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1. Corpus oral, constituants : postures microsyntaxiques et résolution macrosyntaxique
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Articulation topicale, référentielle et macrosyntaxique dans un discours oral

Topical, Referential and Macrosyntactic Structuring in an Oral Presentation
Isabelle Gaudy-Campbell, Héloïse Lechevallier-Parent et Vasilica Le Floch
p. 21-58

Résumés

En partant d’un corpus oral constitué d’une communication scientifique, cet article questionne la pertinence du niveau d’analyse de constituants traditionnellement envisagés selon une perspective micro-syntaxique. La première partie met en évidence la valeur cohésive des constituants nominaux à une échelle macro-discursive. Une seconde partie éclaire la volatilité référentielle du pronom you à l’aune de la dimension interpersonnelle et informationnelle. Une troisième montre qu’au-delà d’un phénomène de saillance des éléments micro-syntaxiques, le pseudo-clivage est une structure à appréhender dans sa globalité pour son incidence sur le paragraphe oral.

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Texte intégral

Introduction générale

1Notre projet est de questionner l’échelle d’analyse de constituants traditionnellement répertoriés dans l’analyse de l’écrit et appréhendés sur un plan micro-discursif. Nous reprenons la définition de la micro-syntaxe telle qu’elle a pu être formulée dans l’ouvrage collectif de Claire Blanche-Benveniste (1990). La micro-syntaxe étudie les configurations rectionnelles liées aux catégories dans les frontières de la phrase à l’écrit ou de la « clause » à l’oral, envisagée comme « unité minimale à fonction communicative » selon la terminologie de Berrendonner (1990 : 26). On apparente ainsi la micro-syntaxe à une grammaire des constituants. La macro-syntaxe, quant à elle, telle qu’elle a été développée par Blanche-Beveniste et coll. (1990) pour le français parlé et par Berrendonner & Béguelin (1989) présente une analyse syntaxique alternative. En considérant les contraintes imposées par la configuration discursive, la phrase ou la clause ne permettant pas de rendre compte pleinement de la modalisation discursive à l’oral.

2C’est justement d’oral dont il est question dans cet article. Ainsi, dans un corpus oral commun, chacun des trois auteurs a fait le choix d’examiner un type de constituant en particulier, V. Le Floch traitant des constituants nominaux, H. Parent du pronom you et I. Gaudy-Campbell des structures pseudo-clivées qui supposent un agencement et une pondération des constituants. Dans les trois parties, nous regardons dans quelle mesure l’oralité, parce qu’elle fait intervenir une dimension énonciative et pragmatique, appelle un traitement macro-structurel (topical, discursif, ou encore pragmatique) du/des constituant(s) en question. L’objet de cet article n’est pas d’opposer ces deux approches (micro- et macro-) de la structuration des énoncés, ni même de proposer une analyse à deux niveaux différenciés entre une micro- et une macro-syntaxe, mais plutôt de tenter une analyse intégrée.

  • 1 Le corpus ainsi que l’ensemble des extraits cités sont disponibles sur .org. La conférence est elle (...)
  • 2 Nous entendons la cohésion discursive telle qu’elle a été théorisée par Halliday & Hassan ([1976] 2 (...)

3Le corpus (audio.corpus)1 qui fait l’objet de notre étude est constitué d’une communication scientifique au sujet des phéromones et de l’odorat qui s’intitule “Pheromones : what animals (including humans) say with smell”2. Il s’agit d’une conférence d’une heure donnée en 2008 par le Professeur Tristram Wyatt (zoologiste) à Saïd Business School, Université d’Oxford, devant un public d’étudiants non-spécialistes. Ce monologue oral, ponctué d’interactions et de réactions de l’auditoire est accompagné d’un support rétro-projeté.

4Nos exemples reprendront une transcription linéaire, sans codage particulier.

I. Rôle macro-structurant des constituants nominaux

  • 3 L’articulation de différents modules pour former un texte a souvent été abordée par les auteurs tra (...)

5En partant du discours dans sa globalité, vu comme une macro-structure, nous proposons d’interroger le rôle cohésif des constituants nominaux, analysés traditionnellement à une échelle micro-syntaxique ou intra-phrastique. Notre approche suit un mouvement descendant, ayant comme point de départ le discours en tant qu’objet complexe, appréhendé dans sa modularité et résultant de la combinaison de trois types de contraintes : linguistiques (lexicales et syntaxiques), textuelles (hiérarchie informationnelle) et situationnelles (référentielles et interactionnelles)3.

6Sur le plan de la composante linguistique, le discours est le résultat de combinaisons d’éléments lexicaux (les constituants nominaux, entre autres) et de marqueurs grammaticaux, qui entretiennent des relations syntaxiques plus ou moins complexes. Dans une perspective traditionnelle, à l’écrit, l’unité maximale de ce niveau d’analyse est la phrase. À l’oral, pour le même niveau d’analyse, nous considérons que le discours est constitué de « périodes » (elles-mêmes composées de clauses). Nous employons les termes de période et de clause selon les définitions proposées par Berrendonner (1993), la clause étant une unité de micro-syntaxe du discours oral, caractérisée par des limites intonatives et à l’intérieur de laquelle les éléments sont reliés par des rapports de rection. La clause n’est « pas décomposable en unités communicatives plus petites » (22). Une période est une unité de macro-syntaxe, composée de plusieurs clauses qui sont reliées par des rapports de présupposition, notamment par des rapports anaphoriques :

  • 4 Berrendonner, 1993 : 22.

[…] la construction interne d’une clause est essentiellement faite de rapports de rection (sélections, accords), dont les termes sont des segments significatifs, et dont les marques sont la morphologie ou l’« ordre des mots ». Au-delà, la combinatoire est d’une tout autre nature : l’arrangement des énonciations dans la période repose sur des rapports de présupposition ou de production d’information, dont les termes sont des actes de langage ou des contenus mentaux ; et il exploite essentiellement des marqueurs prosodiques4.

7Le niveau d’articulation de ces unités, au-delà de la période, relève du plan macro-discursif.

8Aux contraintes linguistiques s’ajoutent les contraintes textuelles, qui rendent compte de la hiérarchie informationnelle et de la segmentation du discours en actes discursifs (principaux ou subordonnés), agencés de manière hiérarchique pour former des séquences. Dans le cadre de l’organisation informationnelle, nous proposons de regarder les différents types d’enchaînements topicaux. Nous considérons que le topique, ou le thème dont on parle, est l’élément qui assure la continuité des informations. Parmi les nombreuses définitions du topique (topic), nous retenons celle proposée par Grobet (1999 : 103), qui le définit comme « le point d’ancrage immédiat, constituant l’information la plus accessible sur laquelle enchaîne l’objet de discours ».

9Enfin, nous nous pencherons sur les informations situationnelles, le discours qui compose notre corpus étant également défini par une série de contraintes liées à la situation de communication et aux interactions des participants.

  • 5 Cette considération se situe dans la lignée des travaux de Blanche-Benveniste (1987 ; 1993) sur les (...)
  • 6 Nous reprenons ici certains éléments méthodologiques décrits par Halliday & Hassan (2014), qui répe (...)

10Notre première hypothèse de travail est que la phrase est une unité graphique inopérante à l’oral5. À l’oral, le discours se compose d’un enchaînement de clauses qui ont une identité intonative et une fonction communicative. Notre deuxième hypothèse est que les unités linguistiques qui relèvent du niveau micro-syntaxique contribuent à réaliser des constructions plus complexes, à savoir des actes discursifs par le biais d’outils de cohésion discursive6, notamment les répétitions et les reprises. Ainsi, notre analyse cherche à questionner les articulations possibles entre les différentes structures discursives et à étudier le rôle des constituants nominaux dans l’élaboration de la cohésion globale du discours, considéré dans sa complexité.

A. Quel niveau d’appréhension pour la cohésion discursive ?

11D’un point de vue situationnel, le discours scientifique qui constitue notre corpus répond aux exigences du genre : présentation hiérarchique des informations et progression logique dans la démonstration. Étant donné que l’objectif de la conférence est de proposer une définition des phéromones, la dimension informative est la fonction première de ce discours. Le sens est négocié de manière implicite, le scientifique étant le seul à prendre la parole. Il décrit et explique l’objet de son discours par une série de questions auxquelles il apporte des réponses. Bien que le conférencier cherche régulièrement à confirmer l’existence d’une base de connaissances communes et à vérifier que l’acte de communication se déroule selon ses attentes, il n’y a pas de véritable échange verbal ; le rôle du public est réduit, il valide les propos et les questions du conférencier par des réactions non-verbales (rires, voix).

12La partie introductive du discours permet au conférencier d’annoncer son sujet et de poser son autorité par rapport au sujet de son discours ; il retrace son parcours universitaire et mentionne ses recherches sur le sujet traité. La première question est posée à la minute 3 :30 comme le montre le plan suivant :

13Le scientifique organise son discours autour de dix questions suivies chacune d’exemples et aboutissant à une conclusion provisoire qui permet de poser une vérité à l’intérieur du discours. Suivant cette logique, le corpus se compose de dix séquences reliées par des connecteurs comme and (390 occurrences) et des marqueurs de discours comme so (97), well (19), now (24). La fréquence du connecteur and laisse supposer que le discours se construit grâce à des accumulations :

14L’organisation informationnelle autour de dix questions ou séquences est comparable aux sous-chapitres au niveau d’un discours ou d’un texte écrit. La hiérarchie informationnelle au niveau de ce discours d’une heure s’organise de la manière suivante :

  • 7 Il convient de noter que les réponses contiennent également des références bibliographiques, des re (...)

15Les réponses aux questions posées s’étalent sur une durée qui varie entre deux et treize minutes. Chaque question reçoit plusieurs éléments de réponse, qui s’apparentent à des actes discursifs ; la démonstration scientifique est bâtie sur des séries d’exemples. Ainsi, pour la deuxième question, [what do animals say with pheromones, 5 : 40-18 : 40], le conférencier propose des exemples tirés du monde animal, en passant en revue : elephant, moth, fruit fly, mouse, fish, frog, butterfly. Chaque réponse apporte des éléments à titre d’exemple, voire même des éléments anecdotiques par moments et propose une conclusion provisoire ou une réponse. L’accumulation de ces conclusions intermédiaires permet au conférencier de conduire son auditoire vers la conclusion générale de son propos7.

16L’équilibre entre répétition (informations connues) et progression (informations nouvelles) est essentiel à la structuration du discours. Ainsi, à l’intérieur de chaque grande unité thématique ou séquence signalée par une question, le contenu informatif est livré dans un enchaînement d’actes discursifs, organisés de manière hiérarchique.

B. Phrase, clause, période : la segmentation d’un corpus oral 

17Traditionnellement, la phrase est une catégorie incontournable à l’écrit, car elle constitue une unité organisationnelle, marquée typographiquement par le point. Constituée de combinaisons d’éléments lexicaux et de marqueurs grammaticaux qui entretiennent des relations syntaxiques plus ou moins complexes, elle représente une unité de sens, étant souvent considérée comme l’unité syntaxique maximale. À l’oral, où la segmentation n’est pas réalisée par des signes graphiques (ponctuation), nous avons fait le choix de parler de « clause », qui est l’unité de micro-syntaxe du discours oral.

  • 8 Voir Berrendonner  : 1993.

18Une clause est marquée par un intonème progrédient, qui décrit un contour stable, non-descendant. Une période est marquée par un intonème conclusif, autrement dit, elle présente une intonation descendante, de fin d’énoncé8. Dans l’exemple qui suit, extrait de notre corpus, chacune des deux périodes est marquée par un intonème conclusif ainsi que par une pause qui la sépare de la période suivante :

19L’identité intonative de ces périodes va de pair avec leur identité topicale. En effet, nous constatons que, du point de vue de l’organisation informationnelle, les deux périodes présentent une unité topicale  (communication signals), et que chacune est construite autour d’un exemple : honey bees and ants (période 1) et fish (période 2). Dans la clause 1 de la première période (exemple [2] ci-dessus), l’unité thématique est élaborée à partir de honey bees […] and ants, noms repris grâce à l’anaphore pronominale dans les clauses 2 et 3 par le pronom they et par me dans les clauses 4 et 5, de l’exemple précédent [2]. Dans la deuxième période, l’unité thématique et la cohésion sont assurées par la réitération du nom fish dans les trois premières clauses, ainsi que par les anaphores pronominales dans les clauses 4, 5 et 6.

20À l’intérieur de chaque clause, les éléments morpho-syntaxiques constitutifs sont mobilisés pour assurer des relations de topicalisation au-delà de la clause. Nous considérons, à l’instar de Grobet (1999), qu’une « relation de topicalisation se caractérise par l’activation d’un objet de discours présenté comme celui dont le locuteur va parler » (111). La relation de topicalisation répond à l’exigence de répétition, autrement dit à la nécessité pour tout texte de se répéter afin de garantir la cohésion du propos. Les trois périodes suivantes, extraites du corpus, illustrent cette relation :

21L’étude des éléments qui garantissent la cohésion de ce fragment met en évidence plusieurs procédés. Le thème général est l’odorat. C’est ce thème qui fait l’objet d’un apport d’information de la part du conférencier. Au niveau de chaque clause, le topique est activé sous différentes formes : reprises anaphoriques, répétitions et reprises nominales.

C. L’échelle nominale comme outil de liage

  • 9 Voir à ce propos Roulet, 1996 : 21.

22Le nom smell de la première clause de l’exemple qui précède est activé dans la deuxième et les suivantes par le pronom it (progression linéaire : smell-it) ; le nom est mentionné à nouveau au début de la deuxième période (progression à distance). Les reprises successives par l’intermédiaire du pronom it illustrent le troisième type de progression, la progression à topique constant9. Nous reprenons ici l’appareil méthodologique qui a été développé et mis à l’épreuve du texte par de nombreux auteurs (Combettes & Tomassone 1988, Grobet 1999).

23Les deux périodes qui suivent (smells can last a very long time et but one of the things about smells…) fonctionnent comme des unités à part, bien qu’elles présentent une unité informationnelle. Nous constatons que le retour au topique général du fragment se fait par ce que nous pouvons appeler un marqueur de cadrage ou de rappel, qui fait intervenir à nouveau le nom smell. Ici, entre les périodes 2 et 3, la progression se fait à distance, la reprise du topique principal garantissant la cohésion du fragment. Dans les deux clauses, le nom smell joue un rôle au niveau micro-, assorti d’un rôle cohésif au niveau macro-, dans l’articulation des périodes. Dans la troisième période, la progression, bien que linéaire, repose sur des associations de noms tels que smell, coffee, dung, nose, molecules. La lecture de cette liste nous permet de dire que les noms contribuent non seulement à la cohésion du discours, mais également à la création d’un réseau informationnel cohérent sur lequel repose le discours.

  • 10 La répétition comme procédé de cohésion discursive a été largement étudiée par l’école anglo-saxonn (...)

24Dans notre corpus, smell fait l’objet d’une série de répétions complexes10 de termes issus de la dérivation : smelly, smellier, smelliest, smelling. Nous considérons qu’une série de dérivés de ce type fonctionne à la manière d’une répétition et assure la cohésion discursive. L’exemple qui suit présente le fonctionnement de ces répétitions complexes.

25La répétition de smell nom et verbe et de ses dérivés contribue à la cohésion discursive, même si le topique du fragment est humans. Cette série fonctionne parallèlement au flux informationnel et permet de reprendre ou de rappeler l’un des topiques généraux du discours qu’est l’odorat. Le début du même fragment présente un exemple intéressant de progression linéaire : le nom humans est repris de manière implicite dans armpits, ensuite dans adults, puberty. Les anaphores associatives sont des outils efficaces qui permettent de décliner le propos ; néanmoins, elles demandent un plus grand travail d’inférence de la part de l’auditoire.

  • 11 Voir à ce propos Rabatel, 2004 : 256.

26Les clauses relativement courtes relèvent ici de conditions de production du discours oral. En effet, le discours oral fait appel à des clauses elliptiques, à des relations morpho-syntaxiques moins explicites que celles du discours écrit et demande ainsi un travail d’inférence plus important de la part de l’interlocuteur. De ce fait, le discours oral mobilise l’attention et la capacité de mémorisation de l’interlocuteur dans le travail d’inférence11. Pour compenser cet important travail cognitif, les clauses sont plus courtes, simplifiées, et donc plus faciles à garder en mémoire discursive. Le début de l’exemple précédent illustre cette accumulation de clauses simplifiées, mais particulièrement complexes du point de vue des relations anaphoriques : humans, armpits, male armpits, female armpits, we, adults.

27Le nom pheromone, qui est mentionné comme topique général dès le début de la conférence, constitue un autre exemple de constituant nominal et relève de stratégies de répétition, contribuant ainsi à la cohésion du discours, c’est-à-dire à l’organisation topicale.

  • 12 Les noms les plus utilisés dans notre corpus, par ordre de fréquence, sont : pheromone (71), smell (...)

28Ce nom présente une haute fréquence d’utilisation12 dans le corpus. Dans l’exemple qui suit, la répétition de ce nom laisse peu de place à la progression linéaire ; la plupart des clauses s’enchaînent grâce à des progressions à topique constant (pheromone – pheromone, molecule-molecule) :

29Au regard de la distribution de pheromone dans ce fragment, nous pouvons parler d’une cohésion forte. La progression thématique à topique constant permet d’ajouter des informations, en procédant par accumulation. Si la continuité au niveau de la période est assurée, la continuité globale du discours ne semble pas reposer sur la répétition nominale telle qu’elle apparaît dans l’extrait ci-dessus. En effet, la répétition dense de pheromone est un exemple exceptionnel au niveau du corpus ; un tel procédé ne peut fonctionner qu’à très petite échelle.

  • 13 Néanmoins, étant donné que les hormones sont abordées comme des hormones de l’odorat, le conférenci (...)

30Étant donné que le nom pheromone constitue le topique du discours, nous sommes en droit d’attendre une distribution homogène de ce nom à travers le corpus. La lecture de la transcription indique cependant une distribution inégale de pheromone : ce nom est très fréquent au début du discours et met en place le cadre d’énonciation. Il l’est beaucoup moins après la minute 18 : 40, réapparaît à la minute 26 : 30, et ensuite de manière notable à partir de la minute 29 : 16, pour disparaître à nouveau après la minute 40 : 00. L’emploi du nom pheromone dépend de l’enchaînement des questions et du contenu informationnel du discours ; ainsi, lorsque le locuteur s’intéresse à smell, le nom pheromone n’est plus utilisé13. La réitération de pheromone à la minute 29 : 16 est un exemple de progression à distance qui montre comment s’opère le liage nominal :

31Ici encore, le nom pheromone fait partie d’une question qui structure le discours. Grâce à la répétition nominale, la chaîne référentielle est réactivée ; le rappel du thème annoncé au début est fait par le biais d’une opération de focalisation (pseudo-clivée) et du nom pheromone. La répétition nominale est dans ce cas le garant de la cohésion discursive à un niveau macro-. Le rôle du nom ne se limite pas au cadre micro-syntaxique ou intra-clausal, il dépasse les frontières de la clause.

32Le liage nominal ne se réalise pas uniquement par des répétitions proches (progression à topique constant), mais également par la reprise de certains noms à des endroits stratégiques du discours. Comme le montre la liste des questions qui organisent le discours, presque toutes ces questions contiennent un nom que nous pouvons caractériser d’élément-clé de la cohésion : pheromone, smell, humans. La continuité du propos est assurée par ces chaînes de référence qui sont réactivées aux moments essentiels du discours. La progression à distance, autrement dit la réactivation d’un topique périodiquement dans le déroulement du discours, semble être le seul type de progression capable d’assurer la cohésion textuelle à un niveau macro-discursif. Selon nous, ce procédé de reprise nominale (ou progression topicale à distance) est une des spécificités du discours oral, qui doit assurer la cohésion et la continuité thématique par des moyens différents de ceux utilisés à l’écrit (titres, sous-titres, marques graphiques).

Conclusion

33Nous avons pris comme point de départ le discours dans sa globalité, pour nous intéresser à son organisation informationnelle en séquences, puis aux formes d’organisation périodique, à un niveau macro-discursif. Nous avons regardé l’agencement des clauses et la capacité des constituants micro-syntaxiques à structurer le discours. Nous avons voulu démontrer que les constituants nominaux jouent un rôle central dans la cohésion discursive et que le rôle cohésif du nom au niveau du discours dans sa totalité est patent lorsque la progression thématique se fait à distance. Nous avons également regardé le rôle des connecteurs dans l’articulation des périodes, des actes discursifs et des séquences.

34À travers les différents niveaux d’analyse pris en compte, nous avons tenté de plaider en faveur de l’analyse modulaire du discours, à l’interface de ses dimensions linguistique, textuelle et situationnelle.

II. Valeurs référentielles de you : articulation et calcul du sens à l’interface micro-/macro-

35La partie qui précède a pu montrer dans quelle mesure le tissu nominal était pleinement cohésif : la cohésion nominale peut être appréhendée, dans sa dimension macro-discursive, comme un mécanisme efficace servant la structuration thématique et topicale. Dans une même démarche visant à nous demander de quelle façon certains marqueurs, communément analysés à un niveau micro-syntaxique et éventuellement intermédiaire par rapports aux liens inter-phrastiques, peuvent avoir un fonctionnement à une échelle davantage macro-structurelle, thématique et discursive, nous examinerons les mentions pronominales de seconde personne, comme exemplifiées en [8] et [9] :

36Le corpus à l’étude porte à la connaissance de son auditoire un contenu de savoirs au sujet des phéromones. La partie précédente a déjà illustré la structuration thématique extrêmement séquencée. Puisqu’il est question des phéromones chez les hommes, mais également chez les animaux, l’énonciateur est naturellement amené à mentionner des espèces naturelles. L’examen des dénominations d’espèces naturelles et de leurs reprises nominales et pronominales montre également un tissage serré de la chaîne référentielle générique principalement élaborée au moyen de l’anaphorisation. L’exemple [8] en donne une illustration avec notamment une reprise pronominale (terrestrial mammals – they). Mais ces deux premiers extraits présentent également des mentions pronominales à la seconde personne. On pourrait être tenté d’exclure l’interprétation référentielle du pronom you de tout fonctionnement textuel à proprement parler pour ne la situer que dans la seule sphère pragmatique et énonciative, hors des frontières physiques d’un texte. Aussi, nous souhaitons interroger le niveau auquel l’interprétation référentielle du pronom personnel you est à considérer, et examinerons dans quelle mesure il est pertinent de déterminer sa lecture référentielle et son articulation avec le co-texte gauche (et notamment les références nominales qui précèdent) au regard du fonctionnement plus largement textuel du discours, et éventuellement de sa dimension pragmatique. L’interprétation référentielle du pronom met en jeu différentes échelles.

37Nous examinerons l’emploi du pronom dans la chaîne de référence telle que Corblin (1995 : 123) la définit, c’est-à-dire comme la « suite des expressions d’un texte entre lesquelles l’interprétation construit une relation d’identité référentielle ». Nous verrons que l’interprétation de you, bien que le pronom puisse être caractérisé comme marqueur déictique, doit être intégrée, en partie, à la chaîne anaphorique et à la structuration thématique.

38Dans un premier temps, nous relèverons les différentes valeurs référentielles du pronom sur un continuum allant du plus spécifique (pronom pleinement déictique) à une valeur générique. Puis nous analyserons les glissements de sa valeur référentielle au regard de son intégration à un niveau micro- (dans le contexte phrastique immédiat, intra-phrastique et inter-phrastique), en tant que le pronom de seconde personne s’articule, entre autres, avec des marqueurs énonciatifs, certains types de prédicats, ou encore certaines structures syntaxiques, et relève ainsi d’un phénomène de cohérence. Enfin, nous examinerons la référentialité du pronom dans l’économie générale du texte, à un niveau extra-phrastique, vis-à-vis de la structuration topicale du discours, relevant ainsi d’un phénomène de cohésion.

A. Du spécifique au générique : la volatilité référentielle de you 

39Nous reprenons la catégorisation des valeurs référentielles possibles du pronom de seconde personne que proposent Gaast & coll. (2015). Canoniquement, you apparaît en usage déictique avec une référence personnelle pour renvoyer de façon exclusive à la seconde personne co-locutrice (en l’occurrence dans notre corpus l’auditoire) du locuteur (I). Dans notre annotation de la transcription du corpus, nous le codons youaud :

  • 14 Voir par exemple la description du non referential you (secondary uses) chez Huddleston & Pullum, 2 (...)

40Cela étant, la valeur référentielle du pronom varie sur un continuum +/- générique, ou +/- spécifique, avec une grande volatilité référentielle, étant donné que le pronom peut être employé hors de la sphère allocutive14. You peut parfois avoir une valeur généralisante et indéterminée (impersonnelle) : dans ces cas, il peut être glosé par one. Il fonctionne alors à la manière d’un pronom générique ou indéfini dont le référent, s’il reste humain, est générique et ne relève pas d’une référenciation spécifique dans la situation d’interlocution. Dans notre annotation du corpus, nous le codons youhum, comme illustré en [11] :

41Le pronom you à valeur généralisante reste néanmoins caractérisé par une certaine modularité dans la mesure où, dans notre corpus, il peut tantôt renvoyer à la communauté scientifique, tantôt à la communauté des êtres humains dans sa généralité.

  • 15 Nous ne faisons pas mention du cas du pronom de seconde personne à valeur de simulation sans généra (...)

42Nous relevons également15 des cas où l’emploi de you permet une simulation dans le cadre d’un modèle coopératif (cooperation pattern) entre locuteur et interlocuteur. Nous distinguons deux cas. Premièrement, dans certains cas, le référent réel du pronom est un référent spécifique humain restituable (codé dans notre annotation youspec), soit dans la situation de l’énonciateur-origine, soit dans celle d’un tiers : on généralise à partir de l’expérience. C’est le cas en [12] :

43Deuxièmement, dans d’autres cas, particuliers à notre corpus, le référent réel est restituable dans la sphère extralinguistique, non plus dans l’univers des êtres humains, mais, par un effet d’enchaînement référentiel, dans le monde animal. Nous codons cet emploi du pronom dans notre corpus annoté youanimal. L’exemple [8], que nous rappelons, en donnait une illustration :

44Dans ce dernier cas, il est important de noter que nous trouvons dans le co-texte gauche la mention préalable d’un référent générique de type animal topique dans cette partie du texte.

45Bien évidemment, si la catégorisation proposée par Gaast & coll. (2015) a le mérite d’être claire, notre travail d’attribution des valeurs référentielles de you a été particulièrement délicat, en raison parfois d’une certaine ambiguïté référentielle. Il a fallu alors examiner le contexte large en prenant en compte le sémantisme des mots du contexte, en particulier des prédicats. Dans l’exemple précédent, une lecture strictement interlocutive du pronom ne peut suffire. La construction en if crée une sorte de scénarisation de l’hypothétique, le locuteur demandant à son auditeur de se projeter dans une exemplification, en même temps que le présent permet d’actualiser la référence. Le locuteur semble jouer avec cette variabilité référentielle en vue d’effets discursifs. Les différentes valeurs de you que nous venons d’illustrer ne sont pas tant à regarder en opposition les unes avec les autres mais comme différents points d’un continuum +/- générique, étant donné qu’il convient que le rapport d’interlocution soit suffisamment prégnant pour que l’usage de you, même lorsqu’il n’est plus seulement allocutif, soit possible. On soulignera une certaine souplesse caractérisant you, qui peut alterner avec une autre forme nominale, sans pour autant rompre la possibilité d’une coréférence. Selon nous, l’instanciation de la seconde personne à ces endroits du discours participe plus largement d’un marquage de cohésion et de cohérence, et relève moins d’une question référentielle stricte. You ne sert plus seulement à référer à des entités précises, mais il est également efficace pour rendre saillants des événements (c’est le cas de l’exemplification illustrée en [8]) en y investissant le co-énonciateur. Il est d’ailleurs à noter que lorsque la question de l’identification exacte du référent reste ouverte (cas ambigus), nous ne sommes en aucun cas gênés dans notre compréhension du discours.

  • 16 Dans ces cas, le pronom personnel de première personne du pluriel we renvoie non plus seulement à l (...)

46En outre, le relevé des formes pronominales personnelles et l’examen de leur distribution aux différents endroits du discours se révèle intéressante. Le tableau suivant restitue le nombre d’occurrences des pronoms I, you et we dans notre corpus au regard des différents types de référence16.

Distribution des formes pronominales de première et seconde personnes.

47Si la répartition générale des pronoms de seconde personne est équilibrée entre les renvois directs et non ambigus à la sphère interlocutive (143 occurrences) et les renvois à un référent générique humain (153 occurrences), nous ne trouvons pas ces pronoms aux mêmes endroits du discours : la moitié des you interlocutifs sont répartis entre les dix premières et les dix dernières minutes de l’intervention, tandis que plus d’un tiers des occurrences du pronom de première personne (et ses dérivés) apparaissent sur les cinq premières minutes. Le discours est encadré par des renvois à la sphère interlocutive, ainsi que des marqueurs déictiques (par ex. here, this).

B. Valeur référentielle et dimension intra- et interphrastique

48Que nous montre l’examen du contexte d’apparition du pronom ? Si son interprétation référentielle est à rapprocher de ce dernier, à quel niveau le lien se joue-t-il ? Nous avons examiné les co-occurrences entre le pronom de seconde personne et certaines formes syntaxiques ou énonciatives à un niveau intra-phrastique, voire inter-phrastique, mais limité dans la chaîne syntaxique. Comme noté précédemment, il apparaît que la valeur énonciative du pronom est concomitante avec un repérage énonciatif explicite, comme illustré en [10] (« so good morning », « welcome », « here », etc.). Dans cet extrait, le repérage énonciatif est rendu explicite avec des références directes à la situation d’interlocution, des adresses directes à l’auditoire. Cet extrait nous donne à entendre les trois premières minutes de la conférence : il s’agit d’une prise de contact avec le cadre communicationnel et institutionnel qui est explicitement posé. Le propos est centré sur la conférence en tant qu’objet (quand, où, qui est présent, ce qui justifie cette conférence). S’il introduit le topique du discours (les phéromones), le locuteur n’a pas à ce moment comme visée première de dispenser un savoir avec un contenu scientifique dense. En revanche, dans la suite du propos (minutes 3 :30 à 11 : 20), la focalisation porte sur l’objet du discours :

49En outre, le relevé des types de prédicats associés de façon récurrente à une valeur référentielle particulière du pronom personnel montre, entre autres :

  • une association du you interlocutif à des prédicats relevant d’une activité scientifique, intellectuelle, ou évidentielle : par ex. imagine, think, see, know, remember, show, find, look at, know ;

  • une association du you générique avec ce même type de prédicats, mais plus fréquemment avec des verbes marquant un résultat, par ex. find, get, ou encore have (got) ;

  • une association du you à référent animal avec des prédicats renvoyant au comportement : par ex. mark, get away/back, meet, smell/get the smell/use smell, ou encore be (a mouse, a hyena, in air).

50Du point de vue plus strictement syntaxique enfin, le pronom de seconde personne à valeur interlocutive apparaît typiquement, et de façon cyclique, au sein des différentes sous-parties thématiques qui structurent l’ensemble du discours et qui ont déjà été mentionnées dans le chapitre précédent, au sein des protases dans des constructions syntaxiques de type protase/apodose (if you…) :

51La structure en if évoque des conditions hypothétiques au sein desquelles le locuteur inclut ses co-locuteurs, signifiant qu’ils font partie intégrante de l’histoire, de l’exemple, ou de l’expérimentation qu’il (ré)élabore dans son discours.

52En revanche, le pronom à valeur indéfinie apparaît, quant à lui, typiquement dans des structures semi-clivées du type what you (find/get/see) is… : dans la seconde partie focalisée de la construction, le locuteur transmet un contenu de connaissances :

C. Echelle macro-, progression thématique et glissements de la valeur référentielle du pronom

53L’évolutivité référentielle du pronom you est à comprendre au regard du contexte syntaxique et phrastique immédiats. Mais partant du principe qu’un changement de la valeur référentielle implique également un changement dans le positionnement (stance) de l’énonciateur et dans la visée de son propos, nous avons examiné la progression thématique aux différents endroits du texte où nous observions un glissement référentiel. Pour illustrer notre propos, nous nous contenterons d’une séquence sous-thématique du discours qui servira d’exemple, étant donné que le type d’organisation thématique et discursive dont il est question est récurrent et structurant dans l’ensemble du corpus à l’étude. Dans cette partie du discours (minutes 11 :20 à 18 :40), T. Wyatt s’intéresse à l’individualité du signal olfactif. Après la mention d’une question rhétorique servant d’ouverture à son propos (partie 1), il apporte des éléments explicatifs (partie 2) et développe une démonstration de type expérimental pour illustrer ce qu’il vient de dire (partie 3) :

54La partie 3, qui rend compte d’une expérimentation, appuyée par un support visuel vidéo-projeté, tient d’une démonstration, qui syntaxiquement, et du point de vue argumentatif, est extrêmement chevillée (semi-clivée, structure hypothétique, connecteurs…). Nous relevons le glissement dans la référentiation, interlocutive notamment, avec au démarrage de cette démonstration un pronom personnel de première personne du pluriel we à lecture interlocutive, puis le glissement dans l’apodose vers un pronom de seconde personne à valeur généralisante, dans un souci d’objectivisation de son propos. Un peu plus loin (minute 15 :40), lorsqu’il est question de phéromones, plus spécifiquement chez les mammifères, la valeur référentielle glisse vers une lecture de type référent animal (exemple [8]).

Conclusion

55L’interprétation référentielle du pronom personnel de seconde personne est complexe, au sens où elle nécessite que nous prenions en compte différents niveaux d’analyse dans le calcul du sens :

  • le niveau (micro-) des frontières de l’énoncé, avec la prise en compte notamment du prédicat et certains marqueurs énonciatifs ;

  • au-delà, le niveau de la chaîne référentielle et de la structuration thématique du propos (dans une certaine horizontalité) ;

  • au-delà encore, l’unité-discours dans sa globalité, au regard de sa fonction dans l’échange verbal où le discours est produit. À cet égard, le pronom you est pleinement cohésif, puisqu’il permet de redéfinir l’état de la co-énonciation.

56Les mentions de you constituent une sorte de liage rendu possible par l’intégration d’une macro-structure plus globale au niveau du discours qui contrôlerait (en partie) la structuration sémantique et thématique à un niveau plus micro-. À cet égard, il serait sans doute intéressant d’examiner plus avant les variations dans la chaîne référentielle des types de renvois au référent générique, tantôt au moyen d’une référence « canonique » de type syntagme nominal déterminé développé, permettant un accès au domaine notionnel par la mention explicite du nom commun, tantôt au moyen d’une reprise pronominale n’établissant pas de mention nominale qualitative explicite. Dans cette optique, l’acte de désignation générique que permet le pronom personnel est d’un autre ordre. Il ne permet pas seulement la continuité topicale d’un référent maintenu au premier plan en sa qualité d’opérateur cohésif, mais serait cohésif à un niveau discursif, avec, sous-jacente à la mention du pronom, une présupposition interpersonnelle liée à ce genre discursif en particulier : selon un principe d’empathie et de solidarité, on supposerait que le co-énonciateur serait disposé à adopter la perspective en cours.

III. Les pseudo-clivages : de la pondération relative des constituants à l’agencement informationnel et pragmatique

57Nous ferons écho aux énoncés mentionnés ci-dessus qui voient en collocation des you à valeur indéfinie et une structure syntaxique pseudo clivée (occurrence [16]). Dans les grammaires, les pseudo-clivées sont essentiellement traitées à un niveau syntaxique. Mais dans notre corpus oral à dessein didactique, les pseudo-clivées, en raison de leur rôle dans l’agencement du propos, sont à considérer à une autre échelle. Les pseudo-clivés sont au nombre de 27 : 9 sont amorcées par so (dont l’occurrence 1 déjà mentionnée) et 13 par and ; leur récurrence éveille un questionnement quant à leur rôle dans leur contexte d’apparition, à leur fonctionnement et à l’échelle d’analyse à laquelle les appréhender.

58Nous citerons une première illustration :

59Il s’agit ici d’un commentaire d’image projetée assorti du souci explicatif du conférencier, qui a pour dessein de créer un parallélisme grâce à what we have, d’une part, et à what we’ve got, d’autre part. La combinaison des différents marqueurs (here, have/have got, pseudo-clivages) contribue à désigner des spécimens du monde animalier et à les montrer pour leur comportement olfactif. Il semble que ce soit moins une focalisation qui soit en jeu dans ce contexte qu’une intention déictique itérée à trois reprises. C’est d’ailleurs ce que confirment l’usage des pronoms personnels de seconde et de première personne qui impliquent le co-locuteur et permettent d’attirer explicitement son attention sur l’objet, ainsi que les choix lexicaux de la troisième occurrence, notamment avec le verbe see.

60Nous commencerons par faire un bilan des écrits sur les pseudo-clivées pour cerner les niveaux d’appréhension de cette structure. Puis nous confronterons les données rassemblées à la réalité d’une production orale spontanée et didactique. Le fil directeur de notre propos sera de cerner les niveaux d’analyse en jeu, leur pertinence face à la réalité contextuelle de leur usage. Nous nous affranchirons d’une simple pondération relative des éléments (niveau micro-) et plaiderons pour une approche de la structure dans sa globalité et pour son incidence sur le paragraphe oral (niveau macro-).

A. Quels niveaux d’analyses en jeu ?

A.1. Constituants, focalisation, dimension supra-segmentale

61Parmi les approches les plus répandues pour l’analyse du pseudo-clivage WH- + [Y]+ BE+[X], nous retiendrons la saillance de constituants. Larreya considère que « le pseudo-clivage concerne […] un des éléments constitutifs de la proposition » (2010 : 357) et qu’il « permet de mettre en relief l’un des éléments de la phrase » (id. : 339). Cette mise en relief s’accompagne de paramètres accentuels, ce qui revient à placer l’analyse à l’interface de la micro-syntaxe et de la prosodie.

62De même, pour Khalifa (1999 : 230), un pseudo-clivage présente un be copule qui introduit l’élément focus en seconde partie d’énoncé. La construction permet la « mise en vedette » du jugement appréciatif, c’est-à-dire des éléments présents dans la proposition en what. Selon lui, on remarque un « repérage » de la relation prédicative qui porte le focus par rapport à la première unité. Il considère que 90 % des clivées en wh- sont réalisées avec deux unités intonatives et le noyau en position non-marquée, c’est-à-dire en fin d’unité intonative. Les clivées réalisées en une seule unité intonative voient, quant à elles, « leur noyau tomber sur le focus ». Ceci est confirmé par Herment & Leonarduzzi (2015 : 90) de la façon suivante :

Soit nous avons une double focalisation, aussi bien sur l’élément en tête de phrase (en particulier lorsqu’il introduit un nouveau topic) que sur l’élément clivé ;
Soit l’élément en tête de phrase est rendu moins important par divers moyens, et la focalisation se fait uniquement sur l’élément clivé.

63Empruntant également leurs conclusions à Miller & Weinert (1998), elles optent pour une pondération relative des deux propositions en termes de redondance ou non entre la syntaxe et la prosodie. On lit ainsi :

Quant aux CWH [clivées en what], les différents schémas prosodiques correspondent à des types de saillance différents. Une saillance sur l’élément clivé uniquement s’accompagne d’un schéma neutre avec une seule UI [unité intonative] et un F [Fall] en fin d’unité ou de deux UI avec un FR [fall Rise] en fin de première unité, et une coupure le plus souvent après be. Dans le premier cas, la syntaxe est focalisante, mais la prosodie est neutre. Dans le deuxième, la prosodie va dans le sens d’un renforcement de la focalisation sur l’élément clivé. La prosodie correspondant à une double saillance sur l’élément clivé et le PP [partie de la clivée contenant le présupposé] est la suivante : deux UI avec un schéma F en fin de première unité et une coupure généralement avant be (Herment & Leonarduzzi, 2015 : 101).

64De telles remarques prosodiques relèvent du « suprasegmental » et, à ce titre, nous éloignent d’un niveau micro-. On en reste toutefois à une pondération relative des constituants et des unités intonatives. à l’interface des constituants et de la prosodie se rajoute la question de la présupposition, que Khalifa (1999 : 230) aborde également. Il débat de l’existence et de la place du présupposé pour conclure que différentes configurations existent, le présupposé étant récupérable ou non dans le contexte avant. Il dit finalement :

Pour que la pseudo-clivée soit discursivement cohérente, l’information contenue dans son focus doit être supposée par le locuteur présente et saillante à l’esprit du co-locuteur. C’est pourquoi, dans bon nombre de situations codifiées et ritualisées, la pseudo-clivée est parfaitement acceptable en ouverture de discours. (id. : 231).

65S’ajoute à cela une appréhension de la structure selon un agencement thème/rhème. Pour reprendre les propos de Khalifa (1999 : 230), le thème est toujours à droite de [...] WH- dans la pseudo-clivée, le rhème […] est introduit par BE.

A.2. De la structure informationnelle à la dimension pragmatique

  • 17 “The Theme is the element which serves as the point of departure of the message ; it is that with w (...)

66Considérer les pseudo-clivages en termes d’agencement thème/rhème nous éloigne d’une approche micro-syntaxique de la structure et relève d’une approche macro-syntaxique. Les termes de thème et rhème peuvent être conçus dans une logique informationnelle. Selon l’acception développée par Halliday & Hasan (1985 : 37-67), la relation thème-rhème17 est le support du message, le thème constituant le point de départ, le rhème venant s’y agencer. Cette opposition se retrouve partiellement dans l’acception de Morel & Danon-Boileau (1998), pour qui thème et rhème relèvent de l’agencement intonatif relatif de deux unités prosodiques. Le thème revient à un temps d’ajustement, de positionnement par rapport à l’autre et de partage d’un terrain commun, le rhème « permet à l’énonciateur d’exprimer sa singularité quant à la façon qu’il a d’envisager l’objet de discours » (Morel & Danon-Boileau, 1998 : 162). Selon ces deux supports théoriques, l’appréhension des pseudo-clivages suppose de ne pas à en rester à un niveau micro- d’analyse mais bien, d’élargir l’échelle syntaxique, informationnelle et prosodique de l’analyse.

67Logique informationnelle et contours intonatifs sont réinvestis par Herment & Leonarduzzi (2015) dans l’interprétation qu’elles font des catégories prosodiques, notamment du contour de l’unité en what :

[…] le fait d’employer un ton creusé indique que l’on estime que l’interlocuteur sait de quoi on parle, et cela permet d’attirer en effet l’attention sur la suite, qui va être nouvelle pour l’interlocuteur.
Cette analyse prosodique rejoint l’analyse diachronique que fait Callies (2009) des clivées en wh-. Les clivées contemporaines seraient de plus en plus des constructions « projectives » qui annoncent le discours qui suit : “a projector construction that foreshadows the upcoming discourse : WH clause opens a projection span drawing the recipient’s attention to the missing constituent (…)” (Id.  : 31)

68Nous sommes d’avis que ces constructions projectives entrent dans une logique de mise en valeur de l’information nouvelle. Dans notre corpus, les illustrations se succèdent, en amorce de paragraphe oral :

Représentation acoustique sous PRAAT

69Ces deux occurrences reproduisent un même contour, à savoir un contour montant sur la première unité en what auquel vient s’agencer un contour descendant sur la seconde unité qui n’atteint pas un niveau de clôture du fait de continuatifs et d’enchaînements que ces structures viennent générer dans la spontanéité de leur production. Cet emboitement thème (what [x])/ rhème (be [Y]) est tout à fait en adéquation avec les propos qui ont été tenus jusqu’à présent.

70Dans le cas de la seconde occurrence, on remarque que book, qui vient marquer la fin du thème est l’élément sur lequel le rhème vient s’adosser avec is how qui en est l’amorce. Nous retrouvons le phénomène de repérage de la seconde unité par rapport à la première, pour citer Khalifa (1999). Evolved, quant à lui, présente une légère remontée, marque de continuatif du fait du paragraphe oral qui continue (and in a way why it was inevitable that …) et qui a d’ailleurs été introduit par l’intégralité de l’unité pseudo-clivée.

71Nous proposons de considérer maintenant :

72Cette troisième illustration, plus encore, permet de comprendre que le pseudo-clivage est un prétexte à un enchâssement syntaxique fait de compléments du nom (the way that) et de relatives (a world where) venant développer le propos. Au vu de notre corpus, nous adhérons donc à cette approche qui nous éloigne d’une simple approche micro- par constituant mais vient nous placer à un niveau autre d’appréhension du phénomène. Le pseudo-clivage a pour fonction d’amorcer tout un paragraphe, d’embrayer sur une nouvelle thématique qui est prolongée dans la suite du paragraphe oral. Progressivement, nous nous affranchissons d’une simple pondération relative des constituants ou des propositions pour atteindre un niveau d’analyse qui dépasse un cadre restreint et nous semble le plus à même de rendre compte de la fonction des pseudo-clivages récurrents dans notre corpus.

73Nous concevons en effet que les pseudo-clivages, à l’oral, sont à appréhender pour leur fonctionnement. Nous adhérons ainsi aux propos de Callies (2009) qui évoque une pragmaticalisation progressive en anglais contemporain des pseudo-clivées à l’oral. Il conçoit que la fonction de ces clivées très grammaticalisées peut être méta-pragmatique. Elles peuvent servir à l’énonciateur à maintenir son tour de parole, à gagner du temps. Il dit notamment au sujet des pseudo-clivées :

[…] their high frequency and distinct structural features suggest a different development of the construction in spoken compared to written English, a development that is strongly related to its specific metapragmatic functions in spoken interaction, perhaps most importantly managing temporality in interaction (e.g. delaying, floor-holding and timebuying). The development of wh-clefts in spoken English may be conceived of as a case of pragmaticalization […] (id. :14).

B. De la remise en cause des enjeux micro-textuels à l’incidence sur le paragraphe oral

74Il apparait en effet que les pseudo-clivées utilisées dans notre corpus didactique sont très codifiées dans leur usage macro-syntaxique. On ne verrait pas l’intérêt de traiter des pseudo-clivages à un niveau micro-syntaxique ou de débattre d’une pondération relative de l’unité en what et du focus. Nous sommes d’avis que les énoncés pseudo-clivés sont à aborder selon une plus grande perspective, celle du paragraphe et de la relation inter-paragraphe. En effet, ces constructions ont une fonction structurante, de relance ou de reprise par rapport à l’amont et surtout une fonction d’identification ou de spécification d’un nouveau topique, pour reprendre la terminologie du I, qui sera développé en aval.

B. 1. Quelle prégnance du présupposé dans l’usage des pseudo-clivages ?

75Nous souhaiterions revenir sur les remarques de Khalifa (1999) quant au présupposé présent dans le focus qui est la garantie d’un échange et rend le pseudo-clivage compatible avec une ouverture de discours. Il est en effet possible de trouver des pseudo-clivages en amorce de la démonstration. Ils ne présupposent toutefois pas de données partagées en amont. Ainsi, trois minutes après quelques préliminaires introductifs, le conférencier aborde le cœur de son sujet de la sorte :

76Le passage est amorcé par so, qui arbore ici toute la spécificité de son fonctionnement à l’oral. Loin d’être une marque de lien logique, so est un ponctuant de discours qui vient redynamiser l’échange. De façon identique, le clivage ne s’inscrit pas par rapport à un avant. Il est concevable que la partie focalisée (what a pheromone is) soit présupposée par la thématique même de la conférence. Mais il nous semble plus probant de considérer que le présupposé est à trouver dans l’usage de la structure dans sa globalité. Ceci est à mettre en relation avec les conditions de production du discours didactisé, qui suppose une amorce et une élaboration sur la thématique annoncée. Ici en effet, une fois le temps d’anticipation effectué par le rappel du film Le Parfum, le conférencier en vient à définir la terminologie et à faire référence aux supports théoriques qui sont ses sources.

77De façon relativement similaire, le pseudo-clivage peut apparaître en milieu de démonstration. Now se substitue au so vu précédemment, mais a une même fonction de relance du dire et d’amorce d’une nouvelle thématique. Quant au pseudo-clivage, il accompagne cette relance et permet de passer d’un développement sur le message chimique des hormones (min 18) à une explication sur le rôle des odeurs :

78Enfin, cette même structure peut apparaître à un temps conclusif de la conférence. Après avoir fait état d’une expérimentation, le conférencier passe à un ultime temps de sa présentation. Là encore, il ne vient pas reprendre un élément déjà posé et présupposé, mais il vient plutôt structurer le propos et le pseudo-clivage lui sert de transition. Cette structuration du propos est d’ailleurs confortée par l’usage répété d’indications temporelles. (for a minute, in the last ten minutes) qui est ici encore convoqué :

79Cette déclinaison d’une même structure à trois temps distincts de la conférence (début, milieu, fin) confirme qu’il n’est pas nécessaire que le présupposé soit récupérable dans le contexte avant. Certes, les clivées, quel que soit leur moment d’apparition dans la conférence, apparaissent en amorce d’énoncés. Mais elles sont à appréhender non pas selon une logique de valorisation respective des constituants mais plutôt dans le mouvement global du paragraphe. Elles sont également à appréhender dans le contexte plus élargi du discours tenu, qu’elles viennent structurer. Nous considérerons qu’elles viennent rythmer et ponctuer le discours. En d’autres termes, nous les qualifierons de ponctuants du discours.

80également, dans toutes ces configurations, si présupposé il y a, il n’est pas à trouver au niveau des constituants mais au niveau de l’intégralité de la structure dont la fonction est de ponctuer le discours et de répondre aux présupposés de la situation d’échange. Il est à mettre en relation avec les conditions de production du discours didactisé, qui suppose une structure, une amorce, des ouvertures et perspectives en conclusion, un partage de l’espace temporel entre le conférencier et l’auditoire, bref un jeu codifié avec l’auditoire.

B.2. Pseudo-clivage et thématisation : quelle acception retenir ?

81Revenons sur les propos d’Herment & Leonarduzzi (2015) : « L’unité présupposée, quant à [lui] elle, est thématisée (du fait de sa mise en tête) mais non focalisée. L’information essentielle se trouve en fin d’énoncé » (95).

82Relativement à la thématisation, elles considèrent « que le thème correspond au premier constituant de la phrase. Il s’agit du point de départ du message (Halliday, 1985 ; Miller et Winert, 1998). La thématisation sera donc « la mise en position initiale d’un constituant » (Herment & Leonarduzzi, 2015 : 86-87).

83Nous nuancerons ce propos en trois temps. Tout d’abord, il peut exister une contradiction entre les propos tenus, jusque ici, sur la présupposition et la thématisation. N’est-il pas contradictoire de considérer que l’unité en what puisse être thématisée, tout en considérant que l’unité en be soit présupposée ? également, ne serait-il pas contradictoire de considérer que l’unité en be soit focalisée tout en étant présupposée ? Considérer, comme le fait Khalifa, que la place de l’élément portant le présupposé est fluctuante permet de neutraliser des contradictions potentielles, mais aussi de nous garder en éveil quant à la véritable raison d’être de cette structure.

84Nous concevons que la mise en position initiale d’un constituant en fasse le thème de l’énoncé. Toutefois, la thématisation ne se limite pas à une simple appréhension des constituants dans leur linéarité. La thématisation. est également à concevoir comme le centre organisateur de l’énoncé selon l’acception de Peeters, c’est-à-dire que la « thématisation consiste à marquer à partir de quoi s’organise ou progresse l’énoncé ou une partie de l’énoncé » (1999 : 53). Selon cette acception, l’unité présupposée présente dans les pseudo-clivées n’est pas à elle seule centre organisateur de l’énoncé. Se pose en effet un problème de niveau d’appréhension du discours, car la portée de l’unité en what va au-delà des simples limites de l’énoncé et contribue à l’agencement de tout un paragraphe oral. D’ailleurs, si elle réamorce le propos par rapport à l’aval, elle vient aussi signaler une transition par rapport à l’amont. Elle sert à marquer un temps entre une thématique qui a été développée et une nouvelle thématique qui va être abordée.

85également, comme l’illustrent les trois précédentes citations, ce n’est pas l’unité en position initiale qui semble jouer un rôle, mais bien l’ensemble de la structure (WH- + [Y]+ BE+[X]) qui contribue à l’agencement du paragraphe oral qu’elle amorce. L’occurrence 3.30 vient lancer une thématique que la suite du paragraphe développe en définissant le terme et sa teneur scientifique. L’occurrence 47-12 permet, quant à elle, d’aborder enfin ce qui est le plus mystérieux relativement aux phéromones, à savoir leur impact sur l’espèce humaine. Ainsi, c’est l’intégralité de la structure qui permet de stimuler l’auditoire et qui devient centre organisateur du paragraphe qu’elle amorce. Ainsi, dans nos trois occurrences, une coordination ou subordination (and, because) apparaît à la suite de l’unité pseudo-clivée dans son intégralité. C’est alors qu’une thématique nouvelle est développée, une fois la clivée ayant accompli son rôle de transition et d’embrayeur de thématique nouvelle.

86Alors, l’élément focalisé ne correspond pas nécessairement à l’information essentielle. Il est le point d’appui pour le développement du reste de la thématique.

87Ainsi, traiter des deux constituants des constructions pseudo-clivées en termes de thème et d’éléments focalisés revient à se cantonner à une échelle d’analyse trop restreinte et limitée. Cela revient à se cantonner à l’énoncé produit hors de son usage et du contexte de sa fonction. Les propos que nous venons de tenir indiquent que nous considérons une nouvelle échelle d’analyse. Nous ne nous contentons plus ni des constituants ni de leur pondération respective. Nous nous situons au-delà, là où les clivées jouent à l’interface de paragraphes et des thématiques. Nous sommes alors d’avis que la pertinence est à trouver à une autre échelle, celle du paragraphe oral que la structure dans son intégralité vient amorcer.

C. Le pseudo–clivage comme ponctuant discursif : enjeu méta-pragmatique

88Il convient d’ailleurs de noter que les pseudo-clivées ne sont qu’une réalisation parmi d’autres d’un même phénomène d’embrayage du propos. Au même titre que d’autres structures, elles entrent dans une stratégie discursive. À nouveau nous adhérons à l’approche de Callies (2009 : 29) :

The initial wh-clause, which has been shown to be highly formulaic and lexically constrained to a small number of ‘metalinguistic’ verbs (do, happen, say, mean), seems to develop into a topic marker or discourse-marker-like phrase, similar to re-analyses of matrix-clauses like the thing/fact/point is (that) as projector phrases (Aijmer 2007 ; Günthner 2008).

89Donc, ce n’est pas une problématique des constituants qui est en jeu, ni même de la pondération relative des propositions. En d’autres termes, ce n’est pas une problématique micro-syntaxique. C’est bien la structure pseudo-clivée dans son intégralité qui est à mettre en système dans un paradigme de fonctionnement. Nous nous situons à un niveau macro- d’embrayage de paragraphe et d’activation ou de réactivation d’un topique qui sera développé à droite de la pseudo-clivée.

90D’ailleurs, notre corpus corrobore les propos de Callies (2009). What … is est en concurrence avec one of the en termes de structuration macro-. Nous avons un paradigme de structures qui ponctuent la démonstration didactique, convoquées de façon variée, ce qui fait la richesse du corpus utilisé.

91Nous remarquons ici notamment une identité de réalisations prosodiques et d’emboîtement (what you might see […] are et how smell works is […] are) entre la pseudo-clivée en what et la construction en how. Nous avons ici un même phénomène de dislocation, de mêmes effets focalisants. Alors même que les grammaires ne répertorient pas particulièrement ce type de structure, voire qu’elles signalent l’impossibilité de constituants adverbiaux ou prépositionnels dans ce type de configuration, il n’en demeure pas moins que les effets discursifs de cette structure en how sont ceux du’un pseudo-clivage. Ne serait-on pas en droit de parler de clivage en how ?

92C’est à nouveau un même contour prosodique d’emboîtement et un même agencement contextuel que l’on retrouve avec :

93Cohabitent ici un pseudo-clivage et la construction one of the things qui a la même fonction de relance et d’annonce d’un nouveau topic. Avec cette formule, le contenu importe peu, l’expression ne véhicule aucun sens référentiel. One of the things, agencement récurrent dans le corpus, vient redynamiser le propos et permettre un enchaînement thématique :

94Enfin, des amorces partielles peuvent apparaître dans des configurations semblables :

95Tout comme pour les pseudo-clivages, c’est l’ensemble de cette unité qui a un méta-fonctionnement, une dimension pragmatique de relance de l’intérêt de l’auditoire et un rôle d’annonce du contenu à développer. Une fois le terme smell posé dans cette expression projective, le propos peut être développé, comme le confirment les quatre temps explicatifs sélectionnés qui suivent.

96Après écoute de ces énoncés, une étude micro-syntaxique s’avère non pertinente, car ce n’est pas l’enjeu de l’usage de telles constructions. De telles structures présentent une même enveloppe prosodique thème/rhème. Le pseudo-clivage est une formule parmi d’autres. Il entre dans un paradigme de formulations qui toutes ont une même fonction de ponctuant du discours, un méta-fonctionnement. Alors, seule une approche débarrassée des constituants et de leur poids relatif, seule une approche macro-syntaxique, informationnelle, et pragmatique a du sens.

Conclusion

97Loin d’une pondération relative des constituants, compte ici la dimension pragmatique de ces formules, qui stimulent et tiennent en éveil l’attention de l’auditoire ainsi que leur dimension informationnelle qui valorisent l’information présente en seconde partie et qui n’est elle- même que l’amorce du topique à développer. Ré-embrayeurs, les constructions pseudo-clivées s’inscrivent dans un paradigme de méta-constructions, dont la portée est à cerner au niveau du paragraphe pour signaler que le propos et le contenu informationnel sont à venir.

Conclusion générale

98Dans un corpus de vulgarisation scientifique à dimension interactionnelle, nous avons donc examiné l’organisation sémantique à partir du liage nominal, rendu compte de l’instabilité référentielle du pronom de seconde personne you au regard de la dimension interpersonnelle et informationnelle du discours et remis en cause la simple saillance des constituants au sein des structure pseudo-clivées, pour en montrer la fonction de ponctuant au sein du paragraphe oral.

99Notre raisonnement a suivi différentes trajectoires à l’interface micro-macro-. L’analyse topicale a adopté un mouvement descendant pour étudier l’organisation du discours constitué, du plus global au plus restreint, de périodes, de clauses et de topiques. Il est montré que les constituants nominaux permettent un liage des clauses et garantissent ainsi la cohésion sémantique. C’est dans un mouvement inverse que se sont inscrites les deux parties suivantes. L’analyse référentielle a amorcé un traitement de la référentialité du pronom personnel you à un niveau micro-syntaxique intra- et inter- phrastique pour rendre compte du fonctionnement du constituant au niveau plus global de la cohésion textuelle. L’analyse syntaxique a écarté un questionnement sur le poids relatif des constituants formant une structure pseudo-clivée pour traiter le pseudo-clivage dans sa globalité et cerner son incidence sur le paragraphe oral qu’il agence. Ponctuant à un niveau-macro-linguistique, il tient le co-énonciateur en éveil et signale qu’un contenu informationnel nouveau est introduit.

100Nonobstant, la démarche commune qui a sous-tendu notre propos a été d’articuler différentes échelles d’analyses pour mieux cerner le fonctionnement des constituants à l’oral et s’affranchir d’une catégorisation trop restrictive. Plus qu’une remise en cause, ceci revient à approfondir et élargir notre appréhension de phénomènes langagiers.

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Notes

1 Le corpus ainsi que l’ensemble des extraits cités sont disponibles sur .org. La conférence est elle-même disponible sur le site de l’Université d’Oxford, à l’adresse suivante : http://podcasts.ox.ac.uk/pheromones-what-animals-including-humans-say-smell

2 Nous entendons la cohésion discursive telle qu’elle a été théorisée par Halliday & Hassan ([1976] 2014 : 8) : “Cohesive relations have in principle nothing to do with sentence boundaries. Cohesion is a semantic relation between an element in the text and some other element that is crucial to the interpretation of it. This other element is also to be found in the text, but its location in the text is in no way determined by the grammatical structure.”

3 L’articulation de différents modules pour former un texte a souvent été abordée par les auteurs travaillant en analyse du discours. Nous reprenons ici les éléments-clés de la grille d’analyse proposée par E. Roulet dans son ouvrage La description de l’organisation du discours, (1999 : 33).

4 Berrendonner, 1993 : 22.

5 Cette considération se situe dans la lignée des travaux de Blanche-Benveniste (1987 ; 1993) sur les unités de l’oral. Voir aussi Berrendonner (1993).

6 Nous reprenons ici certains éléments méthodologiques décrits par Halliday & Hassan (2014), qui répertorient cinq types d’outils de cohésion discursive : la référence, la substitution, l’ellipse, la conjonction et la cohésion lexicale (qui inclut la répétition, telle que nous l’étudions ici).

7 Il convient de noter que les réponses contiennent également des références bibliographiques, des renvois vers des ouvrages de spécialité.

8 Voir Berrendonner  : 1993.

9 Voir à ce propos Roulet, 1996 : 21.

10 La répétition comme procédé de cohésion discursive a été largement étudiée par l’école anglo-saxonne : Halliday & Hasan (1976)), Hoey (1991).

11 Voir à ce propos Rabatel, 2004 : 256.

12 Les noms les plus utilisés dans notre corpus, par ordre de fréquence, sont : pheromone (71), smell (58), male (37), thing (54), female (42), message (23), animal (22), odour (26).

13 Néanmoins, étant donné que les hormones sont abordées comme des hormones de l’odorat, le conférencier continue à en parler de manière implicite, sans les nommer.

14 Voir par exemple la description du non referential you (secondary uses) chez Huddleston & Pullum, 2002 : 1467 ou chez Quirk & coll., 1985 : 353-354.

15 Nous ne faisons pas mention du cas du pronom de seconde personne à valeur de simulation sans généralisation catégorisé par Gaast et coll. (2015) (du type « you are in Egypt, you take a cab … ») dont nous n’avons pas d’occurrence dans notre corpus.

16 Dans ces cas, le pronom personnel de première personne du pluriel we renvoie non plus seulement à la communauté constituée par les participants de l’interlocution (T. Wyatt et son public) mais aux hommes en général, à des endroits du texte où il est question des phéromones chez les animaux d’une part, et chez les êtres humains d’autre part.

17 “The Theme is the element which serves as the point of departure of the message ; it is that with which the clause is concerned. The remainder of the message, the part in which the Theme is developed, is called in Prague School terminology the Rheme.” (Halliday & Hasan, 1985, p. 37).

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Gaudy-Campbell, Héloïse Lechevallier-Parent et Vasilica Le Floch, « Articulation topicale, référentielle et macrosyntaxique dans un discours oral »Modèles linguistiques, 73 | 2016, 21-58.

Référence électronique

Isabelle Gaudy-Campbell, Héloïse Lechevallier-Parent et Vasilica Le Floch, « Articulation topicale, référentielle et macrosyntaxique dans un discours oral »Modèles linguistiques [En ligne], 73 | 2016, document 2, mis en ligne le 06 août 2017, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/2098 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.2098

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Auteurs

Isabelle Gaudy-Campbell

Membre du laboratoire IDEA, EA 2338

Professeur de linguistique anglaise à l'Université de Lorraine, site de Metz

isabelle.gaudy-campbell@univ-lorraine.fr

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Héloïse Lechevallier-Parent

Membre du laboratoire IDEA, EA 2338

Maître de conférences à l'Université de Lorraine-site Metz

marie.parent@univ-lorraine.fr

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Vasilica Le Floch

Membre du laboratoire IDEA, EA 2338

Enseignant-chercheur à l'Université de Lorraine, site de Metz

vasilica.le-floch@univ-lorraine.fr

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