1L’étude de la modalité dans une langue donnée présuppose une certaine connaissance de l’existence d’un système bien défini d’unités modales lexicales dont les emplois sont régis par des règles syntaxiques, sémantiques et pragmatiques. Mais, chaque langue possède son propre système et rares sont les correspondances d’une langue à l’autre – même lorsque les langues comparées sont typologiquement proches, comme c’est le cas pour l’anglais et le français, d’où la complexité de l’étude de la modalité et de sa traduction.
2Quelle que soit la langue examinée, la modalité concerne moins l’événement lui-même que, d’une part, la certitude, la probabilité, ou la possibilité de son occurrence réelle et, d’autre part, le point de vue du locuteur-scripteur, exprimé en anglais et en français en termes de nécessité et d’obligation.
3Ainsi, dans certains cas, la modalité renvoie à l’attitude subjective du locuteur vis-à-vis de la certitude, de la probabilité, ou de la possibilité d’un événement et, dans d’autres cas, elle comprend les expressions d’obligation et de nécessité. Du point de vue lexical, la modalité s’exprime par le truchement d’un certain nombre de mots et de locutions périphrastiques comprenant verbes, adjectifs, adverbes et noms. Du point de vue grammatical, il existe un ensemble restreint de verbes formellement identifiables comme verbes ou auxiliaires modaux en français : savoir, pouvoir, devoir, etc., en anglais may, might, can could, etc. Ainsi, lorsqu’on traduit la modalité d’obligation de l’anglais en français et en l’arabe, et qu’on souhaite éviter les écueils de traduction, il est indispensable de tenir compte de l’expression de ces notions dans les langues d’arrivée.
4Si l’on compare l’anglais et le français, on remarque que, contrairement à l’anglais, le français ne possède aucun système correspondant aux auxiliaires modaux. Pour ce qui est de la conjugaison, le français n’opère aucune distinction morphologique entre l’ensemble des verbes non-modaux et les verbes exprimant la modalité, comme pouvoir, savoir et devoir. Autrement dit, alors qu’en anglais la modalité est grammaticalisée, en français elle ne l’est que partiellement, tandis que, comme on va le voir, l’arabe l’exprime lexicalement. Cette différence, ou l’absence d’équivalence entre l’anglais, le français et l’arabe, est la source de difficultés sémantiques et syntaxiques pour les traducteurs. D’où la nécessité d’examiner la modalité, sa caractérisation et son fonctionnement dans les trois langues.
5Dans le présent article, l’étude de la modalité est réduite à l’éventail des significations exprimées par l’auxiliaire modal must et ses équivalents en français et en arabe. Seront d’abord examinées les diverses fonctions de must, puis celles des formes équivalentes dans les deux autres langues. Enfin seront étudiés les modifications lexicales et grammaticales d’une langue à l’autre.
6Les linguistes définissent la modalité selon différents niveaux et points de vue. Par exemple, Halliday (1970 : 189-213) distingue modalité (“it may rain – perhaps / it will rain – in all likelihood”) et modulation (“may I sit down? / might I sit down?”). Il explique que la modalité est liée à l’évaluation que fait le locuteur de la probabilité des événements désignés par les verbes, alors que la modulation concerne la formulation du propos. De leur côté, Jespersen (1924 : 313) et Lyons (1977 : 452) opèrent la distinction entre modalité et proposition. Cette distinction est très proche de la différence que fait Austin (1955) entre acte locutoire et acte illocutoire – entre le dire et le faire.
7D’après Quirk et coll. (1985 : 219), la modalité constitue « la manière dont la signification d’une proposition est qualifiée de façon à refléter le jugement du locuteur concernant la véracité probable de la proposition ». Dans le même ordre d’idées, Palmer (1986) la définit comme « l’attitude du locuteur vis-à-vis de ce qu’il dit ». Quant aux linguistes arabisants, Mitchell et al-Hassan (1994 : 7), ils voient dans la modalité la somme des « positions psychologiques » du locuteur eu égard aux propositions et aux événements ».
8Cette convergence nous amène à constater que la modalité traite fondamentalement de toutes les manifestations de la subjectivité du sujet parlant. L’emploi de termes et d’expressions modaux conduit à l’actualisation de situations hypothétiques, indépendamment du fait qu’elles pourront fort bien ne jamais être réalisées.
9Lyons (1977 : 793) considère les modalités « épistémique » et « déontique » comme principales. Huddleston (1984 : 166-176) reprend cette distinction en ajoutant un troisième type : (i) « épistémique », à savoir l’évaluation du sujet parlant des possibilités de réalisation de l’événement (“she may come”) (ii) « déontique », à savoir l’évaluation de l’événement par rapport à la nécessité de sa réalisation (“she must come”) ; et (iii) « dynamique », qui renvoie à la capacité de faire quelque chose dans des circonstances empiriques (“she can speak English”). Palmer (1986) propose une liste exhaustive des divers types de modalités, à partir d’exemples empruntés à différentes langues. En plus des trois catégories présentées par Huddleston, il existerait également les modalités aléthique, boulomaïque, évidentielle, temporelle, volitive, existentielle, etc.
10D’un point de vue plus généraliste, B. Pottier (1992), laissant tomber le déontique, considère que « les catégories universelles se laissent expliciter par des notions représentatives : /être/ pour l’existentiel, /savoir/ pour l’épistémique, /vouloir, pouvoir, devoir/ pour le factuel, et /valoir/ pour l’axiologique (1992).
11Dans le présent article, sera seule retenue l’opposition épistémique/déontique. Pour justifier ce choix, il convient de rappeler que les emplois les plus courants de must se font généralement par rapport à ces deux types de modalité. Plus simplement, les expressions déontiques renvoient aux modaux d’action impliquant la nécessité et l’obligation, et la modalité épistémique trouve son expression à travers les modaux de croyance, en rapport avec le doute et la certitude. La présente étude part du modal must et de ses différents emplois et tente de trouver son équivalent en français et en arabe.
12Rappelons que le terme épistémique vient du grec epistemè signifiant « connaissance ». Cette modalité est donc du ressort de la connaissance, de la croyance, et de l’opinion. Elle exprime la prise de position du locuteur concernant le degré de certitude de son énoncé. Coates (1983) propose la définition suivante de must à valeur épistémique :
Epistemic must conveys the speaker’s confidence in the truth of what he is saying, based on a deduction from facts known to him : 41)
13Dans ce sens, l’auxiliaire must à valeur épistémique est utilisé pour dire ce qui est épistémiquement certain ou pour exprimer une forte prédiction. Dans certains cas, il est employé pour dénoter l’inférence logique.
- 1 Dans les exemples arabes, la première ligne renvoie à la traduction arabe ; la seconde ligne indiqu (...)
14Dans l’exemple [1]1, le recours à must indique la quasi-certitude ou prédiction, fondée sur l’inférence logique : les femmes musulmanes portent généralement le voile, et la femme dont on parle en porte un, donc il y a toutes les chances qu’elle soit musulmane.
15En français, le verbe devoir semble être l’équivalent sémantique de must. Dans les deux langues, les verbes lexicaux sont à l’infinitif (en l’occurrence be et devoir). Néanmoins, contrairement à must, qui est invariable, devoir est conjugué, et porte la marque sémiologique de la troisième personne, ainsi que le nombre (singulier) et le temps (présent). Notons que doit est au présent.
16En arabe, pour obtenir une équivalence sémantique, il faut séparer le modus : أظن [Ɂaðun’nu] I am certain that /أغلب الظن [Ɂaghlaba ðan] it is certain that (du dictum : she is a muslim). Ainsi, l'intention du locuteur s'exprime par l'intermédiaire de la qualification (selon le terme de Rescher, 1968), I am certain, articulant la proposition qui suit, she is Muslim. La copule disparaît en arabe, en raison des caractéristiques idiosyncratiques de la langue. Ces expressions contiennent des parties du discours qui sont utilisées pour qualifier la proposition ; leur analyse révèle que أغلب الظن [Ɂaghlabu ðan] est une phrase nominale composée d'un nom, أغلب [Ɂaghlaba], et d'un nom annexe, الظن [ðan] (comparable au cas possessif en anglais). أظن [ðan] est une phrase verbale se composant d'un sujet, I, inhérent au verbe think. Ces deux expressions dépendent de la proposition en termes de signification et d'inflexion. Autrement dit, le nom أغلب [Ɂaghlaba] est un inchoatif ayant besoin d'un prédicat, à savoir مسلمة أنها أظن [ðan Ɂannaha muslimatun] ; il s'agit d'un verbe transitif au présent ayant besoin d'un complément. Dans son étude de la modalité en arabe littéraire, Zayed (1983), évoque ces expressions linguistiques en termes de « verbes de soutien n'ayant aucune existence propre » dans la phrase.
17L’auxiliaire must n’a aucune forme au passé. C’est la proposition, et non la modalité, qui est au passé (Palmer 1986 : 60). En fait, les auxiliaires modaux sont toujours contemporains de l’acte de langage. Comme le remarque Leech (1971 : 190), can, may et must « neutralisent le contraste entre le présent et le futur ». La structure « must + have + verbe au participe passé » indique un jugement épistémique présent concernant des faits passés. Cela ne concerne que la modalité épistémique (en aucun cas la modalité déontique). Soit l’exemple suivant :
18Dans cet exemple, l’action de “ne pas avoir pris son stylo avec soi” se situe dans le passé. Il s’agit d’une proposition factuelle. Ici, la modalité indique le pourcentage de certitude (degré élevé) déterminé par le locuteur concernant la raison de l’absence du stylo, présumant que la personne en question a oublié celui-ci et ne l’a ni perdu ni donné. Le jugement se fait simultanément à l’instant de parole, au sujet d’une action déjà accomplie.
19En français, il existe deux façons de traduire la phrase anglaise d’origine. Dans le premier cas, on insiste sur le locuteur et sur l’instant de parole. Le locuteur revient sur l’événement appartenant au passé (avoir oublié son stylo). Dans cette traduction, il y a presque une équivalence lexicale entre l’anglais et le français (cf. figure 1, ci-après). En ce qui concerne le groupe verbal, have/avoir, suivi de must/doit, constitue l’infinitif précédant le participe passé forgotten/oublié. Doit est au présent et s’accorde avec le sujet Il.
Figure 1. Équivalence lexicale et structurale, les structures anglaise et française
20Dans le second cas, on insiste sur l’événement et sur la troisième personne, celle qui a probablement oublié le stylo (a dû). La probabilité renvoie au moment où l’action d’oublier s’est produite. La traduction du français vers l’anglais considère l’action d’avoir oublié le stylo comme un fait plutôt que comme une hypothèse. Même si les trois composants du groupe verbal must have forgotten / a dû oublier sont présents dans les deux langues, grammaticalement, le groupe verbal français a dû oublier est conjugué afin d’exprimer la modalité (cf. Fig. 2). Le passé composé « a dû », est complété par l’infinitif oublier.
Figure 2. Analyse du syntagme verbal en français
21Dans d’autres cas, la traduction de must + have + verbe au participe passé ne permet qu’une seule possibilité. Soit l’exemple suivant :
[3] He must have arrived yesterday.
Il a dû arriver hier.
- 2 De façon fort intéressante, la traduction de l'autre forme au passé (l'imparfait) modifie le sens d (...)
22L’explication réside dans la nature de l’événement exprimé par le verbe principal arrive ; l’action déjà accomplie est “son arrivée”. L’auxiliaire de modalité must exprime l’absence de certitude concernant la réalisation de cet événement2.
- 3 أن est un verbe d'imminence qui est ajouté à un inchoatif et à un prédicat et qui change leur situa (...)
23La traduction de l’exemple [2] en arabe est digne d’intérêt. Cet exemple illustre, en effet, la différence que font certains linguistes (Lyons, par exemple) entre proposition (modus) et qualification. (dictum). L’exemple peut être scindé en deux : (i) la qualification, qui correspond au modus (ii) la proposition, qui correspond au dictum (cf. figure 3). Pour utiliser la terminologie guillaumienne, la qualification fonctionne comme idée regardante par rapport à la proposition qui fonctionne comme idée regardée. Le pronom relatif أن3, instaure une double liaison avec le contenu dictal (proposition) lorsqu’il est accompagné d’un pronom post-clitique qui renvoie à l’agent de la proposition نسي forgot est au passé). D’un point de vue sémantique, le degré de certitude concernant la perte du stylo est très élevé.
Figure 3. Analyse de la phrase modale en arabe
24En anglais, la forme négative de must à valeur épistémique s’exprime à travers l’emploi de can’t : “he can’t have forgotten his pen”/ « il ne peut pas avoir oublié son stylo ». C’est l’ajout de not à must (mustn’t) qui le rend déontique : “he mustn’t forget his pen” / « il ne faut pas qu’il oublie son stylo ». Notons la non correspondance lexicale (must / can’t).
25Il y a deux façons de traduire en français la forme négative de must à valeur épistémique :
26En [4], must be / doit être exprime une forte probabilité, alors que can't be / ne peut pas être exclut toute possibilité ; dans la variante (b), la phrase est réorganisée syntactiquement. C'est le verbe être dans le subordonnée qui exprime la modalité.
27Le composé modal en arabe est استبعد ou من المستبعد, ce qui signifie je rejette l'idée que. D'un point de vue sémantique, le degré de certitude en relation avec la présence du sujet dans le bureau est très faible. On a recours à la même structure mentionnée dans les exemples déjà cités ([1] et [2]) : composé modal – le groupe verbal استبعد ou le groupe nominal من المستبعد – suivi d'une préposition, composée de يكون, un quasi-verbe au présent comportant un sujet inhérent, il, et le prédicat في مكتبه, dans son bureau. La traduction littérale de can't en arabe est لا يمكن /la jumkin/ il n'est pas possible qui réfute totalement ce qui suit (avec لا النافية للجنس /la Ɂannafiyah/, la marquant la négation du genre) et supprime donc la modalité. La phrase devient une affirmation dépourvue de toute modalité. En conséquence, la signification induite en anglais est modifiée.
28En résumé, must à valeur épistémique exprime l’avis du sujet parlant sur les chances de réalisation d’un événement. La première tâche du traducteur est donc de peser le degré de doute ou de certitude exprimé par l’auxiliaire modal ; la traduction doit ensuite tenir compte de la structure et du vocabulaire de l’arabe et du français.
29Le terme « deon », issu du grec, signifie « obligation », « nécessité », ou « devoir ». Les modaux déontiques renvoient aux désirs, besoins, ordres, obligations, nécéssites, projets et permissions. Contrairement à la modalité épistémique, la modalité déontique est orientée vers le discours et renvoie aux actes plus qu’aux événements exprimés par les propositions.
30Dans cet exemple, le modal must évoque la modalité d’obligation comme une règle établie par une sorte de législation. Cette obligation est externe (non assumée par l’agent). Pourtant, elle doit être réalisée par un agent, comme elle dans l’exemple. Cependant, dans l’exemple [6] ci-dessous, l’obligation peut être interne ou externe. Le devoir doit être terminé quoi qu’il arrive, ce qui correspond à l’obligation externe. Mais, le fait de terminer le devoir aujourd’hui, probablement en raison d’engagements postérieurs, est un indicateur de l’obligation interne du locuteur.
31Une forte obligation externe apparaît également dans l’exemple [7] où Books est le sujet grammatical, mais l’objet logique. L’obligation constitue un règlement qui doit être nécessairement suivi par toutes les personnes qui souhaiteraient emprunter des livres.
32Le verbe français devoir exprime l’obligation et la nécessité, et peut être considéré comme l’équivalent de must dans des situations déontiques comme dans l’exemple [5]. Notons que le verbe avoir à est utilisé comme l’équivalent du verbe déontique devoir comme dans j’ai à terminer ce travail avant demain / I have to finish this work before tomorrow. Le verbe to have to n’est pas un verbe modal mais il agit comme un équivalent périphrastique de must. De la même façon, l’obligation est également présente en français dans la structure il faut que, suivie d’un sujet et d’un verbe au subjonctif.
- 4 La forme imperfective (المضارع al-muDaari’) est utilisée comme indicateur d'actions n'ayant pas enc (...)
33En arabe, le composé modal est un syntagme verbal يجب أن /yaʒib Ɂan/ must ou ينبغي /yanbaghi/ should qui est la forme imperfective4 du verbe, montre seulement les inflexions de la troisième personne du singulier, et est neutre au regard du genre, contrairement aux formes verbales perfectives.
34Must à valeur déontique est employé pour conseiller, comme c'est le cas dans l'exemple [8]. Son équivalent en français est le verbe devoir.
35Les mêmes composés modaux يجب أن / yaʒib Ɂan / must ou ينبغي / yanbaghi / should sont utilisés en arabe. Lorsque l’auxiliaire must renvoie au futur, il est presque toujours déontique.
36Must à valeur déontique a mustn’t en forme négatif qui communiquer prohibition. Dans l’exemple [10], smoking est prohibe et mustn’t montre ça. Le forme negatif de must en francais est ne dois pas (conjuge avec tu). En arabe, la formeلا يمكنك ان /la yumkinuka Ɂan/signifie can’t mais elle communique prohibition. En plus, la forme يجب ألا /yajib Ɂalla/signifie mustn’t car يجب faut est accompagnée parأن + لا que + ne. La particule لا ne est appeléeلا النافية للجنس (/la/ négativant le genre). Cela signifie que ce qui suit لا النافية للجنس est toujours négativé et, par conséquent, prohibé.
37Mustn’t diffère de la forme négative de have to. Dans l’exemple [11], l’action de sortir est interdite. En d’autres termes, il n’est pas seulement demandé à l’allocutaire de ne pas sortir, il ne lui est également pas demandé de sortir. La négation s’applique en effet au verbe principal, pas à la modalité. Pour exprimer l’absence de demande ou d’obligation, la forme négative ou supplétive de have to, needn’t, est utilisée dans l’exemple [12].
38Le recours à don’t have to et à needn’t indique l’absence de nécessité. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de sortir ; tu n’as pas besoin de sortir.
39Les composés modaux en arabe لا داعي- ليس هناك من داع كي dénotent l'absence de nécessité. Ils commencent tous deux par les particules négatives لا et ليس, qui signifient qu'en dépit de la manière particulière d'exprimer la modalité en arabe, certains codes linguistiques sont respectés – tel l'emploi de la particule de négation. D'un point de vue sémantique, la traduction arabe efface l'engagement de la part de l'agent et toute action doit être accomplie sans tenir compte de la volonté de celui-ci.
40Must à valeur épistémique ne possède aucun équivalent au passé, contrairement à must déontique. Au passé, must déontique est remplacé par le périphrastique have to. Dans l’exemple [13], l’action d’aider la personne de sexe féminin a été accomplie dans le passé dans des circonstances précises, sans tenir compte du caractère interne ou externe de l’obligation. L’agent n’avait pas d’autre choix que d’aider la personne en question. En d’autres termes, il était obligé de l’aider. L’emploi de had to ne modifie en rien le sens de la phrase.
41Il existe trois façons différentes en français de traduire la forme passée de must déontique. La première, était obligé de, a recours à la voix passive, was obliged, et à l’unité lexicale obliged. Cependant, cette traduction est dépourvue de toute modalité ; elle est purement factuelle. La deuxième, il fallait qu(e), soit la forme passée de il faut qu(e), indique une obligation passée où la modalité est passée et où l’action d’aider a déjà été accomplie. La modalité ne fait pas partie du syntagme verbal ; elle est un composé de modalité. La troisième traduction, a dû, est davantage grammaticalisée ; le passé du verbe avoir est suivi du participe passé de devoir. Cette construction ressemble au plus-que-parfait anglais (ou “past perfect”).
42Il existe deux formes passées du must déontique en arabe : elles commencent toutes les deux par كان, un quasi-verbe au passé, suivi par son sujet, /مجبرا /mujbaran/ obliged et عليه /'alayhi/ has to (mais littéralement, sur lui). Le prédicat de كان est la proposition, le syntagme verbal, أن يساعدها (to help her) au présent (alors qu'en français et en anglais, il est à l'infinitif). Néanmoins, d'un point de vue sémantique, l'action d'aider est accomplie au passé en raison de l'emploi de كان. Le passé du quasi-verbe كان est essentiel à la phrase, les composants lexicaux y étant tous rattachés, grammaticalement et structurellement. L'énoncé est composé de la qualification dénotée par le recours au composé modal ajouté à la proposition.
43La représentation de must déontique en anglais, en français et en arabe, se fait toujours sémantiquement. Cela est clairement révélateur de la structure propre à chaque langue : l’arabe tend à maintenir la structure de qualification (modus) et de proposition (dictum) par l’emploi de must épistémique, alors que le français traduit la modalité de deux façons : comme faisant partie du syntagme verbal ou comme ajoutant une qualification (modus) à une proposition (dictum).
44En arabe, à chaque occurrence du modal must correspond une traduction idiosyncrasique. La modalité en arabe n’est pas perçue comme une catégorie grammaticale, ce qui conduit à une compensation, principalement à travers l’emploi d’unités lexicales pour parvenir à une certaine équivalence, au moins au niveau du sens et du contenu du message. Le français exprime la modalité en trouvant l’équivalent des termes anglais tout en conservant les inflexions grammaticales, faisant ainsi de la modalité un composant du syntagme verbal.
45Dans leur analyse de la modalité, Joly et O’Kelly (1990) ne font pas appel à l’opposition épistémique / déontique, offrant une analyse des emplois de must, en termes d’obligation (<faire>) et inférence (<être>).
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obligation : John’s passport has expired, he must get it renewed.
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interdiction : John mustn’t try and leave the country.
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absence d'obligation : Mary's is valid until 2020, she needn't get it renewed.
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inférence pos. : Bob has been up all night, he must be tired.
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Inférence neg. : He has just drunk a pint of water, he can't be thirsty.
46La figure 4, ci-dessous explique ces deux valeurs de must aux formes affirmative et négative. D’une part, must exprime l’obligation positive par le recours à must et l’obligation négative par le recours à mustn’t. D’autre part, must, à valeur inférentielle apparaît en co-occurrence avec le verbe ‘être’ et ne possède aucun équivalent lexical négatif – la forme négative de la valeur d’obligation de must est can’t, laquelle exprime l’impossibilité de la réalisation d’un événement. Le schéma montre également les équivalents de must « déontique » indiquant l’absence d’obligation : needn’t et don’t have to.
Figure 4. Obligation and inference (Joly et O'Kelly, 1990)
47Ce schéma fait apparaître (i) les liens qui relient les auxiliaires must, can et need, (ii) le rôle joué par les modalités phrastiques et (iii) l’importance du type de verbe lexical (état/procès). Le modèle Joly et O'Kelly met en cause, en effet, l'analyse des modaux centrée uniquement sur l'opposition déontique/épistémique.