Bart Bezamusca et Frank Besamusca, The Arthur of the Low Countries. The Arthurian Legend in Dutch and Flemish Literature
Bart Besamusca et Frank Brandsma (dir.), The Arthur of the Low Countries. The Arthurian Legend in Dutch and Flemish Literature, Cardiff, University of Wales Press (« Arthurian Literature in the Middle Ages », 10), 2021, xx-250 p.
Texte intégral
- 1 B. Besamusca, « The Medieval Dutch Arthurian Material », dans W. H. Jackson, S. Ranawake éd., The A (...)
1C’est à un aspect souvent négligé des études arthuriennes que ce livre est consacré : la matière de Bretagne dans le monde néerlandophone. Il constitue le dixième volume d’une collection qui, depuis plus de trente ans, est devenue une des principales références dans ce vaste champ, chaque tome se proposant de couvrir, à travers des chapitres de synthèse, l’ensemble de la production relevant de la matière de Bretagne dans un domaine linguistique donné. Il existait certes, dans le troisième volume de la collection publié en 2000, un chapitre de Bart Besamusca sur la tradition arthurienne dans le domaine néerlandais1 ; mais le livre ici recensé montre que le sujet méritait bien qu’on lui consacrât un volume qui, bien que sensiblement plus mince que la plupart des autres (il ne comprend que neuf chapitres contre quinze à vingt-cinq dans les autres tomes de la collection), rendra sans nul doute autant de services.
2L’introduction des deux éditeurs présente le corpus médiéval et la bibliographie existante. Principalement datées des xiiie et xive siècles, les œuvres arthuriennes en néerlandais sont soit traduites d’œuvres françaises (ou, beaucoup plus rarement, anglaises), soit originales ; elles sont habituellement écrites en vers, même si les auteurs signalent deux œuvres en prose. Le chapitre 1, par Bram Caers et Mike Kestemont, s’avère également introductif, puisqu’il plante le décor en présentant le contexte culturel, politique et social dans lequel ces œuvres ont été composées : le monde à la fois urbain et aristocratique des anciens Pays-Bas, où la matière de Bretagne est devenue, à partir du xiiie siècle, « une caractéristique déterminante de la culture courtoise ». Les auteurs étudient dès lors les dynamiques de commande et de patronage qui permettent l’émergence d’une littérature arthurienne propre au domaine linguistique traité, dans le cadre des différentes principautés qui se partagent cet espace.
3Le domaine néerlandais est ici entendu de manière extensive, c’est-à-dire à travers toutes ses variantes (du flamand aux parlers proches du bas-allemand en passant par le dialecte brabançon) et dans ses interactions avec les domaines linguistiques voisins. On notera d’abord l’importance du français : le bref chapitre 2, par Keith Busby et Martine Meuwese, évoque la circulation de la littérature arthurienne française aux Pays-Bas, un phénomène traité principalement comme un élément de contexte puisqu’un grand nombre d’œuvres néerlandaises sont, on l’a vu, des traductions ou adaptations d’œuvres françaises. On sait bien sûr que Chrétien de Troyes désigne Philippe d’Alsace, comte de Flandre, comme le commanditaire du Conte du Graal : le lien entre la littérature arthurienne française et la cour flamande est donc précoce. De fait, c’est en Flandre, principauté marquée par la coexistence des deux langues et dominée par des élites souvent bilingues, voire exclusivement francophones, que la matière arthurienne a d’abord été adaptée en néerlandais, avant de connaître une diffusion vers le Brabant puis vers les régions situées plus au nord et à l’est. Mais le livre couvre aussi à travers le chapitre 8, par Jürgen Wolf, dédié à la littérature arthurienne en Rhénanie, un domaine linguistique proche où les dialectes sont bas-allemands et franconiens : de fait, la frontière linguistique entre le bas-allemand et le néerlandais était au Moyen Âge (et reste à maints égards) difficile à tracer. L’auteur repère des circulations dans les deux sens entre la Rhénanie et les Pays-Bas. Enfin, même si elle ne fait pas l’objet d’un chapitre spécifique, l’influence anglaise n’est pas à négliger : alors qu’aucune composition néerlandaise médiévale relevant de la matière de Bretagne n’a été imprimée avant l’époque contemporaine, le premier (et longtemps le seul) roman arthurien jamais imprimé en néerlandais est une Historie van Merlijn adaptée d’un original en moyen anglais, publiée vers 1540 à Anvers.
4Bien entendu, la plupart des chapitres sont consacrés au seul domaine linguistique néerlandais. Le chapitre 3, par Bart Besamusca, propose un tour d’horizon des manuscrits dans lesquels la littérature arthurienne a été copiée. La plupart des dix-neuf romans arthuriens attestés ont été composés entre le tout début du xiiie siècle et le milieu du xive siècle. Leur transmission est, au total, relativement limitée si on la compare à celle de certains romans français : huit romans néerlandais sont connus par un manuscrit unique, six par deux copies, les autres par trois, quatre ou cinq copies. La nature des manuscrits est en revanche très variable : la plupart sont des copies relativement modestes, sans illustration, mais il existe deux manuscrits enluminés, tous les deux conservés à Leyde (Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, Ltk 191 et Ltk 195).
5Les chapitres 5 à 7 constituent le cœur du livre, puisqu’ils passent en revue l’ensemble des romans arthuriens médiévaux en langue néerlandaise. Ceux-ci sont répartis en trois groupes : les traductions et adaptations de romans français en vers (chapitre 5, par Marjolein Hogenbirk et David F. Johnson) ; les compositions originales, ici qualifiées d’« indigènes » (chapitre 6, par Simon Smith et Roel Zemel) ; les traductions et adaptations de romans français en prose, en particulier trois (voire quatre ou cinq) traductions indépendantes du cycle du Lancelot-Graal (chapitre 7, par Frank Brandsma). Il s’agit en tout d’une quinzaine de romans, entre lesquels on peut parfois repérer des traits communs. Ainsi, on peut noter l’importance du personnage de Lancelot (Lanceloet en néerlandais), mais aussi, et surtout, de celui de Gauvain (Walewein), très populaire en milieu néerlandais, chevalier idéal, parangon de courtoisie et « père de l’aventure » (der avonturen vader). De même, on observera que les romans néerlandais ont tendance à minimiser la dimension religieuse si présente dans nombre de romans français : ainsi le Graal est-il relégué au second plan, plusieurs épisodes qui le concernent étant réduits ou omis, au profit d’un traitement essentiellement chevaleresque et courtois.
6Parmi tous les auteurs connus ou anonymes ici évoqués, deux figures se distinguent : Jacob van Maerlant et Lodewijk van Velthem. Le premier, Flamand établi en Zélande dans la seconde moitié du xiiie siècle, s’est illustré par des traductions du français (avec un diptyque composé d’une Historie van den Grale et d’un Merlijn, adaptés du cycle français de la Vulgate), des compositions originales (avec le roman de chevalerie Torec) ainsi qu’une chronique adaptée du Speculum historiale de Vincent de Beauvais (le Spiegel historiael) où l’on trouve également des échos arthuriens puisque Maerlant a « complété » le texte de Vincent en insérant des éléments repris à Geoffroy de Monmouth. De fait, en marge de la littérature de divertissement qui constitue l’essentiel de la production arthurienne néerlandaise, il ne faut pas oublier la présence d’Arthur et de la matière bretonne dans l’historiographie : c’est à ce sujet qu’est consacré le chapitre 4, par Thea Summerfield. Quant au Brabançon Lodewijk van Velthem, il est connu pour avoir écrit des continuations du Merlijn et du Spiegel de Maerlant, mais il est également associé au principal manuscrit arthurien du domaine néerlandais (Den Haag, Koninklijke Bibliotheek, 129 A 10), étudié de près par Frank Brandsma au chapitre 3 puis à nouveau dans plusieurs autres chapitres. Connu sous le nom de « Lancelot Compilation », ce manuscrit réalisé au début du xive siècle comprend pas moins de dix romans arthuriens ; il contient des annotations contemporaines révélatrices de la façon dont la matière de Bretagne pouvait être perçue dans l’espace néerlandais.
7Le chapitre 9, enfin, propose un tour d’horizon de la production arthurienne dans les Pays-Bas et la Belgique néerlandophone à l’époque contemporaine. Après une longue éclipse de plus de trois cents ans pendant lesquels Arthur n’apparaît guère hors de la liste canonique des « Neuf Preux » et de quelques ouvrages relevant de l’historiographie, la matière de Bretagne redevient populaire à la fin du xixe siècle. Dès lors, la plupart des publications et productions artistiques arthuriennes sont directement influencées par la culture anglophone, avec des traductions et adaptations d’Alfred Tennyson, Mark Twain, Terence Hanbury White et quelques autres. On note toutefois des tentatives de retour aux œuvres médiévales néerlandaises, par exemple à travers la reprise de deux romans du xiiie siècle par des écrivains des Pays-Bas : Walewein est adapté en 1888-1890 par Gerardus Henri Betz, tandis que Ferguut est réécrit pour un lectorat enfantin par Dirk L. Daalder en 1924. Après 1945, un grand nombre de publications, souvent destinées à la jeunesse, font à nouveau d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde des figures familières dans la culture flamande ou néerlandaise, désormais présentes dans tous les genres et sur tous les supports : roman, bande dessinée, théâtre, cinéma, télévision, radio, musique savante et populaire.
Notes
1 B. Besamusca, « The Medieval Dutch Arthurian Material », dans W. H. Jackson, S. Ranawake éd., The Arthur of the Germans. The Arthurian Legend in Medieval German and Dutch Literature, Cardiff, 2000, p. 187-228.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Alban Gautier, « Bart Bezamusca et Frank Besamusca, The Arthur of the Low Countries. The Arthurian Legend in Dutch and Flemish Literature », Médiévales, 83 | 2023, 249-252.
Référence électronique
Alban Gautier, « Bart Bezamusca et Frank Besamusca, The Arthur of the Low Countries. The Arthurian Legend in Dutch and Flemish Literature », Médiévales [En ligne], 83 | automne 2022, mis en ligne le 13 juin 2023, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/12733 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.12733
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