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Notes de lecture et comptes rendus d’expositions

Christopher Michael Berard, Arthurianism in Early Plantagenet England. From Henry II to Edward I

Woodbridge, Boydell Press (« Arthurian Studies », 88), 2019.
Alban Gautier
p. 245-249
Référence(s) :

Christopher Michael Berard, Arthurianism in Early Plantagenet England. From Henry II to Edward I, Woodbridge, Boydell Press (« Arthurian Studies », 88), 2019, viii-364 p.

Texte intégral

1Le rapport que les souverains de la dynastie Plantagenêt ont entretenu avec la matière de Bretagne est un sujet complexe et débattu qui a déjà fait l’objet de nombreux travaux, souvent dispersés et consacrés soit à un roi en particulier, soit à une œuvre, soit à une thématique : le rôle des Plantagenêts dans la transmission de la matière de part et d’autre de la Manche, les usages politiques d’une pratique telle que la tenue de « tables rondes », la citation de précédents arthuriens à l’appui de revendications de suzeraineté sur l’Écosse, etc. Le livre de C. M. Berard, tiré d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Toronto en 2015, se propose de renouer l’ensemble des fils de ce vaste sujet en menant l’enquête depuis le milieu du xiie siècle jusqu’au début du xive siècle. Il étudie ainsi, de manière quasi exhaustive, toutes les modalités de l’« arthurianisme » mises en œuvre par les rois d’Angleterre, leur parenté et leur entourage, mais aussi par certains de leurs adversaires : organisation et participation à des événements sportifs ou à des spectacles arthuriens, patronage d’œuvres littéraires, diffusion de messages arthuriens à travers l’héraldique, l’architecture, les regalia ou les monnaies, création de rituels imitant ou évoquant les récits arthuriens. L’auteur s’appuie pour cela sur le corpus déjà bien étudié de la littérature arthurienne (historiographie latine et romans en français ou en anglais), mais il s’attache aussi à « collecter les mentions arthuriennes hors de la littérature arthurienne ». L’arthurianisme ainsi défini et étudié relève dès lors du politique : ce qui intéresse l’auteur, ce sont les usages politiques de ces diverses modalités, l’identité et les motivations de ceux qui s’en saisissent, les publics visés et les buts recherchés, ainsi que l’efficacité plus ou moins grande des diverses pratiques arthuriennes.

2Le plan retenu par C. M. Berard est on ne peut plus classique : après une introduction brève, mais dense, les cinq chapitres du livre correspondent aux règnes des cinq premiers rois de la dynastie. Cela lui permet de dégager une évolution qui épouse globalement une courbe en « U » : entre les deux apogées que représentent les règnes d’Henri II (1154-1189) et Édouard Ier (1272-1307), deux rois singulièrement attachés à la matière arthurienne et à ses usages politiques, se dessine un creux qui s’amorce déjà sous Richard Cœur-de-Lion (1189-1199) et qui marque singulièrement les règnes de Jean sans Terre (1199-1216) et Henri III (1216-1272). En cela, le livre pourrait sembler ne proposer qu’une réaffirmation de thèses défendues depuis longtemps, par exemple sous la plume d’auteurs tels que J. S. P. Tatlock, dont l’ombre tutélaire plane sur les premiers chapitres. Mais s’il est vrai que l’auteur renoue avec une historiographie classique, il le fait en mettant en avant quatre séries d’arguments qui, à nos yeux, font tout l’intérêt et la valeur de sa thèse.

  • 1 J. Gillingham, « The Context and Purposes of Geoffrey de Monmouth’s History of the Kings of Britain(...)

3En premier lieu, C. M. Berard apporte plusieurs arguments, dont certains sont assez neufs, à l’appui de la thèse ancienne d’un fort intérêt de la part d’Henri II pour la figure d’Arthur et la matière de Bretagne, et donc d’un arthurianisme précoce des Plantagenêts. Contestée par John Gillingham et, dans une moindre mesure, par Martin Aurell, cette thèse avait déjà été réaffirmée et recontextualisée par Amaury Chauou dans un livre paru en 2001 et que, malheureusement, l’auteur cite fort peu1. On est parfois chagriné de voir C. M. Berard redécouvrir certains aspects déjà connus depuis une quinzaine d’années au moment où il écrivait sa thèse : effet d’une recherche anglophone qui fonctionne un peu en circuit fermé et néglige trop souvent les apports des travaux parus dans d’autres langues ? Il reste que l’auteur apporte aussi des arguments originaux qui renforcent l’idée selon laquelle Henri II, loin d’abandonner Arthur aux Gallois, a activement cherché à récupérer à son profit la matière de Bretagne, en mettant en œuvre deux types de stratégies, qui reviennent toutes deux à déposséder les Bretons (au sens large) de leur héros pour en faire un prédécesseur du seul roi d’Angleterre : dès lors, « expropriation », « anglicisation » et « angevinisation » sont les maîtres mots de l’opération qui consiste à la fois à exalter un Arthur « historique », souverain glorieux et chevaleresque, et à dénigrer un Arthur « du mythe celtique », objet de croyances irrationnelles et ridicules. D’un côté, Henri II est lui-même dépeint comme héritier et imitateur d’Arthur : en témoignent plusieurs passages, soigneusement analysés, des œuvres de Wace, Étienne de Rouen ou Chrétien de Troyes. D’autre part, les propagandistes angevins s’efforcent de délégitimer l’usage qu’en avaient les Bretons. L’étude des textes qui mentionnent l’« espoir breton », c’est-à-dire la croyance en un « retour d’Arthur », débouche sur une conclusion ferme, qui là encore rejoint des positions déjà connues, mais en les systématisant et en les étayant plus solidement : les Bretons du xiie siècle n’ont jamais cru qu’Arthur était vivant et reviendrait pour les sauver ; c’est l’entourage d’Henri II qui a diffusé la fable de cette soi-disant croyance, en usant d’une rhétorique en partie calquée sur la polémique anti-juive. Les Bretons apparaissent ainsi, sous la plume d’auteurs favorables au Plantagenêt, comme un peuple irrationnel, enfermé dans des croyances primitives et dépassées, attendant encore un sauveur, un messie qui pourtant est déjà venu.

4Le deuxième point que ce livre met en avant touche à la figure du jeune Arthur Plantagenêt, fils de Geoffroy et de Constance de Bretagne, petit-fils d’Henri II et neveu de Richard Ier et de Jean sans Terre. L’auteur relit la plupart des manifestations d’arthurianisme de ces deux derniers rois en regard de la carrière du jeune prince, d’abord héritier désigné de Richard puis adversaire de Jean. Ainsi, l’arthurianisme de Richard, moins net que celui de son père Henri II, aurait surtout été destiné à doter son neveu Arthur d’un capital symbolique adapté à son statut de double héritier des Plantagenêts et des ducs de Bretagne ; mais le roi croisé lui-même, pourvu d’un capital chevaleresque qui, de son vivant, était déjà considérable, n’aurait guère eu besoin de se présenter comme un héritier du roi des Bretons. C. M. Berard revisite par exemple avec bonheur un épisode rapporté par Roger de Hoveden et très souvent invoqué par les historiens : le don par Richard de l’épée d’Arthur, Caliburnus, au roi de Tancrède de Sicile, qu’il offre d’inscrire plus étroitement dans le cadre du projet de mariage entre le jeune Arthur et la fille du Sicilien. Quant à Jean sans Terre, son désintérêt pour le roi Arthur peut aussi être réinterprété à la lumière de son affrontement avec son neveu : toute évocation du roi mythique des Bretons ne pouvait que rappeler la disparition douteuse d’Arthur de Bretagne.

5Le règne de Jean et celui de son fils Henri III correspondent donc à une période de recul de l’arthurianisme de la part des rois d’Angleterre. De fait, l’auteur note que ces deux souverains n’ont pas choisi, à l’instar de leurs prédécesseurs, de projeter une image de rois-chevaliers et, au-delà des raisons qui touchent au problème spécifique d’Arthur de Bretagne, il apparaît qu’ils ont eu moins d’intérêt à embrasser la figure du roi Arthur. Mais, et c’est là le troisième point que ce livre permet de souligner, ce recul ne signifie en aucun cas la fin de l’arthurianisme politique dans les territoires qui dépendent des Plantagenêts. La figure d’Arthur est désormais récupérée par d’autres individus et d’autres groupes, qui l’utilisent précisément pour contester aux souverains le monopole de l’héritage arthurien. C’est le cas des barons anglais qui, dès le règne de Jean, l’instrumentalisent à leur tour : ainsi la « London Collection », dossier juridique contre l’arbitraire royal qui a servi à l’élaboration de la Grande Charte, met en exergue la figure d’Arthur, souverain impérial et législateur. Sous Henri III, c’est plutôt le frère du roi, Richard de Cornouailles, qui s’efforce d’utiliser à son profit la figure du roi Arthur, même si cet usage connaît bien des intermittences. Surtout, les décennies centrales du xiiie siècle voient se mettre en place une nouvelle instrumentalisation politique d’Arthur en milieu gallois, de la part des princes de Gwynedd : ceux-ci, prenant exemple sur Henri II, se présentent comme des héritiers d’Arthur, voire comme un « nouvel Arthur », et utilisent la matière de Bretagne pour s’opposer aux « Saxons ». Loin de disparaître dans le creux de la courbe en « U », l’arthurianisme politique connaît donc une série de déplacements.

6C’est à ces déplacements et ces instrumentalisations alternatives que réagit Édouard Ier, un roi qui renoue avec les usages politiques de l’arthurianisme – une attitude qui entre en résonance avec l’image de roi-chevalier à laquelle le Plantagenêt adhère de nouveau. C’est là que l’auteur déploie sa quatrième idée directrice : à l’encontre des arguments de Roger Sherman Loomis et dans la lignée de Maurice Powicke, il estime que l’arthurianisme d’Édouard Ier ne s’explique pas par le seul « goût » que le roi aurait eu pour la matière de Bretagne. Une contextualisation soigneuse de toutes les manifestations arthuriennes du règne démontre qu’il s’agit bien d’un arthurianisme fondamentalement politique, dont les motivations peuvent toujours être reliées aux combats de l’heure : comme son oncle Richard de Cornouailles, le roi ne réactive la figure d’Arthur que quand elle lui est utile. L’auteur identifie ainsi deux « moments arthuriens » au cours du règne. On assiste à un premier déploiement de la propagande arthurienne entre 1277 et 1283, c’est-à-dire entre la fin de la première guerre menée contre les princes de Gwynedd et l’écrasement de ces derniers lors d’un second conflit : dans ce contexte, il s’agit clairement de contrer l’arthurianisme des princes gallois et de réaffirmer que les rois d’Angleterre sont les seuls à pouvoir se réclamer d’Arthur. Le second moment se situe après 1301, quand la tentative de mainmise sur l’Écosse marque le pas : Arthur est ici invoqué comme un précédent historique établissant la suzeraineté du roi anglais sur son homologue écossais. Les nombreuses « activités arthuriennes » auxquelles Édouard Ier et son entourage se livrent dans chacune de ces deux phases – tournois, tables rondes, translation du corps d’Arthur vers un nouveau tombeau à Glastonbury, rédaction d’argumentaires, patronage littéraire – témoignent de la volonté de mettre l’ancien roi des Bretons au service de l’actuel roi d’Angleterre.

7Malgré des défauts que l’on retrouve souvent dans les thèses de doctorat qui nous parviennent d’outre-Atlantique et qui peuvent nous agacer – un manque d’attention à la bibliographie non anglophone, un ton très péremptoire, et surtout ce besoin opiniâtre d’exciper à toute force et un peu artificiellement de l’originalité du propos –, ce livre offre donc un très utile tour d’horizon des instrumentalisations politiques du roi Arthur en milieu Plantagenêt. Il est certain que C. M. Berard défend une thèse et que celle-ci ne manquera pas d’être contestée, ou du moins nuancée sur tel ou tel dossier. Mais parce qu’il le fait en s’appuyant sur une documentation abondante, bien analysée et soigneusement contextualisée, cette thèse s’avère convaincante.

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Notes

1 J. Gillingham, « The Context and Purposes of Geoffrey de Monmouth’s History of the Kings of Britain », Anglo-Norman Studies, 13 (1991), p. 99-118 ; M. Aurell, La Légende du roi Arthur, 550-1250, Paris, 2007 ; A. Chauou, L’Idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace Plantagenêt (xiie-xiiie siècles), Rennes, 2001. L’auteur, en revanche, n’a pas pu avoir connaissance d’un ouvrage plus récent du même A. Chauou, Les Plantagenêts et leur cour, 1154-1216, Paris, 2019, paru après le livre de C. M. Berard et qui prend en compte ses apports.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alban Gautier, « Christopher Michael Berard, Arthurianism in Early Plantagenet England. From Henry II to Edward I »Médiévales, 83 | 2023, 245-249.

Référence électronique

Alban Gautier, « Christopher Michael Berard, Arthurianism in Early Plantagenet England. From Henry II to Edward I »Médiévales [En ligne], 83 | automne 2022, mis en ligne le 13 juin 2023, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/12724 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.12724

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Auteur

Alban Gautier

Université de Caen Normandie / Craham UMR 6273

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