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2. Hier : de la langue écrite à la langue parlée
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Le phonème face à la théorie du langage de J. R. Firth

The phoneme and J. R. Firth’s theory of language
Angela Senis
p. 109-132

Résumés

La position singulière de Firth face au phonème laisse entrevoir une théorie du langage alors naissante. Elle repose sur sa formation universitaire, son expérience en Asie et des concepts déjà muris, comme celui du contexte, hérité de Malinowski. Afin de palier ce qu’il considère être les défauts du phonème, il a développé certains aspects de sa théorie linguistique (la phonesthésie, notamment) et une logique centrale qui allait caractériser sa pensée. De là est née une théorie complète et autonome du langage connue sous le nom de Théorie contextuelle du sens, caractéristique d’une école de pensée autonome, l’Ecole de Londres de linguistique générale, qui devait influencer plusieurs générations de linguistes britanniques.

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Texte intégral

1. Les années de formation

John Rupert Firth (1890-1960), que certains considèrent comme « le grand-père de l’histoire de la linguistique en Grande-Bretagne » (Koerner, 2004, 202), a joué un rôle majeur dans la reconnaissance et le développement de la linguistique comme discipline universitaire à part entière. Sa « théorie du phonème » (Firth, 1949 : 169) a cristallisé bon nombre de sujets qui lui tenaient à cœur, notamment le concept de contexte de situation. Bien que les deux principales biographies qui lui sont consacrées (Rebori, 2002 et Plug, 2008) fassent état de son intérêt précoce pour les langues et le langage en général, sa formation universitaire initiale était en fait en histoire. Détail important : la future London School of Linguistics sera marquée au sceau de l’histoire.

1Après l’obtention de son Master en 1913, Firth part en Inde, colonie anglaise pour quelques années encore, et entre dans l’administration de l’Indian Education Service. Il sera par la suite (1919-1928) professeur d’anglais à l’Université du Punjab. Son long séjour en Inde a ravivé son intérêt pour les langues extra-indo-européennes. Ce type d’expérience sur le terrain est, selon lui, déterminante, garantissant à la fois l’objectivité et la scientificité de la recherche :

  • 1 Les citations sont traduites de l'anglais par l'auteur de l'article et éditées par la rédaction de (...)

[1] Un scientifique occidental doit se “déseuropéaniser” et, dans la perspective de l’utilisation la plus universelle de l’anglais, un Anglais doit tout autant se “désangliciser” (Firth, 1965a : 96)1.

2Cette expérience devait jouer un rôle important dans sa conception de la phonologie. Dans la perspective historique, il perçoit l’Inde comme le « berceau de la phonétique » (Firth, 1954, cité dans Rebori, 2002 : 171). De plus, les caractéristiques phonologiques propres aux langues indiennes, ainsi qu’aux langues du Sud-Est asiatique en général, comme la structure syllabique, ont aussi joué un rôle majeur dans l’élaboration de sa théorie.

3Cependant, il a sans tarder rencontré un obstacle de taille : la nécessité de segmenter les énoncés afin de mieux les appréhender (Firth, 1930 : 182). Mais à ses yeux, cette procédure n’est pas naturelle, dans la mesure où elle interdit la perception globale du discours. Il a toutefois fini par accepter cette nécessité de délimiter et d’identifier les constituants afin d’être dans de meilleurs conditions pour les étudier. Le choix d’une unité de segmentation pertinente s’est révélé être une étape clé dans la linguistique firthienne. Le problème de la segmentation est récurrent tout au long de ses publications :

[2] à proprement parler, la méthode grammaticale qui consiste à réduire une phrase à des parties n’est rien d’autre qu’une procédure fantaisiste ; mais c’est la source de tout savoir, puisque cela a conduit à l’invention de l’écriture (Firth, 1937 : 15).

4C’est dans cette perspective que Firth en est venu à envisager différentes segmentations avec pour unités les mots, les phones et, à la clé, la théorie du « phonème » :

[3] Il n’est pas aisé de déterminer quelles sont les unités de la parole. Certains diront les sons du discours, d’autres les phonèmes – c’est-à-dire des groupes ou des familles de sons, comme le groupe k ou le groupe l, ou le groupe de la voyelle neutre. […] L’opinion générale est, cependant, que ce sont les mots et non les sons, les phonèmes ou encore les systèmes qui constituent les unités de la parole (Firth, 1930 : 182-83).

5Ce qui n’était au départ qu’une recherche méthodologique s’est avéré être finalement une problématique majeure au cours de la première moitié du xxe siècle. La reconstruction de l’histoire du phonème que nous esquissons ici à partir de ce qu’a écrit Firth tout au long de sa carrière offrira peut-être, outre une idée de sa conception personnelle, un écho des polémiques de l’époque. Comme on le verra, sa conception est fondée sur le constat des limites du phonème (généralisation impossible, définition imprécise). Son apport repose pour l’essentiel sur la valorisation du contexte de situation.

6Son rejet du phonème a eu pour conséquence de situer Firth en marge de la communauté scientifique internationale. Elle a eu également pour effet de l’amener à concevoir la phonesthésie, approche prosodique qui est la marque de la London School of Linguistics, mais dont nous ne traiterons pas dans le cadre du présent article.

2. Histoire problématique du phonème selon Firth

7Firth revient en Grande-Bretagne en 1928 et il intègre l’équipe de phonétique de Daniel Jones à l’Université de Londres. Dès sa première publication, Speech (1930), il adopte le point de vue historique qu’il maintient dans un court article, “The Word ‘phoneme’” en 1934. Il y attribue la création du concept à Baudoin de Courtenay de l’université de Kazan, et plus spécialement à l’élève de celui-ci, Nicolas Kruszewski, qui publie Über die Lautabwechslung (« De l’alternance des sons ») en 1881. Firth s’emploie à établir des parallèles entre l’approche de Kruszewski et celle des phonéticiens britanniques, comme Henry Sweet et Daniel Jones. Il étend la comparaison aux principales écoles européennes (p. ex. à l'Ecole de Prague) et à l’école bloomfieldienne en Amérique.

8Il affirme ainsi que le phonème est implicitement présent dans plusieurs travaux réalisés ailleurs qu’à l’Université de Kazan au cours de la seconde moitié du xixe siècle :

[4] [Le phonème] est implicite dans le “Broad Romic” de Sweet, qui remonte à peu près à la même période que l’ouvrage de Kruszewski. Il est implicite dans de nombreuses autres orthographes […]. En théorie, il apparaît d’une manière embryonnaire dans le Lehrbuch de Jespersen, ainsi que dans le Cours de linguistique générale de Saussure, où une ébauche de théorie complète apparaît aux pages 163-169. On peut trouver des notions similaires dans les œuvres de Sapir et de Bloomfield (Firth 1934c : 2).

En conclusion de son article, Firth attire l’attention du lecteur sur l’importance de la terminologie et particulièrement sur le mot phonème. Il conclut sur une question à première vue déroutante :

[5] Le sens de n’importe quel mot ordinaire est sujet à une modification soudaine, mais les termes techniques ne sauraient être traités de cette manière. Une notification s’impose. Il semblerait qu’un mot de mise en garde soit nécessaire pour ce qui est du mot “phonème”. Que signifie ce mot ? Firth, 1934c : 2.

9La question n’est qu’en partie rhétorique. Elle intervient juste après le passage en revue des différentes acceptions (Kazan, Prague, Copenhague, états-Unis). Il est, dit-il, difficile de définir un terme dont on use et abuse. En plus, chacun tire à hue et à dia. Firth revient constamment sur cette question (1935a : 21 ; 1948b : 126, 147 ; 1957a : 220 ; 1955 : 46), comme s’il cherchait une réponse. Il n’est du reste pas le seul. Twadell (1935) et Jones (1944) affichent les mêmes réserves. Ce dernier affirme :

[6] Il est surprenant qu’il n’existe en fait aucune définition communément admise du phonème. Le phonème est peut-être indéfinissable, à l’instar des concepts fondamentaux dans d’autres sciences (1944 : 1).

3. Le phonème selon Firth

10Il est difficile de parler de la définition du phonème par Firth. Et pour cause : il n’y croyait pas. On peut difficilement lui reprocher de ne donner à aucun moment une description pleine et entière de ce « phénomène ». C’est donc de sa part un choix volontaire, inutile d’essayer d’ajouter une « définition » :

[7] Tour à tour, phonologues et phonéticiens semblent s’être dit : « Ton phonème est mort, vive mon phonème ! » (Firth, 1948b : 122 ; les italiques sont de Firth).

11Quoi qu’il en soit, ses propres étudiants et collègues (Robins, 1961 : 198 ; Bazell et al, 1966) parlent explicitement, en le regrettant, d’un manque de clarté générale dans les écrits de Firth :

[8] […] Firth n’était pas, avouons-le, l’auteur le plus limpide du monde, et on regrette l’absence d’une œuvre majeure de sa part qui aurait présenté sa position et sa méthodologie dans leur intégralité et en détail (Bazell et al., 1066 : vi).

12Ses publications ne comprennent que deux livres et deux recueils d’articles : 1° Speech, 1930, pour un public non universitaire, 2° The Tongues of Men, 1937, histoire des langues et des sciences du langage pour grand public, 3° Papers in Linguistics 1934-1951, 1957, les premiers articles de Firth, 4° Selected Papers of J. R. Firth 1952-1959, 1968, recueil posthume.

13à l’heure actuelle, ces publications ont été réparties en trois volumes. Le premier rassemble Speech et Tongues of Men (depuis l’édition de Peter Strevens en 1964). Les deux autres ouvrages rassemblent une trentaine d’articles écrits. Certains de ces articles ont été publiés par Firth lui-même en 1957, alors que les plus tardifs ont été publiés par F. Palmer en sa qualité d’exécuteur littéraire. Parmi ces derniers, certains étaient alors inédits (pour le traitement des sources, voir Senis, 2017).

14En conséquence, c’est dans ces quelques écrits que le lecteur doit rechercher, prélever et assembler les éléments susceptibles de composer un semblant de définition. Les écrits de Firth s’étalant sur une trentaine d’années, une autre difficulté réside dans l’évolution, et parfois même la contradiction qui peuvent caractériser certains concepts. Cela rend la reconstitution d’une théorie cohérente particulièrement délicate. Cependant, certains motifs récurrents permettent d'en déduire une définition générale.

15Firth caractérise ainsi le phonème comme :

  • Unité phonétique fonctionnelle : « Ce type d’unité phonétique fonctionnelle est appelée phonème » (Firth, 1934a : 3 ; 1930 : 71).

  • Le vecteur de fonctions grammaticales et lexicales : « La plupart des phonèmes vocaliques de l’anglais, par exemple, peuvent être établis sur la base de telles fonctions lexicales et grammaticales » (Firth, 1934a : 5).

  • Entité autonome rendant compte des « sons de la parole » (« La distribution des phonèmes et des variantes phonémiques doit rendre compte de tous les sons de la parole utilisés par des locuteurs natifs dans un discours soigné et rapide », Firth, 1930 : 162 – 3).

  • Somme de variations phoniques dépendant du contexte de l’énoncé : « Le phonéticien qui, afin de représenter exactement ce qu’il entend, s'efforce de transcrire avec un ensemble de lettres, de points et d’autres marques, peut souvent passer à côté de ce que le locuteur, dont c’est la langue maternelle, sait (ou croit) employer dans un but particulier et dans un contexte spécifique » (Firth, 1934a : 3).

16L’exemple ci-dessous pris dans la langue tamoul, illustre ce qui précède et devrait donner une idée rapprochée de ce que représente le phonème pour Firth :

[9] Une des unités fonctionnelles du tamoul, par exemple, est quelque chose qui n’est pas p t, ou pp, tt, ou même kk, mais à tour de rôle k, g, c, ç, x, ɣ (A.P.I.), selon le contexte. Ce type d’unité phonétique fonctionnelle est appelé phonème […] Comme illustration de ce que signifie un phonème, nous pouvons prendre le phonème tamoul k ci-dessus. Les phones alternatifs k1, k2, k3, k4, k5, k6 apparaissent nécessairement sous les conditions x1, x2, x3, x4, x5, x6, qui sont directement observables et définissables dans un style d’expression d’un certain type de locuteur d’une certaine région, et peut de ce fait être représenté par le signe k. Le terme ‘similitude’ peut être appliqué aux relations k1 : x17, k2 : x27, k3 : x37, etc., entre les phones alternatifs et les conditions déterminantes (Firth 1934a : 3-4 ; les italiques gras sont dans la version originale).

17En résumé, le phonème est donc pour Firth une unité phonétique fonctionnelle qui peut assumer des fonctions lexicales et grammaticales et qui repose sur des variations phoniques dépendant de contextes sociaux ou de situations spécifiques. Firth dénombre un total de 45 phonèmes en anglais :

[10] En anglais, nous avons repéré vingt-cinq phonèmes consonantiques et une vingtaine de phonèmes vocaliques (Firth, 1930 : 182).

18Néanmoins, ces caractéristiques définitoires laissent déjà entrevoir les limites du phonème que déplore Firth, ainsi que le rôle majeur du contexte.

4. Limites de la théorie du phonème

19Outre l’absence de consensus dans la définition du phonème (Firth, 1934c, 2, et 1956a : 99), Firth dénonce le fait que cette définition n’est pas généralisable, ce qui est particulièrement observable dans les langues syllabiques. Il déplore également son manque de précision et la réification (“hypostatisation”) du concept. Enfin, il critique sans appel la méthodologie adoptée dans les sciences du langage.

4.1. Le manque d’universalité du phonème

  • 2 School of Oriental and African Studies“ (école d'Etudes Orientales et Africaines à Londres).

20Lorsque Firth dénonce l’inadéquation entre le phonème et les langues syllabiques, il s’appuie, d’une part sur son expérience personnelle en Inde et, d’autre part, sur celle acquise à la SOAS2, où il enseigne depuis 1938. Afin de justifier son point de vue, il fait référence à des langues comme le sanskrit (Firth, 1948b, 125) et les langues du Sud-Est asiatique, parmi lesquelles le chinois (Firth, 1953 : 32) et le japonais. Il avait enseigné cette dernière comme « langue restreinte » (“restricted language”) durant la Deuxième Guerre Mondiale (Firth, 1934a : 125 ; 1950b : 182). Firth s’appuie également sur le savoir propre au creuset linguistique que représente la SOAS, composé de toutes les langues orientales et africaines qu’il a encouragé ses étudiants à apprendre (comme par exemple l’arabe pour T. F. Mitchell, l’éthiopien pour F. R. Palmer, le japonais pour Robins, etc.). Cela lui permet d’affirmer :

[11] Ceux d’entre nous au sein du Groupe de Londres qui se sont spécialisés dans les langues de l’Asie du Sud-est et en chinois penchent pour l’idée que la théorie du phonème, que ce soit celle de Jones, de Prague ou de type américain, n’est pas la meilleure approche – en théorie ou comme en termes de notation – pour l’analyse phonologique de ces langues (Firth, 1953 : 32).

21Et Firth mentionne les travaux de Samuel Haldeman (1857) sur le chinois et plus particulièrement sa remarque sur son « caractère plus ou moins syllabique », ainsi que les publications de Sir William Jones (Firth, 1948b : 125) sur le système devanagari et l’alphabet arabe. Sa conclusion est assez sarcastique et met en évidence la difficulté, sinon l’impossibilité de délimiter et d’identifier un phonème :

[12] Pour les langues sanskrites, une analyse du mot satisfaisant aux exigences de la phonétique, de la phonologie et de la grammaire modernes pourra être présentée sur une base syllabique utilisant la notation syllabique de la devanagari, sans recours au concept de phonème, à moins que, bien sûr, les syllabes et même les mots puissent être considérés comme des « phonèmes » (Firth, 1948b : 25).

22Pour Firth, l’incompatibilité du phonème avec ces langues constitue un défaut rédhibitoire. Cela explique l’absence de ce concept dans ses analyses courantes, quelle que soit l’origine de la définition, et qu’il ait été amené à chercher ou à créer une solution de rechange.

4.2. Le manque de précision

23Aux yeux de Firth, il paraît évident que le phonème ne peut pas rendre compte de certaines spécificités du son, particulièrement celles qui concernent la longueur, le ton, l’accent et la tension :

[13] Hélas, dans le discours réel, les éléments de substitution ne sont pas des lettres, mais toutes sortes de choses que l’on peut analyser dans la parole vive en action : pas uniquement l’articulation, mais un certain nombre d’attributs ou de corrélations associées à l’articulation, tels que la longueur, le ton, l’accent, la tension. Les principes du phonème permettent au transcripteur de coucher des formules de prononciation, mais faire de même pour les longueurs, tons et accents, ainsi que pour les éléments de substitution similaires présente de nombreuses difficultés, à la fois pratiques et théoriques (Firth, 1935a : 21).

24Afin de pallier ces déficiences, il note l’existence de différentes sous-catégorisations comme le chronème et le tonème mis au point par Jones en 1944 (Firth, 1935a : 21 ; 1955 : 38). Notons que Jones fut l’un des premiers à employer le terme « environnement » à propos du phonème. Dans un article sur les chronèmes et les tonèmes d'Acta Linguistica, Volume IV, il décrit les variantes phonémiques comme étant « employées dans des environnements phonétiques particuliers » (Firth, 1955 : 38).

25La nécessité de recourir à ces sous-catégorisations est, pour Firth, une des preuves patentes de la non-pertinence du phonème. De nouveau, des langues comme le chinois ont pu favoriser une telle analyse en raison de la prédominance du ton dans la distinction phonologique.

4.3. La réification du concept de phonème

26La relation entre le phonème et le signe écrit est également problématique. Certains auteurs, à l’instar de Graff (1935), définissent le phonème comme un élément purement phonique sans aucune matérialisation tangible :

[14] Donc, par contraste avec le phone, le phonème est une abstraction, il représente une unité psychologique englobant un certain nombre de variétés phoniques possibles (Graff, 1935 : 93).

Cette citation doit être surajoutée à la critique de Firth qui dénonce le caractère inachevé du concept tel qu’il est présenté et analysé par W. F. Twaddell dans On defining the phoneme (1935) :

[15] Tout cela fait penser aux préparatifs d’un baptême avant la naissance du bébé. En fin de compte, nous pourrions dire qu’un ensemble de phonèmes est comme un ensemble de lettres. Si les formes d’une langue sont symbolisées sans ambiguïté par un schéma de notation de lettres et d’autres signes écrits, alors, on peut employer le terme “phonème” pour décrire une unité sous forme de lettre, partie intégrante d’un tel schéma de notation (Firth, 1935a : 21).

  • 3 Firth aborde ce thème dans plusieurs articles, voir 1935a : 21 ; 1948b : 126, 147 ; 1951a : 220 ; 1 (...)

27Dans l’usage décrit ici, le lecteur fait face à ce que Firth appelle la réification (“hypostatization”) du concept3. Ce processus qui mène à terme à l’hypostase du phonème est, selon les explications de Firth, à envisager dans une double perspective finalement convergente. D’un point de vue philosophique, il s’agit de l’application du caractère concret de la lettre à sa transcription, la connotation du signe qui correspond interférant dans cette utilisation. Sur un plan plus linguistique, l’hypostase renvoie à une substitution de catégorie.

28Firth explique que la difficulté est due à la fois à la réification de la lettre et au caractère linéaire des langues européennes, ce qui pose à nouveau la question de la segmentation :

[16] La linéarité de notre langue écrite ainsi que la division de nos lignes imprimées en lettres, en mots, et en phrases séparées continuent à causer beaucoup de confusion en raison de la réification des symboles et à leur disposition en successivité (Firth, 1948a : 147).

29Il considère que la séquence linéaire de signes écrits, caractéristique des langues indo-européennes, ne coïncide pas systématiquement avec la segmentation phonologique, ce qui serait partiellement responsable d’une certaine confusion liée au phénomène de réification. De nouveau, la prise de conscience des limitations de sa propre langue maternelle (et de son étude) est étroitement liée au processus de déculturation et à la connaissance des langues orientales. Cela révèle une capacité à s’intéresser à sa propre langue, sans pour autant la considérer comme une norme centrale à partir de laquelle d’autres spécificités linguistiques seraient analysées comme de simples déviances.

5. Critique méthodologique majeure : importance du contexte

30Comme l'explique la citation dans Firth, 1934a : 3-4 (voir ci-dessus), le contexte de l’énoncé joue un rôle fondamental dans l’interprétation phonologique. Il agit à plusieurs niveaux : personnel, sociologique, situationnel… L’une des critiques rédhibitoires que Firth adresse à l’encontre du phonème concerne donc le manque de prise en charge du ou des contexte(s).

31Ce concept de contexte est une thématique centrale de la pensée firthienne, souvent nommée « théorie contextuelle du langage » (Bazell et al., 1966, v-vi ; Robins, 1967 : 253). C’est à la fois une thématique d’étude et un outil d’interprétation. Le « contexte » est non seulement au cœur de sa théorie, mais il en assure la cohérence dans un polysystème qui met en relation, par le biais de la situation, phonologie, morphologie, syntaxe, etc. Le contexte occupe cette place centrale dans la théorie à la suite de la lecture par Firth du premier supplément (« Le problème du sens dans les langues primitives ») dans The Meaning of Meaning (Ogden & Richards, 1923). L’auteur en est l’ethnologue et anthropologue Bronislaw Malinowski. A quoi vient s’ajouter la collaboration des deux hommes à la London School of Economics, au début des années 1930 (Firth, 1957 : 141 ; 146-147) :

[17] […] la contribution anthropologique à la linguistique la plus remarquable de ces dernières années est le supplément de Malinowski au Meaning of Meaning de Ogden & Richards. C’est une exposition du langage dans sa fonction primitive de mode d’action et dans un contexte de situation plutôt que d'expression de la pensée (Firth, 1930 : 149).

Malinowski y définit le contexte dans une perspective linguistique :

[18] Ce que j’ai essayé de clarifier par l’analyse d’un texte linguistique primitif est que le langage est essentiellement enraciné dans la réalité de la culture, de la vie tribale et des coutumes d’un peuple et qu’il ne peut être expliqué sans référence constante à ces contextes plus larges. Cet état de fait indique, d’une part, que la conception du contexte doit être élargie et, d’autre part, que la situation dans laquelle les mots sont utilisés ne peut jamais être laissée de côté parce qu’elle ne serait pas pertinente pour l’expression linguistique. […] Et ce dernier (l’énoncé) ne devient lui-même intelligible que lorsqu’il est replacé au sein d’un contexte de situation (Malinowski, 1923 : 305).

32Ces propos laissent entrevoir l’amorce de l’acception firthienne du concept. Le contexte s’y décline en plusieurs variantes (contexte de culture, de situation, d’expérience, social, biographique…) organisées selon une hiérarchie et imbriquées les unes dans les autres jusqu’à la position ultime occupée par le contexte culturel (Firth, 1935b : 32). Après une alternance terminologique avec l’expression « contexte d’expérience », Firth opte pour le « contexte de situation » (particulièrement à partir de 1935) en rapport avec les sciences du langage. Il n’en offre pas de définition spécifique, mais il semble s’appuyer pleinement sur celle que propose Malinowski :

[19] Le contexte de situation [est] une expression qui indique, d’une part, que la conception du contexte doit être élargie et, d’autre part, que la situation dans laquelle les mots sont utilisés ne peut jamais être considérée comme quantité négligeable sous prétexte qu’elle serait sans lien avec l’expression verbale (Malinowski, 1923 : 306).

33Afin d‘identifier l’origine du concept et de définir ce qu’est la situation, on pourrait remonter plus loin, notamment à Wegener (1885 : 21-27), emprunt revendiqué par Firth lui-même (Firth, 1957 : 147). Cependant, c’est bien le phénomène de contextualisation dans son ensemble, quel que soit le type de contexte, qui importe ici dans sa réaction au phonème. Nous laissons donc cet aspect délibérément de côté.

34La contextualisation s’applique à la phonologie comme à chacun des 24 niveaux d’analyse (syntaxique, morphologique, étymologique, etc.) cités par Firth au fil de ses publications et qui trouvent leur place dans ce qu’il désigne comme « le spectre linguistique » (Firth, 1951a : 220). Il explique clairement la manière dont cela devrait être appliqué à la phonologie :

[20] Prenons maintenant le phonème anglais s. Pour certains phonéticiens, le s anglais n’est qu’un son sifflant qui n’a pas de variantes. Or, le s anglais peut se produire dans un grand nombre de contextes phonétiques. Il peut être placé en position initiale, intervocalique, et finale, précédé et suivi par une variété d’autres phonèmes (Firth, 1934a : 4).

35Au-delà du contexte phonologique immédiat mentionné ci-dessus, Firth évoque un contexte plus large qui transcende la phonologie et qui lui permet d’affirmer le caractère essentiel de cette contextualisation. La reconnaissance de contextes phonologiques récurrents et caractéristiques (cela peut concerner aussi bien des phénomènes tels que des séquences, des positions, des alternances phoniques récurrentes, par exemple), ainsi que l’identification de fonctions (grammaticales, lexicales…), devraient constituer un travail initial, préalable même à l’identification de phonèmes (Firth, 1948a).

[21] Par contextualisation, on entend ici, non seulement la reconnaissance de contextes phonétiques variés dans lesquels les phonèmes prennent place, mais l’identification plus poussée de ceux-ci via la détermination de leurs fonctions grammaticales et lexicales. La plupart des phonèmes vocaliques de l’anglais, par exemple, peuvent être établis par de telles fonctions lexicales et grammaticales (Firth, 1934a : 5).

36Firth dénonce l’absence générale du contexte dans les analyses linguistiques courantes (1934c, 1935a, 1955), soulevant ici une question méthodologique majeure, d’autant plus importante que les contextes deviendront un outil analytique fondamental de la “London School” (Firth, 1935a : 21 ; 1952 : 19). La contextualisation a un double effet : si, pour Firth, elle s’avère incompatible avec le phonème, sa nécessité l’amène à considérer les sons et à les traiter différemment avec, en plus, l’avènement de l’analyse prosodique à la clef.

37Ainsi, Palmer (1968 : 8) décrit le point de départ de l’analyse prosodique comme étant « le rejet complet du phonème par Firth comme base satisfaisante pour l’analyse phonologique ». Robins, quant à lui, adopte une position plus modérée dans son analyse et considère que ce rejet n’était que partiel, puisqu’il est principalement fondé sur la nécessité d’établir une dichotomie entre transcription et analyse phonologique :

[22] Firth estimait que le concept de phonème était simplement un excellent moyen, de surcroît indispensable, d’obtenir une transcription large adéquate, ce en quoi la nécessité de segmenter tout le matériau phonique pertinent était primordiale, mais que la transcription et l’analyse phonologique étaient deux choses différentes qui ne gagnaient pas à se voir appliquer des méthodes similaires (Robins, 1961 : 197).

38Cependant, ce qu’écrit Firth (Firth, 1953, 32 cité plus haut) ne semble pas corroborer une telle nuance. Dans l’article “The word phoneme” (1934c), Firth évoque effectivement l’adéquation entre la transcription large et le concept de phonème, mais plutôt à travers l’existence implicite du phonème dans les œuvres de phonéticiens tels que Sweet qui ont recours à la transcription large. Cela ne mène pas aux mêmes implications, et surtout, n’ouvre pas la voie à l’adoption ni à l’intégration du concept à son système théorique, comme le confirme la déclaration suivante :

[23] L’analyse monosystémique basée sur une technique paradigmatique d’oppositions et des phonèmes avec des allophones a atteint, ou même dépassé, ses limites ! (Firth, 1948b : 137).

39Par conséquent, pour Firth, toutes les limites mentionnées plus haut expliquent pourquoi le glas sonne pour la théorie du phonème, pour reprendre l’expression qui sera utilisée par Robins (1997) dans son article consacré à la contribution de Firth à l’histoire de la linguistique. Le phonème est incompatible avec certains éléments théoriques déjà en place, comme le contexte, et plus particulièrement le contexte de situation, ce qui semble avoir incité Firth à aller plus loin dans le développement de sa théorie polysystémique.

40Ce rejet définitif est à mettre en perspective avec la position de Daniel Jones à l’UCL qui, lui, finit par investir le phonème, lui consacrant son célèbre Le phonème : sa nature et son usage (1955). Ces deux visions diamétralement opposées constituent un des symptômes du schisme grandissant entre les deux Écoles de Londres, justifiant l’existence de chacune d’entre elles.

6. Conséquences du rejet du phonème

41La réaction de Firth au phonème a entraîné deux types de conséquences. Les conséquences à court terme concernent principalement le choix d’outils terminologiques et conceptuels, ainsi que la position à contre-courant qui caractérise Firth sur cette thématique, et de manière générale. Cela a également mené à des conséquences à bien plus long terme, comme le développement de l’aspect phonesthésique de sa théorie et l’Analyse prosodique qui allait devenir la signature de l’École de Londres en phonologie.

6.1. Conséquences à court terme

42Sur la base des limites mentionnées plus haut, Firth a choisi de renoncer au phonème au profit du terme « son » (“sound”) :

[24] J’ai délibérément évité le mot ‘phonème’ dans le titre de mon article, parce que pas une seule des acceptions dans le large éventail d’applications qu’il affiche aujourd’hui ne convient à mon dessein, et « son » [sound] fera moins de mal (Firth, 1948b : 122).

43Le mot son doit donc permettre d’éviter certains écueils qui caractérisent le phonème. Plus universel aux yeux de Firth, il permet également d’écarter ce que Firth désigne comme la réification du concept, dans la mesure où son fait clairement apparaître qu’il s’agit d’une entité acoustique. De plus, il s’agit d’une traduction directe de l’allemand Laut, utilisé par Kruszewski et Troubetskoï, ce qui confère une certaine légitimité à ce terme.

44Bien que son opinion puisse paraître catégorique, ce que Firth affirme doit néanmoins être nuancé, dans la mesure où il ne peut éliminer entièrement le concept et le terme de “phonème” lorsqu’il communique avec les autres scientifiques. Il semble d’ailleurs être conscient des limites de son rejet :

[25] Pour ma part, je restreins seulement l’application du terme à certains traits caractéristiques de consonnes et de voyelles systématiquement et correctement établis pour chaque langue (Firth, 1948b : 122).

45Cette position le situe à contre-courant de la tendance scientifique générale, et Palmer en parle comme d’« une voix criant dans le désert » (Palmer, 1968 : 1). Cependant, cette marginalisation ne diminue en rien le rôle qu’il a pu jouer sur la scène scientifique internationale, ce que mentionne Robins dans sa notice nécrologique :

[26] Bien que Firth ait été au centre des études linguistiques et des intérêts linguistiques dans la vie universitaire, sur un plan doctrinal en Grande-Bretagne, il se trouvait plutôt à l’extérieur du courant de la linguistique contemporaine, à la fois à cause de son approche générale du sujet et en raison des directions particulières dans lesquelles il a cherché à faire avancer la théorie linguistique (Robins, 1961 : 193).

46Outre l’approche générale et les directions particulières qui caractérisent Firth, nous pourrions ajouter à la citation de Robins un autre facteur à ce qu’il décrit comme l’apparente insularité de Firth (Robins, 1961 : 196). C’est certainement Palmer qui l’évoque le mieux dans un article autobiographique publié dans Linguistics in Britain : Personal Histories (Brown & Law, 2002) :

[27] Cependant, je dois dire que je me suis bien entendu avec Firth et que nous sommes restés en termes très amicaux jusqu’à sa mort en 1960. Pourtant, il faut bien avouer qu’il était brusque, souvent jusqu’à l’impolitesse, et autocratique – particulièrement dans son exigence que rien ne soit proposé à la publication sans qu’il l’ait lu et approuvé (Palmer, 2002 : 232).

47Cet aspect du caractère de Firth est confirmé par Honeybone dans Key Thinkers in Linguistics and the Philosophy of Language (Chapman et Routledge, 2005) :

[28] Certains reconnaissent à la fois des aspects négatifs et positifs à l’influence de Firth, et le décrivent comme autocratique et brusque. Il contrôlait ce que la plupart des membres de la “London School” pouvaient publier et supprimait les idées linguistiques qu’il désapprouvait, par exemple, la phonologie pratiquée à l’UCL (“Université de Londres”). Il se pourrait bien que cette attitude agressive, associée à un besoin de reconnaissance ait contribué à la perte d’intérêt pour les idées firthiennes (Honeybone, 2005 : 83).

48Afin d’illustrer cette attitude de manière concrète, on peut citer un extrait de son analyse critique des théories de Leonard Bloomfield lors de la parution de Language (1933). Dans l'extrait en question, qui a trait au rôle que devraient jouer les phonèmes dans la structure de la langue, Firth se moque délibérément de la terminologie bloomfieldienne :

[29] Il a utilisé l’expression ‘ordre structural’ dans un sens différent, mais ne trouve nulle part d’utilisation technique pour le terme système. L’index comporte les entrées phonème et phonémique, mais pas phonologie ou phonémiser et, Dieu merci, pas re-phonémiser. Aussi bizarre que cela puisse paraître, il semble n’y avoir que trois entrées pour le mot structure (Firth, 1955 : 38).

49Au-delà du ton sarcastique employé par Firth, cette citation montre l'écart entre la terminologie des deux chercheurs contemporains. La théorie du phonème apparaît comme la partie émergente de l’iceberg, donnant un bref aperçu du désaccord fondamental entre le structuralisme américain et l'approche polysystémique de Firth.

50Déplorant ce qu'il estime être un contresens complet, Firth ajoute :

[30] Et pourtant, comme nous allons le voir, c’est principalement le dernier développement de la théorie du phonème qui a fourni la plus grande partie du contenu de la linguistique structurale, particulièrement en Amérique, où la linguistique est en fait phonologique, avec un soupçon de morphématique, enrichi d’amendements morpho-phonologiques supplémentaires (Firth, 1955 : 40).

51Cette citation offre une illustration parfaite de l'intransigeance méprisante de Firth. Pour lui, la théorie du phonème a débouché sur deux domaines de recherche. Il estime que le premier, la phonologie, est tout simplement inutile (“irrelevant”, voir ci-dessus). Concernant le second, la morphématique, sa propre théorie phonesthésique, fondée sur l’existence du sens au niveau submorphémique, la met sérieusement en cause ; il en va de même pour les prétendues avancées de la morphophonologie. Rien ne trouve grâce à ses yeux.

52Néanmoins, comme l’affirme Robins (1961, 199), Firth n'était pas entièrement fermé aux idées des autres comme l'indique cette anecdote, rapportée par Palmer dans son introduction aux Selected Papers of J. R. Firth. Il s'agit d’une conversation qui aurait eu lieu entre Firth et son collègue de Yale, Bernard Bloch :

[31] On raconte en effet une histoire célèbre dont je ne mets pas en doute l'authenticité : Firth aurait affirmé un jour à Bernard Bloch : ‘Le phonème est mort’, et Bloch aurait répondu : ‘Sans doute, mais son fantôme est en pleine forme ! (Palmer, 1968 : 8).

53Cette discussion montre à quel point Firth était un homme de conviction, ainsi que son intention de partager et souvent d’imposer ses idées aux autres chercheurs. Elle est d’autant plus pertinente que ces deux linguistes sont considérés comme les auteurs de deux des trois textes fondateurs de la phonologie auto-segmentale (Bloch, 1948 ; Firth, 1948b ; Hockett, 1955). Les titres des articles en question, que l’on pourrait traduire respectivement par « Ensemble de postulats pour l’analyse phonémique » pour Bloch (1948) et « Sons et prosodies » pour Firth (1948), sont significatifs quant aux approches des deux chercheurs et préfigurent le contraste opposant l’attachement au phonème de Bloch et celui de Firth au son.

54Quant à la phonologie auto-segmentale, elle sera développée par John Goldsmith dans sa thèse de doctorat en 1976. Elle vise à représenter des séquences phonologiques sur des lignes parallèles appelées “tiers” en anglais, permettant ainsi de rendre compte des différents traits distinctifs tels que le voisement, le ton, l’accent, la longueur… L'objectif de la phonologie auto-segmentale de Goldsmith est donc de compenser les carences de la transcription phonémique, si vivement critiqué par Firth (1935a : 21 ; 1953 : 28).

55Par ailleurs, la position de Firth fait également écho à celle de Jespersen, à qui il fait régulièrement référence. Dans The Structure of Grammar publié en 1933, Jespersen fait référence à des travaux antérieurs :

[32] Bien que je n’aie utilisé ni le mot phonème, ni les nouveaux termes techniques mis en place par les recherches récentes en phonologie, notamment par celles de l'école de Prague – je pense avoir suffisamment, insisté sur l'importance de ces hypothèses, bien plus encore que dans MEG (A Modern English Grammar, 1909) ou dans mon Lehrbuch der Phonetik (Manuel de Phonétique, 1913), où on trouve déjà une présentation embryonnaire [in nuce] (Jespersen, 1933 : 246).

56Il est intéressant de comparer cette citation de Jespersen à celle de Firth dans l’article mentionné plus haut, “The word phoneme” (Firth, 1934c : 2) et plus particulièrement à la phrase :

[33] Quant au concept de phonème, il est implicite , cela va de soi, dans l'ensemble des travaux des phonéticiens et des orthographistes ayant recours à la transcription large (“broad transcription”). En théorie, il apparaît d'une manière embryonnaire [in nuce] dans le Lehrbuch de Jespersen (Firth, 1934c : 2).

57Firth s’approprie littéralement les mots de Jespersen, jusqu’à la référence bibliographique et l’expression latine in nuce (« embryonnaire »). Cela peut difficilement être imputable à une coïncidence, dans la mesure où Firth semble bien connaître non seulement l’œuvre de Jespersen, mais le linguiste lui-même. Cela peut s’expliquer, d’une part par les relations de Jespersen avec les linguistes britanniques et tout particulièrement avec Henry Sweet dont Firth affirme qu’il a été l’étudiant (Firth, 1955 : 42) et, d’autre part, par une relation épistolaire entre Jespersen et Firth, au moins durant les années 1920, dont certaines lettres ont été retrouvées dans les archives de la SOAS et d'autres qui sont publiées par Rebori (2002 : 177).

58Firth mentionne également la méfiance de Hjelmslev à l’égard du concept de phonème. Bien qu’il ne partage pas les « postulats fondamentaux » du linguiste danois qu’il relie au structuralisme saussurien, il trouve son « approche quasi-mathématique excellente dans son ensemble » (Firth, 1957a : 127). De même que pour Jespersen, Firth cite et commente souvent, tout au long de son œuvre, les positions de Hjelmslev (cf. Firth, 1948a : 140 ; 1951a : 217–221, 227–228 ; 1953 : 28 ; 1955 : 44–46 ; 1956a : 101–103 ; 1957a : 127) et plus particulièrement l'extrait ci-dessous, qui tente de définir la langue et dont le cinquième point traite spécifiquement des phonèmes :

  1. La langue consiste en un contenu et une expression.

  2. Une langue consiste en une succession, ou un texte, et un système.

  3. Contenu et expression sont liés l’un à l’autre à travers la commutation.

  4. Il existe certaines relations définies au sein de la succession et au sein du système.

  5. Il n’y a pas de correspondance exacte entre le contenu et l’expression, mais les signes sont décomposables en constituants secondaires. De tels constituants du signe sont, par exemple ce qu’on appelle les phonèmes, que je préférerais appeler des taxèmes d’expression, qui en eux-mêmes n’ont aucun contenu, mais qui peuvent se construire en unités pourvues d’un contenu, par exemple les mots (Hjelmslev, 1947 : 78, reproduit dans Firth, 1951a : 220 ; 1955 : 46).

59à ce propos, Hjelmslev lui-même explique, qu’il a développé quelques exemples pour une série de conférences qu’il avait données à l’Université de Londres et dont le but était de :

[34] Illustrer les cinq caractéristiques fondamentales qui, selon ma [celle de Hjelmslev] définition, sont impliquées dans la structure basique de toute langue au sens conventionnel (Hjelmslev,1947 : 78).

60Bien qu’aucune preuve n’ait confirmé le fait que Firth aurait assisté à ces conférences, il est plus que probable qu’il en a eu connaissance, ainsi que de leur contenu, d’autant plus qu’il cite spécifiquement cet extrait.

61Il apparaît donc clairement que, pour Hjelmslev, les phonèmes, ou taxèmes d’expression, sont associés au signe. Il confirme ainsi les craintes de Firth concernant l’inadéquation d’un signe alphabétique pour représenter une abstraction acoustique.

62Les traces de réactions similaires au phonème apparaissent çà et là. Firth fait souvent référence à Troubetskoï et à son Grundzüge der Phonologie, (Principes de phonologie, 1939). Il se trouve qu’un courrier issu de la correspondance entre Troubetskoï et Jakobson rend compte d’une scène qui a eu lieu après le Deuxième Congrès International des Sciences Phonétiques qui s’est tenu à Londres du 22 au 26 juillet 1934 sous la présidence de Daniel Jones :

[35] A la fin du banquet de clôture, il y a eu des « divertissements », c’est-à-dire que plusieurs participants ont présenté, qui un discours humoristique, qui une chanson, etc. Il est à signaler que le mot « phonème » a provoqué à chaque fois de grands éclats de rire unanimes. Horn a récité un poème en moyen anglais écrit par lui-même, et qui décrivait le congrès et finissait par les mots :
“wat is phonemes, wat is sunds ?” [Qu’est-ce que les phonèmes, qu’est-ce que les sons ?] ?] ?]
“twelf men haf twelft difinitiuns.” [Douze hommes ont douze définitions].
Par la suite ces paroles ont été reprises par tout le monde, et étaient à chaque fois saluées par des applaudissements approbateurs. (Troubetskoï, lettre 149 du 3-4 août 1935 : 393 – 397).

63Cela confirme la méfiance et le mépris que le concept de phonème suscitait, ainsi que le problème lié à la multiplicité des définitions déjà évoqué plus haut.

64Cet événement tend donc à prouver que Firth n’était pas tout à fait « une voix criant dans le désert », malgré ce que dit Palmer (1968 : 1) et qu'il avait quelques alliés sur la scène scientifique internationale, comme semblent l’indiquer les observations de Jespersen, de Hjelmslev et de Troubetskoï citées ci-dessus.

6.2. Conséquences à long terme

65À ces conséquences à court terme, il faut ajouter des conséquences à plus long terme, liées à la conceptualisation du langage propre à Firth (notamment sa théorie de la phonesthésie (cf. Senis 2016). Lorsque Firth a finalement décidé de rejeter le phonème, il s'est justifié en mentionnant un certain nombre des inconvénients auxquels il a essayé de remédier dans son propre système théorique. Pour ce qui est de la phonologie, il propose une conception alternative du langage, ainsi que des outils analytiques qui pourraient rendre compte de sa structure phonologique au-delà de l’unité phonémique.

66Dans l’introduction des Selected Papers, Palmer identifie le rejet complet du phonème à un catalyseur pour l’analyse prosodique :

[36] Le point de départ pour la prosodie était essentiellement le rejet complet par Firth du phonème comme point de départ pour l’analyse phonologique (Palmer, 1968 : 8).

67La remise en cause du phonème de la part de Firth est vue comme le premier pas vers une approche que, par la suite, il nommera lui-même l’analyse prosodique. Cette approche, qui se développe autour de Firth à la SOAS (School of Oriental and African Studies) va, comme le fait remarquer Robins, à contre-courant de la recherche phonémique mené sous la direction de Daniel Jones à l'Université de Londres :

[37] On n'a pas pris suffisamment au sérieux le problème de la difficulté de concilier la théorie prosodique et la théorie phonémique (ou les théories), et, de ce fait, il s'est développé l'idée que pour les adeptes de l’analyse prosodique, le phonème était non seulement mort mais, sans doute, maudit (Robins, 1961 : 196).

68Par conséquent, le différend observé par Palmer s'avère encore plus lourd de conséquences, car le rejet du phonème, au profit de l’analyse prosodique, apparaît comme une étape clé marquant la genèse de la “London School” sous l’égide de Firth (à la SOAS à partir de 1938) et la rupture définitive avec l’École de Phonétique de Londres de Daniel Jones à l’UCL.

7. Conclusion

69La remise en question par Firth de principes tenus pour acquis par les linguistes occidentaux du début du xxe siècle a conduit les chercheurs de son entourage à douter et à prendre leurs distances pour mieux apprécier les limites de certains concepts répandus, comme par exemple celui de “phonème”. Firth savait faire penser les gens. D'après Palmer :

[38] Sa plus grande réussite a peut-être été de faire réfléchir les gens et de les amener à remettre en cause l’approche traditionnelle, par exemple à s'interroger sur la valeur de la grammaire normative et sur la validité pour l’étude du langage du dualisme du corps et de l'esprit (Palmer, 1968 : 1).

70Outre ses compétences personnelles, un des thèmes récurrent dans tous les témoignages de ses collègues et étudiants est son aptitude à favoriser une vraie réflexion universitaire et à encourager, aussi bien ses collègues que ses étudiants (Palmer, 1968 : 1 ; Robins, 1997 : 67). Ces grandes qualités semblent avoir contribué à sa réputation. Sa formation initiale d'historien, ainsi que son expérience en Inde et en Afrique durant la Première Guerre mondiale, lui ont apporté une conception culturelle qui lui a permis de transcender à la fois son temps (le xxe siècle) et son identité insulaire.

71Il est vrai qu'à court terme, sa prise de position sur le phonème a provoqué une rupture entre la SOAS et l'UCL. La phonesthésie, sa réponse aux carences du phonème, peut être comprise comme l’adaptation de la théorie contextuelle du sens au niveau phonémique, tout comme la collocation et la colligation, (deux concepts clés qui apparaissent dès 1951) élargissant la théorie au lexique et à la grammaire.

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Notes

1 Les citations sont traduites de l'anglais par l'auteur de l'article et éditées par la rédaction de Modèles linguistiques.

2 School of Oriental and African Studies“ (école d'Etudes Orientales et Africaines à Londres).

3 Firth aborde ce thème dans plusieurs articles, voir 1935a : 21 ; 1948b : 126, 147 ; 1951a : 220 ; 1955 : 46.

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Pour citer cet article

Référence papier

Angela Senis, « Le phonème face à la théorie du langage de J. R. Firth »Modèles linguistiques, 74 | 2016, 109-132.

Référence électronique

Angela Senis, « Le phonème face à la théorie du langage de J. R. Firth »Modèles linguistiques [En ligne], 74 | 2016, document 5, mis en ligne le 02 août 2017, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/2027 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.2027

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Auteur

Angela Senis

Membre de l'équipe CLLE, UMR 5263, Université Toulouse, Jean Jaurès

angela@senis.org

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Droits d’auteur

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