Notes
Paul Reboux, dans Léon Deffoux : Le Pastiche littéraire (Delagrave, Paris, 1932), p. 9.
La troisième condition (« L’obligation de composer une histoire gaie par elle- même, et capable de divertir, indépendamment de l’auteur imité » ; ibidem), échappant aux problèmes de l’imitation, apparaît spécifique aux duettistes d’A la manière de…, Paul Reboux et Charles Müller.
Paul Reboux dans préface pour Georges-Armand Masson : A la façon de (1949), pp. 8-12.
Dans Mes Mémoires (Haussman, Paris, 1956, p. 186), Reboux apporte une précision dont la fin est pleine de saveur : « Inutile d’essayer de pasticher les auteurs impersonnels ou les auteurs parfaits ». Sur l’idéologie du style chez ce pastiche, voir Gérard Genette, Palimpsestes, Seuil, Paris, 1982, pp. 127-128.
Nous adoptons ici la terminologie de Gérard Genette dans Palimpsestes, p. 7 où il est question d’un « texte d’origine », base de l’imitation.
On trouvera les références bibliographiques complètes à la fin de l’article.
L’on entend par stylème, unité de style, c’est-à-dire marque visible et quantifiable permettant de définir dans sa globalité le style d’un auteur quelconque.
François Mitterrand, L’Herne François Mauriac, « Deux hommes politiques parlent de Mauriac », p. 373.
Le dernier de cette liste est un bel exemple de signature indirecte, qui vaut un contrat de pastiche (« ici, on imite Mauriac »).
Ainsi, l’on trouve dans L’Agneau, venant des matelas « odeur de souris morte », couplé à une « table de nuit entrouverte [qui] avait une haleine » (chap. II, p. 490), le tout rappelant cette « chambre fétide [asphyxiée] par l’odeur de fumée et d’urine » déjà vue dans Les Anges Noirs (épilogue, p. 361).
Le bien nommé Fleuve de feu, par exemple, fait mention des « flancs vivants de la montagne [qui] épandaient l’animale odeur des châtaigneraies quand elles fleurissent » (chap. I, p. 503).
L’on peut d’ores et déjà remarquer à l’aide du graissage, un certain retour de vocables dans les pastiches.
C’est ainsi que dans Le Baiser au lépreux, l’on ne peut échapper à l’image récurrente de Noémi qui « imprègne de son odeur de jeune fille […] un jour fauve de juillet » toutes les pièces qu’elle traverse (chap. III, p. 460).
Voir à ce propos l’attention particulière du narrateur mauriacien maintes fois portée sur la chaste Noémi dont le « cou, [la] douce gorge luisaient de moiteur » (Ibid., chap. II, p. 455, également pp. 463 et 475).
Dans Le Désert de l’amour, par exemple, la danse prend l’aspect d’un simulacre de messe noire : « Comme le jazz reprenait haleine, les hommes se détachèrent des femmes et ils battaient des mains, puis les tendaient vers les nègres, avec le geste des suppliants — comme si leur vie eût dépendu de ce vacarme » (chap. XI, p. 847).
Voir à ce propos La Pharisienne et Destins.
Dans La Pharisienne, par exemple, l’abbé Calou qui veille sur Jean de Mirbel est décrit comme un homme qui doit, en permanence, contrôler sa colère destructrice et il est également question chez lui de « la passion la plus criminelle », avec tous les sous-entendus que le terme peut comporter (chap. XIV, p. 859).
« Il y a souvent un vice jugulé, dominé à la source de vies admirables » dira Mauriac dans Dieu et Mammon, chap. V, p. 819.
On retrouve ici également le thème de l’impuissance masculine, extrêmement présent dans l’œuvre d’origine, mais non exploité dans cette étude, faute d’éléments suffisants dans les pastiches étudiés.
Voir à ce sujet les critiques de l’époque : l’abbé Calvet parle d’un « nouveau sensualisme trempé d’eau bénite » (D’une critique catholique, SPES, 1927, p. 234) ; Louis de Mondanon souligne un « assez bizarre amalgame de christianisme et de romantisme » (Etudes du 20 mars 1921, p. 635) ; quant à Billy, il n’hésite pas attribuer à Mauriac le titre de « romancier du crucifix dans la jarretière » (L’Europe centrale, 16 avril 1927, in Cahiers de Malagar, p. 63). Dans LMM, la scène de la prière entre les deux adolescents reprend cet ensemble de critiques à travers un exemple on ne peut plus éclairant : « Les prières étouffées et désordonnées qui gonflaient son âme égarée s’échappent d’elle, et Pierre se sent frissonner jusqu’au plus profond de sa chair, atteint par la grandeur communicative de la prière »…
Dans Le Baiser au lépreux, par exemple, il est fait mention de « la fraîcheur de la nef qui saisit, ce froid de fosse fraîchement ouverte qui étreint les corps vivants » (chap. XIII, p. 488).
Gérard Genette, Palimpsestes, p. 107.
Paul Croc notera ainsi sur l’ensemble de l’œuvre de Mauriac qu’elle « pourrait porter le titre que lui-même suggère pour son roman Galigaï : le désir et le dégoût » (L’Herne François Mauriac « Mauriac et Freud », p. 226 et postface Galigaï, Pléiade IV, p. 450).
Cette appellation de « romancier régionaliste », nous la devons à François Mitterrand dans son entretien avec Alain Duhamel (Ma part de vérité, Arthème Fayard, 1969).
La ville de Bourrideys apparaît en mention dans Le Fleuve de feu, chap. I, p. 505
Ces exemples sont d’autant plus éclairants qu’ils ont le mérite d’associer la figure de style au motif du pin, étudié peu avant dans l’analyse.
Le Fleuve de feu, dont le titre est déjà éclairant, fait par exemple mention des « délices douloureuses » parlant des tourments de la passion (chap. I, p. 509).
Cette expression apparaît dans Le Mystère Frontenac, 1ère partie, chapitre I, p. 550, parlant de Blanche Frontenac, « une mère que ses petits dévorent vivante ».
« Je protège mon fils contre les égarements de son âge. C’est mon devoir. Je n’agis pas par jalousie ».
D’ailleurs, comme pour nous mettre sur la piste de ces références, les noms dans le pastiche ne sont pas choisis au hasard puisque l’adolescent se nomme Bob et la femme Mathilde.
Voir à ce propos M. Jérôme dans Le Baiser au lépreux, Symphorien Desbats dans Les Anges Noirs et Brigitte Pian dans l’Agneau.
« Autour de lui, dans l’étrange moiteur de l’église, quelques vieilles sont enracinées, en train de prier pour les âmes, semblables à ces chênes noirs et rabougris qui parsèment la lande » et à la fin du texte « l’ombre rabougrie d’un pin qui s’étend sur eux semble protéger leur étreinte, ombre noire et rabougrie qui ressemble à l’abbé Cuzenave ».
Concernant Noémi, il est dit qu‘« épuisée […] elle dût enserrer un chêne rabougri […] — un chêne noir qui ressemblait à Jean Péloueyre » (Le Baiser au lépreux, fin de la version de septembre 1921, chap. XVI, p. 499).
Formant un amalgame entre le Raymond Courrèges du Désert de l’amour et le Jean Péloueyre du Baiser au lépreux.
On peut à ce titre citer les reprises suivantes : « Raymond avait toujours souhaité revoir cette Thérèse Desqueyroux » // « Pendant des années, Raymond Courrèges avait nourri l’espoir de retrouver sur sa route cette Maria Cross » (Le Désert de l’amour, chap. I, p. 737) ; « sous l’ombre du chapeau cloche qui dissimulait tout le haut du visage, les lèvres minces, décolorées remuaient » // « cette femme entra : un chapeau cloche supprimait le haut du visage » (Ibid. p. 740).
« Il souriait, de ce sourire désarmé, puéril et tendre qui faisait dire aux dames en visite chez sa mère… » // « Elle regarda Bernard, eut ce sourire qui autrefois faisait dire aux dames de la lande »… (Thérèse Desqueyroux, chap. XIII, p. 105). Concernant la phrase « Thérèse a la propriété dans le sang », elle est directement reprise de l’œuvre éponyme (Thérèse Desqueyroux, chap. VI, p. 55).
François Mauriac, La Fin de la nuit, chap. VII, p. 144.
On trouve dans cette œuvre la réplique : « sale gosse que vous êtes » (Le Désert de l’amour, chap. IX, p. 824).
Lorsque Jean se retrouve dans la chambre du fils Pieuchon devant des ouvrages tels que « Aphrodite, L’Orgie latine, Le Jardin des supplices, Le Journal d’une femme de chambre et les Morceaux choisis de Nietzsche » (Le Baiser au lépreux, chap. I, p. 449).
Chez le grand oncle Louprat de la Sesque, tuteur de Daniel, on peut en effet découvrir « Cazanova, Restif de la Bretonne, le marquis de Sade […et] dans le coin des philosophes […] Les Facéties de Voltaire, Le Testament du curé Meslier, L’Alcoran des cordeliers, Les Jésuites criminels, L’Histoire des flagellants » (Le Fleuve de feu, chap. I, p. 508).
On peut également y voir une référence à ces multiples vieillards mauriaciens fragiles du cœur, tels le Symphorien Desbats des Anges Noirs.
Mathilde et Irène, lors de leurs agonies respectives d’incroyantes, dans leurs délires, rejoignent tout de même Dieu juste avant de rendre le dernier souffle. A noter également que la mention de « la séquestrée » dans le pastiche rappelle l’histoire de Thérèse Desqueyroux après son acquittement.
« Une fois de plus, elle évoquait avec terreur ce passage de l’Apocalypse qui l’avait si profondément frappée, jadis […] Il vit un panier de crabes qui sortait de la mer ».
Ce pastiche reprend également le thème de la cruauté, que l’on peut retrouver entre autres, dans Le Baiser au lépreux lorsqu’à la fin Noémi fait face à son beau- père, M. Jérôme : « Noémi était déchaînée […et] se vautrait dans la pensée mauvaise » (Le dernier chapitre du Baiser au lépreux, pp. 537 et 540).
On peut citer comme exergue mauriacien : « L’Amour infiniment tendre qui m’a fait le don du malheur… « (Simone Weil pour l’Agneau) ou « Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des vœux, ou orgueil de la vie » (Saint Jean, 1ère Epître 2-16, pour Le Fleuve de feu).
A noter ici également une référence oblique à l’œuvre de Stendhal, Le Rouge et le Noir.
Liste récapitulative des titres d’ouvrages de Mauriac mentionnés : Le Fleuve de feu, L’Enfant chargé de chaînes, Le Désert de l’amour, Les Anges Noirs, La Fin de la nuit, Ce qui était perdu, Destin, Le Nœud de vipères, La Robe prétexte, Les Chemins de la mer.
« Je vous empoisonne. Ce mot à peine prononcé, elle sentit ses joues devenir brûlantes » (La Fin de la nuit, chap. VII, pp. 151-152).
L’on désigne par cette appellation le texte d’imitation, à savoir ici, le pastiche.
Mais l’on peut ici se poser la question de savoir de quel auteur il s’agit en vérité : François Mauriac, Raymond Ritter (LTA) ou Georges-Armand Masson (LPC) ?
Ceci achève de créer la confusion, puisqu’ici ce « même auteur » est en réalité le double pastichiel de François Mauriac, auteur authentique du dit Préséances.
François Mauriac, Commencement d’une vie, chap. I, p. 70 et Le Baiser au lépreux, chap. VI, p. 468.
Comme un clin d’œil appuyé, cet acte sera ensuite qualifié dans le pastiche de profondément « saugrenu ».
Lorsque Mauriac explique qu’il faut lire ses œuvres « sous les lunettes de Freud » (Mémoires Intérieurs, chap. I, p. 369) ou lorsqu’il fait référence à Marcel Proust, dans Le Roman par exemple, chap. V, p. 761.
« Un enfant espion (…) qui captait, enregistrait, retenait à son insu la vie de tous les jours dans sa complexité obscure », François Mauriac, Le Romancier et ses personnages, chap. I, p. 841.
François Mauriac, Souvenirs retrouvés, (Fayard INA, 1981), 13ème entretien, p. 88, pastichant le fameux adage flaubertien « Emma Bovary, c’est moi ».
« Je me replonge dans Baudelaire, le poète que j’ai lu avec le plus de passion durant toute ma jeunesse », François Mauriac, Bloc Notes, 1957, in Mauriac et le symbolisme, (L’Esprit du temps, 2000, p. 61).
C’est en effet Maurice Barrès qui a tracé la voie de Mauriac en aidant à la publication de son premier recueil poétique, Les Mains jointes, en 1909.
Cette phrase reprend la querelle littéraire avec Jean-Paul Sartre, tout en faisant une référence explicite à l’ouvrage Dieu et Mammon et à une citation parlant du « démon de la littérature » dans La Pharisienne (chap. III, p. 736).
Voir à ce propos la critique de Roger Martin du Gard : « Pour un vieil incroyant de mon genre, claquer d’une embolie avec un Mauriac entre les mains, voilà qui aurait permis quelques commentaires rassurants aux esprits charitables qui se plaisent à interpréter de façon édifiante le dernier geste des agonisants ! » (L’Herne François Mauriac, lettre du 24 août 1954, p. 210).
Gérard Genette, Palimpsestes, p. 40.
C'est-à-dire équivalent à la partie pour le tout.
Marcel Proust, analysant sa pratique du pastiche, dira « Je trouve aberrant extrêmement Renan. Je ne crois pas que Renan ait jamais employé le mot. Si je le trouvais dans son œuvre, cela diminuerait ma satisfaction de l’avoir inventé » (lettre à Robert Dreyfus, 23 mars 1908).
On trouve, pêle-mêle, « odeur âcre et moisie », « ombre moisie », « soirée atroce », « nuit atroce », « climat salutaire » et « atmosphère salutaire ».
Dans le même pastiche, un autre phénomène analogue peut être relevé : l’auteur commence en effet deux phrases contiguës par « Ainsi donc… » pour revenir au temps présent de la narration (« Ainsi donc la duchesse de Lanlaire et Opium n’avaient été pour lui… » / « Ainsi donc une erreur passagère l’empêcherait toujours de… »).
Nous adoptons ici la terminologie de Gérard Genette dans Palimpsestes.
Enclume, légume ou englué ? Dans tous les cas, la connotation péjorative accentue l’aspect comique, voire ridicule, du personnage religieux.
Nom que l’on ne peut s’empêcher de rattacher à l’expression familière « s’envoyer en l’air ».
On peut peut-être ici émettre l’hypothèse d’une certaine moquerie directement inspirée par certains noms réellement mauriaciens, et eux-mêmes déjà connotés, tels Alain Forcas (le prêtre « forçat » des Anges Noirs), Daniel Trasis (l’« amoureux transi » du Fleuve de feu), Xavier Dartigelongue (le prêtre non prude de L’Agneau) ou Octavie Tronche (jeune femme disgracieuse dans La Pharisienne).
À noter, le double intérêt de cette homonymie à tendance satanique, puisqu’elle répond également à la vision manichéenne des établissements de débauche que nous avons étudiée peu avant.
Avec toujours ce fameux suffixe en –ac.
Prêt de chez vous ou insulte cachée qui ferait fi de la lettre [I] ?
C’est là que le côté insidieux du pasticheur trouve toute sa place : ce nom peut paraître parodique à première vue (au même titre que le « Gastounet » dans LPC), mais il s’agit du nom réel d’une commune de Gironde…
Ici, la dimension parodique ne fait, par contre, plus aucun doute.
Les jeux de mots sont ici multiples, avec cette référence au bronze d’art, ce jeu sur les sonorités « mol / avachie » qui désignent la reine, elle-même molle et certainement avachie tandis qu’elle fait « son cinéma ».
Sempiternels retards ferroviaires ou vieille horloge déréglée ?
A remarquer ici, le double intérêt de ce processus, par l’imitation du ton oralisé chez Mauriac et par le jeu paronymique sur « Minuit, l’heure du crime ».
Dans le même pastiche, on trouve, du même acabit, l’hyperbole suivante : « son regard erra sur les photographies, fixées au mur et que dévoraient des punaises ».
Nous restons ici dans le même registre que celui adopté par nos pastiches…
Ce jeu de mots politique et économique est ici fameux par ce « ramollissement à droite », cette « inflation à gauche » (au lieu de l’attendue « inflammation »), pour terminer en beauté par ce « point de côté » mais « au centre »…
L’on peut préciser ici que Pierre l’Hermite est un auteur chrétien faisant référence aux croisades, mais ce qui est plus intéressant est ce jeu animalier sur « sardine / moule / Bernard l’[h]ermite / cafard » (à noter l’expression détournée « avoir le cafard » qui devient ici « faire le cafard »).
On trouve en effet dans ce pastiche : « forêts de pins », « au milieu des pins », « dur tapis d’aiguilles de pins », « dur bois de pin du confessionnal », « au milieu des aiguilles de pins », « l’ombre rabougrie d’un pin »…
Il y a ici un jeu sur l’homonymie : « bois dépeint » équivaut à « bois des pins » et la boucle est bouclée…
Le jeu est multiple : référence d’abord à l’impuissance masculine par la métaphore « boutiquiers rassis » (rapport au pain), le miracle biblique est devenu un miracle mauriacien (la « multiplication des pins ») et la parabole de la faim et de la soif est prosaïquement ramenée à la bonne chaire.
On ne peut s’empêcher après cela de penser immédiatement à du « pain dur ». On peut noter également, comme pour le vocable étudié, la reprise systématique de l’adjectif « dur » dans les expressions « souffle rauque et dur », « sifflement dur », « ses genoux durs », « les mains dures ».
A noter la référence à « la fille aînée de l’Eglise », nom communément donné à la France.
Dans Le Baiser au lépreux, par exemple, Jean Péloueyre est un « cloporte » (chap. I, 452), une « larve » (chap. III, p. 461), un « grillon éperdu » (chap. III, pp. 461 et 464), « plus hideux qu’un ver » (chap. V, p. 466) et un « triste faune » (chap. X, p. 475).
On reprend ici l’appellation graissée en note et donnée à Jean Peloueyre dans Le Baiser au lépreux.
Peut-on aller jusqu’à considérer Thérèse comme une « vieille chouette » ? La question est posée…
L’expression apparaît d’ailleurs dans Le Baiser au lépreux (« ses regards de chien battu », chap. I, p. 450 et « des yeux de chien battu », chap. IX, p. 473).
Le jeu homonymique sur « Beauceronne », femelle du chien Beauceron, est ici subtil puisqu’il ajoute à la connotation péjorative du personnage décrit.
Dans le pastiche, pour achever l’amalgame, l’adjectif « robuste » est également choisi pour désigner Pierre.
Cette reprise de détails peu ragoûtants rappelle certaines éructations qui apparaissent soudainement au milieu d’une description, comme dans Le Mystère Frontenac, 1ère partie, chap. II, p. 553 (« Voyait-il la nourriture qui retombait de cette bouche horrible ? Entendait-il ces éructations ? »).
Ainsi, Mathilde « se souvient tout à coup de la prière qu’elle a oublié de réciter. Il faudrait se relever, se mettre à genoux. Elle n’en a pas le courage et prononce à la hâte les formules sans en comprendre le sens » (Les Anges Noirs, chap. XII, p. 310) ou Noémi qui « à peine capable de méditation […] s’attachait surtout aux formules » (Le Baiser au lépreux, chap. XVI, p. 497).
Dans le même pastiche, on trouve également « Le Mystère Frontenac se dissolvait comme un os dans l’acide ».
La référence à l’univers mauriacien est ici indéniable, mais l’emploi familier et métaphorique de ces « quelques vieilles enracinées et rabougries » donne au tout une coloration parodique évidente.
On peut également, suivant cette logique, relever la remarque de Jean-Louis Curtis disant que « la moindre phrase de Mauriac, isolée de son contexte […] est immédiatement identifiée » (Le Monde de ce prince, pp. 146-147). A priori, donc, une page arrachée devrait se confondre avec un apocryphe parfaitement intégré à l’hypotexte.
Les Ouled-Nails mentionnés dans le pastiche sont connus pour leur très grande beauté et finesse. Leurs filles sont réputées comme étant particulièrement « soumises », notamment les jeunes filles de douze à dix-huit ans.
Ouvrage publié en 1933 et qui prône le modèle de la femme au foyer, soumise à ses enfants et à son mari.
On entend par cette appellation tous les indices indiquant clairement au lecteur que nous sommes dans un texte d’imitation en train d’imiter.
« Le style n’est nullement un enjolivement […] ce n’est même pas une question de technique, c’est comme la couleur chez les peintres, une qualité de la vision, une révélation de l’univers particulier que chacun de nous voit et que ne voient pas les autres » (Marcel Proust, lettre à Antoine Bibesco, novembre 1912).
Nous entendons par hypertexte le texte d’imitation.
Ainsi, l’adjectif « grugée » dans LPC prend tout son sens : « Les anges noirs, les anges rouges, l’avaient pompée, grugée, vidée jusqu’au moelles » : s’agit-il ici de nous expliquer ce que fait subir le pastiche à son hypotexte ?
Cette réflexion est corroborée par le fait que Mauriac a lui-même une très mauvaise opinion à propos du pastiche, auquel il accorde peu de crédit, car selon lui, « Tel est le mystère de la technique romanesque : elle doit rester le secret de celui qui l’invente et elle ne peut servir qu’une fois […] Un style, dès qu’il existe, est unique et irremplaçable […] Le génie romanesque se manifeste dans la découverte du monde dont le romancier détient la clef, mais lui seul a le droit de s’en servir » (François Mauriac, La Technique du cageot, Le Figaro Littéraire du 28 juillet 1956).
« Certaines de vos intonations fleurent la vigne » (TAT) / « Le pus de l’opulente chartronnaise ne fleurait pas moins mauvais » (LTA).
« Les grands pieds d’une de ses visiteuses » (LTA) / « Sa fille aînée qui, à seize ans, chausserait du quarante et un » (LPMF).
L’on voit en effet apparaît « le souffle rauque »(LPC), « il respirait de manière plus rauque » (LMM) et une « voix rauque » (TAT) ; LTA utilise l’adjectif « lymphatique » à deux reprises, de « fortes mains rouges de paysan », des « gamines rougeaudes » et « le rauque hululement », tandis qu’on retrouve dans FMPO « un jeune abbé […] à la figure rougeaude » et une « femme lymphatique » (LPMF) ; FMPO enfin signale « un visage blafard », comme TAT qui fait mention d’une « femme blafarde ».
« Ah ! Ne faîtes pas le bon apôtre ! » (LSC) / « Georges, toujours bon apôtre » (LTA)
Réalisant par là même ce que Mauriac n’a jamais réussi : son fantasme de livre unique réunissant l’ensemble de ses personnages.
Marcel Proust, lettre à Robert Dreyfus, 18 mars 1908.
Jean-Louis Curtis, article critique Le Monde de ce prince, préface, p. 127.
François Mauriac, Le Fleuve de feu, chap. III, pp. 550-551.
« Les Péloueyre regardaient un souffle rider l’eau de la citerne, agitée de têtards autour d’une taupe morte » (Le Baiser au lépreux, chap. I, p. 454).
François Mauriac, Génitrix, chap. III, p. 593.
« Il commença de courir dans l’herbe autour de l’enfant, de se livrer à une si étrange danse macabre » (Le Fleuve de feu, pp. 536-537).
François Mauriac, Les Anges Noirs, chap. XI, p. 303. A noter que ce thème de la chauve-souris apparaît aussi dans Le Baiser au lépreux : « Elle eut peur comme dans une chambre où l’on sait qu’une chauve-souris est entrée et se cache » (chap. III, p. 462).
François Mauriac, La Pharisienne, chap. XV, p. 866.
Avec ce jeux fameux sur « gale / syphilis »…
François Mauriac, Le Mystère Frontenac, 1ère partie, chapitre VI, p. 579.
François Mauriac, Le Fleuve de feu, chap. II, p. 537.
« L’œil sans cils » pour LPMF et « Le gaillard n’a plus de cheveux ni de cils » pour LTA.
François Mauriac, Le Fleuve de feu, chap. II, p. 530.
Ibid., pp. 518 et 524.
François Mauriac, Le Baiser au lépreux, chap. IV, p. 465.
On trouve ainsi dans LMM : « lourd buffet de chêne », « lourd destin d’un être », « lourd passé », « plus lourdement encore », « dans la lourde pignada », « une lourde et sauvage odeur », « chaleur épaisse et lourde », « la lourde chaleur du jour », « lourde chaleur de l’été », « chaînes lourdes ».
Et dans LPC : « la chambre était saturée d’une âcre odeur de vase et de pénurie », « la chambre saturée d’angoisse », « le silence de nouveau saturait les ténèbres ».
« Pierre sortit du presbytère en titubant. Il entra dans la lourde chaleur de l’été » puis c’est au tour de « Geneviève [qui] est sortie du presbytère. Maintenant, elle titube à travers les branches encore saturées par la chaleur du jour ». Le même phénomène se répète ensuite : Geneviève lit du Pascal « à genoux sur un dur tapis d’aiguilles de pins », comme Pierre qui « vient de heurter sa chair frémissante au dur bois de pin du confessionnal ».
On retrouve la même situation dans l’Agneau, à travers la remarque de Jean de Mirbel : « Un bain de jeune sang […] Les vieux qui aiment s’entourer de jeunesse, il y a du vampirisme dans leur cas » (chap. VII, p. 521)
L’un des meilleurs exemples à ce propos reste celui de la jeune Marie Ransinangue, enfermée au Carmel « exténuée de jeûne, amaigrie, les genoux blessés contre les carreaux » (Le Fleuve de feu, chap. I, p. 65) et dont l’image revient comme un affreux leitmotiv tout au long de l’œuvre.
« Tel était le climat salutaire de Maurianac, tel était son mystère qu’il se trouvait désemparé et gauche devant cette fraîche et robuste jeune fille ». Quant à la jeune fille, « elle est en train d’étouffer peu à peu sous l’atmosphère salutaire de Maurianac » : la répétition de l’antithèse ici ne laisse aucun doute sur l’intention ironique du pasticheur.
Ce terme de « personnage » met immédiatement à mal l’illusion de la fiction, tout en dévoilant l’envers du décor pastichiel. Une autre occurrence de ce phénomène est visible lorsqu’il est question du « mystère de ce climat si parfaitement maurianacien » : l’homonymie « mauriacien / maurianacien » nous met sur la voie.
En témoigne cet exemple de « paysage-prétexte » dans Le Fleuve de feu, lorsqu’il est question des « gémissements d’une scierie proche » (chap. I, p. 508).
On pourrait ainsi s’hasarder à dire qu ‘« impuissance et concupiscence sont les deux mamelles du François (Mauriac) ».
La scène finale avait été auparavant préparée par les phrases suivantes : « Ils cheminent l’un à côté de l’autre, pénétrés par la chaude volupté des pins et des genêts. Du sable qui a conservé la lourde chaleur du jour leur montent des effluves chargés d’un étrange mystère charnel […] Maintenant, ils unissent leurs prières qui se mélangent aux cris aigus des cigales et vont se perdre au loin dans le chuchotement des pins » : inversion révélatrice, puisque ce sont les cigales qui « crient » et les pins qui « chuchotent », tandis que les personnages, sagement eux, « prient »…
Gui Yufang parle de « l’édification religieuse voulue in extremis par Mauriac catholique » (L’Herne François Mauriac, « Mauriac à l’université de Pékin », p. 470). Le meilleur exemple de cette tendance demeure Le Fleuve de feu, roman axé sur le péché de chair qui, tout au long de ses pages, joue avec l’ambiguïté et la connivence, mais qui livre une fin trop édifiante qui cadre mal avec le reste. Jean-Louis Curtis remarque lui aussi ce phénomène : « Je ne suis point, pour ma part, toujours convaincu par ces éclairs rapides de la dernière page, où l’on nous invite à deviner l’intervention de la grâce divine […et qui] rappellent parfois ces figures ailées qui, sur les théâtres antiques, étaient chargées d’enlever vers le ciel un héros dont le poète ne savait plus que faire » (Le Monde de ce prince, p. 141).
Dans l’article précédent le pastiche, Jean-Louis Curtis parle de ce phénomène en ces termes : « Chaque fois que l’écrivain s’éloigne de ce qu’il connaît bien […] son coup d’œil est moins juste et le récit n’échappe pas toujours à une légère convention. Les « noceurs » parisiens de Mauriac, il faut bien le dire, ont quelque chose d’un peu pâle, d’un peu stéréotypé » (Le Monde de ce prince, p. 142).
Voir note 14.
Mauriac, en effet, s’autoproclame volontiers défenseur du roman traditionnel, qui suggère plus qu’il ne montre, qui ne tombe jamais dans la facilité des peintures graveleuses ou à tendance voyeuriste. Pourtant, son sujet de prédilection tourne vite autour d’un certain problème posé par la concupiscence et par ses dérives les plus honteuses (Claude, son propre fils aîné, a lui aussi bien perçu le problème : « Maman et moi lui faisons remarquer que les abominations dont il parle sont vraies, humaines, mais que l’accumulation qu’il en fait est exagérée » (L’Oncle Marcel, 15 septembre 1935, p. 406). D’où l’adoption pratique d’un credo librement inspiré de son père spirituel, Racine : « Unir l’extrême audace à l’extrême pudeur, c’est une question de style » (François Mauriac, Le Roman, chap. VIII, p. 766).
A noter tout de même l’ironie cinglante de la situation, puisque le test de virginité est associé au prénom de la Vierge Marie. D’ailleurs, pour poursuivre dans la même optique, un peu plus tard dans le pastiche, on pourra lire « par bonheur, Marie fit une fausse couche ».
Ici l’on s’attaque véritablement aux contradictions exprimées par Mauriac tout au long de sa vie sur sa condition d’écrivain : « Le don créateur […] prend sa source dans la part la moins noble, la moins purifiée de [l’]être, dans tout ce qui subsiste en [moi] malgré [moi] » (Le Romancier et ses personnages, p. 850).
Expression souvent utilisée dans Dieu et Mammon, chap. V, p. 816 ; dans Le Roman, chap. I, p. 751 et dans La Vie et la mort d’un poète, p. 43.
Ce dernier chapitre du Baiser au lépreux a été rédigé dix ans après l’œuvre et met en avant un caractère totalement opposé chez le personnage de Noémi, qui de douce et innocente, devient aigrie et revancharde.
Dans Le Baiser au lépreux, première version, le roman se termine sur le chemin de croix de Noémi, qui a définitivement renoncé à la tentation extraconjugale pour rester fidèle à la mémoire de son défunt mari.
Jean-Louis Curtis y explique à propos du pastiche qu’il constitue « l’achèvement naturel d’une étude critique » et « un hommage d’admiration » (Le Monde de prince, préface, p. 127). Dans son article précédant TAT, l’hommage ambigu est d’ailleurs présent dès le titre Le Monde de ce prince qui est une reprise du « Prince de ce monde », périphrase fréquemment utilisée par Mauriac (désignant le diable, Les Anges Noirs, prologue, p. 232) mais qui donne aussi une certaine tonalité ironique à l’ensemble puisque parlant d’un auteur catholique. C’est enfin une référence au « monde » mauriacien et à son « prince » c'est-à-dire l’auteur originel, connoté positivement par le vocable employé.
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