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Varia

10. L’article à travers quelques théories linguistiques

René Rivara
p. 115-141

Texte intégral

1Dans l’histoire de la grammaire des langues française et anglaise, qui nous retiendra ici, la classe syntaxique de l’article se caractérise par trois propriétés universellement reconnues :

2a) Son existence même n’est jamais mise en doute, et le terme même d’article est utilisé par tous les linguistes, même s’il joue un rôle plus ou moins important dans la théorie : il s’impose d’emblée dans une grammaire à base syntaxique, comme la grammaire générative, il joue un rôle plus discret dans une théorie à base sémantique, comme la linguistique énonciative.

3b) Elle ne compte jamais qu’un nombre particulièrement faible d’éléments, ce qui peut laisser espérer que son étude, et l’étude de ses diverses analyses à travers les théories, est plus simple, et peut-être plus éclairante que celle de toute autre classe syntaxique. Selon les ouvrages, on distingue un, deux, trois, ou quatre articles. A cette question se rattache celle du rapport entre l’absence d’article et l’article zéro, noté Ø, qui ne semble pas faire l’unanimité à ce jour.

4c) Les articles, quel que soit leur nombre, et quelle que soit la façon de les désigner (par des termes tels que « défini » ou « indéfini » ou par l’énumération des formes) apparaissent toujours comme indissolublement liés à un nom qui les suit : ils « modifient », « déterminent », « repèrent » ou « limitent » le nom, mais d’une façon qui n’est pas uniforme et dépend des caractères sémantiques du nom lui-même et du type de détermination exercée par l’article.

5Les analyses qui ont été proposées du système des articles peuvent être classées par référence à ce qui est apparu aux grammairiens comme la propriété la plus révélatrice de la fonction des articles et des relations qui les opposent. On peut, schématiquement, distinguer trois critères pris comme points de départ dans l’analyse et le classement des articles :

6a) La forme : les oppositions binaires un / le en français, a (an) / the en anglais, sont immédiatement apparentes.

7b) Le sens : l’opposition indéfini/défini est très vite apparue comme en corrélation simple avec l’opposition des formes. Mais cette simplicité n’est qu’apparente ; ainsi le surgissement du couple générique/spécifique et la mise au jour d’emplois peu étudiés de l’indéfini sont venus compliquer singulièrement l’analyse sémantique des articles.

8c) Les opérations mentales : à l’époque contemporaine, avec des théories comme celle de Guillaume et de Culioli, la sémantique d’un énoncé ou d’un constituant est conçue fondamentalement comme le produit d’une construction, c’est-à-dire de l’application d’une série d’opérations sémantiques à une unité ou une relation, elle-même produit d’une opération de mise en relation. Le sens est dès lors conçu d’une façon nouvelle, et doit être considéré en termes des opérations dont il résulte. Dans cette optique, l’étude morphologique est elle-même affectée : les formes sont considérées comme les marqueurs d’opérations sémantiques abstraites, et on cherche à établir des corrélations stables, qui peuvent ne pas être bi-univoques, entre marqueurs et opérations.

1. La morphologie

9Le problème que pose la morphologie dans une théorie linguistique est celui du crédit qu’on lui accorde, et donc des libertés interprétatives que l’on s’autorise à son égard. Ainsi, aucun grammairien de l’anglais n’a jamais songé à faire de a et an deux articles distincts : la différence entre les deux formes n’est pas pertinente au niveau morphologique, mais relève du niveau « inférieur » de la phonologie.

10L’interprétation d’une forme consiste toujours à admettre ou refuser la relation entre cette forme et une signification. Dans les deux cas, une argumentation est nécessaire : il faut toujours fournir des raisons pour faire admettre, soit qu’à une forme correspondent une seule ou plusieurs significations, soit, inversement, qu’une signification est marquée par une seule ou plusieurs formes.

11Un exemple de ce phénomène est fourni par l’étude de l’article français proposée par Wailly (1758, pp. 39-40). (Sur l’histoire de l’article à l’époque classique, voir Joly, 1980). Wailly est l’un des rares pour qui le français ne possède qu’un article :

Nous n’avons qu’un Article, c’est le, masculin singulier ; la, féminin singulier ; les, pluriel des deux genres.

12Bien qu’il soit muet sur ce point, il est clair pour Wailly (et malgré la distinction admise au siècle précédent par la Grammaire de Port-Royal entre un article défini et un article indéfini) que la forme un, étant clairement un numéral (un « nom de nombre ») ne peut être aussi un article. L’absence de prise en considération du contexte et du caractère contrastif des numéraux conduit ici le grammairien à un respect absolu de la forme, la « forme » étant prise au sens le plus étroit (une séquence de phonèmes), sans référence aux propriétés distributionnelles et suprasegmentales qui distinguent, précisément, le un article du un numéral. Seules les catégories indiscutables du genre et du nombre ont le pouvoir de donner à une unité des formes différentes. Reprenant sur ce point l’analyse d’Arnauld et Lancelot, Wailly admet encore des variations formelles dues aux contractions de l’article unique le avec les prépositions de et à. Sans considérer, comme les grammairiens de Port-Royal, que les noms français se déclinent, et que du ( = de le) sert à former un génitif, et que au ( = à le) forme un datif, il admet pour l’article une série de formes où l’article est, soit libre, soit amalgamé : *.

13Dans les formes contractées, de est toujours, pour Wailly, la « préposition » de (les jeux des enfants), et jamais une particule dérivée de la préposition, qui permettrait de former un indéfini pluriel (des oiseaux), puisque, précisément, il n’admet pas d’article indéfini.

14à la même époque, Condillac (1798), qui se réclame de Du Marsais, déclare également dans sa grammaire que le français n’a qu’un article, le, la, les, qui « se déguise » dans la forme contractée du. Il fait une distinction intéressante entre les emplois « déterminés » du nom (ceux qui portent un article) et les emplois « indéterminés », où « l’étendue de la signification (du nom) n’est en rien déterminée », comme dans Il est moins qu’homme. Dans ce cas, on « réveille l’idée indéterminée dont ce nom est le signe modifié par aucun ‘adjectif’« , terme qui, pour Condillac, désigne à la fois les déterminants nominaux et les adjectifs au sens moderne du mot. Cet emploi « indéterminé », où le nom apparaît seul, ne peut qu’évoquer, pour les linguistes contemporains, le concept de « renvoi à la notion ».

15Le problème de l’article indéfini, inévitablement, embarrasse Condillac : dans un courage surprenant, il considère que 1’« adjectif » un « fait office » d’article, comme pourraient aussi le faire les possessifs, les démonstratifs et les quantificateurs. Quant à la forme des dans les cas où elle est habituellement baptisée « article indéfini pluriel » (des sages-femmes), n’ayant admis que l’article le, il considère que l’article « se supprime », alors qu’il est bien présent dans la forme contractée qui équivaut à de les. Ce serait donc ici l’absence de l’article le qui exprimerait le non déterminé, comme l’emploi absolu du nom. Pour analyser les fonctions de de dans le cas où il n’est pas strictement préposition, Condillac ne dispose évidemment pas du concept de « forme dématérialisée », et le des « non-déterminé » ne reçoit pas d’analyse.

16Une autre analyse répandue consiste à admettre, non pas un article, ni deux comme le fait Port-Royal, mais trois. Dans de nombreuses grammaires, plus récentes, du français, on ajoute au couple devenu traditionnel défini/indéfini une troisième unité grammaticale qui fait souvent problème pour les auteurs : le « partitif ». C’est le cas notamment de Brunot et Bruneau (1949, p. 214), qui posent déjà une forme de complémentarité entre l’article indéfini, qui « s’emploie devant les noms de choses qui se comptent » et l’article partitif, qui « s’emploie devant les noms de choses qui se partagent ». C’est la forme du qui, à l’origine, a suscité l’idée de ce troisième article qui, sous des analyses diverses, a survécu jusqu’à une époque récente, puisqu’on le trouve encore, appliqué à la série du, de la, des, dans la Grammaire Larousse (1964). La difficulté que présentent ces formes est qu’elles ont des rapports avec le défini (du est assez clairement apparenté à « de le », des est visiblement un amalgame de de les), mais qu’elles dénotent du non-défini (Il boit du vin / de la bière / des alcools). Contrairement aux cas simples des articles singulier le et un, la corrélation forme-sens devient difficile à établir : seuls les grammairiens modernes (Larousse, 1964, Grevisse, 1964) rattachent le « partitif » à l’indéfini ou, parfois, le traitent explicitement comme tel.

17Encore ce lien entre le partitif et l’indéfini pose-t-il des problèmes aux grammairiens qui ont le mérite de l’apercevoir. Pour Grevisse (op. cit., p. 263), « l’article partitif n’est autre chose, pour le sens, qu’un article indéfini » placé devant des noms non-comptables. (Vendre du drap, boire de la bière). Cette séparation de la forme et du sens est évidemment la marque d’une théorie inachevée de l’article.

  • 1 Les formes uns, unes, étaient usitées au Moyen Age et encore au XVIe siècle (cf. Grevisse, op. cit. (...)

18Grevisse aperçoit bien, d’autre part, qu’une manipulation simple (passage du pluriel au singulier) fait passer de « J’ai mangé des pommes » à « J’ai mangé une pomme », correspondance affirmée déjà par Port-Royal (op. cit., p. 40). Affirmer la parenté essentielle entre un et des, c’est donner la prééminence à une manipulation syntaxique sur la forme, mais une prééminence partielle : il n’y a identité entre un et des que « pour le sens ». Il n’y a en somme qu’emprunt de la forme des pour remplacer un indéfini pluriel disparu uns1 comparable à l’espagnol unos.

19La structuration progressive du système de l’article à partir du principe de l’article défini unique passait d’abord par la reconnaissance d’un article indéfini un, qui obligeait à admettre deux statuts syntaxiques pour une seule forme, puis à celle d’un pluriel de cet article qui n’a aucune ressemblance morphologique avec son singulier. Si elle n’explique pas le fonctionnement de la « particule » de dans l’indéfini de la Grammaire de Port-Royal décrit du moins son apparition, en termes de substitution destinée à remplacer une forme disparue. Wagner et Pinchon (1962, p. 97) admettent sans commentaire que des est le pluriel de un, et il en est généralement ainsi par la suite. La forme de, « détournée » de sa valeur initiale de vraie préposition, est désormais intégrée au système de l’article, et, jusqu’à l’époque contemporaine, le problème de sa justification dans la forme de l’indéfini pluriel et du « partitif » (la relation, qui n’est ni évidente, ni arbitraire, entre la préposition de et la « particule ») n’est plus guère posé. Les études successives poursuivent la structuration du microsystème de l’article en se libérant d’un respect rigide de la forme tout en laissant derrière elles, faute d’une analyse sémantique fouillée du de en question, certains phénomènes inexpliqués.

20La Grammaire Larousse du français contemporain, rédigée (en 1964) par des linguistes, apporte deux innovations à la théorie de l’article. Il est vrai qu’elle conserve un « article partitif » de plein statut, (quoiqu’en distribution complémentaire avec l’article indéfini), mais l’idée d’une opération sémantique affleure à son propos : il indique un « découpage » (sur de l’indénombrable, domaine qui est le sien). D’autre part, l’influence du structuralisme s’y manifeste : on distingue un quatrième article, 1’« article zéro », assimilé, il est vrai, à l’absence d’article.

  • 2 La relation entre je vois une vitre et j'en vois une [de vitre] n'est pas aperçue, ou du moins n'es (...)

21La Grammaire d’aujourd’hui (1986) conserve elle aussi un article partitif (p. 75), à côté du défini et de l’indéfini, mais le rapprochement, qui devient de plus en plus inévitable, entre le partitif et l’indéfini, y est fait à nouveau, au paragraphe consacré à l’indéfini. C’est peut-être l’influence de la grammaire générative qui explique que ce rapprochement soit fait à propos des groupes nominaux complexes du type une des vitres. De plus, la valeur de prélèvement est ici explicitement posée à propos des dénombrables, donc de l’article indéfini. Elle n’est pas, cependant, étendu au cas apparemment plus simple où le prélèvement (ou « extraction ») n’est pas manifesté syntaxiquement par la préposition de (une vitre)22. On trouve donc ici un nouveau progrès dans l’étude des formes de l’article, singulièrement celles qui utilisent la« particule » de, même si l’on ne dispose d’aucune analyse sémantique des rapports entre la « vraie » préposition de que l’on décèle dans la forme contractée des ( = de les), la« particule » dématérialisée de l’indéfini (des fruits) et du partitif (du courage, de la détermination), et l’emploi en quelque sorte intermédiaire, syntaxiquement plus transparent, du type une des vitres.

22Que l’interprétation de cette « particule » ait présenté une difficulté majeure dans l’histoire de la grammaire de l’article français n’est guère surprenant. S’il est morphologiquement visible que les livres est le pluriel de le livre, il est plus difficile d’expliquer que des livres soit le pluriel de un livre.

  • 3 Guillaume (1964, p. 175), cité par Joly & O'Kelly (op. cit., p, 415), montre que le rôle de la prép (...)

23Beaucoup plus paradoxale est la difficulté qu’ont présentée la sous-catégorie de l’indénombrable et ses articles (du beurre, de la confiture), et qui a conduit au postulat d’un article indépendant dit « partitif ». La difficulté ne résidait plus ici dans l’interprétation des formes, puisque le rôle de la particule de, même mal compris, était accepté pour l’indéfini des. Elle était dans l’incapacité de percevoir l’analogie sémantique entre des livres et du papier, expressions pourtant coordonnables. Dans l’interprétation de l’indéfini un livre, des livres, l’idée, parfaitement juste, du caractère non encore connu de l’objet ou des objets évoqués apparaissait dominante, et même suffisante pour analyser la sémantique de l’article indéfini. « Indéfini » (« non encore identifié »), appliqué à des individus (objets ou personnes) semblait expliquer suffisamment le sens de l’article. Dans l’interprétation du partitif, au contraire, l’idée de prélèvement sur une substance, formulée, assez tôt, de façons diverses, rendait suffisamment compte de la fonction sémantique de l’article : c’est qu’il n’y a pas lieu ici d’identifier des individus. L’article indéfini était ainsi expliqué en termes qualitatifs : des individus non encore présentés. L’article « partitif » était expliqué en termes essentiellement quantitatifs : il désigne une certaine quantité d’une substance qui est seule identifiée3, Ainsi est restée longtemps inaperçue l’idée que le marqueur de manifeste une seule et même opération, une « extraction-prélèvement » qui, appliquée à un ensemble, livre l’indéfini des et, appliquée à une substance, livre le partitif du (de la).

24L’une des grammaires du français déjà citées, la Grammaire Larousse, malgré le lien qu’elle signale entre l’indéfini et le partitif, distingue quatre articles, et leur consacre quatre sections distinctes. Le quatrième article (p. 220) est 1’« article zéro », concept dû au structuralisme, qui est identifié à l’absence d’article. Or, l’absence d’article, dans un pont de pierre ou cité pour mémoire, par exemple, avait déjà été remarquée, et décrite, précisément, comme une absence d’article. L’article zéro, lui, est un article, que l’on n’a le droit de postuler que parce qu’un autre article pourrait apparaître à sa place et par là s’opposer à lui, ce qui permet d’attribuer un sens à la forme zéro. Il est vrai que la différence entre l’absence et la forme zéro n’est pas toujours indiscutable, et que l’on peut, par exemple, dans certaines configurations syntaxiques, postuler un effacement de l’article, qui permet de restituer un article sous-jacent. Ainsi, dans la fable de La Fontaine La laitière et le pot au lait, il est au moins concevable de considérer qu’il y a effacement d’une série d’articles définis, qui n’affecte pas manifestement le sens, dans la séquence : Adieu veau, vache, cochon, couvée ; on peut dire que les objets énumérés restent identifiables, puisqu’ils ont fait, dans les termes de Culioli, l’objet d’une première détermination, ou, en termes guillaumiens, d’une première présentation. Cette analyse n’est pourtant pas indiscutable : on postulera plutôt un changement de niveau qui fait remonter de l’actuel (des emplois nominaux pourvus d’une valeur référentielle) au virtuel (évocation purement qualitative de l’idée (la notion) des objets convoités). De façon générale, le concept d’effacement d’un article laisse entier le problème de la représentation métalinguistique de l’absence créée par l’effacement.

25Nous reviendrons sur le problème de l’absence d’article observable à propos de l’anglais, où l’article zéro n’est pas plus une absence d’article qu’en français, mais où il joue un rôle beaucoup plus important, et dont la fonction déterminative couvre, entre autres, celle du « partitif » traditionnel.

2. La sémantique

26Jusqu’à l’époque contemporaine, c’est assez clairement à partir du critère morphologique que les grammairiens s’efforçaient le plus souvent de construire et expliquer le système de l’article. à partir de l’opposition explicitement ou non posée comme telle, entre le et un, on recherchait une opposition sémantique corrélative. Cette opposition, perçue par intuition, a été décrite en termes variés, qui sont devenus de plus en plus précis au fil du temps. Ainsi, la Grammaire de Port-Royal pose d’abord l’existence de deux articles, l’un « qu’on appelle défini », l’autre « que nous appelons indéfini », Ensuite seulement, on étudie le sens (le type de détermination) correspondant à chaque article. Pour le défini, la distinction d’un sens générique et d’un sens spécifique apparaît déjà, sans provoquer de révision de la structure du système de l’article. Le sens de l’article indéfini est présenté sommairement : il sert à désigner « un ou plusieurs individus vagues ». L’important est ici que l’existence d’un sens, plus ou moins précisément perçu intuitivement, vienne en second, mais constitue tout de même une sorte de garant de la validité de l’analyse morphologique : les linguistes recherchent toujours des corrélations entre des formes et des significations. Lorsque Grevisse (op. cit., p. 263) déclare que les formes de l’article « partitif » (du, de la) n’ont pas d’autre sens que celles qu’a, ou aurait, l’article indéfini placé devant des noms « non-comptables », il renonce au programme qui est celui d’un linguiste. La démarche linguistique aurait consisté, après une analyse sémantique qui ne confirmait pas la distinction indéfini/partitif, à remettre celle-ci en question, et à éliminer (ou traiter comme second) le partitif ou l’indéfini.

27Une analyse sémantique nouvelle pourra conduire à une révision d’une analyse morphologique par un rejet de termes qui étaient perçus jusque-là comme les étiquettes indispensables et indissociables des formes, « défini » pour le le français et le the anglais, « indéfini » pour un et a/an. Une telle révision affecte la morphologie lorsqu’elle tend à faire éclater un micro-système d’oppositions binaires au profit d’une liste de formes, conçues chacune comme un marqueur qui appelle une étude distincte.

3. Opérations et marqueurs

  • 4 L'introduction des concepts d'opérations sémantiques corrélées à des marqueurs ne dispense pas d'un (...)

28Les linguistiques de l’énonciation introduisent une conception nouvelle de la morphologie, liée à une conception nouvelle de la sémantique : celle-ci, au delà d’effets de sens divers perçus par intuition, recherche une valeur centrale profonde non apparente dans le discours, qui est conçue d’une part comme le produit d’une opération mentale, d’autre part comme liée intrinsèquement à une forme, interprétée comme le marqueur de l’opération dont il s’agit. L’impossibilité de postuler a priori, ou d’admettre a posteriori le principe d’une corrélation bi-univoque entre marqueurs et opérations conduit à un approfondissement des analyses sémantiques, qui ne peuvent gagner en généralité qu’au prix d’une recherche beaucoup plus abstraite et, par là, plus éloignée de l’intuition immédiate. Cet approfondissement conduit pourtant, non pas à un mépris, même occasionnel, des « apparences » que sont les formes grammaticales, mais au contraire à un respect accru des marqueurs, donc des formes : l’article des ne peut plus être simplement décrit comme « faisant fonction » de pluriel de l’article un ; l’opération de prélèvement sur un ensemble étant définie par ailleurs (en relation avec d’autres marqueurs), on voit dans la forme des un marqueur de ce prélèvement, effectué par recours à la « préposition » de qui lui est incorporée, et qui laisse concevoir le prélèvement comme un mouvement à partir d’une origine, signification sans doute fondamentale de de4. Dans cette optique, on peut considérer que la morphologie définit l’objectif de l’analyse sémantique : on accordera un crédit maximal aux formes (aux marqueurs) pour rechercher un invariant sémantique parfois difficile à déterminer, mais qui, une fois découvert, apparaît comme la preuve que la marque est bien porteuse d’une valeur stable.

  • 5 Il faut signaler cependant, pour l'anglais, que Quirk et alii (1972) font reposer leur étude de l'a (...)

29Les grammaires « pré-énonciativistes » de l’article ont en commun une caractéristique presque universelle : les appellations d’article « défini » et « indéfini » y sont utilisées dans la quasi-totalité des cas ; les progrès de l’analyse sémantique de l’une et l’autre signification n’ont pas mis en péril cette terminologie traditionnelle. L’apparition de la distinction générique/spécifique, due en partie à l’influence de la théorie de la référence, notamment dans la pragmatique anglo-saxonne, n’a pas provoqué d’abandon de l’opposition défini/indéfini, beaucoup mieux corrélée (malgré certaines difficultés) avec le système morphologique. Aucune étude n’a postulé de distinction fondamentale article générique/article spécifique à laquelle l’opposition défini/indéfini serait subordonnée5.

30La notion d’un troisième article, désigné par sa forme, l’« article zéro », est apparue dans quelques études (notamment la Grammaire Larousse et la Grammaire d’aujourd’hui). Dans les deux cas, cet article zéro semble avoir un caractère plus ou moins marginal. Surtout, il est défini comme une absence d’article réservée à certaines positions syntaxiques : vocatifs (Au revoir, docteur), locutions verbales ou prépositionnelles (faire peur, prendre femme ; voyager en train, travailler de nuit), énumérations (camions, voitures, vélos, rien ne pouvait circuler).

31Les études énonciativistes, inspirées essentiellement des théories de Guillaume et Culioli, renouvellent radicalement, on l’a dit, l’analyse sémantique de chaque forme, prise en elle-même, et les termes traditionnels perdent leur rôle d’étiquette classificatrice. Dans les travaux d’inspiration guillaumienne (cf. Joly & O’Kelly, op. cit., p. 389) ou culiolienne (cf. Bouscaren et Chuquet, 1987, pp 83-88), on distingue – à propos de l’anglais – trois articles : a/an, the, Ø.

32Ces études peuvent être caractérisées schématiquement par trois propriétés cruciales, présentes dans les deux orientations distinguées, mais qui y jouent des rôles plus ou moins importants :

331° Les deux approches peuvent être qualifiées de « constructivistes » : un groupe nominal (comme un énoncé) est élaboré à partir d’un point de départ, la notion. Une notion est un pur contenu de pensée, une représentation que Culioli définit comme un ensemble de « propriétés physico-culturelles », et qui n’a subi aucune détermination ; elle a un caractère purement qualitatif. De façon analogue, chez Guillaume, la notion n’est en rien déterminée, elle a une existence pré-discursive : elle « siège en langue ».

34à cette notion peuvent s’appliquer une ou plusieurs opérations de détermination. En fonction de leur contenu représentatif, les notions pourront ou non se voir appliquer telle ou telle opération. Ainsi se définissent des types de notions : une notion qui accepte la pluralisation relève du « discontinu ». Elle permet de définir un ensemble sur lequel pourront s’appliquer d’autres opérations, telle l’extraction, opération dont Guillaume et Culioli donnent une définition. L’extraction singularise un élément parmi les autres de la classe (« There’s a cat on the roof »). L’article a/an (comme le un français) est alors défini comme associé à une opération d’extraction qui « présente » l’élément, lequel n’était pas censé être déjà identifié par le destinataire. La propriété intuitive « indéfini » devient seconde : elle résulte de la nature même de l’opération sémantique qui distingue un élément de la classe. L’opération ne peut être réappliquée au même élément : l’élément extrait est identifié, et ne peut plus être mentionné autrement que comme tel, au moyen d’un déterminant « défini », marqueur, selon le terme de Culioli, d’une opération de fléchage. L’opération d’extraction n’est pas forgée spécialement pour rendre compte des occurrences de l’article indéfini : elle peut être signalée par d’autres marqueurs de caractère quantifiant, précis ou non (« There are two (several ...) cats on the roof »).

353° Une troisième propriété commune aux théories guillaumienne et culiolienne est le rôle systématique attribué au contexte immédiat d’un article. Même les grammairiens qui passent le fait sous silence savent depuis longtemps que, par exemple, l’interprétation de l’article indéfini singulier, en français comme en anglais, dépend du type de propriété attribué à la notion nominale. On qualifie ainsi de « spécifique » l’article indéfini dans :

My brother keeps a young tiger in his bathroom.
Mon frère a un jeune tigre dans sa salle de bains.

36On appelle « générique » le même article dans :

A tiger is a dangerous animal.
Un tigre est un animal dangereux. (Un tigre, c’est un animal dangereux.)

37Une théorie énonciativiste attribue aux types de contexte une fonction fondamentalement analogue. Elle est tenue toutefois de distinguer des types d’extraction : l’article « indéfini spécifique » signale un élément extrait par recours à une propriété situationnelle (chez Culioli, l’énoncé lui-même, et le tigre dont il indique l’existence, seraient « repérés par rapport à la situation d’énonciation »). Avec 1’« indéfini générique », la propriété attribuée par l’énoncé est sans lien avec la situation et appartient à tous les éléments de la classe : l’extraction doit être analysée comme portant sur un élément représentatif de tous les autres.

4. La classe ; le générique, le type

à partir d’une notion définie en termes purement qualitatifs, on peut, si les propriétés de la notion s’y prêtent, construire une classe. On est alors dans le domaine du discontinu, et le « renvoi à la classe » (l’expression du générique) est possible. Mais, il ne peut pas se faire pour tous les noms avec les mêmes articles : le choix de l’article dépend de deux facteurs : le type de propriété générale mis en jeu, et le type de classe notionnelle dénotée par le nom. On doit ainsi distinguer, outre des types de contextes, des types de notion. L’anglais oblige, à cet égard, à en distinguer trois types :

381° Un nombre important de noms, qui dénotent des espèces scientifiques et des classes d’objets bien répertoriés admettent trois types de renvoi à la classe :

(a) A nightingale is a charming bird.
(b) Nightingales are charming birds.
(c) The nightingale is a charming bird.

  • 6 Le type de propriété générale intervient également ici (cf. sur ce point Bouscaren et Chuquet, op.  (...)

39En (a), l’extraction porte sur un élément susceptible d’être vu comme représentatif de la classe, en vertu du caractère universel de la propriété prédiquée du sujet et du caractère facilement répertoriable de l’ensemble6.

40En (b), il y a extraction multiple sur toute la classe, possible pour les mêmes raisons.

41En (c), l’article the marque, dans la terminologie de Culioli, une opération de fléchage (apport d’une détermination à un élément déjà déterminé une première fois (déjà « introduit », Joly & O’Kelly, op. cit., p. 394). Cette première détermination est une extraction antérieure dans le cas du « spécifique » ; dans celui du générique, qui n’implique pas une première mention du nom concerné, il y a une « existence conceptuelle » (ibid. p. 395). La vision du monde véhiculée par le lexique d’une langue inclut une vaste catégorisation des objets et événements, représentée par l’ensemble des notions de type nominal que maîtrise un locuteur : ces notions sont, en ce sens, déjà présentes, sans être apparues dans le contexte antérieur. Ainsi s’explique la possibilité de « flécher » au moins certaines classes au moyen de l’article the. L’expression doit d’ailleurs être précisée : en l’absence du pluriel (the nightingales), impossible dans cette fonction, qui viserait la classe prise en extension par énumération exhaustive, avec the + singulier, on renvoie au type autour duquel la notion est constituée et auquel les éléments de la classe <nightingale> peuvent être ramenés.

422° Une seconde catégorie de noms se caractérise par le fait que le renvoi à la classe peut s’y faire, si on inclut parmi elles le renvoi au type, au moyen de quatre déterminations différentes (a/an, (2) + pluriel, the + singulier, the + pluriel). Ces noms dénotent des groupes humains fortement structurés, qu’il est par là théoriquement possible d’énumérer strictement, mieux encore que les espèces scientifiques ou les instruments inventés par l’homme, qui relèvent de la catégorie précédente. Ces groupes humains sont essentiellement ceux que déterminent la race, la nationalité, la religion. Outre les trois articles énumérés dans le cas précédent, ils peuvent faire l’objet d’un renvoi à la classe au moyen de la détermination the + pluriel. On a ainsi :

The Americans hold their presidential election every four years.

43Le pluriel associé au marqueur de fléchage indique que la propriété spécifiée est attribuable à tous les éléments de la classe : la désignation est de type extensif, comme dans le cas de l’extraction multiple sur la classe.

44Ce mode de désignation d’une classe n’est possible que pour l’expression d’une propriété universelle, ou « constitutive », et non seulement « générale ». On a :

The Americans apply a strict separation of powers.
*Ø Americans apply a strict separation of powers.

45et, inversement:

Ø Americans are hospitable people.
?? The Americans are hospitable people.
An American is a hospitable person.
The American is a hospitable person.

463° La troisième catégorie de noms discontinus n’admet, en anglais, que deux procédés de renvoi à la classe, l’article a/an et l’article zéro associé au pluriel :

A tree-leaf turns red in Autumn.
Ø Tree-leaves turn red in Autumn. 
 ? ?
The tree-leaf turns red in Autumn.

47Les ensembles d’objets ou événements dénotés par ces noms ont sans doute, eux aussi, une « existence conceptuelle », mais ils semblent être conçus comme des collections de choses apparentées (possédant un « air de famille »), pour lesquelles on imagine difficilement un type – d’où apparemment l’impossibilité de dire, du moins dans le langage ordinaire :

 ? ? The tree-leaf turns red in Autumn.

48On range fréquemment parmi les modes d’expression du générique la détermination the + singulier (The steam-engine was invented in the 18th century). Toutefois, appeler « générique » ce mode de détermination n’est qu’une commodité de langage. Les expressions telles que the tiger ; the rose, the telescope permettent de prédiquer une propriété d’une classe d’objets ou individus, mais sans renvoyer ni à l’ensemble des éléments (« Ø tigers, Ø Moslems, the Moslems »), ni à un élément représentant des éléments de la classe (« a tiger, a Moslem »). Le mode de détermination est de type purement qualitatif (non-extensif). D’autre part, il ne renvoie à aucune occurrence spécifique de la notion ; il s’agit de dénoter le type d’objets ou individus constitutifs de la classe ; en termes culioliens, il s’agit d’une « occurrence type », qui n’est pourvue que des propriétés physico-culturelles dont sont censés être pourvus tous les éléments de la classe. Cette occurrence-type s’identifie au « centre organisateur » de l’intérieur du domaine notionnel associé à la notion ; elle est ce qui permet le fonctionnement de la notion, dont toutes les occurrences acceptées comme telles sont ramenées au centre organisateur ; en termes extensifs, tous les éléments d’une classe sont perçus comme échantillons du type, par effacement des différences qui les séparent, considérées comme secondaires.

49Le renvoi au type, opération voisine du renvoi à la notion (cf. Giancarli, 1977, p. 318), s’en distingue néanmoins : le nom y est pourvu d’un article et possède ainsi une autonomie syntaxique que n’a pas toujours le renvoi à la notion. D’autre part, le renvoi à la notion ne met pas en jeu le centre organisateur, mais seulement l’intérieur du domaine notionnel ; il opère une « entrée » dans l’intérieur du domaine, mais non un renvoi à une occurrence particulière, qu’elle soit représentative (« a tiger » au sens dit générique) ou typique (« the tiger » renvoyant au type).

50La distinction proposée plus haut de trois grandes catégories de notions nominales dont l’une n’admet pas le renvoi au type (?? the tree-leaf) pose le problème délicat, qui ne peut être abordé ici, de savoir comment il convient d’expliquer que, à l’intérieur même du domaine du discontinu, qui a été privilégié jusqu’ici, toutes les notions ne possèdent pas d’occurrence-type à laquelle on puisse renvoyer comme on peut le faire pour les noms des classes les mieux répertoriées, espèces scientifiques, artefacts aux propriétés bien définies, noms d’ensembles humains bien structurés. Il est vrai que, comme l’a souligné Culioli, et comme le pensent sans doute la majorité des auteurs, la pensée humaine ne peut s’exercer que par recours à des types, mais l’immense catégorisation que véhicule le lexique d’une langue admet clairement des classes notionnelles pourvues d’une cohérence variable. dont les occurrences ne se laissent pas ramener à un type avec une égale facilité.

51Une analyse contrastive de la sémantique des articles définis français le, la, les et du the anglais jette quelque lumière sur le problème que pose en anglais l’expression du générique par son recours presque exclusif à l’article zéro.

52La catégorie remarquable des noms de race, religion, nationalité se signale, on l’a vu, dans l’ensemble des noms anglais, par le fait qu’elle fait apparaître. au pluriel, une opposition entre l’article zéro et l’article the (« Ø Americans / the Americans »), opposition entre un générique « de généralisation » et un générique « d’universalité », Le fléchage opéré par the présuppose une première détermination de la notion, qui peut être, on l’a dit, soit une extraction (une première introduction), soit l’existence conceptuelle de cette notion dans la vision du monde véhiculée par la langue. C’est cette existence conceptuelle qui autorise l’emploi - dans un contexte généralisant (mais pas seulement comme sujet d’un énoncé générique, cela a été déjà signalé) - de « the crocodile » au sens dit générique en l’absence de toute mention antérieure du nom. Elle n’existe pas, on l’a dit, pour tous les noms.

53Le problème que pose l’article zéro générique peut ainsi être formulé de la façon suivante : pourquoi l’anglais ne dit-il pas *The dogs are carnivorous comme il dit The Americans adapt their Constitution by means of Amendments ? Dans les deux cas, la propriété prédiquée de la notion considérée est universelle. La différence ne peut tenir qu’aux notions mises en jeu : l’ensemble défini extensivement à partir de la notion « American » est exhaustivement énumérable en raison de la définition juridique stricte de la notion, et il permet donc une extraction multiple universelle, et un fléchage également universel de tous les éléments de la classe.

54L’immense majorité des noms anglais, et d’ailleurs français, ne possède pas cette propriété. Le fait crucial qui détermine la différence entre (Ø dog, seule expression du générique pour la notion « dog » et le couple « Ø Americans / the Americans », génériques tous deux, tient nécessairement (outre le caractère inégalement cohérent des deux classes notionnelles) à la valeur sémantique de l’article the, qui exige un degré maximal de détermination des ensembles auxquels il s’applique, ce qui n’est pas le cas de l’article français le. L’anglais ne dispose par-là que de l’article zéro associé au pluriel pour signaler une extraction multiple, interprétée comme générale dans le contexte approprié.

55Avec un nom dénombrable pluriel, l’article zéro anglais indique donc toujours une extraction multiple, qui est de sens non-générique dans un contexte particularisant, et générique dans un contexte généralisant, quel que soit le degré de cette généralité. (Dogs are likable animais, dogs are mammals). Le contexte est donc ici le facteur qui détermine l’interprétation, spécifique, générique faible ou générique strict, de l’article zéro associé à une extraction multiple. La détermination the + pluriel, elle, n’est pas ambiguë, mais elle n’est possible que pour une petite catégorie de noms, et elle exige un contexte universalisant.

56La situation est inverse en français : ici, le déterminant le + pluriel est ambigu entre générique faible et générique strict et il appartient au contexte de lever cette ambiguïté.

5. La notion : article zéro ou absence d’article ?

57La distinction entre article zéro et absence d’article n’a pas été faite avant une époque toute récente, même dans les ouvrages qui étudient l’absence observable de déterminant, liée, dans de nombreux cas, à des phénomènes syntaxiques. Elle apparaît néanmoins dans Anscombre (1986, p. 6 sq), mais le problème de l’opposition sémantique entre absence « profonde » d’article et article zéro n’est pas l’objet de l’étude. La Grammaire d’aujourd’hui (op. cit., p. 76) consacre à un « article zéro » un court paragraphe, et affirme que « l’article n’apparaît pas dans de nombreux assemblages plus ou moins figés », parmi lesquels figurent les titres de journaux, les énumérations, les formes proverbiales. Joly & O’Kelly (op. CiL, p. 416-418) étudient ce phénomène de beaucoup plus près, signalant notamment, outre les énumérations, les « couples de noms » de divers types (« Brother and sister were at breakfast ») et les locutions verbales (« keep house ») ou prépositionnelle (« by car, on foot »). Il s’agit pour eux dans tous ces cas d’articles zéro, ce qu’ils justifient en montrant les implications sémantiques de l’absence d’article observable ; la détermination zéro « favorise les amalgames de noms et une tendance à former des unités conceptuelles plus ou moins permanentes », Ainsi, bird and beast nous montrent deux sous-ensembles d’un même ensemble, celui des animaux, tree and flower nous présente les deux composantes de l’ensemble des végétaux.

58Ces considérations sémantiques sont, en elles-mêmes, parfaitement fondées. Le problème est de savoir si c’est le concept d’article zéro qui rend le mieux compte de l’absence d’article observable dans les structures de ce type, et si cet article zéro (ou un deuxième article zéro ?) peut aussi recevoir les valeurs d’indéfini qu’on lui attribue couramment au contact des noms discontinus pluriels, spécifiques ou génériques (« Ø crocodiles » ) et des noms continus au singulier (« Ø butter »), également « spécifique » ou « générique » selon le cas.

59On peut en effet poser deux questions à propos de ce recours à l’article zéro dans tous les cas d’absence d’article observable.

60La première concerne la notion même de forme zéro. On sait qu’il s’agit d’un concept structuraliste, légitimé par le principe selon lequel on postule une forme zéro si, en un point d’un énoncé où n’apparaît aucune forme, on pourrait trouver un morphème observable pourvu d’une signification déterminable qui affecte l’énoncé. Ce morphème est alors opposable au morphème zéro envisagé, et le légitime. (Ainsi le Ø de « singulier » dans the cat ; Ø se justifie par la possibilité d’avoir the cats.)

61Il est clair que, dans de nombreuses études énonciativistes contemporaines, on ne se réfère plus au sens originel de « forme zéro » : on écrit « forme zéro » pour indiquer qu’en un point donné d’un énoncé, il n’y a rien d’observable, alors que, dans d’autres cas (mais pas forcément dans l’énoncé considéré), on y trouve une forme d’un certain type. Il est tout à fait vrai que, très souvent, on trouve un article (ou un déterminant nominal) devant un nom. Si, de ce fait, on s’autorise à postuler, dans tous les cas d’absence d’article observable, un article zéro, on donne à ce terme un sens nouveau.

62La question est de savoir ce que l’on gagne à ce changement de terminologie, et si cet article zéro « étendu » peut être légitimé en tant que marqueur d’une opération unique sémantiquement définissable qui rende compte de toutes les occurrences postulées de l’article zéro.

63La seconde question qui se pose, liée à la première, concerne le concept de « renvoi à la notion » : la notion est de caractère purement qualitatif, et constitue, dans le cas général, l’origine d’une série de déterminations ; pour opérer un pur « renvoi » à cette notion, a-t-on vraiment besoin d’un article, fût-il un article zéro, qui soit le marqueur d’une opération sur la notion ? Et, si l’on admet le phénomène d’absence d’article, quel rôle sémantique lui attribuera-t-on, qui soit distinct de celui de l’article zéro ?

64Dans l’ensemble des cas d’absence observable d’article, nous distinguerons trois types de configurations, en séparant notamment ceux où elle est absolument obligatoire et n’admet donc aucune commutation, et ceux où absence et présence d’un article s’opposent, quoique de façons différentes. Nous tenterons de montrer :

65a) que la notion d’absence d’article doit être intégrée au système de la détermination nominale, en français et en anglais,

66b) que l’article zéro, si on lui accorde une existence à un niveau quelconque de représentation, ne saurait assumer la fonction de « renvoi à la notion » qu’on lui attribue,

67c) qu’un article non défini, fût-il l’article zéro, ne marque pas, mais implique une opération sur une classe, et qu’il a un caractère quantitatif ou extensif, contrairement à l’absence d’article, qui laisse intact le caractère qualitatif de la notion.

68A) Dans une première catégorie d’emplois, on trouve des noms dépourvus de tout article observable et obligatoirement au singulier, même s’ils acceptent par ailleurs le pluriel ; ils n’admettent d’autre part aucun article ni déterminant nominal : aucune commutation n’est possible. En d’autres termes, cette absence d’article ne pourrait au plus commuter qu’avec un article zéro, dont la justification serait difficile à fournir, en termes de manipulations syntaxiques (une absence observable devrait commuter avec une autre absence observable) ou en termes sémantiques : il faudrait montrer que la signification créée par un hypothétique article zéro se distingue de celle de l’absence d’article, et qu’elle est la même que dans les autres emplois, singuliers ou pluriels, de l’article zéro.

69Dans tous ces cas, nous poserons que le nom sans article (la base nominale nue) effectue un renvoi à la notion. Conçue en termes guillaumiens ou culioliens, la notion a une « existence conceptuelle », et l’emploi du nom qui la nomme n’a besoin en discours d’aucun autre antécédent. On peut citer ici en exemple trois configurations syntaxiques :

70a) Le nom composé anglais :

a brick wall (brick walls); a car accident (car accidents); a winter day (winter days).

71b) Le génitif dit « générique » en anglais :

a master’s degree (master’s degrees); a baker’s shop (baker’s shops); a captain’s uniform (captain’s uniforms.); a dog’s life (dog’s lives).

72c) En anglais et en français, les locutions verbales et prépositionnelles :

by train, by car, on foot, by plane, on board ; give way, make way, pay attention, do justice ; à pied, à cheval, en voiture, en avion, en mer, à terre ; faire front, faire place, perdre pied, rendre grâce.

73Dans les deux premiers cas (nom composé et génitif), le premier nom renvoie à une pure notion, et le pluriel est généralement impossible (« *a cars accident, *a bricks wall ; *a masters’ degree, *a bakers’ shop »).

74L’absence d’article devant le nom déterminant d’un génitif générique ou d’un nom composé ne souffre aucune exception : si un article apparaît devant l’une ou l’autre de ces constructions, il est automatiquement interprété comme s’appliquant au groupe : dans the stone bridge, the sert à flécher (stone) bridge, et jamais stone.

75Nous considérons donc comme clairement établi le fait que, dans les cas étudiés, le nom déterminant ne peut supporter aucun article ; on a donc de bonnes raisons de postuler qu’il y a ici une absence d’article et non un article zéro. Cette absence est effective, et non seulement apparente, et elle opère un renvoi à la notion. Le nom dépourvu d’article est porteur d’un pur signifié qui, dans certains cas, vient s’amalgamer à celui du nom qui suit et donner naissance à une nouvelle unité conceptuelle permanente. De l’association, d’abord occasionnelle, des deux notions « rain » et « coat » est née une notion nouvelle, « raincoat », qui n’est pas simplement l’addition des « propriétés physico-culturelles » de « rain » et « coat », mais résulte d’un mode spécifique de détermination de « coat » par « rain », né lui-même d’un fait culturel apparu à un moment historiquement déterminable. De l’apparition, fréquente en anglais, de noms du type de « raincoat » à partir de constructions où, dans un premier temps, les deux unités constitutives sont simplement juxtaposées, on doit conclure :

76a) que le premier des deux noms associés, dès l’origine du processus, effectue un renvoi à la notion : le type de vêtement coat est déterminé (repéré) par une relation sémantico-culturelle avec le type d’événement physique rain, d’où le nouveau type d’objet, donc la notion « raincoat ».

77b) que, de façon générale, la notion d’absence d’article doit être incorporée à la théorie de l’article anglais : c’est elle, seule, qui effectue le renvoi à la notion, et non un article zéro, qui a en anglais d’autres fonctions, et qui, comme a/an, indique une opération quantitative sur la classe, ou des éléments d’une classe, même quand il exprime du générique.

78Il est intéressant de noter que, dans l’optique guillaumienne, la notion, on le sait « siège en langue » mais que dans certaines constructions comme celles évoquées plus haut, elle peut apparaître sous un aspect particulier, « vue de l’intérieur », dans le discours : elle est alors « saisie en immanence » (cf. Joly & O’Kelly, op. cit., p. 419).

79Une propriété attendue d’un nom sans article qui renvoie à une pure notion est qu’il ne peut faire l’objet d’une reprise anaphorique, laquelle suppose la création par l’occurrence du nom d’une valeur référentielle. On observe ainsi :

He is employed in a baker’s shop. *This baker is a very wealthy man.

80La reprise par this baker indiquerait précisément que l’on n’a pas affaire à un génitif générique, et que a implique une extraction sur la classe <baker>, et porte sur baker seul, non sur le groupe. Une reprise anaphorique ne pourrait porter que sur un nom quelconque du contexte antérieur.

81On a de même, avec le nom composé :

He stopped a few minutes on the stone bridge. *It was a rare yellow sort of stone.

82It ne peut avoir stone pour antécédent.

83En français, on observe le même phénomène, ainsi dans les locutions prépositionnelles :

Je voyage toujours en train. *Il est plus confortable que le car.

84Le nom train possède simultanément les deux propriétés qui sont, pour nous, indissociables : il n’admet aucun article, ni autre déterminant nominal ; d’autre part, il ne crée pas de valeur référentielle et évoque l’objet, de façon qualitative, le train n’étant vu que sous l’angle de sa fonction, et non comme un objet individualisé.

85Nous conclurons de ce qui précède :

86a) que l’on doit postuler, en anglais et en français, l’absence obligatoire d’article dans certaines configurations – absence qui n’est pas un article zéro.

87b) que cette absence d’article signifie un renvoi à la notion, fonction qui lui est propre, et n’est pas celle de l’article zéro.

88B) Les cas les plus complexes de mise en jeu des articles et de l’absence d’article sont ceux que l’on trouve dans des configurations syntaxiques assez souvent étudiées, où s’exprime une relation d’identification : les attributs, les appositions, les structures en as en particulier. Le contraste a souvent été remarqué, par exemple, entre les énoncés des paires suivantes :

(a) We shall study Blake as poet and painter.
(b) We shall study Blake as a poet and as a painter.
(a’) Mr Jones, Minister of Agriculture, gave an account of the situation.
(b’) Mr Jones, the Minister of Agriculture, gave an account of the situation.

89Dans certains cas, l’absence observable d’article est en opposition avec les deux articles :

(a) As spokesman of his party, he expressed his approval.
(b) As a spokesman of his party, he expressed Iris approval.
(c)As the spokesman of his party, he expressed his approval.

90Les grammairiens s’accordent généralement pour considérer que l’absence d’article fait attribuer au nom une valeur « abstraite » ou « qualitative » : spokesman et minister dénotent un statut, un rang, une fonction, plutôt qu’un individu. Joly & O’Kelly (op. cit., p. 418) écrivent qu’ici « on glisse du quantitatif au qualitatif », Dans certains travaux culioliens, on dirait, de façon analogue, que les articles zéro exercent leur fonction, celle de renvoi à la notion. Les articles observables a et the apportent une information sur la situation décrite : « a spokesman » signale que le parti en question a plusieurs porte-paroles, et l’article marque une extraction sur cet ensemble. « The spokesman » nous informe que ce parti n’a qu’un porte-parole, et l’article « flèche » ce personnage, déterminé par son unicité. L’énoncé (a), où le nom est démuni de tout article, n’apporte aucune information référentielle de ce type, le renvoi à la notion n’ayant aucun caractère quantitatif.

91Cette analyse, qui est, pour l’essentiel, commune aux deux approches évoquées, ne prête pas manifestement le flanc à la critique : le renvoi à la notion opéré dans les énoncés (a) est peu discutable. D’autre part, en termes distributionnels, rien ne s’oppose à la thèse d’une opposition entre les articles a et the et l’article zéro postulé.

92Il y a néanmoins deux raisons de considérer que l’opposition n’a pas lieu entre les trois articles, mais entre la présence et l’absence d’un article.

93La première est que, dans de nombreux cas, évoqués plus haut, c’est incontestablernent l’emploi absolu du nom qui signifie le renvoi à la notion (travel by train ; at sea, on land ; a stone bridge, etc.). Pourquoi en serait-il autrement dans At last, he had become fighter pilot ou He was appointed Chief-of-staff ? Dans les deux cas, la reprise anaphorique d’un nom renvoyant à la notion est également impossible (<< *At last he had become fighter pilot ; this new pilot was to become the best of his squadron »).

94La deuxième raison de refuser la thèse d’un article zéro est qu’elle augmenterait sensiblement la variété des emplois de cet article, et alourdirait beaucoup les fonctions explicatives du renvoi à la notion dont il est censé être le marqueur. L’article zéro-renvoi à la notion devrait rendre compte à la fois d’occurrences qualitatives du nom (travel by plane) et d’occurrences où une interprétation quantitative (une opération d’extraction) est à peu près indiscutable. (There are Ø snakes in your garden).

95Dans le cas de figure évoqué ici, nous admettrons donc :

96a) qu’il y a opposition entre absence et présence d’un article.

97b) que, comme dans d’autres cas sans doute plus clairs, c’est l’absence d’un constituant article qui opère un renvoi à la notion. Il n’y a pas dans la structure syntaxique de « place vide » où l’on pourrait placer un article zéro.

98c) qu’un article, fût-il l’article zéro, ne saurait effectuer qu’une opération sur une classe, ou un ou plusieurs éléments d’une classe, et a donc un caractère quantitatif ou extensif, qui laisse intact le caractère qualitatif de la notion.

99C) Le postulat d’un article zéro n’est concevable que dans des énoncés syntaxiquement très divers, impossibles à recenser, où seul est pertinent le caractère particularisant ou généralisant du contexte ; on observe ainsi :

100– devant un nom dénombrable pluriel :

There were dogs around the house.
Dogs are faithfuL to their masters.

101– devant un nom indénombrable singulier :

(a’) You’ll need money for the journey
(b’] The invention of money made economic life considerably easier.

102Dans les énoncés (a), on trouve des emplois de type « non-générique », où le nom dénote soit un sous-ensemble d’individus (dogs) caractérisé par une propriété situationnelle (repérés par rapport à la situation, en termes culioliens), soit une partie prélevée de la totalité d’une substance (money). Dans les deux cas, nous avons admis une opération d’extraction-prélèvement (marquée en français par l’article indéfini partitif des, du, de la).

103Dans les énoncés (b), on a des emplois de type « générique », où le nom dénote soit une classe (« dogs »), soit la totalité d’une substance (« money »).

104Certaines études énonciativistes contemporaines posent que, dans les deux cas, le nom porte un article zéro. Mais elles divergent quant à l’analyse de cet article zéro et à la façon dont naissent les deux interprétations, générique et non-générique, du nom.

105Celles qui s’inspirent de Culioli postulent un article zéro qui opère un renvoi à la notion, ce qui est sa seule fonction. La distinction entre les interprétations, générique ou non, de l’énoncé repose alors uniquement sur le caractère généralisant ou particularisant du contexte.

106Cette analyse a l’avantage de ne postuler aucune polysémie de l’article zéro.

107Elle soulève pourtant deux objections :

108a) Elle ne fait pas de différence entre d’une part les cas, évoqués ci-dessus, où l’article zéro postulé ne s’oppose à aucun autre déterminant (nom composé, génitif générique, locutions verbales et prépositionnelles) et, d’autre part, les cas où zéro s’oppose à d’autres articles ; dans ce cas seulement on a de bonnes raisons de postuler effectivement un article zéro associé à une opération spécifique, l’extraction. (He could see Ø clouds in the sky / he could see the clouds in the sky).

109b) L’analyse évoquée présente un second inconvénient : faisant systématiquement appel à l’opération de renvoi à la notion, elle ne permet pas de comprendre le parallélisme entre les couples d’énoncés du type de :

(a) There’s a snake in your flower-bed.
(b) There are Ø snakes in your flower-bed.

110En (a), l’article a indique une extraction. En (b), énoncé strictement analogue au premier, à l’exception de la pluralisation, on doit postuler qu’il y a un renvoi à la notion marqué par l’article zéro. Or, on ne voit pas pourquoi il devrait y avoir un renvoi à la notion plutôt qu’une extraction plurielle, dans un environnement syntaxique et une situation d’énonciation identiques à ceux de l’énoncé au singulier. C’est donc la sémantique de l’article zéro qui est en question : il ne peut ici être le marqueur d’un renvoi à la notion. En revanche, dans un contexte particularisant, on a des raisons de penser qu’il signale une extraction multiple.

111Il faut remarquer en outre que la reprise anaphorique fonctionne de la même façon avec (a) et (b) :

(a) There s a snake in your garden. It could be a viper.
(b) There are Ø snakes in your garden.
They could be vipers.

112Or, nous l’avons montré, un nom qui effectue un renvoi à la notion n’admet pas d’être repris par un anaphorique.

113On observe donc ici une autre analogie entre le a indiquant une extraction unique et l’article zéro, indiquant une extraction multiple.

114Les analyses d’inspiration guillaumienne ont également recours à l’article zéro pour rendre compte de l’ensemble des cas d’absence d’un article observable. Elles se séparent de l’approche culiolienne d’une part en ce que l’article zéro n’y est pas décrit comme opérant un renvoi à la notion, d’autre part en ce qu’on y postule non pas un mais deux articles zéro, qui opèrent tous deux sur l’extension donnée à la notion :

115– un article zéro « anti-extensif » apparenté à l’article a. Déterminant d’un nom indénombrable, il est un partitif, et équivaut au partitif français (Ø charme, du charme). Déterminant d’un nom dénombrable pluriel, il est un « indéfini » (marqueur d’extraction-prélèvement), (« I could commit Ø crimes for you »).

116– un article zéro « extensif » orienté vers le générique, correspondant en français à l’article défini. Il détermine un nom indénombrable singulier (« About Ø music, she was purely impersonal ») ou un dénombrable pluriel (« Ø men are weak »).

117Ces deux articles zéro ne peuvent pas être tous deux « sémiologiquement marqués » ; il y a entre eux une identité formelle mais ils marquent deux opérations mentales différentes : ils sont « articulés » sur deux « tensions », deux mouvements sémantiques, le premier orienté de l’universel au particulier (article Ø1), qui livre la signification particularisante de l’article zéro (ainsi que de a) ; le second, orienté, à l’inverse, du particulier à l’universel, qui livre la signification généralisante, celle de l’article Ø2.

118La distinction de deux articles zéro, à la fois apparentés et différents, permet de rendre compte du problème délicat que pose en anglais la polysémie de l’article zéro, générique ou non selon le contexte. Dans le cadre d’une sémantique conçue en termes de mouvements tensionnels, où le système de l’article est constitué de deux tensions orientées à l’inverse l’une de l’autre, on peut en effet, en utilisant le concept de saisie en un point d’une tension, postuler que l’article Ø1 marque une saisie en un point de la tension particularisante, cependant que l’article Ø2 marque une saisie en un point de la tension généralisante.

6. Extraction marquée et extraction impliquée

119L’étude des corrélations formes/sens, comprises comme corrélations entre marqueurs et opérations a fait disparaître les fausses explications telles que les « emprunts » et les « suppressions » arbitrairement postulés ; elle ne permet pas pour autant d’atteindre un système parfait de corrélations bi-univoques : en anglais, tous les articles (sauf the avec pluriel) apparaissent, hors contexte, ambigus entre les sens générique et non-générique, et ne sont interprétables qu’en discours. De plus, les opérations sémantiques, telle l’extraction, ne sont pas nécessairement simples ; elles s’appliquent à des unités différentes pour livrer des produits différents (extraction d’un élément, extraction d’un élément représentatif de la classe, extraction multiple, quantifiée ou non, extraction de tous les éléments de l’ensemble, etc.).

120En français, un et le connaissent la même ambiguïté que leurs équivalents a/an et the. Le principe fondamental qu’à un seul marqueur peuvent correspondre deux ou plusieurs opérations, éventuellement apparentées, et inversement, appliqué à l’extraction, permet de comprendre que des fonctionne comme pluriel de un spécifique, et, d’autre part, éclaire la relation entre de préposition amalgamée à l’article défini (d’où du et des), et de « particule » incluse dans l’article indéfini des (qui reste encore à analyser) : dans les deux cas, la forme « de » marque l’éloignement à partir d’une origine qui est un ensemble lorsqu’il s’agit d’extraction. Plusieurs cas se présentent alors :

121– Si cet ensemble est un ensemble spécifique défini (fléché par la situation ou le contexte), et si, en outre, il y a quantification des éléments extraits, on obtient les structures du type :

deux, (certains, plusieurs) des enfants

122où l’extraction est marquée par de amalgamé à l’article les, et où, en outre, l’ordre syntaxique fournit une image du processus d’extraction (un mouvement du terme de droite au terme de gauche).

123– Si cet ensemble est une classe, et s’il n’y a pas quantification des éléments extraits, on obtient l’article « indéfini » :

Des enfants couraient dans la cour.

124Dans une théorie du type de la grammaire générative, qui représente la phrase comme une séquence de constituants étiquetés, on aurait ici des raisons de postuler un quantificateur zéro, en opposition stricte aux quantificateurs indéfinis et numéraux, et marquant une quantification totalement indéfinie :

Ø des enfants couraient dans la cour.

125Une autre analyse consisterait à utiliser le concept d’opération impliquée par une autre, au sens où l’on dit qu’une opération de fléchage sur une occurrence notionnelle implique une première détermination opérée sur cette occurrence. La quantification « totalement indéfinie » serait impliquée par des, qui ne marque qu’une extraction.

126– Si cet ensemble est une classe, et s’il y a une quantification des éléments extraits, on obtient par exemple :

Trois (plusieurs) enfants couraient dans la cour.

127Il y a absence du marqueur de, et on admet que les quantificateurs (comme les articles un et a/an), dans cette configuration, où ils précèdent un nom pluriel, fonctionnent comme indiquant une extraction sur l’ensemble <enfants>. Comme on l’a remarqué plus haut, l’équivalence de surface entre ces deux types d’opérateurs, de d’une part, qui marque l’extraction, les quantificateurs d’autre part, qui l’impliquent, est manifestée par la relation sémantique entre :

(a) Je vois trois enfants qui courent dans la rue.
(b) (... des enfants ...) J’en vois trois qui courent dans la rue

128La relation entre (a) et (b) serait expliquée en termes générativistes au moyen d’un de et d’un article sous-jacents en (a) (*trois de les enfants), et d’une transformation d’effacement de ces deux unités. En (b), la pronominalisation du groupe de + N à partir de la forme sous-jacente livrerait le clitique en.

129Dans l’optique sémantique énonciative, on se doit de même de rendre compte du rôle des quantificateurs (trois enfants) et de la forme un (un enfant), et, d’autre part, du surgissement du c1itique en intrinsèquement lié à de, dans une structure où a lieu une extraction (J’en vois un [d’enfant]) : le c1itique en marque une extraction qui n’est pas marquée, mais impliquée par l’élément quantificateur, l’article un, dans Je vois un enfant. Malgré la parenté étymologique entre en et de, (tous deux sont liés au latin inde), il n’y a plus entre eux de relation qui doive être représentée par une règle morpho-syntaxique de type transformationnel, mais une relation d’équivalence sémantique : tous deux signalent la même opération d’extraction.

130L’opération marquée par le de traditionnellement appelé « particule » est assez facilement définissable : l’extraction a un caractère mathématique, apparenté à la soustraction. Cette situation est la plus favorable : d’un côté, on identifie bien un même marqueur de à travers des constructions, et sous des appellations traditionnelles différentes, cependant qu’une même opération bien définie est corrélée au marqueur ; elle porte sur des unités différentes, et livre donc des résultats différents en surface, mais dont l’opération d’extraction rétablit l’unité : la relation forme/sens (marqueur/opération) se présente ici sous son aspect le plus convaincant.

131II n’en est malheureusement pas toujours ainsi : dans tous les cas où de est traditionnellement une « préposition », il devient le marqueur d’opérations de moins en moins bien rattachées à l’éloignement et l’extraction : dans la caractérisation, comme dans les jeux des enfants, on peut considérer que le mouvement de détermination, qui se fait de l’élément de droite (le repère) : les enfants vers l’élément de gauche, les jeux, est encore apparenté à un éloignement. Mais il semble difficile de prétendre ramener l’immense variété des emplois du de français (ou du of anglais) à une valeur profonde unique. Si on y renonce, il ne reste qu’à chercher une autre valeur sémantique invariante, nécessairement plus profonde, donc plus abstraite, ou à admettre une polysémie du marqueur, corrélé dès lors à deux ou plusieurs opérations sémantiquement plus ou moins manifestement liées les unes aux autres. On reconnaît là les problèmes dont traitent beaucoup de recherches sémantiques contemporaines, caractérisées par le principe de stabilité sémantique des formes grammaticales (des marqueurs), stabilité qui n’exclut pas une malléabilité inévitable : il y a souvent, comme dans les cas de de et of, plus d’opérations, ou de variétés d’opérations, qu’il n’y a de marqueurs à corréler avec elles.

7. Absence et place non instanciée

132Une des idées essentielles qui se sont imposées à nous est la nécessité de distinguer, dans le système de l’article, deux types d’absence observable : l’absence qui, à partir d’une époque récente, a été représentée par l’article zéro (« There are Ø bottles in the cellar, there was Ø blood on the carpet ») et l’absence de tout déterminant, qui marque le renvoi à la notion (« He came by car ; he became Vice-President »). L’article zéro, les formes zéro en général, ne se justifient que si elles sont en opposition avec des formes observables, dont l’occurrence possible atteste la présence d’une place syntaxique dans la séquence observée. Dans ce cas seulement, on peut postuler, selon le cadre théorique utilisé, l’existence d’un constituant représenté par une forme zéro, ou d’une place d’argument non instanciée, que l’on devra marquer au niveau approprié, mais marquer comme vide.

133L’absence pure et simple d’article a souvent été assimilée à un article zéro, à partir du moment où cette notion a été utilisée. Elle a même paru disparaître totalement : dans plusieurs études d’inspiration culiolienne (Bouscaren et Chuquet, op. cit., 1987, Souesme, 1992, p. 176), on demande à l’article zéro de rendre compte de toutes les absences observables d’article, considérées comme le premier degré de détermination dans la séquence Ø, a/an, the, y compris celles que l’on décrit comme marquant un « renvoi à la notion ».

134En résumé, on peut affirmer que l’absence « réelle » d’article n’a que rarement été prise en considération et analysée.

135A une époque toute récente, la notion de forme zéro, dont un usage sans doute excessif avait été fait, a été l’objet d’un ré-examen critique qui remet en question son utilité, notamment dans la théorie culiolienne (Théorie des Opérations Enonciatives, ou T.O.E.) (voir en particulier les Travaux linguistiques du Cerlico, n° 9 et 10).

136Une première critique de la notion de déterminant zéro, évoquée par Chuquet et Deschamps (1997, pp. 43-68), formulée par Picabia (1987), serait que cette notion est ambiguë : elle recouvrirait soit une absence « vraie », soit la présence d’un « vide ». Il est assez clair que cette ambiguïté, qui se rencontre en effet dans certains travaux, n’apparaît que si le linguiste n’a précisément pas fait la différence entre les deux phénomènes dont il s’agit, et utilise Ø pour représenter indistinctement tous les cas d’absence observable d’article. Mais alors, la faute n’en incombe pas à l’outil conceptuel d’article zéro, mais à l’usage qui en est fait.

137Le terme même de « marqueur zéro » fait l’objet de la part de Chuquet et Deschamps (op. cit.) d’une critique qui est, dans un premier temps, radicale ; le concept même de « marqueur zéro » leur semble une « contradiction dans les termes », idée qu’ils appuient sur une conception textuelle du marqueur : par « marqueur », il faut entendre « une trace matérielle qui a une réalisation phonétique, prosodique et souvent écrite ». Contre cette définition, on pourrait sans doute maintenir la définition structuraliste du morphème zéro, fondée sur l’idée que ne rien écrire à une place syntaxique où l’on s’attend à trouver un élément extrait d’une liste finie, (comme c’est le cas pour les articles), c’est encore « écrire », ou du moins « représenter » quelque chose. C’est d’abord à cette conception de la marque zéro que s’attaquent Chuquet et Deschamps, mais c’est aussi à l’idée que l’article zéro, par exemple, est un article qui a une existence textuelle comme les autres. Ils rappellent la distinction de Culioli entre trois niveaux de représentation :

138– le niveau 1, celui des représentations mentales, auquel nous n’avons pas directement accès.

139– le niveau 2, qui est celui du texte.

140– le niveau 3, qui est celui de la représentation métalinguistique construite par le linguiste pour proposer une simulation des opérations qui conduisent à la production du niveau observable, le texte.

141Chuquet et Deschamps font remarquer, à juste titre, qu’une éventuelle forme zéro ne peut avoir sa place qu’au niveau 3, distinction que la linguistique structuraliste ne fait pas. Ils admettent d’ailleurs, suivant Culioli, qu’une opération peut « ne pas être marquée du tout », ou « être notée par d’autres marqueurs à un autre niveau ».

142La notion de marqueur doit en effet être comprise de façon « large », et ne pas être assimilée à celle de morphème. Nous en donnerons un exemple, qui touche au problème de la détermination nominale. Si l’on met en regard les deux expressions un pont de pierre et a stone bridge, on considérera à coup sûr qu’en français, la détermination apportée par pierre à pont a pour marqueur la préposition de, que l’on peut ici rattacher sans trop de difficultés à une signification invariante qui serait 1’« origine ». En anglais, on a des raisons de penser que la même opération sémantique a lieu, mais qu’elle est marquée par l’antéposition de stone à bridge. Aucun marqueur zéro défini en termes classiques ne pourrait être postulé ici pour représenter le repérage de bridge par stone. (On sait que la notion structuraliste de « morphème d’ordre » n’a pas donné lieu à des développements fructueux).

143De façon générale, il est vrai que la notion de forme zéro, même comprise comme un outil métalinguistique de niveau 3, ne saurait être considérée comme le représentant unique, ou même privilégié, de l’absence de marqueur à une place dont l’existence dans une structure d’énoncé est garantie par l’ensemble de la théorie (pour un examen critique détaillé de la notion de morphème zéro. voir notamment Miller, 1977). La grammaire générative dispose, pour représenter les places vides que génèrent ses règles, de plusieurs notations, comme le symbole PRO, qui signale une place vacante, (mais qui pourrait, au moins dans certains cas, être remplie, ainsi celle du SN sujet des infinitives, « We expected [PRO – to be welcome] »). La théorie des opérations énonciatives, plus sobre à cet égard, dispose de la notation par parenthèses vides pour marquer une place d’argument qui, pour des raisons diverses, n’est pas instanciée dans le texte : places vides instanciables, comme celle du « sujet » des infinitives (<They all wanted < ( ) to attend the meeting ») ; vidage d’une place dans une structure gérondive : I remember visiting Florence, représenté, au niveau métalinguistique par : < 1 remember - < ( ) visiting Florence> >. Les places vides ainsi représentées ne créent pas de « vide sémantique », car elles sont déterminées (repérées) par un terme de l’énoncé ou, dans les autres cas, donnent naissance à une valeur générique (< < ( ) trespassing > will be prosecuted >).

144On peut ainsi conclure qu’en théorie des opérations énonciatives les parenthèses vides, marquant une place vide qui est repérée par un terme du contexte, rendent inutile le recours aux formes zéro. Dans le cas de l’article, le problème est de savoir si le repérage de la place d’article vide peut être décrit dans les mêmes termes.

145Chuquet et Deschamps (op. cit., p. 52) écrivent, de façon surprenante, que, dans la séquence de déterminants Ø, a/an, the, Ø n’apporte rien de plus « que ce qui est fourni par le nom seul » : il n’y aurait pas de différence entre N et Ø N. Or, on peut assurément envisager une autre notation que l’article zéro (parenthèses vides, ou même absence totale de marqueur, cette lacune étant « absorbée » par la représentation textuelle). Mais, quelle que soit la représentation métalinguistique adoptée, il reste à la fois nécessaire et possible de distinguer cette place vide d’article de l’absence de place d’article, c’est-à-dire Ø N de N seul.

146Si l’on adopte la notation par parenthèses vides, pour un énoncé comme Passers-by were hurrying along the dark streets, on donnera la représentation :

< ( ) passers-by – be hurrying along the dark streets >

147où la place vide peut être considérée comme repérée par un terme complexe qui est le contexte, lui-même repéré par rapport à la situation d’énonciation, d’où la signification spécifique (produit d’une extraction multiple) de l’article absent.

148Pour marquer le renvoi à la notion, qui nous a paru être en corrélation bi-univoque avec l’absence de place d’article, on représentera l’énoncé He wanted to become fighter-pilot par :

< He wanted <) – become fighter-pilot > >

149où les seules parenthèses vides à repérer sont celles du sujet de l’infinitive.

150On peut conclure, à propos de l’article zéro, que ni son utilité, ni sa place ne font l’objet d’un consensus parmi les linguistes contemporains.

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Bibliographie

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Notes

1 Les formes uns, unes, étaient usitées au Moyen Age et encore au XVIe siècle (cf. Grevisse, op. cit. p. 262). Quant à la forme des, Grevisse, citant Brunot et Bruneau (1956), signale brièvement son emploi, presque disparu, comme « pur partitif », c'est-à-dire, non interprétable comme « indéfini pluriel » devant des pluriels essentiels (Manger des confitures, au sens de « de la confiture »).

2 La relation entre je vois une vitre et j'en vois une [de vitre] n'est pas aperçue, ou du moins n'est pas signalée. Elle conduit naturellement à s'interroger sur l'éventuelle présence « sous-jacente » d'un de dans le groupe une vitre. La grammaire générative a étudié cette relation, et ses outils théoriques de structure sous-jacente et de transformation permettent de la représenter d'une façon au moins cohérente au moyen des transformations :
a) * une de Ø vitres  une vitre (effacement de de au contact de l'article zéro),
b) *Je vois une de Ø vitres ➝ J'en vois une (pronominalisation de de+N par un clitique, dont la relation à de est connue).
Une analyse de ce type ne peut évidemment être acceptée que si l'on admet le cadre théorique transformationnel lui-même, mais elle a au moins le mérite de poser le problème des différents marqueurs, simples ou complexes, de l'opération de prélèvement, au sens qu'on lui connaît aujourd'hui, après Guillaume et Culioli. Il appartient ensuite à chaque théorie d'expliquer que, dans un cas, le prélèvement puisse être marqué par de (précédé d'un terme quantifiant, « une des vitres »), dans l'autre, par le terme quantifiant seul, (une vitre, plusieurs vitres, etc.).

3 Guillaume (1964, p. 175), cité par Joly & O'Kelly (op. cit., p, 415), montre que le rôle de la préposition de est le même dans le cas de l'« indéfini » des et des « partitifs » du et de la. Il critique la méthode traditionnelle qui consiste à « définir une forme d'après son emploi dans le discours » et non « en se référant aux opérations de pensée qui ont présidé à sa formation en langue ». On est ainsi conduit non seulement à refuser toute opposition entre 1'« indéfini » des et les « partitifs» du, de la, mais encore à les ranger tous trois dans la catégorie des « partitifs » (des marqueurs d'extraction-prélèvement) -– ce qui fait passer au second plan l'opposition défini/indéfini, longtemps considérée comme dominante dans le système de l'article.
Le caractère « indéfini » des individus (objets, personnes) dans un cas, et des quantités d'une substance dans l'autre cas, apparaît ainsi comme une conséquence de la nature de l'opération elle-même.

4 L'introduction des concepts d'opérations sémantiques corrélées à des marqueurs ne dispense pas d'une étude minutieuse des variétés d'une même opération, ni des modifications, notamment contextuelles ou, parfois, supra-segmentales qui affectent corrélativement les marqueurs eux-mêmes. De est à la fois le même et différent dans tous les « emplois » évoqués plus haut. La tendance naturelle des linguistes est ainsi de rechercher des opérations uniques qui puissent expliquer la diversité d'un ensemble d'apparences. Elle est aussi de corréler cette opération abstraite à un seul marqueur, les corrélations biunivoques entre opérations et marqueurs étant les plus satisfaisantes (On sait que la thèse selon laquelle, de deux théories équivalentes du point de vue prédictif, la plus simple est la meilleure était déjà généralement acceptée en grammaire générative).

5 Il faut signaler cependant, pour l'anglais, que Quirk et alii (1972) font reposer leur étude de l'article sur l'opposition fondamentale « référence spécifique» / « référence générique » (p. 147 sq.). Cette approche du problème de l'article a pour seul intérêt de mettre en évidence que la « référence spécifique » peut être « indéfinie » (notion pour le moins problématique) (a radio-set) ou « définie » (the radio-set), et que la référence générique peut s'exprimer, dans le cas de certains noms dénombrables, de trois façons différentes : The tiger / a tiger is a dangerous animal ; tigers are dangerous animals. Le bref paragraphe consacré à l'article ne propose aucune analyse sémantique des termes théoriques (défini, indéfini, spécifique, générique, ni même du terme essentiel de « référence »). En particulier, rien n'est dit des diverses façons d'opérer une « référence générique ».

6 Le type de propriété générale intervient également ici (cf. sur ce point Bouscaren et Chuquet, op. cit., p. 88) :
[ ... ] l'article a/an ne permet le renvoi à la classe que si la propriété attribuée à l'élément extrait et donc à la classe est « constitutive », ce qui est le cas en (a), (b) et (c), Mais on a d'autre part :
The nightingale tends to become extinct.
*A nightingale tends to become extinct.

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Pour citer cet article

Référence papier

René Rivara, « 10. L’article à travers quelques théories linguistiques  »Modèles linguistiques, 41 | 2000, 115-141.

Référence électronique

René Rivara, « 10. L’article à travers quelques théories linguistiques  »Modèles linguistiques [En ligne], 41 | 2000, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/1458 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.1458

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Auteur

René Rivara

Université de Provence

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