, mais les sources sur lesquelles se basent les dictionnaires n’enregistrent évidemment pas tous les exemples».

10 Dans les langues romanes, des doublets, où des formes infigées peuvent alterner avec des formes non infigées, sont extrêmement rares. En italien, par exemple, l’insertion de l’infixe est optionnelle dans une dizaine de verbes, tels que aborrire, applaudire, comparire, mentire, nutrire, mais, contrairement à la situation en latin, il n’y a (en général) pas de différence sémantico-aspectuelle entre le paradigme sans infixe et le paradigme avec infixe.

11 Certaines variétés romanes (e.a. corse, piémontais) et rhétoromanes (romanche) dispose d’un autre patron accentuel, selon lequel la 1re et 2e personne du pluriel du subjonctif présent sont également rhizotoniques et insèrent donc l’infixe (cf. en corse, ind.prés. 4. dormímu/finímu vs sub.prés. 4. fórmimu/fin-ísch-imu) (Marchetti 2001:31).

12 Cf. e.a. Tekavčić (1972, vol. II:335-337, 434-444), Meyer-Lübke (1890-1906, vol.II:268-269), Rudes (1980), Anderson (2008:16-17). Pour une explication différente, cf. Maiden (2003, 2005a/b)

13 Le segment -ίζ- a été adopté en latin d’abord sous la forme –ISS- (cf. graecisso, purpurisso, etc.), puis réintroduit sous la double forme -iz/idi-āre (baptizāre ~ baptidiāre). La graphie -idi-āre est plutôt rare et considérée comme appartenant à la langue populaire. Plus précisément, elle serait à attribuer à la confusion phonétique (par assibilation) entre -z- (originellement [(d)z]) et -di- (originellement [dj]) (en témoignent les nombreuses confusions graphiques: zabolus, zeta, oze au lieu de diabolus, dieta, odie, et, inversement, oridia au lieu de oryza) (cf. Väänänen 1967:54-55, Sturtevant 1940:176). Selon Job (1893:356): «[…] sous l’une quelconque de ces formes, ss, di, z, c’est toujours au même phonème que nous avons affaire».

14 Plus précisément, des 2040 verbes de la première conjugaison, 619 verbes (= 30,3% du corpus) étaient indiqués comme étant conjugués sans infixe, 1292 verbes (= 63,3%) comme étant conjugués avec infixe, et 129 verbes (= 6,3%) comme admettant aussi bien les formes sans que les formes avec infixe.

15 Les verbes avaient été sélectionnés entre autres en fonction de leur occurrence ‘pan-dialectale’: afin d’obtenir neuf questionnaires parallèles, nous avons retenu surtout des verbes connus dans les neuf variantes examinées. Le corpus a été constitué sur la base des différents dictionnaires du ladin: Mischì (2001) pour le badiot, Videsott & Plangg (1998) pour le marebban, Forni (2003) pour le gardenais, De Rossi (1999) pour le brach, Mazzel (1995) pour le cazet, Dell’Antonio (1972) pour le moenat, Masarei (2005) pour le fodom, Colle e.a. (1997) pour l’ampezzan, Pallabazzer (1989) pour le collais.

16 Nous avons ‘hiérarchisé’ les facteurs causatifs en fonction de leurs ‘valeurs d’effet’, i.e. des mesures standardisées qui peuvent être calculées sur la base des tests statistiques effectués et qui mesurent l’intensité de la corrélation/l’association entre deux variables (cf. Field 2007:695, 785; Rosenthal 1991:19).

17 L’origine étymologique des verbes a été établie à l’aide de l’Etymologisches Wörterbuch des Dolomitenladinischen de Kramer (1988-1999).

18 Dans les exemples que nous citons, nous n’indiquerons que les radicaux des infinitifs; les désinences varient d’après les parlers des différentes vallées.

19 Par contre, nous avons constaté que la variation ‘micro-dialectale’ (= différences entre les villages situés à l’intérieur d’une même zone dialectale) par rapport à l’insertion de l’infixe est minimale. Ainsi, pour le badiot, il s’est avéré que les villages de S. Martino, S. Leonardo et La Valle (cf. fig. [3]) ne diffèrent pas entre eux en ce qui concerne le mécanisme de l’infixation. Pour le gardenais (Ortisei vs Selva) et le marebban (Pieve di Marebbe vs San Vigilio) (cf. aussi fig. [3]), on a pu discerner des divergences très subtiles, voire négligeables, entre les villages examinés.

20 Nous pensons ici en premier lieu à l’organisation du système éducatif. Ainsi, dans les vallées de Badia et de Gardena, on a instauré, depuis 1948, un système ‘triparti’, basé sur l’équilibre de l’italien, de l’allemand et du ladin dans l’enseignement (cf. Ellecosta 2007, Verra 2008). Par contre, dans le Val di Fassa, une telle organisation n’existe que depuis les années 1970. Dans le Val Cordevole, ainsi qu’à Cortina, de telles mesures linguistiques et didactiques n’ont pas (encore) été prises.

21 Plus particulièrement, il s’agit des verbes suivants: s’abun- ‘s’abonner’, colaur- ‘collaborer’, devurzi- ‘divorcer’, (e/i)mpurt- ‘importer’, fotograf- ‘photographier’, telefun- ‘téléphoner’, (i)ntenazionalis- ‘internationaliser’, parchej- ‘garer’, prugram- ‘programmer’.

22 Une enquête supplémentaire (réalisée en juillet-août 2009) a révélé en effet qu’on retrouve le même type de différenciation dans certaines variétés vénètes. Cf. par ex. dans la variété de Scorzè (village situé dans la province de Venise): el can scaina ‘le chien aboie’ vs el can scain-é-a ‘le chien continue à aboyer’.

23 Par le biais d’une enquête électronique (février 2009), centrée sur la valeur aspectuelle de l’infixe en ladin dolomitique et les éventuelles conséquences au niveau intra-paradigmatique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Meul et Pierre Swiggers, « Le sort (cyclique) d’un infixe: *-id(i)- et ses avatars en ladin dolomitique »Modèles linguistiques, 71 | 2015, 107-125.

Référence électronique

Claire Meul et Pierre Swiggers, « Le sort (cyclique) d’un infixe: *-id(i)- et ses avatars en ladin dolomitique »Modèles linguistiques [En ligne], 71 | 2015, document 6, mis en ligne le 02 septembre 2017, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/2372 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.2372

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Auteurs

Claire Meul

Membre de l'équipe COHISTAL (COMPARATIEVE, HISTORISCHE EN TOEGEPASTE TAALKUNDE) à l'Université de Louvain

claire.meul@arts.kuleuven.be

Pierre Swiggers

Membre de l'équipe COHISTAL (COMPARATIEVE, HISTORISCHE EN TOEGEPASTE TAALKUNDE) à l'Univerité de Louvain

Professeur de linguistique comparée, historique et appliquée à l'Université de Louvain

pierre.swiggers@kuleuven.be

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