- 1 Dans le corpus SBCSAE, le symbole (.) indique une pause courte, (..) une pause longue, (…) une paus (...)
1Nous souhaitons dans ce travail nous intéresser à des occurrences de like en anglais, so en allemand et genre en français dans des emplois de ces marqueurs aujourd’hui bien installés dans des contextes d'usage présentant des caractéristiques que l'on retrouve surtout à l'oral, comme la proximité entre les locuteurs et la faible planification du discours. Pour cela, nous avons utilisé un corpus d'étude constitué d'occurrences issues de corpus oraux, un corpus d'allemand le COSGEC (environ 100 000 mots), d'anglais SBCSAE (environ 200 000 mots) et les corpus PFC, CFPP2000 et Ofrom pour le français1. Nous avons également eu recours à quelques occurrences d'écrit (réseaux sociaux, blogs de bande-dessinée). Ces nouveaux usages sont pour nous le résultat d'un processus de grammaticalisation (Marchello-Nizia, 2006) subi par une unité source : like préposition, genre nom, so adverbe. Malgré leur diversité, dans leur nature et leur sémantisme, ces marqueurs présentent des traits communs qui leur ont permis d'évoluer vers des fonctionnements similaires, décrits notamment comme un fonctionnement de quotative (Golato, 2000, Fleischmann et Yaguello, 2004, Vigneron-Bosbach, 2015), ou de marqueur de focus (Wiese, 2011). Dans cet article, nous souhaitons nous intéresser à des cas où genre/like/so interviennent dans des structures en liste, tels que ceux qui apparaissent dans les exemples [1] et [2] ci-dessous :
2Like/genre/so semblent alors avoir un rôle au niveau de la structuration du discours, soit sur le plan sémantique en indiquant une relation entre des segments de discours de différents types, soit sur le plan segmental en jouant un rôle dans la construction progressive de la production. Cette construction progressive peut se manifester par des cas de reformulation mais aussi d'amorces de mots ou de « bribes » (Blanche-Benveniste, 1990 ; Pallaud, 2006). Notre hypothèse est que like/genre/so ne servent pas uniquement à garder la parole, qu'ils ne sont pas seulement des « pauses pleines » ou fillers comme ils sont parfois décrits (Streeck, 2002), mais qu'ils sont des outils de balisage particulièrement adaptés au mode de production de l'oral. Ce balisage peut s'opérer au niveau micro-syntaxique comme au niveau macro-syntaxique. Les observer dans ces structurations en liste s'avère éclairant quant à leur fonctionnement : en effet, les structurations en liste peuvent présenter des segments qui occupent la même place micro-syntaxique. Toutefois ces structures peuvent également se constituer de segments qui ne sont pas dans la même dépendance rectionnelle, mais qui entretiennent néanmoins une relation paradigmatique d'un point de vue macro-syntaxique. Dans les deux cas, nous pensons que genre/like/so peuvent jouer un rôle de jalon dans ces différents types de liste.
3Dans un premier temps, nous présenterons l'approche de la macro-syntaxe que nous adoptons ici et envisagerons comment les niveaux micro et macro s'articulent. Pour les configurations en liste, nous aurons recours à la modélisation des entassements proposée par Kahane et Pietrandrea (2012) et nous verrons en quoi cette catégorisation est pertinente ou non pour l'analyse de ces marqueurs. Nous verrons ensuite quelles caractéristiques d'insertion genre, like et so présentent dans ce type de configurations et nous présenterons les relations sémantiques et acoustiques qu'ils instaurent : sur le plan sémantique en effet, ils peuvent mettre en place une relation du générique au spécifique, soit de type exemplification ou illustration, soit de type précision. Ces relations sémantiques interviennent alors entre des segments de discours que l'on peut décrire grâce la micro-syntaxe ou bien qui nécessitent un recours à la macro-syntaxe. Enfin, nous présenterons des cas où genre/like/so ne semblent plus mettre en place une relation sémantique entre des segments de discours mais marquer des « embranchements » du discours oral. Nous terminerons par une synthèse des fonctionnements sémantiques et structurels que présentent ces marqueurs.
- 2 Il s'agit respectivement des équipes du GARS autour de Blanche-Benveniste, du LABLITA autour de Cre (...)
4Comme le note Avanzi (2007), le terme « macro-syntaxe » connaît aujourd'hui des sens très divers. Toutefois, il a principalement été développé et théorisé par trois équipes2 s'intéressant en priorité à l'oral et s'accordant sur le fait que « la phrase ne peut pas être l'unité grammaticale de référence pour la modélisation discursive […] » (Avanzi, 2007, 40). Ces approches constatent en particulier « le décalage entre les critères définitoires de la phrase traditionnelle et les productions authentiques orales (voire certaines configurations de l'écrit) » (ibid.), même si les outils macro-syntaxiques ne sont pas réservés à l'oral. Pour ce travail, nous nous plaçons dans le cadre de la macro-syntaxe telle que développé par le groupe de recherche aixois avec Blanche-Benveniste (1990). D'après ce cadre théorique, la micro-syntaxe (parfois seulement syntaxe) repose sur la notion de rection, c'est-à-dire qu'un élément lexical recteur, de type verbal ou nominal en général, régit des compléments sur lesquels il impose des restrictions catégorielles et sémantiques :
La syntaxe sera comprise ici dans un sens restreint comme le domaine où s'exercent les propriétés grammaticales des principales parties du discours, verbes, noms, adjectifs, et en particulier la propriété de régir d'autres éléments en sélectionnant à la fois leurs formes et leurs grands types sémantiques. (Blanche-Benveniste, 2010 : 159).
5Ce niveau d'analyse ne permet pas de décrire tous les types de regroupements, en particulier ceux présents à l'oral : « Ce que nous appelons macro-syntaxe est un domaine différent : il s'agit de relations qu'on ne peut pas décrire à partir des rections de catégories grammaticales. » (Blanche-Benveniste & al., 1990). Dans l'exemple suivant emprunté à ces mêmes auteurs, les deux segments a et b n'entretiennent pas de relation rectionnelle, et pourtant il y a bien une interdépendance :
6On a ici un premier segment a qui est bien formé syntaxiquement mais qui n'est pas autonome, et un segment b qui peut en revanche apparaître seul :
7Blanche-Benveniste & al. (1990 : 114) précisent :
Nous pensons que ces dépendances [qui ne peuvent pas être expliquées par la rection] ont un fondement grammatical, et qu'on peut décrire grammaticalement les relations de la macro-syntaxe, en utilisant d'autres moyens d'analyse que ceux de la rection de catégorie.
8L'unité minimale en macro-syntaxe est le « noyau », ensemble qui présente une autonomie à la fois sémantique et prosodique. À ce noyau peuvent être adjoints des « affixes » qui forment des segments non autonomes :
-
le « préfixe » (ou « zone avant noyau » dans la terminologie de l'ouvrage de 2010) ;
-
le « suffixe » (ou « zone après noyau », 2010), qui ne peut pas suivre un préfixe, et présente une intonation conclusive. Il s'agit souvent de segments commençant par car, tandis que, vu que ;
-
le « postfixe » (ou « secteur post-final de la zone après noyau », 2010) qui sera prononcé sur un ton bas à l'oral et qui ne peut pas recevoir de modalité.
9Le segment b de l’exemple [3] constitue un noyau dont le segment a est le préfixe. D'un point de vue rectionnel (donc au niveau micro-syntaxique), le segment a forme une unité complète et indépendante, mais d'un point de vue macro-syntaxique, c'est une unité dépendante. Il est donc possible de faire une analyse micro- et une analyse macro-syntaxique d'un même énoncé ; les deux niveaux forment deux modules complémentaires et non exclusifs.
10La typologie des entassements proposée par Kahane et Pietrandrea (2012) s'inspire des propositions faites par Blanche-Benveniste en ce qui concerne les structures de listes et la méthodologie de l'analyse en grilles (Blanche-Benveniste & coll., 1979). Kahane et Pietrandrea définissent ainsi les entassements : « constructions caractérisées par le fait que plusieurs éléments occupent une même position régie » (2012). Kahane et Gerdes ont davantage modélisé cette définition:
We consider that a segment Y of an utterance piles up with a previous segment X if Y fills the same syntactic position as X. In other words, Y does not occupy its own syntactic position in the utterance in terms of syntactic dependencies. Rather than being directly dependent on another term of the utterance, Y inherited its syntactic governor from its paradigmatic relation with X. (Kahane & Gerdes, 2009 : 9)
- 3 Nous avons conservé les modalités de transcription mises en place par les auteurs : les accolades { (...)
11Cette modélisation se place donc à un niveau d'analyse micro-syntaxique. Ces définitions syntaxiques se placent de plus dans une vision de la syntaxe comme syntaxe de dépendance et non de constituance, correspondant à la définition proposée plus haut. Ces auteurs insistent sur le fait que cette définition permet d'avoir un même outil descriptif pour des phénomènes souvent envisagés de façon séparée, comme la coordination et la reformulation d'une part, les bribes et amorces d'autre part comme dans l’exemple [4]3 où on a un piétinement sur le déterminant les et une reformulation du syntagme nominal les capitales en les grandes villes :
12Selon ces auteurs, on ne peut pas distinguer d'un côté des reformulations volontaires et de l'autre des bafouillages involontaires, fréquents à l'oral. Il nous semble tout-à-fait pertinent de ne pas exclure ces derniers phénomènes de l'analyse et de ne pas les considérer comme des « scories » de l'oral, comme le disent à juste titre Blanche-Benveniste & Martin (2011 : 133). De fait, la notion d'entassement, et auparavant celle de liste ont été développées dans le cadre de l'analyse de l'oral, lieu des bribes par excellence, même si ces notions pourraient tout-à-fait être utilisées pour analyser des textes écrits. Il s'agit de prendre en compte la progression syntagmatique mais aussi paradigmatique du discours oral, comme le rappelle Blanche-Benveniste :
Une observation attentive permet de voir comment nous procédons, quelles unités nous utilisons pour faire avancer nos discours, quelles tenues en mémoire nous avons, à la fois pour les morceaux déjà énoncés et pour ceux que nous projetons d'énoncer. On peut ainsi observer comment se fait la mise au point des syntagmes, la recherche des « bonnes dénominations », et le travail constant d'évaluation que nous faisons sur nos propres discours […]. Nous avançons dans notre production de discours en utilisant à la fois un axe de déroulement syntagmatique et un axe paradigmatique (Blanche-Benveniste, 1990 : 17-18).
13Les disfluences sont importantes à inclure pour ce qu'elles révèlent sur la planification du discours oral : « encoding disfluencies reveals basic aspects of utterance planning and constitutes essential training data for future parsers of spontaneous speech » (Gerdes & Kahane, 2009). Pallaud (2006) remet en question le terme de « disfluence » :
Dès l'origine, ces achoppements conçus comme des trébuchements, ont été considérés comme des erreurs et qualifiés de disfluents voire même de dysfluents. Or leur étude (en particulier, grâce au dispositif de la mise en grille ; Blanche-Benveniste, 1997), a moins insisté sur l'aspect disfluent de ces phénomènes que souligné la progression de l'énoncé par piétinements syntaxiques successifs (2006 : 708).
14Puisque c'est précisément la question de la progression de l'énoncé qui nous intéresse, il nous semble tout-à-fait pertinent d'éviter le terme disfluence. Nous aurons donc recours aux termes amorces (interruption au milieu d'un mot) et bribes (interruption à la frontière de mots ou amorce de syntagme) (Pallaud, 2008 : 260).
15Selon Gerdes & Kahane (2009), puis Kahane & Pietrandrea (2012), un entassement se compose de plusieurs « conjoints » entretenant une relation paradigmatique et alignés en « couches ».
16Dans l’exemple ci-dessus, cagoulés et armés sont les deux conjoints du premier entassement. Ces deux conjoints forment deux couches liées par une conjonction de coordination. En effet, en début ou fin de couche, on peut trouver ce que ces auteurs appellent des « marqueurs d'entassement » ou pile markers (Gerdes & Kahane, 2009). Il peut s'agir :
-
de conjonctions de coordination, qui ont seulement une relation syntagmatique avec les conjoints et ne peuvent apparaître qu'entre deux conjoints, la suppression d'une couche entraînant leur agrammaticalité :
-
d'adverbes paradigmatisants (Nolke, 1983) maybe, also, too, not, auch, vielleicht, aussi... Comme le signalent Gerdes & Kahane (2009), “they are part of the relation between the second layer and the context, they open a potential list of elements that are in a paradigmatic relation with the following item”;
-
de marqueurs discursifs (uh, bon, ehm) qui peuvent jouer un rôle paradigmatique à l'instar des précédents, mais sont considérés hors de la structure syntaxique et ne construisant pas de relations syntagmatiques avec d'autres mots.
17Kahane & Gerdes (2009) résument ainsi les relations entre les couches d'un entassement : “layers can be seen as alternatives. It is possible to walk these structures by choosing one layer of each pile, extracting as many utterances as there are paths”. Les conjonctions de coordination, elles, ne font pas partie de ces « chemins » mais jouent seulement un rôle dans les relations syntagmatiques entre les couches.
18Comme le montre la représentation ci-dessus, Kahane (2012) reprend et précise l'analyse en grille de façon à positionner la conjonction de coordination et l'adverbe paradigmatisant sur un alignement vertical différent.
19Nous avons remarqué dans notre corpus que genre/like/so apparaissaient dans des structures en liste dont certaines présentent les caractéristiques d'un entassement. Dans ce cas, ils interviennent dans la structuration micro-syntaxique. Nous aurons recours à la terminologie proposée par Kahane & Pietrandrea, à savoir entassement, couches et conjoints qui nous paraît très utile à la description. Nous souhaitons observer comment ces trois marqueurs s'insèrent dans ces structures et quelles relations ils mettent en œuvre.
20À partir des corpus mentionnés en introduction, nous avons obtenu environ une centaine d'occurrences de ces trois marqueurs intervenant au début ou à l'intérieur d'une configuration en liste et nous avons remarqué certaines régularités. Tout d'abord, like/genre/so ne s'insèrent qu'au début d'une couche de l'entassement, juste avant un conjoint, comme le montre la représentation en grille des exemples [1] et [2] (les conjoints sont en italiques) :
Tableau 1 : Représentation en liste [1]
Tableau 2 : Représentation en liste [2]
- 4 Les traductions des exemples en allemand sont de nous. So n'est cependant pas toujours traduisible (...)
21Lorsqu'il y a une conjonction de coordination et que like/genre/so interviennent au début d'une couche autre que la première, ils ne peuvent pas précéder la conjonction comme le montrent les manipulations ci-dessous4 :
22En ce qui concerne [7]a., le déplacement de like avant or rend l'énoncé agrammatical. En [8]a, le déplacement de so avant la conjonction oder est impossible sans changer le découpage syntaxique. En effet, la manipulation supposerait alors que so serait à rattacher à la fin de la première couche, c'est-à-dire au segment fünfzehn leute qu'il marquerait comme approximatif. De même, [9]Error: Reference source not founda n'est peut-être pas inacceptable mais il provoque un changement de regroupement : genre serait alors à la fin de la couche précédente pas tous les samedis genre. Cependant, à la différence de like, la manipulation paraît possible : cela suppose que genre peut, comme so, occuper une position finale dans un entassement, mais l'énoncé n'a pas alors le même sens et nous n'en avons trouvé aucun exemple avec genre positionné à la fin d'une couche dans notre corpus d'étude.
23En revanche, comme le montre les manipulations ci-dessous, les marqueurs semblent pouvoir s'intervertir avec un adverbe paradigmatisant lorsqu'il y en a un comme plutôt en [9], ou un marqueur discursif comme you know en [7] :
24En [10], on note une pause (+) après genre ce qui laisse supposer que plutôt introduit la première liste qui suit des sauces, des piments, des trucs comme ça, tandis que l'ensemble c'est genre indique que les deux énumérations qui suivent (des sauces […] ou du riz...) sont sous sa dépendance et s'entassent ; en [10]a, c'est le segment c'est plutôt qui englobe les deux énumérations et on pourrait envisager une pause avant genre. De plus la séparation entre les deux énumérations est marquée par une pause avant ou. En [7], il nous semble que les deux like mettent en parallèle et en position de conjoints rural areas et Central Iowa and stuff, tandis que you know appelle l'interlocuteur à envisager Central Iowa élargi par and stuff comme un ensemble de propriétés connu de lui et du locuteur ; en [7]b, nous proposons que la position de you know lui permet cette fois de porter sur l'ensemble like Central Iowa and stuff : il appelle l'interlocuteur à considérer la mise en parallèle de rural areas et Central Iowa and stuff comme potentiellement connue. Néanmoins, le segment you know like Central Iowa and stuff semble alors fonctionner comme une parenthèse, ce qui rend la présence de la conjonction or un peu bancale. On voit donc que l'inversion de genre/like et d'un adverbe paradigmatisant ou d'un marqueur discursif n'est pas sans provoquer un changement de sens.
25Kahane (2012) envisage trois positions syntaxiques dans une couche d'entassement, visibles dans la représentation de l'exemple [6] donné plus haut, et que nous reproduisons ci-dessous ; un marqueur d'entassement ou joncteur (de type conjonction de coordination) en premier, puis un adverbe paradigmatisant, et enfin un conjoint :
Tableau 3 : disposition en liste de l'exemple de Kahane
26Il n'est pas fait de proposition supplémentaire concernant les marqueurs discursifs. D'après les manipulations que nous avons proposées dans cette partie, genre/like/so n'ont pas les même propriétés que les conjonctions de coordination. En revanche, ils présentent des traits communs avec les adverbes paradigmatisants et les marqueurs discursifs. Cette dernière dénomination est d'ailleurs souvent utilisée pour les décrire.
27Après cette brève description des possibilités d'insertion de genre/like/so dans des structures en entassements, nous allons envisager dans la section suivante les relations sémantiques mises en place par ces trois marqueurs dans des configurations en liste, relations que nous mettrons en regard avec les analyses acoustiques des exemples présentés.
28Genre/like/so peuvent introduire une liste qui est présentée comme un exemple. Dans les exemples ci-dessousError: Reference source not found les entassements introduits par genre et so contiennent trois conjoints sans autre marqueur d'entassement.
29L'ensemble dans cinq ans dans dix ans dans quinze ans présente une liste d'intervalles possibles pour une étude sous forme de syntagmes prépositionnels dépendant syntaxiquement du verbe faire et l'entassement résultant présente un ensemble plus large sous-entendu : faire une étude longitudinale par exemple tous les cinq ans. Genre présente une possibilité de réalisation de cet ensemble et indique que la liste vaut par sa valeur globale. De même, dans l'exemple suivantError: Reference source not found, la liste introduite par so des trois langues spanisch französisch italienisch sous forme de syntagmes nominaux en position de sujet disloqué renvoie à une classe plus large, les langues romanes.
30En [13], on a, comme en [11], une liste numérique :
31Nous observons un premier entassement assez complexe avec quatre couches et réparti sur plusieurs tours de parole avec deux locuteurs différents. La dernière couche introduite par so contient elle-même un entassement de deux adjectifs modifiant le nom Stunden. Le SN contient ainsi deux valeurs numériques illustrant viele Stunden. Nous considérons que drei vier ne constitue pas une liste additive ou alternative mais une sélection qui créé une valeur plus grande. So permet d'indiquer qu'un ensemble numérique plus large englobant drei et vier est sous-entendu. Comme le signale Wiese, « so generates a set of alternatives from the denotation of its co-constituent, thus supporting a particular representation of alternative or structured meanings » (2011, 1027). Nous pensons que so souligne que le locuteur sélectionne un choix de valeur sans en exclure d'autres possibles et laisse la place à une validation ou au contraire à une invalidation de la part de son interlocuteur. De plus, il instaure une relation d'exemplification avec le segment viele Stunden. Il en va de même avec like en [14] :
32Like s'insère entre le verbe have got et son objet direct thirteen or fourteen kids. Il présente les deux valeurs numériques comme formant une valeur plus large dans laquelle elles sont comprises, mais incluant également d'autres valeurs possibles. La recherche de dénomination marquée par I can't remember renforce cette interprétation. Like signale que cette relation prédicative est prise en charge par l'énonciateur mais laisse « un espace de validation » au co-énonciateur comme le propose Collin (2008, 208-209) : « Il s'agit pour like de dissocier entre la prise en charge et la création d'un espace laissé libre pour la qualification et la co-construction du discours ».
33En [15], les conjoints sont nominaux, objets directs du verbe vergleichen, et représentants d'un type de chaîne de télé : d'un côté les chaînes de mauvaise qualité RTL2/SAT1, de l'autre les chaînes de bonne qualité ARD/ZDF.
- 5 « Extenseur » en français.
34Chaque couche est elle-même composée d'un autre entassement (RTL2/und Sat1) ((so) ARD/und ZDF). La première couche se termine par un extender5 (Overstreet, 2005) oder so was qui indique bien qu'il s'agit d'éléments à comprendre comme représentants d'un ensemble de traits, en l'occurrence mauvaise qualité. So introduit la deuxième couche également constituée de deux représentants de la deuxième catégorie de chaînes de télé. Il nous semble qu'il permet à la fois d'indiquer le début de la deuxième couche (la première couche étant clôturée par oder so was) et de marquer que les deux noms qui suivent sont des représentants d'une catégorie, et donc que d'autres représentants ne sont pas exclus.
35En [16], like est entre le verbe eat et son objet direct sous forme de deux syntagmes nominaux coordonnés :
36Le premier syntagme nominal fait référence à un plat spécifique a ceviche dont la détermination extrait un élément de la classe, alors que le deuxième all kinds of salads décrit un domaine générique de par la détermination totalisante all kinds of et le pluriel sur salads. Like indique que cette liste n'est pas exhaustive, ce que confirme l'énoncé suivant I eat all kinds of stuff like that avec l’utilisation du terme générique stuff et la reprise pronominale en that. On note par ailleurs le présent générique qui fait de eat a ceviche une caractéristique de I. Like ouvre un champ de possibles : il semble cohérent que ce champ ne puisse pas être représenté par un seul type (de nourriture). D'ailleurs, cette ouverture est utilisée par l'interlocuteur qui interrompt et ajoute un élément supplémentaire à cette liste, guaca (probablement guacamole).
37Les cas observés dans cette partie présentent les marqueurs genre/like/so à l'articulation micro-syntaxique des énoncés, c'est-à-dire avant une liste d'éléments qui occupent la même position régie, mais nous allons voir, dans les sections suivantes, des cas où ils se peuvent se placer à l'articulation macro-syntaxique.
38Il arrive que like/genre/so introduisent une liste dont le deuxième conjoint est une correction suite à une négociation. Kahane et Pietrandrea parlent alors de « reformulation dénotative » (2012, 1819).
- 6 Notons la différence avec le so suivant de l'exemple : so ein ehm buch geschrieben lehrerhassebuch. (...)
39En [17], on peut se poser la question de l'appartenance ou non de so à la détermination ([so eine] junge Mutter). Toutefois le fait que so et ein soient séparés par le marqueur d’hésitation ehm nous semble bloquer cette analyse6. La présence du marqueur provoque un effet d'annonce d'une précision à venir (il est à noter que so est en fait encadré par le marqueur d'hésitation ehm). Cependant, le deuxième conjoint est ici en réalité une correction introduite par le joncteur alternatif oder et le marqueur de réfutation na. Elle élimine le choix ouvert fait par so eine Mutter : on parle de la même personne mais le statut qui prédomine est celui d'auteure et non de mère. D'ailleurs eine Autorin est sujet disloqué d'un énoncé qui ré-asserte son statut de mère : die hat vier Kinder.
40En [18], on a une négociation progressive opérée par le même locuteur puis poursuivie par l'autre locuteur : a little yellow S > a diploma type thing > not a diploma > a letter :
41Le segment like a diploma type thing sélectionne une valeur présentée comme approximative grâce à type et thing qui fait l'objet d'une correction introduite par le joncteur or, puis par le marqueur de reformulation I mean et enfin par la négation not. Là encore, le champ des possibles ouvert par like étant très large, une correction s'avère nécessaire. En ce qui concerne genre, la position en début d'entassement suivie d'une correction ne semblerait pas impossible mais elle est absente de notre corpus.
42Ainsi, so/like peuvent s'insérer en début de liste contenant une correction : de fait, nous pensons à la suite de Wiese (2011) qu'il s'agit de marqueurs qui introduisent un élément présenté comme un choix de valeurs non exclusif, et par conséquent très large. Cette « ouverture » sémantique peut donc nécessiter une correction après coup. Cette correction peut s'entasser avec le segment introduit par les marqueurs étudiés : ils sont alors au début d'une liste de type micro-syntaxique. Mais ils peuvent également permettre d'introduire une restriction ou une précision en se plaçant à l'intérieur d'une liste qu'on peut analyser de façon micro-syntaxique ou macro-syntaxique.
43Dans ces cas-là, les marqueurs s'insèrent entre deux conjoints, et non pas en tête de liste. Dans l'exemple [2], que nous reprenons ci-dessousError: Reference source not found, le même conjoint la grippe est entassé trois fois :
44Ce terme revêt cependant un sémantisme différent. En effet, le troisième conjoint introduit par genre a une valeur de spécification : parmi les grippes, s'agit-il de la H1N1 qui inquiète tout le monde à moment-là ? De plus le déterminant écrit en majuscule représente une emphase qui signale que cette grippe particulière est à concevoir en opposition par rapport aux autres, les grippes « banales », lorsque le déterminant est en minuscule comme dans le troisième conjoint ; ce troisième conjoint est enfin suivi d’un quatrième, introduit par le marqueur de reprise celle qui, qui permet une correction (celle qui est juste relou pareil, mais qui en + n'intéresse personne) : il s'agit d'une grippe standard.
45Ce type de structure est le plus fréquent dans notre corpus. On a alors un mouvement du général au spécifique : like/genre/so introduisent un élément qui spécifie la dénotation du premier conjoint et qui occupe la même position micro-syntaxique que celui-ci. En (19), on a un entassement de trois conjoints en position d'attribut :
46Le premier conjoint diese Figur est déterminé par un démonstratif dont la référence se construit à gauche (mein Papa) et qui est déictique ; il est stabilisé via le repérage par rapport à l'énonciateur-locuteur. De plus il est suivi du marqueur discursif d'appel à l'interlocuteur weisst du. So permet d'introduire un syntagme nominal qui précise cette détermination dieser grosse starke Mann puis d'un autre SN défini den Fels in der Brandung suivi du marqueur d'approximation quasi. Ces trois conjoints permettent tous de décrire le même référent mein Vater avec des formulations et des dénotations différentes, avec un mouvement qui va du plus général au plus précis. On suit les tâtonnements successifs du locuteur pour trouver la description la plus juste.
47Pour like, on trouve également des cas où il introduit une précision, comme dans l’exemple suivant :
- 7 Logiciel libre développé par P. Boersma et D. Weenink (The Institute of Phonetic Sciences, Amsterda (...)
48Like introduit un ajout de propriétés par rapport au premier conjoint : l'ensemble salads est précisé par un représentant d'une sous-classe de ce domaine, green salad. L'entassement se termine par un extenseur ‘or whatever’ qui opère un parcours : tout ce qui est de la salade, verte ou pas. On peut découper cet énoncé aussi bien avec les outils micro-syntaxiques qu’avec les outils macro-syntaxiques : d'un point de vue micro-syntaxique, salad et green salad sont des conjoints, le premier régi par le verbe get et le deuxième héritant de cette dépendance par la relation paradigmatique des deux conjoints ; d'un point de vue macro-syntaxique, on a un noyau indépendant can I just get salad, suivi d'un segment qui se place après la frontière intonative de ce noyau like green salad or whatever. Comme le montre la figure ci-dessous obtenue avec le logiciel Praat7 :
Figure 1 : Représentation de l’exemple (20) sous Praat
- 8 Il s’agit bien ici d’une pause et non de la tenue de la plosive finale de like, comme le montre le (...)
49can I just get salad et green salad or whatever forment deux unités intonatives distinctes et like, « isolé » des deux segments gauche et droite par des pauses (une pause de 620 ms à gauche et une plus courte pause de 220 ms à droite8), servirait de « signal » du statut de postfixe de green salad ; il s’agirait d’un élément ajouté a posteriori et non nécessaire à la stabilisation de l’énoncé. Like se place donc à l'articulation micro- et macro-syntaxique de cet énoncé.
50En [21], on retrouve une structure similaire. Le syntagme adverbial en position attributive beaucoup plus tard est après-coup précisé par le nom première (désignant la classe de lycée), prolongé par l'extenseur quelque chose comme ça :
51A la différence de [20], première ne s'entasse pas au sens strict avec beaucoup plus tard puisque ce nom nécessiterait d'être inséré dans un syntagme prépositionnel pour pouvoir prendre la même fonction que le syntagme adverbial :
52Donc genre ne relie pas deux segments régis occupant strictement la même position micro-syntaxique. Néanmoins, le segment première quelque chose comme ça n'est pas pour autant indépendant par rapport à ce qui précède, et propose une reformulation qui précise beaucoup plus tard. On peut considérer que genre permet d'introduire une précision dans un segment qui entretient une relation explicative avec le noyau c'était beaucoup plus tard : genre ferait du segment qui suit un postfixe de ce noyau. Il se place donc à l'articulation macro-syntaxique et indique le statut de dépendance macro-syntaxique de l'ensemble qu'il introduit. Sur le plan prosodique, comme le montre la figure [2] :
Figure 2 : Représentation sous Praat de l’exemple [21]
- 9 Il s’agit de ce qui est désigné par « pause pleine ».
- 10 Il s’agit ici d’une disjonction mélodique, c’est-à-dire une rupture dans la courbe de la fréquence (...)
53Genre suivi de euh9 est prononcé sur une plage basse, en rupture avec ce qui précède et ce qui suit ; on a en effet ensuite une attaque haute sur première, dans la continuité de c’était beaucoup plus tard. Prononcé en disjonction10 par rapport aux deux éléments qui l’encadrent, genre, comme like en (19) signale le statut de postfixe de l’élément qui suit : il introduit un ajout a posteriori.
54En [22], on a un cas un peu spécifique : I heard est complété par la structure en -ing avec le sujet everybody. Sur le plan acoustique, contrairement à précédent, il n’y a pas de disjonction dans la courbe de la fréquence fondamentale ; il y a une pause pleine (um) suivie d’une micro-pause avant le marqueur discursif you know. Like introduit ici une précision au pronom everybody sous la forme du syntagme nominal the people that took the class before. Enfin, la forme en -ing est reformulée par un nouveau matériau linguistique, talking about :
Figure 3 : Représentation sous Praat de l’exemple [22]
55On peut envisager le segment you know like the people that took the class before comme une parenthèse qui « interrompt le déroulement de l'énoncé hôte » (Blanche-Benveniste, 2010, 174), et qui nécessite la reprise d'un syntagme verbal en -ing. Cette interruption est marquée par la pause pleine um suivie de la pause vide, de même que par you know qui appelle l'interlocuteur à valider la mise en parallèle de everybody et the people. Dans ce cas, like marque la relation d'élucidation entre everybody et le segment qui suit, malgré le statut inachevé du segment précédent. Il n'y a pas de relation de rection à proprement parler entre le début de l'énoncé et le segment introduit par like. Ce marqueur maintient donc une relation de dépendance sémantique de type explicitation malgré la présence d'une rupture micro- et macro-syntaxique.
56Nous observons que dans certaines configurations genre/like/so n'indiquent plus seulement une relation allant du générique au spécifique, comme une relation illustrative par exemple, mais que leur rôle se déplace au niveau de la construction progressive de la production orale.
57Genre/like/so sont présents dans des configurations en liste constituées de bribes (amorces de syntagmes) et d'amorces (de mots). Pallaud (2006) distingue deux types d'amorces : les amorces complétées ou modifiées pour lesquelles on a un piétinement sur le même emplacement syntaxique et les amorces inachevées pour lesquelles l'énoncé se poursuit en abandonnant la position syntaxique amorcée. Blanche-Benveniste note que le piétinement a toujours lieu au début du segment (Blanche-Benveniste, 2010, 82). Pallaud (2006) remarque que lorsqu'une amorce est complétée, elle ne l'est jamais directement (*un li-vre) mais nécessite une reprise au début du mot ou du syntagme (un li- livre, un li- un livre).
58Notre corpus semble indiquer que genre/like/so sont plus fréquents avec des bribes, c'est-à-dire des amorces de syntagmes, qu'avec des amorces de mots. On trouve des cas de reprise qui complètent l'élément amorcé, ou bien le modifient, le corrigent.
59Lorsqu'ils sont entre deux couches, c'est-à-dire entre deux éléments d'une liste, plusieurs types de reprises sont à remarquer. Like, genre et so peuvent introduire la reprise et complétion d'une amorce de mot ou de syntagme :
60En [23], on a une amorce du mot d- (different) qui est complétée après like en remontant au début du syntagme puisque le déterminant est repris. En [24] on a un énoncé qui démarre par un piétinement sur le sujet he, puis une amorce de forme verbale ca-. Ce premier syntagme verbal est alors repris et modifié en he takes : de nouveau il y a un piétinement sur le sujet he, puis deux amorces t-, tw- séparées par le marqueur d'hésitation uh, avant la réalisation complète takes. Like introduit alors le piétinement résolu sur la deuxième forme verbale. Il s'agit donc d'une bribe qui est ensuite complétée. C'est le cas également en [25] où un syntagme prépositionnel est amorcé par la tête à puis repris et complété en à un quart d'heure de la fac. Cette reprise est introduite par genre. En [26], on a également un syntagme prépositionnel amorcé par from suivi de la pause pleine um, repris et complété en from their surface. Like introduit cette reprise. Dans d'autres cas, les marqueurs introduisent une reprise sous forme de modification de l'élément amorcé :
61En [27] il s'agit d'une bribe suivie d'une correction introduite par le marqueur genre, le début de syntagme nominal les est corrigé en le puis complété. En [28], un syntagme nominal est amorcé par la tête des puis modifié par un syntagme nominal singulier un parti écolo introduit par genre. On note cette fois-ci que la reprise se fait en remontant au niveau de l'élément recteur dont dépend le SN, à savoir le syntagme verbal il y a pas : il y a donc à la fois un entassement du SN régi sous forme de bribe puis de SN complété, et en même temps un entassement de l'élément recteur en facteur commun, même si pour Kahane & Pietrandrea (2012), un syntagme verbal ne peut pas être un conjoint puisqu'il n'occupe pas une position micro-syntaxique. Selon nous, cette reprise donne bien lieu à un entassement au sens strict du SN régi.
62Les cas de reprise de l'élément recteur dans des listes de type bribes complétées ou modifiées peuvent être mis en parallèle avec des cas qui ne présentent pas des bribes, mais des reformulations. Il s'agit d'occurrences proches de celles que nous avons vues en 4. mais dans lesquelles l'élément recteur est repris, ce qui réinstancie la dépendance micro-syntaxique.
63En [18] ci-dessus, le syntagme verbal am I getting est repris à l'identique avec un autre SN objet introduit par like. Comme en [28] l'élément recteur am I getting est repris avec les syntagmes objets a little yellow S / a diploma type thing / not a diploma, par exemple. On trouve également des cas qui ressemblent à un entassement, mais là encore le syntagme verbal est repris dans son ensemble. En [29], à l'instar des exemples vus en 4., genre introduit une exemplification à deux mille mètres qui permet d'illustrer en altitude. De même, en [30], le SV die haben est produit avec l'objet ihre Liste puis repris avec le connecteur de reformulation also et un autre SN objet, ein Zettel, introduit par so.
64Ainsi genre, like et so permettent de redémarrer une structure amorcée ou bien de reformuler une structure achevée. Ils permettent ainsi de réembrancher des segments de discours oral soit parce qu'ils sont laissés en suspens, soit parce qu'ils font l'objet d'un retour en arrière. Et cela peut dépasser le cadre strict des entassements.
65Dans les exemples ci-dessous, so et like apparaissent après un verbe dans un syntagme verbal qui est amorcé et repris et modifié :
66En [31], la forme finie du verbe passe d'un auxiliaire modal sollte à la forme passive wurde. Le syntagme nominal objet amorcé so eine est alors repris et complété en eine Schulkonferenz. So est abandonné dans la deuxième formulation. Dans l'exemple suivantError: Reference source not found, la forme verbale passe du présent au passé. Like annonce un attribut qui n'est pas réalisé. Lors de la reprise et correction, like est alors abandonné. On note également à nouveau la présence de you know qui appelle à la validation de l'interlocuteur avec une intonation descendante qui clôture le segment. Cette fonction nous semble très complémentaire de ce que permet like en ouvrant un espace de co-validation (Collin, 2008). Nous proposons de mettre ces exemples en parallèle avec ceux que nous avons présentés en 4.2. : ces marqueurs sélectionnent une valeur sans éliminer d'autres alternatives et peuvent donc nécessiter une restriction après coup. Dans le cas de bribes, la reprise du syntagme peut permettre d'éliminer l'hésitation et conduire à la suppression du marqueur. Il s'agit ici d'une restriction de l'hésitation quant à la suite de l'énoncé.
67Les différents types d'entassements proposés par Kahane & Pietrandrea (2012) peuvent se combiner, en particulier les bribes avec d'autres entassements, ce qui pose la question de la catégorisation. Nous observons parfois une sorte d'enchâssement, comme en [33]Error: Reference source not found, exemple pour lequel la représentation en grille s'avère particulièrement éclairante pour l'analyse :
Tableau 4 : Représentation en liste
68Notons que, à la différence de [23], l'amorce du mot resort ne donne pas lieu à une reprise au début du syntagme, c'est-à-dire incredible. On remarque que like peut s'insérer en début de couche à différents niveaux. On a ici une énumération d'éléments positifs décrivant un lieu de vacances. L'exemple commence par une description de l'eau avec deux conjoints principaux beautiful blue water puis warm water. Like introduit ensuite un nouveau thème, à savoir ce qui se trouve dans l'eau : coral, tropical fish. Ensuite, le dernier type d'éléments de la liste, resort hotels and restaurants, fait l'objet d'une amorce du début du mot resort qui est ensuite réalisé complètement après avoir été introduit par like. Le terme resort est le début d'un syntagme nominal comprenant les deux derniers noms hotels and restaurants. Ces deux noms sont coordonnés et également introduits par like. On a donc ici une série de listes enchâssées les unes dans les autres et on voit que like intervient à différents embranchements (énumération coordonnée, bribe ou amorce) comme une balise indiquant les différents niveaux du texte. On observe un fonctionnement similaire avec so en [34] :
69Le syntagme prépositionnel in Geisteswissenschaften in Anführungszeichen fait l'objet d'une construction progressive sous forme de bribes complétées ou corrigées, amorces introduites par so :
Tableau 5 : Représentation simplifiée en liste
70Le SP est d'abord réalisé uniquement par la préposition, puis complété par un début de syntagme nominal comprenant l'adverbe ganz. So introduit ensuite une correction de la suite in ganz en in den ganz, mais le SP reste incomplet. Le SP fait l'objet d'une nouvelle bribe et so intervient cette fois devant l'amorce du SN ein gei- qui est enfin repris et modifié en nombre puisque sa réalisation finale et complète est au pluriel geisteswissenschaften. Tout comme like dans l'exemple précédent, so semble intervenir à différents embranchements de la construction micro-syntaxique de cette production. En (35), genre semble également jouer un rôle dans la construction progressive du discours à l'oral :
71Genre apparaît en premier lieu après la structure présentative ça va être. On pourrait attendre par exemple un adjectif en position attributive (ça va être genre super). Mais genre introduit ici un SV je vais montrer dont l'objet direct va donner lieu à plusieurs formulations : le syntagme nominal des gars qui est amorcé, la relative restant en suspens ; sur cette même position s'entasse le SN des petites images émotionnelles que j'aurai réussi à choper introduit par genre ; puis une nouvelle occurrence de genre permet de reprendre et compléter le premier SN des gars qui... avec développement de la relative. Ce SN est d'ailleurs précédé du marqueur je sais pas qui indique un retour du locuteur sur son propre discours. Ce SN est illustré par une série d'énoncés complets du point de vue de la rection ils travaillent avec des post-it / ils font des grands dessins sur les murs / ils ont des tables où ils peuvent dessiner dessus. Cette série est démarrée puis clôturée par le marqueur d'appel à l'interlocuteur tu sais, mais également ponctuée par le terme machin qui semble fonctionner comme un extenseur des segments qu'il suit. Enfin, un nouveau SN est mis en place les gars stressés qui... lui aussi introduit par genre : on note le passage de la détermination indéfinie des à la détermination définie les qui marque la reprise. De plus, on retrouve tu sais au début de ce dernier SN, appelant l'interlocuteur à valider la mise en parallèle de ces différents SN, et machin en position d'extenseur.
72Genre permet selon nous de se projeter dans une situation non encore réalisée, comme l'indique l'emploi du futur, et d'indiquer qu'il s'agit ici d'une représentation de ce que sera le film que le locuteur va tourner. Les différents éléments introduits par ce marqueur sont présentés comme des possibles n'excluant pas d'autres options qui auraient des traits similaires. Mais il nous semble que si genre est peut-être plus chargé sémantiquement que like et so dans les exemples précédents, il a aussi un rôle de marquage des embranchements de ce discours : la première occurrence permet d'indiquer que le segment je vais montrer... est dépendant du présentatif ça va être, même s'il ne s'agit pas d'une dépendance rectionnelle, puisqu'on peut difficilement construire je vais montrer comme attribut du présentatif. Les occurrences suivantes de genre se placent toutes avant un SN qui est dans une dépendance micro-syntaxique avec le verbe montrer. Ainsi, genre semble pouvoir également baliser et marquer des embranchements aussi bien micro- que macro-syntaxiques.
73Ce rôle de marqueur d'embranchement nous paraît plus développé avec like. Streeck parle de « backward-linking device » et precise :
Like [...] becomes a generalized (backward) linker, with which a new bit of talk can be made out as a respecification of what has been said before, by self or other. Among other things, it enables speakers to “recomplete” utterances that had already come to syntactic completion (cf. Lerner, 1987). (Streeck, 2002, 588)
- 11 This makes like particularly suitable as a ‘filler’, that is, as a device used when the speaker is (...)
74Nous pensons que like s'est davantage développé dans cette nouvelle fonction par rapport à so et genre, et qu'il ne permet pas seulement de re-compléter un énoncé déjà formé11, mais aussi de revenir à un point du discours pour compléter ou modifier une structure amorcée, comme on le voit dans l'exemple (36) : il s'agit d'une conversation d'un couple au téléphone ; la jeune femme a pensé qu'elle était enceinte, mais elle a fait un test dont le résultat est négatif et tous deux semblent soulagés. Dans cet extrait, le jeune homme veut savoir si le test pourrait ne pas être fiable s'il était effectué au tout début de la grossesse. La question semble délicate à poser et fait l'objet de nombreuses bribes et amorces abandonnées ou reformulées :
75Nous observons cinq « faux-départs » qui semblent indiquer une difficulté de formulation, sans doute pour des raisons intersubjectives. On observe à chaque démarrage une surmodalisation (can, would, could, is it possible) qui s'ajoute au piétinement sur le démarrage de la question. À cela s'ajoutent des marqueurs d'appel à l'interlocuteur you know what I mean / you know what I'm saying qui indiquent une recherche de connivence et de construction du sens commune avec l'autre. Le locuteur cherche la bonne formulation dont la réalisation finale est fortement modalisée : is it possible that you could still be positive. Like constitue un jalon permettant de baliser ces redémarrages ce que l'on peut visualiser dans le tableau suivant :
Tableau 6 : Représentation simplifiée en liste de l'exemple [36]
76En premier lieu, le SV est réalisé sous la forme du modal can, puis modifié par would et en partie complété (would it come out nega-). En troisième position, il y a piétinement sur la reprise du modal would, puis bribe du SV avec un début de SN argument (would a negative). Enfin, like introduit une amorce d'un nouveau SV avec le modal could, repris et modifié pour aboutir à la réalisation finale de la question. Ces segments constituent tous des amorces d'une même question dont la formulation fait l'objet d'une négociation du locuteur. On ne peut pas les analyser comme des conjoints au sens de Kahane & Pietrandrea (2012), puisque des syntagmes verbaux ne peuvent pas occuper la même position micro-syntaxique. Néanmoins, il nous semble bien que l'on puisse les analyser comme un entassement de segments de même niveau macro-syntaxique, la formation d'un noyau de forme interrogative. Like permet selon nous de signaler une nouvelle bifurcation à partir d'une même liste paradigmatique. Il permet de revenir à un embranchement précédent du discours. Ce fonctionnement n'a pas uniquement pour rôle de retarder pour le locuteur le moment de s'engager dans une construction comme le dit Streeck (2002, 585), mais de maintenir le lien entre des segments de discours, en particulier un lien paradigmatique. Ce fonctionnement est particulièrement adapté au mode de production de l'oral, plus spécifiquement de l'oral peu planifié.
77Il nous a semblé éclairant d'observer le comportement de genre/like/so dans des configurations en liste. En effet, ces marqueurs peuvent intervenir aussi bien dans des listes présentant les caractéristiques de ce que Kahane & Pietrandrea (2012) ont appelé des entassements, ce qu'on peut résumer comme des listes micro-syntaxiques, que dans des listes ne pouvant pas être analysées par les moyens de la rection. Selon nous, il s'agit de marqueurs qui introduisent un élément qui est un choix d'une valeur de la part du locuteur, mais qui n'exclut pas d'autres alternatives. Lorsqu'ils sont en tête de liste, ils peuvent jouer plusieurs rôles : ils peuvent indiquer que la liste qu'ils introduisent est à prendre comme un ensemble hyperonymique et présenter les différentes dénotations de la liste comme des exemples d'un ensemble plus vaste, laissant alors la possibilité à l'interlocuteur de co-valider ce qui est dit ; mais ils peuvent également introduire une liste qui comprend une correction ou une reprise de bribes. Lorsqu'ils sont à l'intérieur d'une liste (entre deux couches), ils peuvent introduire une restriction ou une précision, qui peut être sous la forme d'un segment de type postfixe ou parenthétique. Ils marquent alors un passage du général au spécifique par une relation d'exemplification, d'illustration. Donner un exemple, c'est sélectionner un élément spécifique comme représentant d'un domaine, on sait alors que d'autres exemples seraient possibles. Lorsqu'il ne s'agit pas d'apporter un exemple mais une précision sous forme d'une double formulation, leur rôle se rapproche de leur fonction de structuration dans le cas des bribes et des amorces. Ainsi ils permettent un retour à un embranchement du discours pour apporter une élucidation sémantique qui est alors détachée syntaxiquement du reste. En effet, leur capacité à ouvrir un champ de possibles peut se retrouver dans la construction même du discours : c'est ce que nous avons choisi d'appeler marqueur d'embranchement. Genre/like/so n'indiquent plus nécessairement une articulation sémantique entre des segments mais permettent un retour à un embranchement du discours micro-syntaxique, c'est-à-dire à une position régie, ou macro-syntaxique, c'est-à-dire entre un noyau et un segment dépendant de type postfixe, ou encore de décrochement dans le cas des parenthèses. Cette fonction est particulièrement adaptée à la production orale peu planifiée dans laquelle on observe les traces de la construction du discours. Nous remarquons que ce rôle est moins développé pour genre : notre hypothèse est que sa grammaticalisation est moins avancée que celle de like et so, peut-être du fait qu'il provient d'une unité source nominale avec laquelle il cohabite en synchronie. Une étude acoustique plus systématique de ces structures et de ces marqueurs pourra permettre de compléter cette analyse syntaxique et sémantique.