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Ne saurait en français : opérateur modal épistémique

The French Verb « savoir » as an Epistemic Modal Operator
Axelle Vatrican
p. 61-75

Résumés

Le but de ce travail est d’étudier l’emploi du conditionnel dans la construction « ne saurait » en français, tel qu’il apparaît dans ce crime ne saurait rester impuni. Nous montrerons que le verbe savoir lorsqu’il est utilisé au conditionnel et précédé de la négation « ne », perd son sens dynamique de « capacité à » pour acquérir un sens épistémique de « possibilité », plus précisément « d’impossibilité » : ne saurait équivaut à il est impossible que (+ proposition). On observera que cette construction, autorise l’emploi d’un sujet non animé suivi d’un verbe infinitif de type passif.

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Texte intégral

1. Introduction

1Il existe en français une forme particulière de conditionnel, celle du verbe savoir – ne saurait – utilisée à la forme négative dans des constructions telles que :

2Grevisse (1994 : § 337-338) explique pour cette forme que « la langue soignée emploie savoir au conditionnel avec le sens de pouvoir au présent » et que cela « se fait normalement dans des phrases négatives, avec la négation simple ne (sans pas) : je ne saurais = je ne peux. ». Pour cela, il donne les exemples :

  • 1 Dans certains cas, ne saurait peut être l’équivalent de devoir. La modalité demeure épistémique dan (...)

3Dans les énoncés [3] et [4], ne sauraient peut être paraphrasé par ne peuvent, il est impossible que1. Ce constat est renforcé par le fait que, par ailleurs, une traduction littérale en anglais en [5] et [6] ou en espagnol en [7] et [8] se révèle être impossible :

4Nous essaierons dans ce travail de répondre aux trois questions suivantes : Pourquoi savoir au conditionnel acquiert-il le sens de pouvoir ? Quelle est la modalité exprimée par le verbe ? Comment se construit la forme ne saurait syntaxiquement (rôles thématiques et nature aspectuelle du verbe à l’infinitif) ? Pour cela, dans une première partie, nous reviendrons sur la nature de la modalité exprimée par la construction ne saurait et sur le rôle joué par le conditionnel, puis, dans une seconde partie, nous formulerons l’hypothèse que ne saurait fonctionne comme un opérateur modal épistémique. Il est toujours employé à la forme négative et permet d’exprimer l’impossibilité. Cette impossibilité porte sur une situation ancrée dans le présent. Essayons, dans un premier temps, de décrire la construction.

2. Description de ne saurait

5Dans cette construction, la modalité est exprimée de deux façons : lexicalement, par l’intermédiaire de la construction savoir + infinitif et, morphologiquement, par la désinence du conditionnel en -ait. La construction ne saurait est donc doublement modale, par la présence de la construction savoir + infinitif, mais également par la présence du conditionnel qui revêt, dans ce cas, une valeur modale. Nous étudierons successivement ces deux expressions de la modalité.

2.1. Savoir + infinitif : verbe modal

6Savoir + infinitif dans de nombreuses langues européennes (français, anglais, espagnol, italien) est considéré comme un verbe modal (Coates, 1983 ; Papafragou, Bosque 2000 ; Di Tullio, 2003 ; Rocci, 2005). Revenons brièvement sur la définition de la modalité.

2.1.1. La modalité

7Dans une perspective dite énonciative (Nølke, 2003 : 182 ; Silva Corvalán, 1995 : 74), modaliser revient à faire apparaître l’attitude du locuteur dans un énoncé (Palmer, 1986 : 16 : « [m]odality could, that is to say, be defined as the grammaticalization of speakers’ (subjective) attitudes and opinions »). Dans une perspective sémantico-logique, modaliser consiste à inscrire un énoncé dans un monde possible considéré sous l’angle de la « possibilité » ou de la « nécessité » (Bybee & Fleischman, 1995 ; Lyons 1978 ; Coates 1983). Il existe deux façons de l’envisager. Nous prendrons en compte pour cela deux théories. Selon Kratzer (1991) si la possibilité ou la nécessité est établie en fonction de la connaissance du sujet parlant, la modalité est de nature épistémique (il est possible que) ; si la possibilité ou la nécessité est établie en fonction d’une norme – naturelle ou sociale –, la modalité est de nature déontique ou circonstancielle (obligation, permission, capacité). Selon Lyons (1978 : 793 & 823), la modalité épistémique est propositionnelle si elle traite de la possibilité ou de la nécessité de la vérité d’une proposition ; la modalité est déontique (ou radicale) si elle traite de la possibilité ou de la nécessité des actes accomplis par un individu. Nous appliquerons ces définitions de la modalité au verbe savoir.

2.1.2. La modalité exprimée par savoir

8Observons l’exemple [9] :

9Dans cet énoncé, savoir + infinitif exprime une forme de modalité déontique ou radicale. La possibilité opère sur le sujet et non sur la proposition. Cet exemple signifie que parmi toutes les choses que Jean peut faire, se trouve celle de nager (Rivero, 1977 ; Lyons, 1978 ; Borgonovo & Cummins, 2007 ; Zagona 2008). En effet, Jean sait nager n’est pas équivalent à « il est possible que Jean nage », ni à, « le fait que Jean nage est une possibilité pour moi sujet parlant », ni encore à « c’est une chose connue de tous / on sait que Jean nage » [proposition] ; au contraire, il signifie « Jean a la capacité de nager [forme de possibilité (Kratzer 1991)] » (la possibilité opère sur un individu). Ce type de modalité déontique individuelle relevant de la capacité est souvent appelée modalité dynamique (Silva Corvalán, 1995 : 75 ; Coates, 1983 : 93 ; Palmer, 2001 : 10 & 71).

10Dans les exemples que nous nous proposons d’étudier, toutefois, savoir utilisé au conditionnel n’a pas le sens de « posséder la capacité » : « un écrivain étranger » et « un développement durable » en [10] et [11] ne possèdent en effet aucune capacité et ont un sens différent de celui qui apparaît dans l’énoncé [9].

11Savoir au contraire signifie « il est (im)possible qu’un écrivain étranger soit un apologiste », et « il est impossible qu’un développement durable existe sans la protection et la préservation de notre environnement », autrement dit, la possibilité – niée ici – est appliquée à la proposition tout entière, « un écrivain étranger est un apologiste » ou « un développement durable existe sans la protection ». Nous pouvons le schématiser de la façon suivante. Ne est l’opérateur de négation [NEG], saurait, l’opérateur épistémique modal de possibilité [POSS] et un écrivain étranger est un apologiste est la proposition p.

12Cela signifie « moi sujet parlant, je nie la possibilité qu’un écrivain étranger soit un apologiste ». Il s’agit donc de la modalité épistémique – possibilité – exprimée au présent, l’épistémique étant nécessairement ancré dans le présent puisqu’il introduit le point de vue adopté par le sujet parlant à l’égard de la proposition. La modalité est également exprimée dans cette construction au moyen du conditionnel.

2.2. Le conditionnel à valeur modale

13Le conditionnel est une forme verbale considérée aujourd’hui comme un temps capable d’acquérir une valeur modale dans certains contextes. D’un point de vue logique ou formel, le conditionnel a pour caractéristique de créer un contexte intensionnel, c’est-à-dire, d’introduire dans le discours un monde possible différent du monde réel (Escandell, 2004 : 300). Il permet de situer une action non sur un axe chronologique (passé-présent-futur) mais dans un monde possible et de considérer l’action comme hypothétique.

14En français, il existe quatre conditionnels de type modal (Grevisse, 1994 : § 859b ; Dendale & Tasmowski, 2011 ; Dendale, 2010 ; Haillet, 2002) :

15La question est de savoir de quel conditionnel il s’agit dans la construction ne saurait. Nous écarterons d’emblée le conditionnel ludique et le comparerons en premier lieu, avec le conditionnel journalistique. Une paraphrase possible de l’exemple [14] est « il est probable que le président a trouvé les mots justes ». Nous pouvons dire que la morphologie du conditionnel en -ait lui confère son sens de probabilité. Soulignons que dans la paraphrase proposée, le verbe trouver est nécessairement repris dans la paraphrase. En revanche, dans l’exemple [11], le verbe savoir ne peut être repris ; en effet, nous sommes d’accord sur le principe qu'un développement durable ne saurait exister ne peut être paraphrasé par « il est peu probable qu’un développement durable *sache exister ». Nous pouvons déjà formuler l’hypothèse que celui-ci contribue à l’expression de la modalité épistémique et perd ainsi son sens premier de « posséder la connaissance ». Toutefois, à la différence du conditionnel journalistique, la construction ne saurait n’a pas de sens évidentiel car elle rejette la paraphrase telle que « d’après ce qu’on dit, un développement durable ne sait exister ». Il n’est donc pas possible de l’associer à une forme de conditionnel journalistique.

16Il est également exclu de l’associer à un conditionnel d’hypothèse dans la mesure où on ne peut pas récupérer la protase qu’il serait nécessaire de lui associer. Aussi bien les énoncés [18] que [19] semblent irrecevables :

Peut-on l’assimiler à un conditionnel d’atténuation, tel qu’il apparaît en [20], [21] et [22] ?

17Un conditionnel d’atténuation en général est un conditionnel d’hypothèse qui situe l’action dans un monde possible : dans un monde possible, je voudrais, tu devrais, je prendrais bien un café. Il produit une implicature (inférence de type linguistique), c’est-à-dire un acte de demande indirecte (Searle, 1975) : dans le monde actuel, permets-moi de te poser une question / travaille / apporte-moi un café. C’est cette lecture produite à partir d’une implicature présente (acte de demande) qui lui donne sa valeur d’atténuation ou de politesse. L’équivalence avec le temps présent n’est toutefois pas toujours possible. Si l’énoncé [20] est équivalent à « je veux », et [21] à « tu dois », [22] n’est pas équivalent au présent de « je prends un café ».

18Il est vrai que le conditionnel ne saurait ressemble à une forme d’atténuation car il semble signifier que dans un autre monde possible qui n’est pas le monde actuel, un développement durable ne saurait exister sans la protection et la préservation de notre environnement ; dans le monde actuel, présent du sujet parlant, il est impossible que le développement durable existe sans protection. On peut émettre l’hypothèse que c’est une implicature car le verbe « savoir » pour l’interprétation de la phrase disparaît.

19On peut penser que ce conditionnel, bien qu’il situe littéralement l’action décrite par le verbe dans un autre monde (possible), nous oblige à interpréter la phrase à partir du présent comme les formes suivantes lorsqu’elles sont traduites en anglais ou en espagnol :

  • Il ne saurait : traduction en anglais par « it is impossible » ou en espagnol par « no puede ».

On dirait : traduit par le présent « parece que » en espagnol (« il semble que ») ;

  • J’aimerais : traduit par le présent “I wish” en anglais (« je souhaite »).

20Toutefois, selon nous, la forme ne saurait n’est pas un conditionnel d’atténuation car il ne saurait n’atténue pas il ne sait comme le fait la forme devrait avec doit dans l’exemple [25] :

21Enfin il est à remarquer qu’à la différence de ne saurait, un conditionnel d’atténuation n’est pas épistémique. L’énoncé [26] n’est pas équivalent à l’énoncé [27] alors que le conditionnel dit épistémique de [28] est équivalent à [29].

22Nous rejetons donc l’idée que ce conditionnel soit un conditionnel d’atténuation. Pour tenter d’expliquer la particularité de cette construction, nous proposerons l’hypothèse selon laquelle ne saurait fonctionne comme un opérateur modal épistémique.

3. Hypothèse

23Notre hypothèse est que ne saurait fonctionne comme un opérateur modal épistémique : Savoir + conditionnel signifie pouvoir ; cette construction, toujours utilisée à la forme négative (ne saurait), permet de nier une possibilité portant sur une situation présente. De plus, nous montrerons que la construction sujet-verbe à l’infinitif doit être de type passif. Revenons dans un premier temps sur la modalité exprimée par cette construction.

3.1. Modalité épistémique et monde présent

24La valeur épistémique de possibilité est la seule valeur acceptable, que le sujet du verbe modal savoir soit [- ANIMÉ] comme en [30] et [31] ou qu’il soit [+ ANIMÉ] comme en [32]. En effet, on ne peut parler de *la capacité du crime à être impuni en [30], ni de *la capacité de l’influence du substrat à être niée en [31] ni même de *la capacité de Pierre à chanter ce soir en [32].

  • 2 On remarquera que cette lecture se fait d’autant plus facilement que le sujet est générique et renv (...)

25Bien plus, ces exemples doivent être compris comme « il est impossible de laisser impuni un tel crime », « on ne saurait laisser un tel crime impuni », « il est impossible qu’un tel crime reste impuni », « il est impossible de nier l’influence du substrat », « il est impossible que Pierre chante ce soir »2.

26Comme il a été dit plus haut, un contexte est dit modal lorsqu’il décrit une situation qui est différente de celle du monde réel. La modalité permet de présenter des faits imaginaires qui, dans un autre monde dit « monde possible », pourraient se produire. Or nous constatons que le sens de « ne saurait » en (32) n’est pas celui de Pierre saurait chanter s’il avait appris le chant étant enfant, phrase qui permet d’imaginer un monde possible où Pierre aurait appris le chant et saurait donc chanter. L’exemple (32) n’est pas : dans un autre monde qui n’est pas celui de l’énonciation, « Pierre ne le saurait pas, Pierre n’aurait pas appris à chanter et n’aurait donc pas la capacité intrinsèque de chanter ce soir ». Cet exemple signifie dans le monde actuel « il est impossible que Pierre chante ce soir ».

27Nous constatons que le sujet perd sa force agentive au conditionnel. Autrement dit dans cet exemple, Pierre ne saurait chanter ne signifie pas que Pierre ne sait pas le chant (« ne possède pas de connaissance »). Nous pouvons dire que si Pierre est l’argument sujet (« rôle thématique ») de chanter, il ne l’est pas de saurait. Ce qui ne saurait (se produire), c’est-à-dire ce qui est impossible, ce n’est pas Pierre mais la proposition tout entière, que Pierre chante. Remarquons que le conditionnel ne peut pas faire office d’opérateur modal de possibilité avec tous les types de verbes, puisque les équivalences suivantes sont impossibles :

28Seul ce ‘glissement’ ou changement de sens est possible avec savoir au conditionnel. Cette forme obéit à une construction syntaxique particulière.

3.2. Structure syntaxique

29En premier lieu, se produit une montée du sujet. En effet, dans bien des exemples, le sujet de savoir désigne une entité non animée, ce qui est contraire au contenu lexical du sujet exigé par le verbe (une entité animée pensante, douée de raison). Pour l’expliquer, nous reviendrons sur la structure syntaxique de pouvoir. Dans une perspective générativiste, la modalité épistémique exprimée par pouvoir implique en structure profonde un sujet impersonnel (Rivero 1977). Nous le verrons à travers un exemple : Marie peut manger sous l’angle épistémique implique la phrase impersonnelle il est possible que Marie mange (esp. « alzamiento o subida de sujeto » ; ang. “subject-raising”) ; Marie est devenue sujet du verbe de la principale par montée du sujet.

  • 3 Les exemples [42], [43] et [44] sont empruntés à Rivero 1975.

30Notre hypothèse est qu’un même processus semble se produire avec ne saurait. C’est ce que nous observons dans les exemples [40] à [44]3 :

31L'exemple [42] équivaut à « on ne saurait laisser un tel crime impuni » ou il est impossible de laisser un tel crime impuni, il est impossible qu’un tel crime reste impuni » ; de même [43] implique la phrase « on ne saurait » ou « il est impossible de faire brûler ce bois, il est impossible que ce bois brûle ». Le sujet personnel de la subordonnée, un tel crime en [42], ce bois en [43], par un mouvement de « montée du sujet », est devenu sujet de la principale. Ce mouvement de « montée du sujet » est donc rendu possible par savoir au conditionnel. Il semble de plus, qu’il faille sous-entendre un sujet ou agent animé (on, forme impersonnelle). Nous l’expliquerons à présent en analysant le rapport existant entre le sujet (patient) et le verbe à l’infinitif.

32La spécificité d’une telle construction s’explique non pas tant par la nature non animée de l’élément auquel renvoie le sujet de la phrase que par le rapport qui unit le substantif sujet au verbe à l’infinitif. On utilisera l’analyse traditionnelle en cas sémantiques d’agent et de patient pour expliquer le rapport qui unit le sujet à l’infinitif. On observe que dans le cas le plus courant, celui où le sujet désigne une entité non animée, la construction doit avoir un sens passif. Rappelons que, d’une manière générale, la modalité épistémique apparaît plus facilement avec une construction de type passif ainsi que le soulignent Borgonovo & Cummins (2007). Dans notre exemple, ceci peut se traduire de deux façons. Soit le verbe est conjugué à la voix passive. C’est le cas en [45] et [46] :

33En [45] et [46] le verbe à l’infinitif est à la voix passive ; le sujet grammatical revêt par conséquent le cas de patient du verbe à l’infinitif ; l’objection est l’objet ou « patient » sur lequel s’exerce l’action de retenir en [45] et l’influence du substrat est aussi l’objet ou « patient » sur lequel s’exerce l’action de nier en [46]. Le sujet grammatical est donc le « patient » du verbe à l’infinitif.

34Soit est utilisé un verbe inaccusatif ou unipersonnel. Dans les exemples [47], [48] et [49] les verbes à l’infinitif sont des verbes intransitifs appelés « inaccusatifs » parce que leur sujet grammatical est l’objet ou « patient » sur lequel s’exerce l’action dénotée par celui-ci, autrement dit :

[…] denotan bien estados o bien eventos no agentivos (logros), como existir, aparecer, llegar, florecer, crecer, etc., cuyo único argumento se interpreta como el elemento que recibe la acción o en el que se produce o manifiesta la eventualidad que denota el verbo : i.e. el argumento de este verbo es un tema o paciente. » (Mendikoetxea 1999 : 1579).

[…] ils dénotent soit des états, soit des événements non agentifs (achèvement) comme exister, apparaître, arriver, fleurir, grandir, etc., dont le seul argument est interprété comme l’élément qui subit l’action ou celui où se produit ou se manifeste l’éventualité dénotée par le verbe : en d’autres termes, l’argument du verbe est un thème ou patient.

35En [47], l’action de rester impuni s’exerce sur le crime, en [48] celle de brûler sur le bois, en [49] celle de arriver sur il qui reprend rien de plus fâcheux. Le sujet grammatical revêt donc le rôle de patient du verbe à l’infinitif. Il semble que l’on puisse dégager deux groupes : soit l’agent existe dans le monde référentiel, soit l’agent n’existe pas dans le monde référentiel. Examinons le cas où l’agent existe dans le monde référentiel. En [45], [46] et [47], l’agent existe mais il n’est pas exprimé. On comprend ainsi on ne saurait retenir cette objection, on ne saurait nier l’influence du substrat, on ne saurait laisser impuni un tel crime. L’agent implicite désigne en fait un être animé ici exprimé par on. En [48], l’ambiguïté est maintenue puisque l’action de brûler peut être ou non provoquée par un agent animé.

36Dans le second cas, l’agent n’existe pas dans le monde référentiel. En [49], il n’y a pas d’agent dans le monde référentiel : le verbe arriver est unipersonnel, c’est-à-dire qu’il ne possède qu’un seul argument qui est « patient » du verbe et non agent. Cela revient à dire que le sujet de l’infinitif est l’être affecté par l’action désignée par l’infinitif : La chose retenue, est l’objection ; la chose niée est l’influence du substrat ; la chose restée impunie, est le crime ; la chose brûlée, est le bois ; la chose arrivée est rien de plus fâcheux. Il est donc possible, en français, de placer en position de sujet grammatical, un substantif désignant un être non animé, si ce dernier est le patient du verbe à l’infinitif.

Conclusion

37Nous avons tenté de montrer que ne saurait fonctionne comme un opérateur modal épistémique qui opère sur une proposition. Savoir perd son sens déontique (dynamique) au conditionnel, c’est-à-dire celui de « capacité à ». Syntaxiquement, la modalité épistémique est possible par un mouvement de montée du sujet. Si le sujet désigne une entité non animée, celui-ci doit être le patient du verbe à l’infinitif. Une question reste en suspens : celle de savoir si d’autres verbes modaux de nature déontique acquièrent également, dans un contexte similaire, une valeur épistémique.

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Notes

1 Dans certains cas, ne saurait peut être l’équivalent de devoir. La modalité demeure épistémique dans un cas comme dans l’autre puisqu’elle porte sur la proposition toute entière et repose sur le savoir du locuteur.

2 On remarquera que cette lecture se fait d’autant plus facilement que le sujet est générique et renvoie à un type ou à une catégorie d’objets, comme c’est le cas dans un tel crime, ce (type de) bois, (ce que l’on appelle) l’influence du substrat.

3 Les exemples [42], [43] et [44] sont empruntés à Rivero 1975.

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Pour citer cet article

Référence papier

Axelle Vatrican, « Ne saurait en français : opérateur modal épistémique »Modèles linguistiques, 71 | 2015, 61-75.

Référence électronique

Axelle Vatrican, « Ne saurait en français : opérateur modal épistémique »Modèles linguistiques [En ligne], 71 | 2015, document 3, mis en ligne le 01 septembre 2017, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/2340 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.2340

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Auteur

Axelle Vatrican

Membre de Babel, EA 2649

Maître de conférences à l'Université de Toulon

axelle.vatrican@orange.fr

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