Cécile Treffort, Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et manifeste politique (milieu viiie-début xie siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 383 p.
Texte intégral
1Dans cet ouvrage, qui reprend sa thèse d’habilitation, Cécile Treffort entend revaloriser l’intérêt historique des épitaphes. L’absence de données biographiques ou historiques précises, la répétition, et l’usage de formules stéréotypées ont souvent détourné les historiens de ces documents. L’auteur démontre au contraire que ce type de sources peut être d’une grande richesse et propose une nouvelle méthode pour les analyser et les comprendre. Son objet d’étude est à la fois vaste et précis : il s’agit de toutes les inscriptions funéraires carolingiennes conservées, sur la pierre ou dans les manuscrits : les textes cachés dans la sépulture (endotaphes) ou visibles par tous (épitaphes), les graffitis sur table d’autel, et les inscriptions sur les reliquaires. C. Treffort s’est attachée à étudier le contenu des inscriptions, mais aussi leur emplacement dans l’église et leur support. Au cours de l’argumentation, les dossiers de sources sont présentés avec un grand nombre de relevés et de clichés qui rendent compte de la matérialité de ces documents.
2Cette synthèse a nécessité un long travail sur le terrain pour localiser, inventorier et éditer les inscriptions lapidaires. Pour chaque dossier la même méthode a été appliquée : relevé, transcription, datation puis analyse. C. Treffort souligne combien ce genre d’étude est actuellement difficile à mener du fait de l’absence de répertoires recensant toutes les inscriptions carolingiennes. Elle dresse d’ailleurs, en annexe, un catalogue des inscriptions funéraires françaises pour la période qui s’étend du milieu du viiie siècle au milieu du xie siècle.
3L’ouvrage est organisé en cinq parties. Les trois premières parties dressent une vaste synthèse sur l’usage et la fabrication des épitaphes entre le viiie et le xie siècle dans l’Europe carolingienne. Sa démarche est progressive, elle commence par les inscriptions cachées et celles des plus humbles, pour arriver aux inscriptions dont la publicité est la plus importante, celles des grands laïcs et ecclésiastiques, des proches du souverain, des papes et des rois. Les enjeux ne sont pas les mêmes que l’on s’adresse à un lecteur futur à l’intérieur de la tombe ou à l’ensemble de la communauté des fidèles à l’extérieur. Les deux dernières parties sont une mise en perspective de l’apport des épitaphes comme source à l’histoire culturelle et politique de l’empire carolingien.
4C. Treffort a choisi d’étudier les épitaphes dans leur ensemble et non d’essayer de retracer le parcours des défunts. Chaque exemple épigraphique est décomposé en plusieurs éléments distincts pour être ensuite comparé à d’autres sources : analyse de l’écriture (recherche de la perfection graphique), contenu du texte et recherche esthétique, conditions de sa production, de sa réalisation, et de sa transmission dans de nombreux manuscrits, etc. Le deuxième trait distinctif de la méthode de C. Treffort est de ne pas avoir négligé les formules et les stéréotypes repris dans de nombreuses épitaphes. Elle a ainsi procédé à l’identification des formules et à l’étude des procédés de composition. Selon C. Treffort, la répétition des formules doit être comprise comme l’expression de la cohérence de la culture partagée par les différents auteurs. Cette valorisation de la répétition et de la reprise est propre à la culture carolingienne et les épitaphes sont un genre littéraire que l’histoire culturelle ne peut ignorer.
5Mais l’apport le plus important est celui fait à l’histoire politique. L’art épigraphique existe déjà à l’époque mérovingienne, mais la période carolingienne se distingue pour deux raisons : la mise en place d’un réel programme épigraphique de la part des souverains francs, et l’insistance sur l’importance de la prière. Les épitaphes sont rares, car elles ne concernent que les membres de l’élite et parmi eux ceux dont la mémoire mérite d’être conservée, soit en raison des conditions de leur mort, soit en raison de leur prestige.
6Après avoir étudié les épitaphes des membres de l’élite, C. Treffort termine son parcours par les épitaphes de la famille royale et des souverains eux-mêmes. La dispersion des épitaphes royales à travers l’empire suit les aléas de son expansion, de sa construction et de sa dislocation. Chaque roi mène une politique mémorielle et épigraphique différente, mais qui poursuit la même perspective : la construction d’un territoire unifié autour d’un souverain, assimilant le souvenir de Rome et identifiant l’empire à l’Ecclesia. Les épitaphes jouent un rôle essentiel dans le système commémoratif carolingien, tout comme les livres mémoriaux et les autres pratiques liturgiques pour entretenir la mémoire des morts. Ces pratiques ont elles-mêmes un rôle à jouer dans la construction politico-religieuse de l’empire.
7Les épitaphes des rois et celles des plus humbles sont à la fois très proches et très éloignées. Elles sont différentes par la complexité du décor et de la graphie, par la sophistication du texte épigraphique, par sa longueur et son esthétisme. Mais elles se rejoignent sur les éléments présents dans le texte, cette recherche de perfection qui doit refléter la perfection de la vie du défunt et par les buts recherchés dans cette publicité mémorielle. Chaque épitaphe est composée de trois éléments essentiels : le nom du défunt, la date de sa mort et les circonstances du décès. La grande nouveauté de cette période vient de la généralisation de l’appel à la prière à la fin de l’épitaphe. Ce dernier élément traduit des enjeux considérables pour la société chrétienne.
8L’époque carolingienne est une période de mise en place et de structuration du système commémoratif. L’étude des épitaphes permet d’éclairer le rôle des fidèles qui paraissent souvent absents ou passifs dans les autres sources où les enjeux de la mémoire des morts semblent n’appartenir qu’au clergé. C. Treffort insiste sur la notion de solidarité entre les morts et les vivants pour expliquer l’importance de la prière à cette époque en s’appuyant sur le contenu des épitaphes, qui développent le thème de la réciprocité (« prie pour moi et quelqu’un priera pour toi quand tu seras mort »). L’auteur identifie cette réciprocité à une véritable « chaîne de prières » entre les générations qui unit les différents membres de la société. Les épitaphes participent à la construction de l’Ecclesia, à la fois bâtiment et communauté des fidèles. Elles nous apprennent comment le programme carolingien vise à identifier l’Église terrestre (fidèles de Dieu et sujets du roi) à l’Église céleste, dans une même perspective eschatologique.
9Après cette étude remarquable il ne sera plus possible aux historiens de méconnaître ou d’ignorer les épitaphes et leur rôle dans l’histoire de l’empire carolingien.
Pour citer cet article
Référence papier
Gaëlle Calvet-Marcadé, « Cécile Treffort, Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et manifeste politique (milieu viiie-début xie siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 383 p. », Médiévales, 55 | 2008, 181-183.
Référence électronique
Gaëlle Calvet-Marcadé, « Cécile Treffort, Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et manifeste politique (milieu viiie-début xie siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 383 p. », Médiévales [En ligne], 55 | automne 2008, mis en ligne le 08 mai 2009, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/5511 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.5511
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