Olivier Mahéo, De Rosa Parks au Black Power. Une histoire populaire des mouvements noirs, 1945-1970
Olivier Mahéo, De Rosa Parks au Black Power. Une histoire populaire des mouvements noirs, 1945-1970, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2024. ISBN 978-2-7535-9370-1
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Persons mentioned:
Ella Baker, Stokely Carmichael, Fanny Lou Hamer, Harry Haywood, Hosea Hudson, Martin Luther King, John Lewis, Barack Obama, Rosa Parks, Bobby Seale, Howard ZinnFull text
1Seize ans après l’élection du premier président noir, Barack Obama, treize ans après le début du mouvement Black Lives Matter initié par trois militantes africaines-américaines, et alors que l’élection présidentielle de 2024 voit une femme noire candidate officielle d’un parti, la question de la mobilisation raciale aux États-Unis demeure une préoccupation principale d’une société divisée par des tensions profondes. Dans ce contexte politique et social, l’ouvrage d’Olivier Mahéo, De Rosa Parks au Black Power. Une histoire populaire des mouvements noirs, 1945-1970, est une invitation à replonger dans les décennies les plus symboliques de ce que l’historiographie a communément qualifié de Mouvement des droits civiques. Néanmoins, faisant écho dans le titre et dans l’approche au travail de l’historien Howard Zinn, et à son livre Une histoire populaire des États-Unis, publiée pour la première fois en 1980, Olivier Mahéo cherche à apporter un regard original et différent sur l’un des mouvements social et politique qui aura marqué le 20ème siècle et continue d’influer sur les mobilisations pour les droits des minorités aux États-Unis, comme l’atteste Black Lives Matter. En effet, si comme l’écrit Olivier Mahéo, « l’histoire a longtemps oublié les Africains-Américains » (21), l’historiographie a aussi longtemps véhiculé une vision monolithique et simplifiée du mouvement des droits civiques, insistant particulièrement sur le rôle iconique des figures les plus marquantes, comme Martin Luther King, notamment, et sur la stratégie de la non-violence et de la modération, comme armes principales face au racisme ancré dans la société américaine depuis la période coloniale. Or, dès l’introduction, très détaillée, et dont la clarté permet de baliser les grandes idées directrices de l’ouvrage, l’auteur expose sa méthodologie et son objectif qui vise à déconstruire, à repenser, à réexplorer la nature même des mobilisations noires. C’est dans cette pluralité et cette volonté de mettre en lumière la multiplicité, la diversité, la complexité, et parfois l’ambiguïté des différentes stratégies militantes que réside une partie de l’originalité de l’ouvrage. L’introduction met ainsi en avant le désir d’exposer les idées, les stratégies, les acteurs des mouvements noirs qui ont été souvent marginalisés, aussi bien à travers le travail des historiens, que par le biais de la question essentielle de la mémoire, dont la nation américaine comme les militants et les héritiers du mouvement des droits civiques se sont emparée au fil des années. Olivier Mahéo insiste à la fois sur la radicalité parfois ignorée, bien que désormais connue, des différentes organisations défendant les droits des Noirs, comme les emblématiques Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC) ou Black Panther Party (BPP), ou les plus marginalisées Mississippi Freedom Democratic Party (MFDP), Communist Party USA (CPUSA), National Association of Colored Women’s Clubs (NAWC), ou encore Organization of Afro-American Unity (OAAU), et sur la volonté de certaines associations de maintenir leur main mise sur le mouvement, à l’image de la Southern Christian Leadership Conference (SCLC) ou la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). En mettant au premier plan des organisations méconnues, ou marginalisées de par leur radicalité, Olivier Mahéo cherche à démontrer les clivages et les tensions au sein du mouvement des droits civiques. Il expose la complexité d’une mobilisation qui fut portée, in fine, par des mouvements divers, parfois antagonistes, dont les stratégies, et parfois même les objectifs, variaient de façon significative. Il inscrit ainsi son ouvrage dans cette rupture historiographique évoquée en introduction et permet d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion au sujet de la période.
2Pour ce faire, la première partie est consacrée à l’influence du socialisme et du communisme, et plus généralement des idéologies politiques de gauche, qui ont marqué et influencé les mobilisations noires au 20ème siècle. Ces idées se sont disséminées progressivement, bien qu’Olivier Mahéo rappelle qu’elles n’étaient pas complètement nouvelles, dans les années 1930, à l’époque où la Grande Dépression expose en plein jour des crises sociales et économiques d’une ampleur inédite, frappant encore plus durement les Africains-Américains. Favorisant la distanciation des Noirs du Parti républicain, cette période fut à l’origine de la place grandissante de la New Left et du communisme chez les militants africains-américains. Pour évoquer cela, Olivier Mahéo montre notamment comme les syndicats jouèrent un rôle prépondérant dans la mobilisation de certains militants oubliés par l’historiographie, comme Hosea Hudson ou Harry Haywood évoqués dans le chapitre II. A travers leurs récits et leurs vies, et c’est là l’une des caractéristiques du travail d’Olivier Mahéo, le chercheur tire des conclusions pertinentes sur l’importance de considérer les mouvements noirs dans la complexité de l’interaction entre race et classe. Si ces deux éléments sont intrinsèquement liés, il ne faut pas oublier un troisième facteur capital à une compréhension fine de ces mouvements : la question de genre.
3Comme le titre le suggère à travers la référence à Rosa Parks, le rôle des femmes noires dans les mobilisations raciales a longtemps été réduit à quelques figures iconiques, dont le rôle même a été mal interprété ou délibérément présenté sous l’angle d’un consensus libéral et modéré. L’historiographie a pendant des décennies ignoré les tensions importantes entre militants et militantes, voire même le sexisme dont souffraient ces dernières. La deuxième partie de l’ouvrage vise donc à mettre en lumière ces femmes qui ont disparu de l’histoire, comme l’indique Olivier Mahéo. Il explique avec brio comment ce passage sous silence de l’influence des femmes noires fut le résultat d’un processus qui pose la question de la mémoire en histoire. Sans se contenter de simplement évoquer cet oubli historique, l’auteur revisite également comment certaines femmes noires plus connues, comme Ella Baker, ont pourtant été des voix importantes au sein du mouvement des droits civiques, s’opposant souvent aux leaders masculins dominants, non seulement pour dénoncer le sexisme dont elles furent victimes, mais aussi pour proposer une vision alternative du militantisme. A ce titre, l’analyse fine et originale des images associées au militantisme de Rosa Parks est un exemple parfait de l’approche novatrice de l'ouvrage. Olivier Mahéo déconstruit la représentation idéalisée de Rosa Parks et montre comment certains mécanismes furent exploités pour non seulement véhiculer une certaine image de la militante, mais aussi du mouvement en général, voire même plus de la mémoire de celui-ci. En mettant en avant la vision simplifiée, et même parfois simpliste, qui a longtemps prévalu au moment d’évoquer Rosa Parks, Olivier Mahéo porte un regard différent qui permettra de mieux comprendre la complexité du militantisme noir. Il fait de même en cherchant à analyser les images associées au pendant radical du mouvement. Le chapitre consacré à l’étude de l’hypermédiatisation d’une masculinité noire agressive et « effrayante », à travers le rôle du Black Power et des figures comme Stokely Carmichael ou Bobby Seale, permet là aussi de déconstruire une représentation simplifiée, et d’expliquer comment les femmes noires ont progressivement pris de l’importance. C’est également l’occasion pour Olivier Mahéo d’insister sur la nécessité de comprendre le travail de ces organisations à un niveau plus local, longtemps ignoré. Pour souligner l’influence de ces militantes noires, il étudie ce qu’il qualifie de « contre-récits féminins », qui troublent le récit normé, aseptisé, et dominant au sujet d’actions devenues emblématiques de l’époque, comme les boycotts ou les sit-ins.
4L’étude de ces derniers est au cœur de la dernière partie de l’ouvrage consacrée à la période « radicale » du mouvement, qui correspond à la deuxième partie de la décennie 1960, et qui vit notamment la jeunesse noire se mobiliser contre les inégalités raciales. Cette dernière partie, à commencer par le chapitre VII, propose d’étudier une autre source de tension au sein des mouvements de mobilisation noirs, les conflits entre les différentes générations, qui mirent en exergue des clivages idéologiques, organisationnels et stratégiques profonds. Olivier Mahéo explore ainsi le rôle symbolique de John Lewis, dont la vie et le militantisme servent de fil conducteur pour mieux comprendre les dissensions qui traversèrent le mouvement dans les années 1960 et 1970, particulièrement à travers des événements comme la marche sur Washington en 1963, mais également les Freedom Rides ou les marches à Montgomery et Selma. L’originalité de l’ouvrage réside ici encore dans la capacité de l’auteur à apporter un éclairage nouveau sur ces moments cruciaux de l’histoire des militantismes noirs, invitant le lecteur à lever le voile sur des faits méconnus mais non moins symptomatiques de l’hétérogénéité du mouvement des droits civiques. Olivier Mahéo explique comment le jeu de l’image et de la photographie fut particulièrement important pour faire de SNCC, « l’enfant terrible du mouvement » par opposition à la NAACP, perçue comme le pan modéré, légaliste, et donc acceptable dans le cadre du consensus libéral symbolisé par le Civil Rights Act de 1964 et le Voting Rights Act de 1965. Ces deux lois, présentées à tort comme l’acmé du mouvement, furent pourtant aussi un tournant et l’année 1964 est désormais connue comme marquant une rupture de la coalition libérale, rupture incarnée par une femme noire, Fannie Lou Hamer, dont le rôle est analysé dans le chapitre VIII.
5Si l’originalité de l’ouvrage d’Olivier Mahéo réside dans cette volonté de déconstruction d’une vision idéalisée, voire mythifiée du mouvement des droits civiques, elle repose également sur un important travail de recherche de sources et d’archives méconnues. Olivier Mahéo s’appuie ainsi beaucoup sur les autobiographies de certains militants et de certaines militantes pour mieux souligner l’importance de l’enjeu de mémoire. Conscient des limites que ces sources peuvent présenter, Olivier Mahéo rappelle néanmoins en conclusion combien la question des pratiques mémorielles sont au cœur des enjeux méthodologiques et scientifiques pour tout historien, et indique l’importance d’explorer plus en profondeur ces aspects dans des travaux futurs. Si cet ouvrage est avant tout une invitation à replonger dans le mouvement des droits civiques et les mobilisations noires, il est également un point d’ancrage essentiel pour comprendre les enjeux contemporains relatifs à la mobilisation des minorités aux États-Unis. À l’heure où le Parti démocrate est pressé par une aile progressiste jeune et diverse, et où le mouvement Black Lives Matter est venu télescoper et questionner le symbolisme de la première présidence noire, le travail d’Olivier Mahéo rappelle que l’étude des luttes pour l’égalité raciale aux États-Unis réside dans la compréhension de la nature protéiforme et hétérogène de celles-ci. Cet ouvrage apporte donc une pierre importante à l’édifice des « African-American studies ». Il permettra à toute personne, chercheur ou étudiant, intéressée par les mobilisations noires d’avoir une vision plus précise et plus complète d’une période charnière de l’histoire africaine-américaine.
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References
Electronic reference
Gregory Benedetti, “Olivier Mahéo, De Rosa Parks au Black Power. Une histoire populaire des mouvements noirs, 1945-1970”, Miranda [Online], 30 | 2024, Online since 01 October 2024, connection on 18 February 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/miranda/62310; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12hwu
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