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2. Constituants, environnement et hétérogénéité de fonctionnement
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Localisation négative et détermination : du constituant au syntagme et à la construction

Alice Violet
p. 61-76

Résumés

Sont analysés ici des syntagmes prépositionnels sans déterminant ayant ayant pour tête les prépositions « négatives » out of, off, outside, hors et hors de. Nous montrons que ces syntagmes, qui ont principalement fait l'objet d'études micro-syntaxiques dans une perspective grammaticale, gagnent parfois à être abordés dans une perspective syntagmatique et lexico-grammaticale. La comparaison entre données anglaises et françaises apporte un éclairage sur d’autres questions, telles que la question de la « valence » des prépositions. Nous suggérons que le modèle constructionnel présente plusieurs avantages pour la description de ces structures.

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Texte intégral

1. Introduction

Nous nous proposons ici d'aborder la problématique du rapport entre micro- et macro- à travers l’analyse de certains syntagmes prépositionnels à la détermination atypique.

  • 1 Voir notamment Carlson et Sussmann (2005) ou Aguilar-Guevara, Le Bruyn et Zwarts (2014).

1Ce travail a pour point de départ une réflexion sur les formes possibles du figement grammatical dans le syntagme prépositionnel (dorénavant SP). La question du figement du déterminant du complément nominal de la préposition peut se poser pour différentes raisons : soit simplement parce qu’aucune commutation de déterminant n’est possible dans un contexte particulier (to live on the edge/*to live on an edge), soit parce que le mode de détermination est sémantiquement marqué, comme dans le cas des « définis faibles »1, soit parce que le choix du mode de détermination est syntaxiquement marqué.

2Nous nous intéresserons ici au dernier cas, dont on peut trouver plusieurs manifestations en anglais. Nous nous pencherons sur les SP dans lesquels un nom normalement précédé d'un déterminant, à savoir un nom singulier dénombrable, peut ou doit se passer de celui-ci. Plus spécifiquement, nous analyserons les cas où cette absence de déterminant est directement liée au fait que le nom est le complément d'une préposition. Ainsi, alors que *Letter arrived this morning est impossible, They were notified by letter est grammatical. Ce phénomène existe également en français, ainsi que dans de nombreuses autres langues (Himmelmann 1998).

3Les analyses menées jusqu’à présent sur ces syntagmes (notamment Anscombre 1991, Anscombre 1993, Himmelmann 1998, Stvan 1998, Baldwin et al. 2006, Violet 2014) ont dégagé un certain nombre de caractéristiques des SP sans déterminant:

  • Leur acceptabilité est difficilement prévisible. Un même nom peut se passer de déterminant après une préposition particulière, mais pas après une autre préposition (by boat/*to boat). Certaines prépositions, comme dans ou vers en français, ne prennent jamais de nom commun sans déterminant pour complément.

  • Leur comportement morphosyntaxique est très hétérogène, notamment en ce qui concerne des paramètres comme la variation du mode de détermination (possibilité d’introduire un déterminant) ou la modifiabilité. Pour prendre l’exemple des contraintes de modifiabilité adjectivale, on aura ainsi in full sun mais pas *in sun, et inversement at church mais pas *at local church.

  • Même constat pour leur comportement lexical (variation du nom et de la préposition). Dans certains cas, on peut parler d’une certaine productivité au sein d’un même paradigme lexical (before/after church ; after breakfast/lunch/dinner), et même parfois d’une productivité très importante (SP de moyen en [by N]), mais souvent le paradigme est soit très restreint, soit fermé : Huddleston et Pullum (2002 : 409) remarquent qu'on peut dire Ed is in prison, Ed is in bed ou Ed is in church, mais pas *Ed is at desk, *Ed is at computer ou *Ed is in kitchen.

    • 2 Nous distinguons ici, à la suite de Martin (1997) et Svensson (2004) plusieurs sous-critères de « n (...)
    • 3 Nous utilisons pour notre part le terme « télique », que nous empruntons à Borillo (2001), qui l'ut (...)

    D’un point de vue sémantique, on observe non seulement certains cas de véritable opacité sémantique en synchronie (on edge, of course, at stake, to boot), mais aussi, bien souvent, des phénomènes d’ « enrichissement sémantique » (au sens de Martin (1997)2. L’un des mieux connus est celui des interprétations « téliques3 » ou « d’activité » des SP spatiaux sans déterminant : être in prison ou in bed, c’est non seulement être localisé dans un lieu particulier (comme ce serait le cas dans in the prison ou in the bed), mais également y exercer une activité particulière (dormir pour in bed), ou y avoir un statut particulier (être prisonnier pour in prison). Plusieurs d’entre eux sont décrits par Violet (2014), qui applique également le concept de télicité à des syntagmes non spatiaux, ainsi que d'autres types d'enrichissement sémantique comme des effets contrastifs. Cependant, ce travail montre également que ces enrichissements sémantiques sont difficilement systématisables, même pour un groupe de SP ayant pour tête la même préposition et appartenant au même paradigme sémantique.

4Ressortent donc deux phénomènes contradictoires. Ces syntagmes sont extrêmement hétérogènes, et cela à tous points de vue, et leur acceptabilité comme leur comportement sont difficiles à prévoir. Cependant, il est manifeste qu’existent également des sous-groupes cohérents dotés de logiques sémantiques propres.

5Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à des SP peu étudiés, à savoir les SP dans lesquels la préposition est une préposition au sémantisme « négatif » comme out of, off ou outside. Nous montrerons que l'étude de ces syntagmes présente un intérêt particulier dans la perspective de l'opposition entre micro- et macro-analyse.

2. SP sans déterminant : micro- ou macro-?

6Les SP sans déterminant dans leur ensemble soulèvent nombre de questions linguistiques ; nous nous contenterons ici d'évoquer celles relatives à l'opposition entre micro- et macro-. Pour le sujet qui nous intéresse, il est possible de concevoir cette opposition de deux manières.

  • 4 Ces exemples sont extraits du British National Corpus, comme les autres exemples anglais cités ici, (...)
  • 5 Nous reprenons ici la distinction de Bolly (2011), qui elle-même reprend la classification de Wray (...)

7Une première définition serait liée à l'emploi de ces unités comme marqueurs organisationnels ou interactionnels, comme en (2)4, par opposition à leur simple emploi référentiel, comme en (1)5.

8Dans le premier exemple, le SP at base fonctionne comme un simple adverbial locatif ; dans le second, il n’a pas de valeur locative mais assure une fonction discursive de « centrage ». On peut donc parler de fonction organisationnelle, fonction que Bolly (2011 : 41) décrit comme « l’organisation/structuration du discours, tant du point de vue des unités logico-sémantiques (niveau micro-syntaxique de la phrase) que discursives (niveau macro-syntaxique du texte) ». Violet (2011) a montré que dans certains cas, la comparaison en corpus entre SP sans déterminant et SP déterminés (ici at the base) permettait de dégager un fort lien entre absence de déterminant et passage du référentiel à l’organisationnel. De nombreux autres SP sans déterminant peuvent assurer une telle fonction (in fact, for example, in addition, etc.). Ces résultats, cependant, sont eux aussi loin d'être systématisables, et dans la grande majorité des cas, le SP sans déterminant a bien une fonction référentielle ; inversement, on trouve également nombre de SP déterminés à valeur organisationnelle ou interactionnelle. Ce n’est donc pas la perspective que nous explorerons ici.

9La seconde définition possible de la distinction micro-/macro- oppose simplement l'étude de marqueurs isolés (micro-) et l'étude de leur interaction au sein d'ensemble complexes, en l'occurrence des unités polylexicales (macro-). La notion de polylexicalité est fondamentale en phraséologie (Gross 1996 : 10), et il s'agit de l'un des rares critères de figement à faire l'objet d'un quasi-consensus. Or dans le cas des SP sans déterminant, les notions de polylexicalité et de figement sont indissociables de la relation entre grammaire et lexique.

10Si l'on considère que les SP sans déterminant ne sont que l'une des manifestations de l'absence de déterminant/ de l'emploi de l'article zéro selon la terminologie choisie, on les considère plutôt comme un fait de langue relevant du « micro- » et de la syntaxe pure : il s'agit d'analyser un marqueur grammatical. C'est la perspective adoptée par la majorité des auteurs qui ont travaillé sur ce sujet (et particulièrement d’Anscombre (1991, 1993) et de Stvan (1998)), quelle que soit leur perspective théorique.

  • 6 Nous utiliserons ici le terme « unité phraséologique » pour désigner toute unité polylexicale à car (...)

11Si en revanche on considère que nous avons affaire à un problème de l'ordre du lexical et du phraséologique, on passe du micro- au macro-, et du marqueur au syntagme, et enfin à l'unité phraséologique6 potentielle. Le caractère polylexical et figé de ces unités est plus net lorsqu’elles sont sémantiquement inanalysables, comme dans le cas de syntagmes comme of course ou à cran. En effet, dès lors qu’il est impossible d’attribuer une contribution sémantique distincte à la préposition et à son complément, nous ne nous intéressons plus à un marqueur, mais à des unités phraséologiques. Cependant, nous pensons que ce problème se pose également dans le cas de syntagmes parfaitement analysables et transparents, et nous le montrerons ici en nous appuyant sur l'analyse d'énoncés authentiques.

3. Etude de cas

3.1. Sélection des SP et corpus

12Les prépositions négatives du français et de l'anglais ont été moins étudiées que leurs « équivalents » positifs : ainsi, alors que de très nombreuses études ont été consacrées aux prépositions en et dans en français, très peu de travaux se sont encore penchés sur hors et hors de (en dehors de Vaguer (2009a, 2009b) et d'une brève analyse dans Vandeloise (1986)). En anglais, les prépositions out of, off et outside sont également moins bien connues que leurs antonymes, en dehors de très rares études (Schulze 1994). Notons qu'en français, une autre préposition de localisation négative est la préposition polylexicale en dehors de, que nous n'évoquons pas ici, puisque comme la majorité des prépositions polylexicales, elle ne permet pas de complément non déterminé.

13Les prépositions étudiées ici sont toutes polysémiques, et peuvent avoir divers emplois temporels ou notionnels. Nous choisirons toutefois, dans les analyses sémantiques, de privilégier leurs emplois spatiaux, de manière à les mettre en relation avec les études existantes sur les SP spatiaux sans déterminant.

14L'étude de cas présentée ici a été réalisée à l'aide de deux corpus, les textes fictionnels du British National Corpus d'une part et 215 textes de Frantext (1975-1993) d'autre part. Nos sous-corpus ont été sélectionnés de manière à ce que dates et types de textes concordent, si bien que nous n'avons donc travaillé que sur l'écrit, et sur des textes fictionnels. Chaque sous-corpus contient environ 16 millions de mots.

  • 7 Nous avons également dû exclure certaines autres configurations syntaxiques notamment liées au fait (...)

15Un certain nombre de désélections manuelles ont dû être effectuées puisque nous ne souhaitions sélectionner que les SP marqués, à savoir, pour l'anglais, que les SP dans lesquels le nom est un singulier dénombrable, ce qui permet d'affirmer que l'absence de déterminant est bien liée au fait que le nom figure dans un SP7.

3.2. [Out of N], [off N] et [outside N]

16Une fois les désélections nécessaires effectuées, les SP dans lesquels out of, off et outside sont suivis d’un nom dénombrable singulier sont relativement peu nombreux. C’est particulièrement vrai de outside : une fois éliminé un certain nombre d'emplois non prépositionnels de outside (emplois adjectivaux de type [the outside N] comme the outside world), nous ne trouvons que quatre types de SP sans déterminant, outside school, outside college, outside town et outside church. Les SP en [out of N] et [off N] à nom singulier dénombrable sont en revanche un peu plus nombreux. Nous présentons ci-dessous plusieurs exemples de SP spatiaux ayant pour tête ces trois prépositions :

17Nous analysons ici les syntagmes spatiaux, mais notons que nous trouvons également nombre de SP sans déterminant hors du domaine spatial (off shift, off hand, out of line, out of turn, out of role…). Dans le domaine spatial, nous trouvons des noms de lieu (out of prison, out of hospital), mais aussi des noms d’objet (off camera), des noms dénotant une trajectoire (off track, off piste, off course, out of orbit) des noms de partie du corps (out of mind), un nom de localisation interne (off center) et des noms spatiaux abstraits (out of place, out of context). Certains champs sémantiques sont particulièrement bien représentés, et notamment les noms de trajectoire et le domaine de l’audio-visuel (off screen, off camera, out of shot, out of frame).

  • 8 Nous distinguons ici types et occurrences (type/token).
  • 9 Nous parlons ici des types de SP spatiaux, mais on observe le même phénomène pour nombre de SP non (...)

18L'analyse plus détaillée de ces syntagmes met en évidence une caractéristique intéressante, qui est que ces syntagmes de localisation négative ont généralement dans le corpus un « équivalent » positif ayant pour tête respectivement in/inside/within ou on. C’est le cas de 8 des 12 types8 attestés pour off, et de 17 des 19 types attestés pour out of9. Nous présentons en [9] et [10] une liste de ces types.

  • 10 La fréquence de ces structures coordonnées (par exemple, dans notre corpus, in and out of bed/state (...)

19Ce phénomène mérite d'être noté. En effet, dans les SP sans déterminant, les substitutions de prépositions sont loin d'être toujours possibles, même lorsque les deux prépositions peuvent être considérées comme des antonymes (Baldwin et al. 2006). De fait, nombre de prépositions en in ou en on n'ont pas de contrepartie négative (on board/*off board). Or si l'on prend le problème à l'envers et que l'on part des SP négatifs attestés dans le corpus, nous voyons en revanche que la très grande majorité d'entre eux ont bel et bien un équivalent positif. La relation étroite entretenue dans ces SP entre ces prépositions négatives et leurs antonymes est d'autant plus nette que nombre des prépositions en out of et off figurent dans des structures coordonnées, à savoir dans des structures dans lesquelles la préposition « positive » et son antonyme sont coordonnés devant le complément nominal (in and out of N/on and off N), comme dans les exemples [7] et [8]10.

20L’analyse des exemples du corpus met en outre en évidence un autre problème relatif à la question du niveau d’analyse de ces syntagmes. Comme l’avait déjà signalé Stvan (1998) dans son travail sur [in/on/at N], il arrive en effet que ce ne soit pas l’insertion du nom dans le SP qui permette l’absence de déterminant, et que celle-ci soit également constatée dans d’autres contextes syntaxiques, par exemple en position sujet, comme dans l'exemple suivant, où school est le sujet du verbe be et n'est pas précédé d'un déterminant :

21Il semble donc qu'ici, la détermination atypique du nom et sa lecture télique ne soient pas directement liées à son insertion dans un syntagme prépositionnel. Contentons-nous pour l’instant de noter ce problème, qui rend bien entendu plus complexe la question des niveaux d’analyse ; nous y reviendrons en section 5.

22Sémantiquement, la majorité de ces syntagmes spatiaux ont un fonctionnement fort similaire à celui des SP en in ou on. Stvan (1998) propose une analyse tripartite des SP spatiaux de type in/on/at en anglais : elle distingue « lecture d'activité », « lecture générique » et « lecture de familiarité » (association d'un lieu à une activité prototypique). La « lecture d'activité » est une définition un peu plus restrictive des lectures téliques que nous avons évoquées plus haut. La « lecture générique » concerne les cas où le nom sans déterminant réfère à une classe entière de lieux (on campus pour « sur tous les campus »). La « lecture de familiarité » désigne les cas où on fait référence à un lieu particulier connu du co-énonciateur (in town pour « dans notre ville »).

23Or nous retrouvons bien les mêmes lectures lorsque nous nous penchons sur les syntagmes en out of/off de notre corpus. Dans les exemples ci-dessus, c'est la lecture d'activité/télique qui prédomine, comme en [3] où school est associé aux activités scolaires, en [5] et [8] où screen et stage sont associés à l’activité du métier d’acteur, en [8] où prison est associé au statut de prisonnier. En [3], outside church a une lecture de familiarité (glose : hors de notre église, l’église du quartier). Toutefois, il arrive également que ces lectures ne s'appliquent pas, souvent parce que nous avons affaire à un syntagme plus prototypiquement figé, et présentant une certaine opacité et/ou inanalysabilité (out of pocket, out of hand).

3.3. Comparaison avec [hors N] et [hors de N]

24Comme nous l’avons signalé, un travail sur [hors N] et [hors de N] a déjà été mené par Vaguer (2009a, 2009b), qui a eu également recours à Frantext. Nous avons pour notre part travaillé sur une sélection beaucoup plus restreinte de textes de ce corpus, de manière à travailler sur un corpus comparable au corpus anglais. De ce fait, hors et hors de étant des prépositions relativement peu fréquentes, la liste de SP est courte ; des études complémentaires resteraient à faire. Nous insistons donc ici principalement sur les résultats pertinents pour la problématique qui nous intéresse.

25Les SP spatiaux représentent une proportion moins importante des types attestés que dans le corpus anglais. Ils sont particulièrement peu nombreux pour hors de, qui, lorsque son complément n’est pas déterminé, est majoritairement suivi de noms abstraits (hors de doute, hors de discussion, hors de propos…), avec quelques exceptions comme hors de scène ou hors d’eau.

26Les SP spatiaux attestés ne correspondent que très rarement (exceptions comme hors de scène/off stage) à des SP anglais. Plus généralement, l'analyse de notre corpus français montre que loin d'avoir un fonctionnement très proche de celui des syntagmes anglais, les syntagmes français obéissent au contraire à des logiques différentes. Une importante différence, dans notre perspective, est celle du comportement de hors et hors de en comparaison avec leurs antonymes.

27Dans la grande majorité des cas, en effet, le syntagme spatial en [hors N] ou [hors de N] n'a pas de « contrepartie » positive, sauf rares exceptions (hors de scène/en scène). Plus généralement, en dehors de quelques SP plus représentés, qui ne sont pas spatiaux (hors jeu, hors saison, hors pair, hors série), les SP en [hors N] sont très souvent des hapax (55 types sur 73, soit 75,3% ne sont représentés que par une occurrence, contre 11 sur 35 pour [hors de N], soit 31,4%), et apparaissent intuitivement comme plus créatifs :

28Il semble à nouveau possible de parler de lecture télique et/ou générique, mais la liste des SP en [hors N] semble plus ouverte que celle des SP en [out of N], [off N] ou [hors de N].

29Dans la perspective de la comparaison avec nos données anglaises, et de la problématique qui est la nôtre, l’intérêt principal des SP en hors et hors de, en dehors de leur relation avec leurs antonymes, est le fonctionnement de ces deux prépositions du point de vue de la détermination de leur complément, et ce même lorsque leur complément n’est pas spatial. En effet, alors que hors de peut sélectionner aussi bien des compléments déterminés (hors de la salle, hors du monde) que des noms sans déterminant, la préposition hors a une forte préférence pour les noms sans déterminant. Des exceptions existent, comme l'avait souligné Vaguer (op.cit.), mais il s'agit principalement d'entités fortement lexicalisées comme hors la loi ou hors les murs ou d'archaïsmes délibérés, généralement avec des sens exceptifs et non spatiaux, comme en [17] :

hors
  • 11 Les travaux sur l’opposition en/dans sont extrêmement nombreux ; citons en particulier Guimier (197 (...)
  • 12 En français, on peut également signaler d’autres phénomènes, comme la détermination du complément d (...)

30Une caractéristique bien connue, et mainte fois étudiée, du système des prépositions en français est le fonctionnement du tandem en/dans : en français moderne, en n'est que très rarement suivi d'un complément déterminé, tandis que dans, au contraire, ne peut être suivi d'un nom sans déterminant11. Existent donc nombre de couples comme en forêt/dans la forêt, en prison/dans la prison, etc. Or le fait que nombre d'autres prépositions imposent elles aussi un mode de détermination spécifique à leur complément est un phénomène moins souvent noté. Citons également, pour l’anglais la préposition per (per person), comme le notent Baldwin et al. (2006)12.

31Il paraît plus difficile, dans de tels cas, de recourir à la notion de figement, qui suggérerait que la quasi-totalité des syntagmes ayant pour tête ces prépositions seraient des unités phraséologiques. Melis (2003 : 17-18) suggère que l'on pourrait intégrer cette information à la description de la « valence » des prépositions, mais ce problème demeure mal connu. Il complique pourtant considérablement la question du rapport entre micro- et macro-, puisqu'il suggère que sont en jeu non seulement des règles grammaticales ou de simples collections d'items polylexicaux, mais des phénomènes plus complexes liant inextricablement lexique et grammaire, ce qui nous renvoie aux questions que nous avions dégagées au début de cette étude.

4. Du grammatical au lexical et du micro au macro : le modèle constructionnel

32Ces études de cas nous ont permis de mettre en évidence divers niveaux d’analyse des SP spatiaux sans déterminant à préposition négative :

  • nom sans déterminant figurant dans un SP constituant une unité phraséologique prototypique (SP opaques et inanalysables comme out of pocket).

  • nom s’inscrivant dans une structure prépositionnelle productive, par exemple de type [out of N] ou [off N], mais aussi [in/out of N] ou [out of/off N], voire [in and out of N]/[on and off N].

  • association systématique de certaines prépositions à un complément sans déterminant (hors N).

  • nom pouvant figurer sans déterminant dans d’autres contextes syntaxiques que le SP (school).

33Le premier cas semble difficile à analyser dans une perspective purement grammaticale et micro-syntaxique ; inversement, d’autres configurations, et en particulier la dernière, sont plus difficiles à analyser dans une perspective phraséologique. Seul un modèle linguistique permettant de concilier ces différents niveaux d'analyse, et la mise en jeu simultanée de paramètres lexicaux et grammaticaux, nous semble donc pouvoir rendre compte de leur fonctionnement.

  • 13 « Any linguistic pattern is recognized as a construction as long as some aspect of its form or func (...)

34Ce constat confirme que le choix du modèle linguistique de la grammaire des constructions est le plus adapté pour l'analyse de ces syntagmes (Violet 2014). Originellement décrite comme non compositionnelle, la construction telle qu’elle est décrite par Goldberg (1995) a désormais une acception élargie (Goldberg 2006 : 5), et recouvre tout appariement forme/sens dont les caractéristiques ne sont pas prévisibles à partir des caractéristiques de ces constituants, ou qui se présente avec une certaine fréquence13. Ce modèle n'est pas en contradiction avec d'autres modèles issus de la littérature phraséologique, mais permet de prendre en considération des niveaux d'analyse plus divers, et d'inclure des SP dont le caractère figé peut sembler moins évident que celui de SP figurés ou opaques. Il présente plusieurs avantages pour l'étude du fait de langue qui nous intéresse ici, et plus spécifiquement pour la problématique micro-/macro- :

  • Puisque la perspective constructionnelle permet d'éviter la stricte-dichotomie lexique/grammaire, elle se prête particulièrement bien à la description de ce phénomène, dont nous avons montré qu'il n’était ni strictement lexical, ni strictement grammatical.

  • La notion de réseaux de constructions permet d’intégrer le micro- au macro, une construction de niveau inférieur pouvant s’intégrer dans une construction de niveau supérieur, et plusieurs constructions pouvant s’associer l’une à l’autre (par exemple coordination et SP sans déterminant dans le cas de structures comme in and out of N/on and off N).

  • Peuvent être considérées comme des constructions aussi bien des unités phraséologiques prototypiques que des structures syntaxiques comme le passif ou encore de simples morphèmes. Cette prise en compte d’éléments plus ou moins spécifiés lexicalement et de niveaux syntaxiques divers nous permet de prendre à la fois en compte les éléments relevant de la micro-syntaxe (noms comme school susceptibles de figurer sans déterminant même hors SP), des éléments phraséologiques inanalysables (out of pocket) et également des structures partiellement spécifiées (in and out of N).

  • Ce modèle permet en outre de résoudre le problème des prépositions qui, de manière inhérente, sélectionnent un nom sans déterminant. C'est le cas de hors, qui, comme nous l’avons vu, est sauf rares exceptions suivie d'un nom sans déterminant. Or la grammaire des constructions commence à s'intéresser à l'analyse des prépositions, et des travaux dans ce sens ont notamment été menés par Lauwers (2010) ainsi que De Mulder et Amiot (2013).

35Plutôt que de considérer les syntagmes qui nous intéressent soit comme un ensemble d’expressions figées à inventorier, soit comme un phénomène purement grammatical, nous les considérons donc comme un réseau de constructions qui peuvent être liées les unes aux autres (par exemple dans le cas des tandems in/out of N ou on/off N) ou distinctes. Beaucoup de ces constructions sont de niveau [SP], mais certaines d’entre elles, dans le cas de l’anglais, sont de niveau [SN] (cas de noms comme school), et donc du côté de la micro-syntaxe plutôt que de la polylexicalité. Même dans le cadre d’une analyse constructionnelle, il y a donc lieu de distinguer micro- et macro-analyse, mais ce cadre théorique permet d’envisager les rapports entre ces différents niveaux.

5. Conclusion

36La question que nous nous sommes posée ici était celle des niveaux d'analyse : les SP de localisation négative sans déterminant relèvent-ils de la micro-analyse d'un marqueur grammatical, ou du domaine de la phraséologie et de la polylexicalité? Nous avons montré qu'il y avait lieu de distinguer divers niveaux d'analyse, et qu'alors que certains des SP étudiés pouvaient être considérés comme des unités phraséologiques à part entière, d'autres phénomènes n'étaient pas directement liés à l'insertion d'un SN dans un SP, et tenaient plus généralement au fonctionnement de certains noms indépendamment de leur contexte syntaxique. Nous avons suggéré que du fait de la pluralité des niveaux d'analyse, le modèle linguistique le plus apte à rendre compte de ce phénomène était le modèle constructionnel.

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Notes

1 Voir notamment Carlson et Sussmann (2005) ou Aguilar-Guevara, Le Bruyn et Zwarts (2014).

2 Nous distinguons ici, à la suite de Martin (1997) et Svensson (2004) plusieurs sous-critères de « non-compositionnalité », comme la transparence/opacité sémantique en synchronie, l'analysabilité (assignation d'une charge sémantique distincte à chacun des constituants de l'unité polylexicale) et enfin l'enrichissement sémantique, que Martin décrit comme le fait qu’« une séquence de mots peut signifier plus que l’addition de ses parties. Ainsi, un livre de cuisine est certes un livre qui sert à la cuisine ; c’est surtout un recueil de recettes » (op.cit., p. 297)

3 Nous utilisons pour notre part le terme « télique », que nous empruntons à Borillo (2001), qui l'utilise pour décrire certains SP de type [à LE N].

4 Ces exemples sont extraits du British National Corpus, comme les autres exemples anglais cités ici, mais ils sont en revanche extraits de textes non fictionnels de ce corpus.

5 Nous reprenons ici la distinction de Bolly (2011), qui elle-même reprend la classification de Wray (2002), entre unités phraséologiques « organisationnelles », « interactionnelles » et « référentielles ». Nous avons donné ci-dessus la définition des premières. Les unités phraséologiques « interactionnelles » sont « [des] séquence[s} polylexicale[s] dont la fonction principale est dépendante de la situation d’interaction verbale effective de production langagière » (Bolly 2011 : 41). Les unités phraséologiques référentielles « ont pour fonction principale de désigner/nommer » (ibid.).

6 Nous utiliserons ici le terme « unité phraséologique » pour désigner toute unité polylexicale à caractère de figement, quel que soit le degré de figement.

7 Nous avons également dû exclure certaines autres configurations syntaxiques notamment liées au fait qu'existent un certain nombre de verbes à particule et de verbes prépositionnels en off et out of (take off, get out of, etc.), et que off et hors peuvent avoir des emplois comme préfixes (to offstage someone, un hors-bord, etc.), que nous n'avons pas non plus pris en considération.

8 Nous distinguons ici types et occurrences (type/token).

9 Nous parlons ici des types de SP spatiaux, mais on observe le même phénomène pour nombre de SP non spatiaux (in/out of character, in/out of shape, on/off line…).

10 La fréquence de ces structures coordonnées (par exemple, dans notre corpus, in and out of bed/state/prison/office/hospital/church ou on and off piste, mais aussi des structures apparentées comme off camera as well as on) est un phénomène qui mérite d’être souligné. Il convient à ce sujet de noter que la coordination favorise en elle-même l’apparition de noms sans déterminant, même dans des contextes syntaxiques autres que le SP (voir par exemple Quirk et coll. 2012 : 280 pour l’anglais ou Benetti 2008 : 87-110 pour le français). Nous avons donc pris le soin de nous assurer que les structures prises en compte étaient également attestées hors structures coordonnées, de manière à distinguer ces différents facteurs (sur ce point, voir Violet 2014 : 502). Plus généralement, des études de fréquence sur l’apparition des prépositions de localisation négative dans les structures coordonnées seraient très intéressantes, mais elles dépasseraient le cadre de cette étude.

11 Les travaux sur l’opposition en/dans sont extrêmement nombreux ; citons en particulier Guimier (1978) et De Mulder (2008).

12 En français, on peut également signaler d’autres phénomènes, comme la détermination du complément de sans lorsque celui-ci est indéfini (sortir sans parapluie/*sans un parapluie), en dehors de cas comme sans un sou ou [sans un seul N].

13 « Any linguistic pattern is recognized as a construction as long as some aspect of its form or function is not strictly predictable from its component parts or from other constructions recognized to exist. In addition, patterns are stored as constructions even if they are fully predictable as long as they occur with sufficient frequency » (Goldberg (2006 : 5).

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Pour citer cet article

Référence papier

Alice Violet, « Localisation négative et détermination : du constituant au syntagme et à la construction »Modèles linguistiques, 73 | 2016, 61-76.

Référence électronique

Alice Violet, « Localisation négative et détermination : du constituant au syntagme et à la construction »Modèles linguistiques [En ligne], 73 | 2016, document 3, mis en ligne le 06 août 2017, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/2119 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.2119

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Auteur

Alice Violet

Besse Senior Scholar à Worcester College, Oxford

alice.violet@worc.ox.ac.uk

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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