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AccueilNuméros413. Saussure, Barthes, Greimas

Texte intégral

  • 1 Barthes, de santé très fragile, a fait des études supérieures relativement tardives qui lui ont int (...)
  • 2 Ces renseignements bio-bibliographiques viennent pour Barthes de Barthes 1975 et pour Greimas de Ch (...)

1Alexandrie, 1949. A l’Institut de Français de la Faculté des Lettres arrivent deux jeunes professeurs. Roland Barthes a 34 ans, Algirdas-Julien Greimas en a 32. Ils poursuivent l’un et l’autre une carrière universitaire qui, pour longtemps encore, sera semée de difficultés et d’embûches. C’est qu’entre plusieurs traits com­muns, ils en ont un fortement négatif : ils ne sont pas agrégés1. A l’époque, c’est un handicap à peu près insurmontable pour une carrière universitaire normale en France. Barthes vient de Bucarest, où il a exercé les fonctions très modestes d’aide-biblio­thécaire à l’Institut Français, avant d’y donner quelques cours. Greimas vient de Paris, où il a exercé quelque temps au CNRS les fonctions, également très modestes, de stagiaire de recherches2.

2Barthes a déjà publié quelques brefs articles, notamment sur Gide et Camus : on peut y trouver l’embryon de ce qui deviendra, quelques années plus tard, Le degré zéro de l’écriture. Greimas, après avoir écrit quelques notules en li­thuanien, vient tout juste d’obtenir le Doctorat d’Etat français, pour deux thèses soutenues en 1948 à la Sorbonne, sous la direc­tion de Charles Bruneau et Robert-Léon Wagner.

3La rencontre aléatoire de ces deux jeunes professeurs dans une université égyp­tienne sera de la plus haute importance pour le développement de cette discipline au double nom – à moins qu’il ne s’agisse de deux disciplines ? – la sémiologie et la sémiotique. Je fais appel ici au témoignage de Greimas lui-même, tel que je l’ai entendu en 1983, lors du colloque qui lui était consacré à Cerisy-la-Salle. Je l’interrogeais sur la « date et les modalités de sa pre­mière lecture de Hjelmslev », et il me fit la réponse suivante :

On entre ici dans la chronologie, selon Ricœur, et je vous avoue que je suis très faible en la matière ! Je n’arrive pas à me souvenir du moment de ma rencontre avec Hjelmslev. Je ne sais pas si c’est Barthes qui m’a dit que c’était important, ou si c’est moi qui l’ai dit à Barthes. A l’époque, nous travaillions de conserve et nous nous communiquions tout ce qui nous semblait important, tout ce qui pouvait nous permettre de nous accrocher, de nous lancer dans l’analyse. C’est incroyable à quel point c’était difficile ! (Arrivé et Coquet, 1987a, p. 303).

4Je crois utile de m’arrêter quelques instants sur ce bref fragment d’autobiographie intellectuelle, pour en souligner trois traits :

51. Des deux amis de l’époque, Greimas sera, à ma connaissance, le seul à évoquer cette longue période de travail commun – car elle dépassera largement la période, très brève (l’année universitaire 1949-1950), de leur séjour commun à Alexandrie. Dès 1950, Barthes revient, en raison de sa santé fragile, à Paris, à la Direction Générale des Relations Culturelles. Greimas restera à Alexandrie jusqu’à 1958, date de sa nomination à Ankara. Mais ils se rencontrent périodiquement, pendant les vacances à Villefranche, plus rarement à Paris. Greimas évoque de façon très pittoresque leur visite à Martinet, sous la direction de qui Barthes songeait alors – aux alentours de 1956 ou 1957 – à élaborer sous la forme d’une thèse le livre qui allait finalement paraître, en 1967, sous le titre Système de la Mode (Greimas, 1987a, p. 303-304). Je n’hésite pas à citer ce fragment très caractéristique de l’attitude de Greimas, à la fois joviale et caustique – il avait une sainte horreur de Martinet – sans oublier la rigueur épistémolo­gique ni l’in­sis­tance sur la genèse de la sémiotique :

  • 3 On remarquera à quel point l’évolution de la mode féminine – avec la substitu­tion généralisée du c (...)

Quand nous sommes allés chez Martinet, avec qui Barthes voulait inscrire sa thèse, Barthes lui a posé la question : « D’après vous, quel est le lieu le plus significatif de la mode féminine ? » Évidemment, pour Martinet, c’était les jambes. Cette histoire de jambes était tout un programme : comment une atti­tude sémiotique peut se détacher de l’observation. Barthes a dit : « Mais qu’est-ce que je peux faire avec la jambe, ça n’a que trois catégories sémiques : avec ou sans bas, avec ou sans couture, avec ou sans talon, c’est tout ?3 […] ». Le démar­rage de la sémiotique, c’est dans de tels événements qu’il se produit.

  • 4 Il le cite de loin en loin, par exemple dans les Éléments de sémiologie, dont une note (1964, p. 10 (...)

6 Avant 1983, Greimas avait déjà consacré à Barthes une brève no­tice nécrologique, à la fois lucide, ambiguë, et émouvante (Greimas, 1980). Inversement, Barthes, à ma connaissance, a constamment ob­servé un silence à peu près total sur Greimas4. En tout cas, le nom de Greimas n’apparaît pas dans la liste de ceux qui ponctuent le tableau des « Phases » de Roland Barthes par Roland Barthes (1975, p 129). Barthes semble bien avoir privilégié les noms les plus « visibles », et, pour les vivants, les plus médiatiques : Greimas et Hjelmslev sont absents, Lacan et Saussure sont présents…

  • 5 Greimas évoquera en quelques lignes amusantes et émues le souvenir de ce séjour à Alexandrie dans l (...)

72. L’« incroyable difficulté » évoquée par Greimas étonnera sans doute les cher­cheurs d’aujourd’hui, et surtout les plus jeunes d’entre eux. C’est qu’ils se repré­sentent mal les conditions de la réflexion linguistique – car on ne parle en­core qu’allusivement de sémiologie et pas du tout de sémiotique – en ces an­nées d’im­mé­diat après-guerre. Saussure, certes, n’est pas aussi inconnu que Greimas se plaira un peu plus tard à le dire (voir plus bas). Mais Hjelmslev est à peine un nom pour les linguistes français : l’article de Martinet (1942-1945) vient tout juste de le faire connaître aux membres de la Société de Linguistique de Paris. Traduits, assez confidentiellement, en anglais dès 1943, les Prolégomènes, après l’échec in extremis d’un premier projet réalisé par Togeby et supervisé par Martinet (Arrivé, 1982a et b, Hjelmslev 1985), ne se­ront finalement publiés en français – de façon d’abord très déce­vante – qu’en 1968, puis en 1971. Les revues françaises se comp­tent sur les doigts de la main. Les Colloques sont rarissimes, et il faudra attendre 1960 pour que la création de la SELF permette de fructueuses rencontres mensuelles entre les jeunes linguistes de l’époque : Greimas y fera la première communication, en octobre 1960, sur le syntagme nominal. Barthes attendra le 14 novembre 1964 pour parler de la rhétorique (Arrivé, 1982c). Ajoutez à cela le supplément de difficulté que constitue pour les deux jeunes pro­fesseurs leur exil égyptien : vous comprendrez l’immensité des ef­forts qu’ils ont consentis5.

  • 6 J’en viens, aujourd’hui, à m’interroger sur cet « oubli ». Il tenait sans doute au fait que je cons (...)
  • 7 Est-ce le même Hjelmslev pour Barthes et pour Greimas ? La question, naturellement, se pose. Mais c (...)

83. Conformément à la lettre de ma question – qui occultait Saussure6 – Greimas ne m’a répondu, en 1983, que pour Hjelmslev. Certes, le poids de Hjelmslev est déterminant, chez Greimas comme chez Barthes7. Mais Hjelmslev ne serait pas Hjelmslev sans celui qu’il désigne lui-même, de la façon la plus explicite, comme « le seul théoricien [qui] mérite d’être cité comme un devancier indiscutable : le Suisse Ferdinand de Saussure » (Hjelmslev, 1971, p. 14). Greimas lui-même, d’une façon qui risque d’étonner, hiérarchise, en un point de son exposé, les deux apports en faveur de Saussure :

Finalement, bien plus important, la découverte de Saussure que nous avons faite en commun avec Barthes – Saussure puis Jakobson, Levi-Strauss, et Hjelmslev ensuite (Greimas, 1987a, p. 304).

9Oui, la prééminence accordée en ce point à Saussure étonne. Car elle fait appa­remment contraste avec d’autres propos tenus peu après dans le même entretien :

Ce que dit Saussure à propos de la sémiologie, c’est intéressant évidem­ment, mais c’est anecdotique ; ça fait deux phrases (1987 a, p. 306).

10Contradiction ? Sans doute pas. Greimas, à ma connaissance, n’a jamais prêté attention à la recherche sur la légende (d’ailleurs en­core mal connue en 1983) et à la sémiologie qu’elle met en place. La sémiologie saussurienne qu’il vise, c’est celle du CLG : à peine plus de deux phrases, c’est vrai (précisément quatre). Et surtout des champs d’intervention modestes, trop modestes : les signaux militaires, par exemple, et quelques autres objets dont je parlerai tout à l’heure. Rien que de programmatique sur la méthode et sur les rapports de la future science avec la linguistique, la seule pro­position que les lois qu’elle « découvrira seront applicables à la lin­guistique » (p. 33). En somme on comprend que Greimas puisse se laisser aller à ce propos négatif :

[…] on ne peut pas faire de la sémiologie avec ça, pas plus que de la sémiotique d’ailleurs (ibid.).

11Est-ce à dire que Greimas récuse à Saussure tout autre intérêt qu’anecdotique ? Que non pas. Mais il saisit son importance au plan de la linguistique, et revient pour cela au premier Saussure, celui du Mémoire sur le système primitif des voyelles en indo-européen :

Ce qui est capital dans l’œuvre de Saussure, c’est son Mémoire, et la façon dont il a résumé tout le xixe siècle dans le comparatisme linguistique : c’est son idée de traiter un système comme un ensemble de corrélations. C’était déjà de la sémiotique. Le grand Saussure, il est là (ibid.).

12Selon ce texte, Saussure est sémioticien quand il est linguiste et ne parvient pas tout à fait à l’être quand il se veut sémiologue. Au-delà du conflit terminologique entre sémiologie et sémiotique – je n’en parlerai pas ici – la dialectique est subtile. Le ren­versement a pour fonction de mettre la notion de système – ensemble de corrélations – au centre du noyau commun à la linguis­tique et à la sémiotique : là, et là seulement, Saussure est fondateur, mais par le Mémoire plutôt que par le Cours.

13Ne l’oublions pas : Greimas tient ces propos en 1983. La sémiologie-sémiotique a déjà derrière elle une longue histoire, cer­tains diraient sans doute l’essentiel de son histoire. C’est sur cette histoire – et, j’ose le dire, sur sa préhistoire – qu’il faut maintenant revenir : le rôle effectivement tenu par Saussure n’y est peut-être pas exacte­ment conforme à celui que Greimas lui assigne après coup. Il convient donc d’éclairer la façon dont Barthes et Greimas, avant même la mise en place de la discipline, ont reçu l’enseignement de Saussure et en ont tenu compte dans leurs réflexions, d’abord communes, puis de plus en plus divergentes.

14On l’a aperçu plus haut à deux reprises : Greimas avait horreur de la chronologie et de l’anecdote, formes à ses yeux dégra­dées de l’histoire. D’une façon générale, je partage cette aversion. Il m’apparaît ce­pendant que pour étudier la question que nous nous posons, le seul moyen raisonnable sera de s’en tenir à la chronologie : elle nous permettra de suivre avec autant de préci­sion que possible tant les approfondissements obstinés du travail de Greimas que les élégantes sinuosités de la réflexion de Barthes. Qu’on se rassure toutefois : je ne suivrai pas Saussure à la trace dans tous les travaux de Barthes et de Greimas, jusqu’à la fin de leur carrière – et de leur vie. J’insisterai sur les premiers : parfois peu connus, surtout pour Greimas, ils marquent de façon alternativement spectaculaire et ambiguë l’entrée en scène du saussurisme. Après, on entre dans un champ à la fois plus facile d’accès pour le lecteur et, pour les auteurs, plus explicite. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas poursuivre mon enquête au-delà de la période 1954-1957. Ce sont pour Barthes les années de l’élaboration de Mythologies et, pour Greimas, celles d’une longue méditation saussuro-hjelmslevienne qui le conduira, dès 1956, à la publication d’un article capital : « L’actualité du saussurisme ». Mais je ne m’in­terdirai naturellement pas de faire proleptiquement allusion à plu­sieurs travaux ultérieurs des deux auteurs.

Premier tableau greimassien : les deux thèses de 1948

  • 8 Il semble bien qu’en réalité les deux thèses aient été effectivement « dirigées » – dans la mesure (...)

15Avant Barthes, Greimas s’était intéressé à la mode. Mais point à celle du présent : celle qui l’intéresse, c’est la mode de 1830. Sous la direction respective de Charles Bruneau et de Robert-Léon Wagner8, il prépare et soutient deux thèses, comme il était obligatoire à l’époque pour obtenir le titre de docteur ès lettres, ou docteur d’Etat. La thèse principale est intitulée La Mode en 1830. Essai de description du vocabulaire vestimentaire d’après les journaux de modes de l’époque. La thèse complémentaire porte sur Quelques reflets de la vie sociale en 1830. Elles restent l’une et l’autre inédites, jusqu’à ce que se réalise – sans doute assez pro­chainement – un projet d’édition qui leur joindra les articles sur le saussurisme (1956) et sur les indéfinis (1963).

  • 9 On repère l’ombre d’une contradiction entre le témoignage de 87 (en réalité 83) cité plus haut et (...)

16Où en est l’imprégnation saussurienne de ces deux thèses ? On peut s’attendre à ce qu’elle soit faible : de son aveu même, Greimas, à cette époque pré-alexandrine ne lit pas Saussure, ou commence tout juste à le lire9. Et pourtant, son travail présente, de façon aussi explicite que possible dans la for­mulation et de façon aussi conti­nûment rigoureuse que possible dans la mise en œuvre, un trait saussurien : la distinction entre les points de vue « historique » et « statique » :

  • 10  Pour cet ouvrage de Greimas, les indications de pages renvoient à un exemplaire dactylographié en (...)

Évitant autant que possible le point de vue historique, et ne désirant réaliser qu’une description statique d’un état de langue donné, nous n’avons at­taché qu’une importance secondaire au maniement des dictionnaires (La Mode en 1830, p. 9-10)10.

17De cette prise de parti découle immédiatement une pratique suivie de façon absolument homogène : à quelques rarissimes exceptions près, le corpus utilisé par Greimas comporte exclusivement des segments de la « saison de mode » 1829-1830. Rigueur qui lui sera reprochée, après coup, par Matoré lui-même (1953, p. 118).

18On l’a aperçu : si, sur ce point, Greimas campe déjà sur des positions rigou­reu­sement saussuriennes, il n’utilise pas la termino­logie spécifique du CLG – à laquelle recourra Matoré dans la critique qui vient d’être citée :

La délimitation de son sujet a posé un problème à M. A.-J. G. qui, ayant adopté la distinction introduite par Saussure entre la synchronie et la diachro­nie, a conçu son travail comme une œuvre statique (1953, p. 118).

19C’est un fait en tout cas que le nom de Saussure n’est, si j’ai bien lu, jamais cité dans aucune des deux thèses de Greimas. On peut, certes, s’ingénier à leur trouver une filiation saussurienne. Il faut pour cela marquer qu’elles s’inscrivent explicitement dans le projet de renouvellement méthodologique de la lexicologie auquel Greimas travaille alors avec Matoré : le lexique est une composante de « la langue, produit social » (p. 13). C’est là, sans doute, un écho des positions saussuriennes sur la « nature sociale » (CLG, p. 112) de la langue. Mais écho fortement indirect. Pas plus que Saussure, Meillet n’est cité dans la bibliographie, et certaines des références principales du travail (notamment Darmesteter, dont La vie des mots [1887] semble avoir fortement marqué le jeune chercheur) sont largement présaussuriennes.

20Sur d’autres points, certaines positions théoriques de l’auteur s’éloignent très fortement des postulats du saussurisme. Ainsi Greimas réclame hautement la prise en compte de ce qui ne s’ap­pelle pas encore le référent :

En nous livrant à la description objective d’un domaine défini, compris presque complètement dans la notion de costume et recouvert par le concept d’« élégance vestimentaire », nous avons voulu nous tenir le plus près possible des choses : prendre pour point de départ le monde des réalités et non celui des mots (La mode en 1830, p. 8).

21On est là à l’opposé absolu de la théorie du référent, ultra-saussurienne, que Greimas produira – il est vrai trente ans après – dans le Dictionnaire (Greimas et Courtés, 1979 sv référent). Bien sûr, il ne serait peut-être pas impossible de s’inter­roger sur ce qu’il en est vraiment, dans l’une et l’autre thèses, de ces « choses » dont parle Greimas : ne sont-elles pas déjà structurées par les systèmes lexicaux qui les prennent en charge ? Mais Greimas lui-même, après coup, découragera cette interrogation. En 1983, il ne tirera de « [s]on passage par la lexicologie que la fonc­tion stimulante de l’échec » (1987a, p. 302).

Premier tableau barthésien : Le degré zéro de l’écriture

22Barthes publie en 1953 son premier livre, qui reste sans doute l’un des plus difficiles. En 1980, Greimas rappellera que, consultant le « dossier de presse » de l’ouvrage – ouvert, à sa de­mande, par Barthes – il s’est « aperçu que dans ce chœur discor­dant d’éloges, personne – à part peut-être Pontalis, et encore – n’avait compris le projet sous-jacent à son texte » (1980, p. 4). Ce projet, Greimas le décrit en deux mots : « la dichotomie de l’écriture et du style, homologable avec celle de culture/nature, constitue déjà l’un des principaux axes de sa réflexion » (ibid.).

23Il est vrai que le concept d’écriture n’est pas facile à cerner et moins encore à maîtriser. Entre les deux nécessités, au même titre naturelles (mais de façon différente) que sont pour l’écrivain la langue et le style, produits « naturels » du temps et de la per­sonne, elle constitue une autre réalité formelle, fonction et non objet :

Elle est le rapport entre la création et la société, elle est le langage litté­raire transformé par sa destination sociale, elle est la forme saisie dans son in­tention humaine et liée ainsi aux grandes forces de l’histoire (1953-1972, p. 14).

  • 11  A cette époque, Barthes se réclame explicitement du marxisme. A peine deux ans plus tard, en juill (...)

24Où trouver l’influence de Saussure dans ses mises en place théo­riques où se repère plus aisément l’impact du marxisme11 ? A mes yeux, l’imprégnation saus­surienne – non encore, à cette époque ancienne, relayée par la glossématique hjelmslevienne – est à la fois diffuse et profonde. Elle tient dans la duplicité même de la notion d’écriture. Fonction, certes, mais dans sa production, elle devient signe sitôt produite, et signe au sens précisément saussurien du terme :

L’identité formelle de l’écrivain [autre nom de l’écriture, MA] ne s’établit vérita­blement qu’en dehors de l’installation des normes de la grammaire et des constantes du style, là où le continu écrit, rassemblé et enfermé d’abord dans une nature linguistique parfaitement innocente va devenir enfin un signe total (ibid.).

  • 12  Discret, comme à son habitude, sur ses sources linguistiques, Barthes se contente de faire allusio (...)

25Pour prendre un exemple, l’« écriture blanche » – autre nom du « degré zéro de l’écriture »12 – illustrée notamment par L’Étranger de Camus, constitue un signe total, pourvue d’une collection dis­persée de signifiants (au premier rang desquels l’emploi exclusif du passé composé aux dépens du passé simple systématiquement effacé) et d’un signifié global que Barthes décrit comme « la façon d’exister d’un silence » (1953-1972, p. 56).

26Mais on voit en même temps que le « signe » dont il est ques­tion ici est déjà un signe de second niveau, pourvu à titre de signi­fiant des signes fournis par l’« horizon de la langue ». Pour ces signes feuilletés, Saussure – en tout cas le Saussure du CLG, le seul à être connu à cette époque – ne fournit pas immédiatement d’instrument de travail. C’est ce qui expliquera la migration progressive de Barthes vers Hjelmslev, qui lui livrera d’abord les métalangages, ensuite les langages de connotation. Je reviendrai sur cette chronologie.

27On aperçoit aussi que le concept d’écriture, d’abord défini en opposition au style, finit insidieusement par le rencontrer. En té­moigne ce segment de l’analyse de L’Étranger :

Cette parole transparente, inaugurée par L’Étranger de Camus, accomplit un style de l’absence qui est presque une absence idéale de style (1953-1972, p. 56).

28On voit à quelle point la terminologie – et l’appareil conceptuel qu’elle recouvre – est glissante : la « parole transparente » semble bien, paradoxalement, désigner l’« écriture blanche » alléguée plus haut : pressentiment furtif de ce qu’il y a toujours d’écrit dans toute parole ? Ou d’oral dans tout écrit ? Surtout l’écriture « accomplit » le style, au point, on l’a compris, de s’accomplir en lui, et de retrouver par-là cette « voix décorative d’une chair incon­nue et secrète » (p. 12). Ici, Greimas, légitimement, tendra l’oreille… (voir plus bas).

Second tableau greimasien : « L’actualité du saussurisme » (1956)

  • 13  Ici, un petit mystère : pourquoi diable Gougenheim se réfère-t-il dans sa pré­face à l’enseignemen (...)
  • 14  Il est amusant de constater que Greimas citera cette publication de Wagner, assez discrètement tou (...)

29La scène, désormais, est entièrement différente. Pour Greimas, Saussure a cessé d’être une vague référence plus ou moins suspecte : il se plaint au contraire du « peu de résonance qu’a eu la théorie saussurienne en France » (1956, p. 193). Ici Greimas exa­gère un peu, en tout cas joue avec la chronologie. En 1935, un jeune linguiste – très jeune en effet : il n’avait alors que 18 ans… – pouvait bien « considérer avec dédain les travaux des Écoles de Genève et de Prague » (1956, p. 191). C’était le reflet d’une attitude effectivement fréquente chez les philologues français de l’époque, par exemple le bon Antonin Duraffour, excellent dialectologue avec qui Greimas avait fait, à Grenoble avant la guerre, ses pre­mières armes. Mais ce n’est évidemment plus le cas à Paris dans les années cinquante, et même avant. Dès 1938, Georges Gougenheim donnait à « l’enseignement de Saussure à l’Ecole Pratique des Hautes Études » (1938, p. 8) un rôle fondateur, pour la distinction entre la syn­chronie et la diachronie13. Robert-Léon Wagner, en 1953 dans un cours de Grammaire et philologie publié par le CDU – et certai­nement bien avant dans son enseignement oral à la Sorbonne – accordait une place centrale au CLG14. Il précisait dans ce cours des idées déjà présentes dans un article publié dès 1948 dans Les Temps modernes. Et on a aperçu tout à l’heure que Georges Matoré tient lui aussi, en 1953, le plus grand compte du CLG. L’originalité de Greimas n’est donc pas de faire découvrir le texte – beaucoup d’autres l’ont fait avant lui – mais d’en déga­ger l’effet possible sur les autres disciplines.

  • 15  Je cite ici cette émouvante plainte de Greimas : « Même si maintenant les lin­guistes me rejettent (...)

30C’est que la stature du jeune professeur – il est toujours en poste à Alexandrie – a pris de l’ampleur. Il se sent et se veut tou­jours linguiste – il le sera jusqu’à la fin de sa vie, et ressentira avec amertume l’exclusion dont il sera victime de la part de certains milieux linguistiques15. Mais en même temps il envi­sage de façon de plus en plus précise la fonction modélisante de la linguis­tique parmi les sciences humaines. Pour le quarantième anniver­saire de la publication du CLG, il publie dans Le français moderne un article intitulé « L’actualité du saussurisme » qui témoigne d’une très profonde imprégnation saussurienne. L’article, construit avec la souple rigueur qui caractérise les travaux de Greimas, fait intervenir alternativement les trois grandes dichotomies saussuriennes : langue / parole, signifiant / signifié, synchronie /diachronie. Plutôt que de res­ter à l’intérieur du champ de la linguistique, Greimas voudrait « plutôt montrer l’efficacité de la pensée de F. de Saussure qui, dé­passant les cadres de la linguistique, se trouve actuellement reprise et utili­sée par l’épistémologie générale des sciences de l’homme » (1956, p. 192). Avec Saussure, ce que Greimas vise fon­damentalement, c’est l’extension d’une théorie de la connaissance et d’une métho­dologie – elles-mêmes fondées sur ce qu’il appelle « une vision du monde » – aux autres sciences humaines.

31Deux exemples de cette « extrapolation » sont déjà en cours sous ses yeux : ceux de la phénoménologie de Merleau-Ponty et de l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss.

  • 16  Greimas se réfère ici à la Phénoménologie de la perception (1945) et surtout au chapitre «   aLe c (...)

32On le sait, et l’article de Maria-Pia Pozzato (1997) y revient avec pertinence et profondeur, il existe, en dépit de certaines ap­parences, une profonde sympathie entre la réflexion de Merleau-Ponty et celle de Greimas. Elle se manifestera pleinement dans le dernier livre de Greimas, De l’imperfection (1987b). Dès 1956, Greimas perçoit très clairement l’importance du projet de Merleau-Ponty : il s’agit en effet d’« élaborer une psychologie du langage où la dicho­tomie de la pensée et du langage est abandon­née au profit d’une conception du langage où le sens est immanent à la forme linguistique »16 (p. 193).

33Il faut l’avouer : le linguiste saussurien, quand il feuillette les travaux de Merleau-Ponty, est parfois (souvent ?) surpris par certaines interprétations – faut-il les dire de détail ? Sans doute, pour la raison qu’on va à l’instant apercevoir. Ainsi, on s’étonne légiti­mement de le voir poser que « Saussure distinguait une linguistique synchronique de la parole et une linguistique diachronique de la langue » (1953-1960, p. 76). Mais bizarrement, ces imprécisions (ces « erreurs » ?) de détail sont surmontées, et l’interprétation glo­bale du CLG qui est donnée par Merleau-Ponty « apparaît à bien des égards comme le prolongement naturel de la pensée saussurienne » : c’est ici Greimas qui reprend la parole (p. 193), de façon à mes yeux pleinement pertinente. De même, il faut, certes, plus d’un instant de réflexion pour accepter la suggestion de Merleau-Ponty selon laquelle « Saussure pourrait bien avoir esquissé une nouvelle philosophie de l’histoire » (1953-1960, p. 56) ; Greimas cite cette formule dès les premières lignes de son article (p. 191). On est, en tout cas, aux antipodes de la doxa traditionnelle des lin­guistes. On ne peut ici qu’admirer la divination qui a fait repérer au philo­sophe les pensées sous-jacentes du Cours, ici occultées par des édi­teurs, pour une fois moins attentifs qu’à l’ordinaire, ou peut-être déjà guidés par une doxa en gestation. Pas plus que Merleau-Ponty en 1953, Greimas en 1956 n’avait accès aux sources manuscrites du CLG – Godel ne les révélera qu’en 1957 : le philosophe et le lin­guiste ont su lire sous les signes, pour reprendre l’expression (ludique ?) de Greimas.

34Pour Lévi-Strauss, les faits sont, selon Greimas, plus transparents. La spécificité de son travail est d’avoir transposé hors du champ proprement linguistique l’opposition saussurienne de la langue à la parole ou, en termes déjà hjelmsléviens – on voit que la hjelmslévisation greimassienne de Saussure est très précoce – celle du système au procès :

L’application du postulat saussurien lui [il s’agit du sociologue, car c’est ainsi que Greimas qualifie Lévi-Strauss] permet […] d’opposer valablement le « procès » de la communication des femmes aux structures de la parenté, l’échange des biens et des services à la structure économique (p. 195).

35Et l’on constate avec intérêt que Greimas ne s’étonne ni de l’étroite relation établie par Lévi-Strauss entre Freud et Saussure – en 1955, Lacan est déjà là, certes, mais vient tout juste de com­mencer à parler de Saussure – ni de l’emploi tout de même pas­sablement déviant par rapport à la lettre du texte saussurien du concept de signifiant. Il cite avec délectation ce beau fragment de Tristes tropiques :

D’abord, au-delà du rationnel, il existe une catégorie plus importante et plus fertile, celle du signifiant qui est la plus haute manière d’être du rationnel, mais dont nos maîtres (plus occupés sans doute à méditer l’essai sur les données immédiates de la conscience que le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure) ne prononçaient même pas le nom (1956, p. 191 et 194).

36C’est que Greimas reprend à son compte cette substantivation glo­bale du signifiant – séparé, on le remarquera au passage, de « son » signifié qui, dans le CLG, est littéralement empêché de le quitter. On verra dans un instant la fonction de cette extension – au sens topologique du mot – du concept de signifiant.

  • 17  Je hasarde une remarque : il me semble bien que Greimas aimait le mot optimisme. Il était animé, j (...)

37Aux deux exemples de la phénoménologie et de l’anthropologie, Greimas est bien tenté d’en ajouter un troisième : celui de l’histoire. A vrai dire, il le fait, apparemment, sans grande conviction, et les deux historiens qu’il cite – Marc Bloch et Charles Morazé – ne lui fournissent que des déclarations programmatiques « optimistes », certes, c’est le mot de Greimas17 (p. 197, note 20), mais tout de même bien imprécises.

38Il n’a pas besoin d’eux : l’exemple de Merleau-Ponty et de Lévi-Strauss lui suffit pour envisager un projet grandiose :

Rien ne s’opposerait donc, en principe, à l’extension de méthodes struc­turalistes à la description de vastes champs de symbolismes culturels et sociaux, recouverts par le signifiant linguistique et saisissables à travers lui (p. 196).

39Parmi ces « champs de symbolisme », Greimas énumère, peu après, « les systèmes mythologiques, religieux ou cette forme de fabula­tion moderne qu’est la littérature » (p. 197).

40On le voit : l’extension envisagée présuppose deux conditions. La première est la définition du signifiant comme « plan du langage considéré dans son ensemble et recouvrant de ses articulations la totalité des signifiés ». Le lecteur assidu du Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Greimas et Courtés, 1979) aura reconnu le contenu de l’article signifiant : plus de vingt ans avant, l’exigence est déjà posée. La seconde condition est de mettre en place un mo­dèle apte à rendre compte de ces langages spécifiques qui se don­nent comme signi­fiant un système de signes déjà constitué. A cette double condition le modèle du CLG ne satisfait pas immédiatement. C’est la raison pour laquelle, dès 1956, Greimas procède à une opération de substitution : au Saussure « authentique » – si ce mot a un sens, no­tamment à propos de Saussure… – il substitue un Saussure réinterprété par Hjelmslev. Là encore, la permanence de la réflexion de Greimas est exemplaire : en 1985, il rédigera un bref avant-propos au très sug­gestif « Retour à Saussure ? » de Claude Zilberberg. Et il énoncera l’« affirmation » – c’est son mot – suivante :

Une relecture de Saussure n’est possible qu’à travers Hjelmslev, seul hé­ritier légitime, un Hjelmslev qui ne se trouve pas tout à fait à l’endroit où nous l’avons situé (1985, p. 3).

41Ainsi Hjelmslev – ou, plus exactement un Saussure hjelmslevisé – se substitue-t-il progressivement au Saussure du CLG.

42Et pourtant, Greimas n’est pas encore tout à fait familier avec l’appareil théorique de Hjelmslev : il vient tout juste de lire, en an­glais, les Prolégomènes. Et – qu’on n’aille surtout pas croire à une vétilleuse critique de ma part – il n’évite pas une confusion, à vrai dire excusable en cette période de découverte : il confond les deux langages à plusieurs plans mis en place dans le chapitre 22 des Prolégomènes et donne le nom de métalangage à ce qui est de toute évidence les langages de conno­tation :

  • 18  Il y aurait sans doute lieu de mettre en question cette « antériorité » des structures phonologiqu (...)

De même que la langue, pour se construire ses systèmes de signes, uti­lise des structures phonologiques qui, en droit sinon en fait, lui sont anté­rieures18, de même, pourrait-on dire, les métalangages se servent des signes linguistiques pour développer leurs formes autonomes (p. 198).

43Comme exemple de première « description du métalangage (souligné par M.A.) littéraire » (p. 198), Greimas cite le degré zéro de l’écriture. On ne s’étonnera donc pas de constater que Barthes fera l’année suivante, dans Mythologies, la même confusion que lui : j’y reviendrai.

44Le projet d’extension des méthodes de la linguistique ne s’ar­rête pas aux systèmes pourvus d’un signifiant verbal : Greimas va plus loin, et envisage de leur faire prendre en charge « les formes plastiques ou les structures musicales » (p. 199). Les références qu’il se donne ? Focillon et Malraux pour les formes plastiques, Boris de Schloezer pour la musique. C’est pour ces langages non verbaux que Greimas fait enfin surgir la sémiologie saussurienne :

[…] de l’extension du saussurisme à la musicologie [et à la description des formes plastiques] sortirait certainement, en même temps qu’une meilleure compréhension de problèmes propres à chaque domaine, une sémiologie géné­rale pressentie et souhaitée par F. de Saussure (p. 199-200).

45En ce point je me pose une question : est-ce intentionnellement que Greimas cantonne la sémiologie saussurienne aux langages non-verbaux ? Car il ne l’a nullement alléguée tant qu’il s’agissait des mythes, des discours religieux ou littéraires. Une telle limitation n’est, de sa part, nullement impossible : elle ne serait que la consé­quence des insuffisances qu’implicitement – par le choix de Hjelmslev – il lui reproche pour la description des systèmes à signifiant verbal.

  • 19  C’est ici, me semble-t-il, le discret glissement de l’écriture vers le style – je l’ai signalé plu (...)

46Après une pointe critique – elle n’épargne ni Merleau-Ponty ni même Roland Barthes – sur la propension des chercheurs à prendre en compte surtout l’aspect indi­viduel des faits étudiés19, Greimas aborde à la fin de son étude la troisième grande dichoto­mie saussurienne : celle de la synchronie et de la diachronie. Revenant alors à la linguistique stricto sensu, il envisage deux moyens de lever l’« in­compatibilité » – c’est le mot qu’il emploie – entre les deux types d’appro­che :

471. Le premier est de les subsumer par le concept de pan­chronie (p. 201). Ici, une surprise : Greimas semble faire venir cette notion de l’école danoise, spécifi­quement de Viggo Brondall. Mais il passe sous silence – pour quelle raison ? – son origine saussurienne. Certes, Saussure ne fait pas intervenir le point de vue panchronique pour « les faits particuliers et tangibles », mais seu­lement pour les « principes généraux » (CLG, p. 135). Est-ce, pour Greimas, une bonne raison d’effacer l’origine saussurienne de la notion ? On se souvient d’ailleurs que, plus tard, il en viendra à mettre en cause le concept même de synchronie, tout en sauvegardant, d’une façon qui, à vrai dire, fait problème, celui de diachronie (Greimas et Courtés, 1979, svv. achronie, diachronie et synchronie – panchronie est absent du Dictionnaire).

482. Le second moyen est d’établir une relation dialectique entre synchronie et diachronie. Greimas met ainsi en place « une nouvelle extrapolation du saus­su­risme qui ne serait du reste nullement une trahison de la pensée saussurienne » (p. 202). C’est ici le concept marxiste de praxis qui se trouve convoqué par l’en­tremise de Merleau-Ponty.

49On l’a compris : l’article de Greimas, par son ambition, sa hardiesse, sa pro­fon­deur, est, en dépit de quelques silences et ambiguïtés, un moment fort de l’histoire non seulement du saus­surisme, mais encore de la linguistique et des sciences humaines. Le CLG, même s’il est déjà partiellement relayé par la glossématique hjelm­slévienne, y apparaît pour ce qu’il est : le grand texte refonda­teur de la linguistique et fondateur de la sémiologie / sémiotique.

Second tableau barthésien : Mythologies

  • 20 … et, pour deux textes, dans Esprit et France-Observateur.

50Deux mots d’histoire, d’abord, d’histoire aussi descriptive et événementielle que possible. A partir de 1954, Barthes publie régulièrement dans Les lettres nouvelles20, fondées en 1953 par Maurice Nadeau, de brèves chroniques. Chroniques : dans mon es­prit, le mot est aussi neutre que possible : il précise seulement que les sujets traités par Barthes lui sont offerts par le temps qui passe, l’actualité en somme. Mais toute l’actualité : spectacle et sport, lit­térature, poli­tique, vie quotidienne et « faits de société », comme on ne disait pas encore pour désigner les faits-divers. Dans tout cela, très peu de textes (« Adamov et le langage », p. 99). Mais pas mal d’objets (« Jouets », p. 63 – « Le vin et le lait », p. 83 – « Le bifteck et les frites », p. 67 – « La nouvelle Citroën », p. 169, etc), beaucoup d’images (« L’acteur Harcourt », p. 22 – « Iconographie de l’abbé Pierre », p. 57 – « Le visage de Garbo », p. 77, etc), quelques événe­ments (« La croisière du Sang bleu », p. 33 – « Dominici », p. 53 – « Le procès Dupriez », p. 116, etc). Et des personnages : « Le Pauvre et le Prolétaire », p. 41 – « Un ouvrier sympathique », p. 74 – « Billy Graham au Vel’ d’Hiv’ », p. 112 – « Poujade et les intellectuels », p. 205, etc. En 1957, il publie en un volume l’ensemble de ces textes, désignés par le mot « Mythologies ».

  • 21  Je ne donne pas ici dans l’érudition barthésienne : je n’ai pas cherché à véri­fier si, par hasard (...)

51Ils sont encadrés, au début, par un très bref discours préliminaire non titré (une page) et, à la fin, par un assez long (54 pages dans l’édition originale) document théorique inti­tulé « Le mythe, aujourd’hui ». Ce texte est daté de septembre 1956, et est donc postérieur à toutes21 les « mythologies » rassemblées. Après la pu­bli­cation du volume, Barthes continuera jusqu’en 1959 à donner aux Lettres nouvelles un certain nombre de « Mythologies » : c’est dans le fascicule, désormais hebdo­madaire, du 22 avril que paraîtra la dernière, consacrée à « Tragédie et hau­teur ». Barthes lui-même ne reprendra en volume aucune de ces ul­times « Mytho­logies ».

52Qu’en est-il de la présence de Saussure dans ce livre ? Il convient, on s’en doute, de distinguer entre les « Mythologies » de la première partie et « Le mythe aujour­d’hui » de la seconde.

  • 22  Faut-il d’ailleurs rappeler que Saussure lui-même utilise signe avec deux va­leurs considérablemen (...)

531. Dans les « Mythologies » on cherchera vainement, sauf er­reur, le nom de Saussure. Non que les linguistes en soient totale­ment absents : le célèbre couple de duettistes Damourette et Pichon fait avec succès un bref numéro de « Grammaire africaine » (p. 155) : c’est l’illustre coup de l’« assiette no­toi­re », propre à rendre compte des discours ministériels du temps sur « la mission de la France ». Mais de Saussure, point. Et pourtant, le signe prolifère. Il est vrai, pas toujours de façon précisément conforme à la lettre du CLG22. Le bon Georges Mounin – qui n’aimait pas beaucoup Barthes, non plus d’ailleurs que Hjelmslev, Lacan, Lévi-Strauss et quelques autres… – s’est amusé à faire un inventaire de ces emplois du mot signe (Mounin, 1970, p. 194), et en tire la conclusion que pour Barthes « tout ce qui a une signification serait un signe ». Il n’a sans doute pas tort. Mais il omet de tenir compte d’une don­née fondamentale, qu’il en­trevoit pourtant, mais pour l’occulter aussitôt : c’est que les objets analysés par Barthes ne sont prati­quement jamais verbaux et que, nécessairement, le signe prend des apparences diverses selon la substance qui le manifeste. Je ne prendrai qu’un exemple, celui de l’abbé Pierre, ou plutôt de sa photo. Barthes remarque que la barbe de l’abbé « ne peut faire au­trement que signifier apostolat et pauvreté » (p. 58). Elle est donc signe ? Oui, à condition de prendre signe avec le sens que, très tardivement dans l’élaboration du Cours, Saussure a donné à signi­fiant. Et comment s’étonner que ce signe soit substantiellement dif­férent des mots de la langue ? Pour rester avec Mounin dans le saussurisme le plus orthodoxe, les quelques lignes du CLG sur la sémiologie semblent bien présupposer cette différence. Et les fragments épars de la re­cherche sur la légende germanique, révé­lés, à partir de 1964, par Starobinski (1970), expliquent claire­ment que l’unité sémiologique – d’ailleurs appelée symbole et non signe, quoique sans différence de sens appréciable – peut avoir, même dans une manifestation ver­bale, des supports tout différents de ceux qui lui sont affectés dans le CLG.

  • 23  Faut-il rappeler que le texte a été écrit en 1956, et que les travaux de Godel – les premiers, à m (...)

542. Dans « Le Mythe, aujourd’hui », les choses sont du tout au tout différentes. La manière des chroniques est évidemment aban­donnée, et le texte prend une allure assez austèrement théorique. La référence à Saussure, le Saussure qui pose la sémiologie, est fondatrice23 :

55Comme étude d’une parole, la mythologie n’est […] qu’un fragment de cette vaste science des signes que Saussure a postulée il y a une quarantaine d’années sous le nom de sémiologie (p. 217).

  • 24  Pour certains peut-être, cette remarque réactivera une question que je me suis maintes fois posée  (...)

56Toutefois, la nature discursive du mythe – « Le mythe est une pa­role » : c’est la définition donnée d’emblée par Barthes (p. 215), re­prise dans le segment qu’on vient de lire – lui confère le statut de « système sémiologique second » (p. 221). Comme on l’a vu plus haut, le CLG, exclusivement programmatique à l’égard de la sémio­logie, ne fournit pas immédiatement les concepts nécessaires à la mise en place d’une telle sémiologie24. Barthes, comme Greimas, est alors amené à se tour­ner, d’ailleurs sans le nommer, vers Hjelmslev. Et il fait à son égard la même « erreur » que Greimas dans l’article, tout récemment paru, qu’il vient sans doute de lire :

Il y a dans le mythe deux systèmes sémiologiques dont l’un est déboîté par rapport à l’autre : un système linguistique, la langue (ou les modes de repré­sentation qui lui sont assimilés), que j’appellerai langage-objet, parce qu’il est le langage dont le mythe se saisit pour construire son propre système ; et le mythe lui-même, que j’appellerai méta-langage, parce qu’il est une seconde langue, dans laquelle on parle de la première (p. 222).

57Erreur, ai-je dit ? Il est vrai que, sept ans plus tard, Barthes la « corrigera » dans la dernière section (« Dénotation et connotation ») des Éléments de sémiologie (1964, p. 130-132). Et, philologique­ment, elle reste bien, à l’égard de la théorie de Hjelmslev, une er­reur. Mais cet acte manqué n’est peut-être, chez Barthes, pas dé­pourvu de sens. On se souvient en effet qu’en 1967, dans l’avant-propos au Système de la mode, il suggérera d’inverser, par rapport à l’enseignement de Saussure, la place réciproque de la linguistique et de la sémiologie :

L’homme est condamné au langage articulé, et aucune entreprise sémio­logique ne peut l’ignorer. Il faut donc peut-être renverser la formulation de Saussure et affirmer que c’est la sémiologie qui est une partie de la linguis­tique (1967, p. 9).

58Il faut ici prendre les textes au sérieux, c’est-à-dire au pied de la lettre. Si la sémiologie est une partie de la linguistique, tout dis­cours sémiologique est par nature métalinguistique, au même titre par exemple que le discours de la grammaire, autre « partie » de la linguistique. Or la mythologie est à son tour (1957, p. 217) donnée comme « un fragment de cette vaste science des signes que Saussure a postulée il y a une quarantaine d’années sous le nom de sémiologie ». Il s’ensuit donc que le discours mythologique est né­cessairement un métalangage. Ce qui d’ailleurs ne l’empêche nul­lement – Barthes le dira en 1964 – d’être en même temps langage de connotation : comme si les deux formes de langage décalé se confon­daient. Comme si, en quelque sorte, il n’y avait pas de méta­langage. Pas plus d’ailleurs que de langage de connotation. On trouve là, peut-être, la préfiguration de ce qui, plus tard, dans S/Z, sera suggéré, il est vrai seulement à propos des « textes modernes » :

Il n’est pas sûr qu’il y ait des connotations dans le texte moderne (1970, p. 14).

59Nous sommes parvenus au terme que nous nous sommes raisonnablement assigné : l’année 1957. Après quoi vont venir d’autres textes fondamentaux : les Éléments de sémiologie en 1964, Sémantique structurale en 1966, pour nous en tenir aux plus éminents. Fondamentaux, certes, et en même temps plus transparents, moins énigmatiques sans doute que ceux que nous avons en­semble parcourus à la recherche de Saussure : les références théoriques s’y affichent généralement avec plus de précision et de constance. Rien de plus simple, par exemple, que de lire la place de Saussure dans les Éléments de sémiologie. Rien de plus tourmenté, en revanche, dans la suite du travail de Greimas comme de Barthes, que cet itinéraire facile à suivre : une route bien jalonnée, certes, mais riche en carrefours dangereux et en périlleuses épingles à cheveux. Et puis vient sans doute, chez l’un comme chez l’autre, le moment où la grand-route du départ finit par se ramifier en chemins de traverse. En viennent-ils même à se perdre complè­tement ? Je ne sais. J’ai parfois eu du mal à me retrouver dans les ultimes ramifications des sentiers saussuriens de Barthes et de Greimas.

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Bibliographie

Pour certains travaux, on trouvera deux dates. La première est celle de la publication originelle, la seconde celle de l’édition utilisée.

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Notes

1 Barthes, de santé très fragile, a fait des études supérieures relativement tardives qui lui ont interdit de préparer l’agrégation. Greimas, immigré de sa Lithuanie natale, ne connaît pas encore les arcanes de l’Université française, et prépare d’emblée une thèse sans se soucier de l’agrégation. On lira avec amusement les commentaires sarcastiques qu’il livrera sur le statut des non-agrégés (partagé non seulement avec Barthes, mais avec Matoré, Quemada et Guiraud) dans Chevalier-Encrevé, 1984, p. 75.

2 Ces renseignements bio-bibliographiques viennent pour Barthes de Barthes 1975 et pour Greimas de Chevalier-Encrevé 1984 et surtout de Coquet 1985.

3 On remarquera à quel point l’évolution de la mode féminine – avec la substitu­tion généralisée du collant au bas – a rendu référentiellement obsolète l’ébauche d’analyse de Barthes.

4 Il le cite de loin en loin, par exemple dans les Éléments de sémiologie, dont une note (1964, p. 108, note 4) renvoie aux premiers fascicules dactylographiés de Séman­tique structurale, qui étaient diffusés par l’ENS de Saint-Cloud.

5 Greimas évoquera en quelques lignes amusantes et émues le souvenir de ce séjour à Alexandrie dans le témoignage qu’il confiera à Chevalier et Encrevé, 1984, p. 79.

6 J’en viens, aujourd’hui, à m’interroger sur cet « oubli ». Il tenait sans doute au fait que je considérais l’imprégnation saussurienne de Greimas comme une donnée évidente et intemporelle. J’avais tort, comme on le verra plus bas.

7 Est-ce le même Hjelmslev pour Barthes et pour Greimas ? La question, naturellement, se pose. Mais ce n’est pas ici le lieu de la traiter.

8 Il semble bien qu’en réalité les deux thèses aient été effectivement « dirigées » – dans la mesure où ce genre de travail a à l’être – par Georges Matoré, avec le­quel Greimas a collaboré, au moins jusqu’à 1948, pour l’élaboration d’une lexicologie sociale.

9 On repère l’ombre d’une contradiction entre le témoignage de 87 (en réalité 83) cité plus haut et celui de 84, pourtant à peu près contemporain : « C’est à ce moment [préparation de la thèse, de 45 à 48] que nous avons commencé seuls, Matoré et moi, à lire Saussure, puis Jost Trier » (Chevalier et Encrevé, 1984, p. 75). Brouillage définitif de Greimas avec la chronologie ?

10  Pour cet ouvrage de Greimas, les indications de pages renvoient à un exemplaire dactylographié en vue de la publication.

11  A cette époque, Barthes se réclame explicitement du marxisme. A peine deux ans plus tard, en juillet-août 1955, il publiera dans la série « Petite mythologie du mois » du n° 29 des Lettres nouvelles une brève notule – non reprise en vo­lume dans Mythologies – qui, sous le titre ironiquement interrogatif « Suis-je marxiste ? » (p. 191), donne à un folliculaire de la NRF la réponse souhaitée. – Quant à Saussure, selon un aveu de 1974 publié dans L’Aventure sémiologique, 1985, p. 10-11, il ne l’aurait pas encore lu : il aurait attendu 1956 pour le faire. On repère cette fois une discordance entre les souvenirs de Barthes et ceux de Greimas (celui de Cerisy, en 83 [1987 a]). J’ai plutôt tendance à suivre Greimas, car il me paraît peu vraisemblable que le Degré zéro ait pu s’écrire sans aucun contact, fût-il médiat, avec Saussure.

12  Discret, comme à son habitude, sur ses sources linguistiques, Barthes se contente de faire allusion à « certains linguistes » (1953-1972, p. 55). Il désigne ainsi Viggo Brondall, dont on peut supposer que les Essais de linguistique générale lui ont été communiqués par Greimas, qui les connaît bien : c’est sur le mo­dèle de l’illustre article « Omnis et totus » qu’il publiera en 1963 sa première contribution, dans le domaine grammatical, à ce qui est en train de se construire sous le nom de « Sémantique structurale » : l’article « Comment définir les indéfi­nis ? (Essai de description sémantique) ».

13  Ici, un petit mystère : pourquoi diable Gougenheim se réfère-t-il dans sa pré­face à l’enseignement de Saussure à l’EPHE plutôt qu’au CLG, pourtant présent dans la bibliographie de l’ouvrage ? Je laisse prudemment la question pendante.

14  Il est amusant de constater que Greimas citera cette publication de Wagner, assez discrètement toutefois, dans une note de la fin de son article (p. 202).

15  Je cite ici cette émouvante plainte de Greimas : « Même si maintenant les lin­guistes me rejettent et ne me considèrent pas comme l’un des leurs, moi je pré­tends être linguiste dans mes origines et dans ma façon de conduire ma pensée » (1987a, p. 305).

16  Greimas se réfère ici à la Phénoménologie de la perception (1945) et surtout au chapitre «   aLe corps comme expression et la parole » (p. 203-232). Le nom de Saussure n’est pas cité dans ce texte (non plus que dans l’ensemble du livre), alors qu’il l’est plus ou moins abondamment et précisément dans l'« Éloge de la philosophie » (1953-1960) et, surtout, dans « Sur la phénoménologie du langage » (1953-1960) – Ces deux textes sont réunis sous le titre global Éloge de la philosophie, 1953-1960.

17  Je hasarde une remarque : il me semble bien que Greimas aimait le mot optimisme. Il était animé, je crois, d’un optimisme épistémologique profond, qui pouvait, lorsqu’il était déçu, donner lieu à des accès de pessimisme aigu.

18  Il y aurait sans doute lieu de mettre en question cette « antériorité » des structures phonologiques par rapport à la langue. Quel sens précisément a l’expression « en droit » par laquelle Greimas limite sa proposition, qu’il sent litigieuse ?

19  C’est ici, me semble-t-il, le discret glissement de l’écriture vers le style – je l’ai signalé plus haut – qui est mis en cause.

20 … et, pour deux textes, dans Esprit et France-Observateur.

21  Je ne donne pas ici dans l’érudition barthésienne : je n’ai pas cherché à véri­fier si, par hasard, quelques mythologies n’ont pas été publiées après septembre 1956. Cela ne changerait pas grand-chose au statut réciproque des deux parties de l’ouvrage.

22  Faut-il d’ailleurs rappeler que Saussure lui-même utilise signe avec deux va­leurs considérablement différentes ? La version standard du CLG efface – pas entièrement – cette bisémie en substituant signifiant à signe chaque fois que cela paraît nécessaire aux éditeurs. Mais la pratique de Saussure était autre, et il s’en explique longuement.

23  Faut-il rappeler que le texte a été écrit en 1956, et que les travaux de Godel – les premiers, à ma connaissance, à signaler la recherche sémiologique sur la Légende – ne paraîtront que l’année suivante ?

24  Pour certains peut-être, cette remarque réactivera une question que je me suis maintes fois posée : pourquoi Saussure dans le CLG cite-t-il exclusivement à titre d’objets possibles de la sémiologie (p. 33) des systèmes dérivés de la langue (écriture, alphabet des sourds-muets) ou nettement marginaux (rites symboliques, formes de politesse, signaux militaires) ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’il était précisément en train d’élaborer une autre sémiologie, à signifiant verbal, mais non dérivée de la langue : celle de la légende.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Arrivé, « 3. Saussure, Barthes, Greimas »Modèles linguistiques, 41 | 2000, 19-37.

Référence électronique

Michel Arrivé, « 3. Saussure, Barthes, Greimas »Modèles linguistiques [En ligne], 41 | 2000, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ml/1438 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ml.1438

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Auteur

Michel Arrivé

Université Paris 10 – Nanterre

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Droits d’auteur

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