Navigation – Plan du site

AccueilNuméros84ThèmePetites guerres en famille : comb...

Thème

Petites guerres en famille : combattants et violences intrafamiliales dans le duché de Normandie (xe-xiie siècles)

Family Petty Warfare: Warriors and Intrafamilial Violence in Normandy (Tenth-Twelfth Centuries)
Hugo Fresnel
p. 81-100

Résumés

Pendant longtemps, la parenté médiévale a le plus souvent été envisagée sous l’angle de la solidarité mais plusieurs études récentes se sont intéressées aux conflits qui peuvent y émerger. Dans ce sillage, cet article interroge les perceptions et l’usage de la violence en temps de guerre entre parents dans le cadre du duché de Normandie. En adoptant une démarche d’anthropologie historique, nous étudierons successivement des exemples de violence entre membres de la dynastie ducale puis au sein de lignages aristocratiques. Il se dégage tout d’abord une impression de modération de ces guerres intrafamiliales, découlant en partie d’un ethos chevaleresque mis en lumière par Matthew Strickland. Cette retenue se traduit en particulier par le fait d’éviter au maximum de porter la main sur son parent au cœur de la bataille. Après le combat, la prison semble être la peine maximale qu’un individu peut imposer à un de ses parents. Toutefois, quelques contre-exemples existent malgré ces normes et le rejet de la violence intrafamiliale en temps de guerre n’est jamais total.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 P. Bauduin, « L’insertion des Normands dans le monde franc fin ixe-début xe siècle : l’exemple des (...)
  • 2 D. Barthélemy, La Chevalerie, de la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, 2007, p. 2 (...)

1Les Normands sont-ils encore des guerriers du Nord aux xe-xiie siècles ? La question peut se poser au vu des nombreux travaux qui insistent sur l’insertion de Rollon et des Nortmanni dans le monde franc1. Il est certain que l’art de la guerre en Normandie appartient davantage au monde franc qu’au monde scandinave, au point d’avoir été régulièrement perçu comme un des éléments fondateurs de la chevalerie et de la féodalité à partir du xie siècle2.

  • 3 Pour un exemple sur la dynastie ducale: E. Searle, Predatory Kinship and the Creation of Norman Po (...)
  • 4 R. Le Jan, Famille et Pouvoir dans le monde franc : viie-xe siècle. Essai d’anthropologie sociale, (...)
  • 5 M. Aurell éd., La Parenté déchirée : les luttes intrafamiliales au Moyen Âge, Turnhout, 2010 ; S.  (...)
  • 6 D. Lett, Famille et Parenté dans l’Occident médiéval, ve-xve siècle, Paris, 2000, p. 2.
  • 7 Jean-Clément Martin utilise cette expression dans : P. Minard et al., « Histoire et anthropologie, (...)
  • 8 M. Mead, « Alternatives to War », dans M. H. Fried et al. éd., War. The Anthropology of Armed Conf (...)

2Pendant longtemps, la parenté a avant tout été associée à des notions de solidarité et d’alliance3. Même si plusieurs auteurs ont établi que la parenté peut aussi être un lieu de conflits4, la publication sous la direction de Martin Aurell de La Parenté déchirée a permis de définitivement mettre un terme à cette vision qui occultait les mécanismes conflictuels5. Nous souhaiterions prolonger la réflexion en nous penchant sur ces déchirements lorsqu’ils se déroulent dans un contexte militaire. Nous devons tout d’abord expliquer le choix des mots. Nous entendrons par parenté l’ensemble des relations qui découlent de liens de filiation, d’alliance ou fictifs, et qui sont reconnues par les contemporains6. En ce qui concerne la violence, en donner une définition est chose pour le moins compliquée et ce point ne peut être développé ici. Le problème est en effet vaste et la violence est généralement considérée comme « proprement indéfinissable », pour reprendre l’expression de Jean-Clément Martin7. Les définitions données sont donc dictées par un souci de clarté du propos. Par la suite, nous distinguerons la violence de guerre, légitime et caractérisée par un ensemble de normes qui peuvent aller jusqu’au meurtre légal (pour reprendre cette fois l’expression de Margaret Mead8), de la violence intrafamiliale, comprise comme toute atteinte, physique ou non, commise contre un parent et dont la légitimité est discutable pour les contemporains.

  • 9 S. Morillo, Warfare under the Anglo-Norman Kings : 1066-1135, Woodbridge, 1994 ; J. B. Gillingham, (...)
  • 10 R. W. Kaeuper, Chivalry and Violence in Medieval Europe, Oxford, 2002 ; D. Barthélemy, La Chevaler (...)
  • 11 J. Flori, « Guerre et chevalerie au Moyen Âge (à propos d’un ouvrage récent) », Cahiers de civilis (...)
  • 12 Malgré la volonté ducale de contrôler les faides, en particulier via la Paix de Dieu : M. Bennett, (...)

3La première question est celle de l’intensité et de la légitimité de la violence déployée par un individu en temps de guerre. À l’instar de la faide, la guerre obéit à des codes et à des normes qui contraignent, plus ou moins fortement, les combattants. Les travaux menés sur la guerre dans le monde anglo-normand ont justement tous insisté sur l’impression de modération qui s’en dégage, au moins entre chevaliers9. Celle-ci se caractérise par deux éléments. Premièrement, la capture – et la rançon qui peut en découler – est privilégiée entre chevaliers. Deuxièmement, les batailles rangées sont évitées, car elles engagent le jugement de Dieu, au profit de raids peu meurtriers qui poussent à la négociation. Ces conclusions rejoignent celles d’historiens qui ne prennent pas uniquement en compte les mondes normands, comme Dominique Barthélemy ou Richard Kaeuper10. Si ces études mettent en évidence une véritable éthique chevaleresque11, la question de savoir quels éléments sont transposables aux guerres intrafamiliales se pose. Dans un duché où les conceptions de la vengeance demeurent importantes12, sont-elles plus meurtrières ? Sont-elles au contraire le lieu d’une modération encore plus forte ? Les pratiques changent-elles lorsque l’on combat un parent ?

  • 13 M. Staunton, The Historians of Angevin England, Oxford, 2017.
  • 14 Pour citer Philippe Buc, « même les fictions donnent authentiquement accès aux conceptions des con (...)

4La deuxième question est celle de la perception de cette légitimité dans la documentation. Pour aborder ces guerres intrafamiliales, nous accédons avant tout au discours que des clercs tiennent sur les affrontements familiaux et non pas tellement aux motivations réelles des individus. Ces récits de violences intrafamiliales en temps de guerre traduisent avant tout des jugements moraux des chroniqueurs et doivent donc être replacés dans la construction du récit de ces différentes sources narratives13. Si nous n’avons pas pour but de revenir sur la vision globale de la guerre par les théologiens, les conceptions chrétiennes des auteurs sont fondamentales et doivent être prises en compte dans l’analyse des exemples de guerre intrafamiliale. Il faut donc faire attention aux intentions des différents auteurs, tout en considérant avec prudence que nous pouvons accéder par leur intermédiaire à un ensemble de conceptions et de représentations des contemporains14.

5Nous nous intéresserons d’abord à l’exemple de la dynastie ducale, en nous concentrant sur l’époque de Guillaume le Conquérant et de ses fils. Nous proposerons ensuite deux études de cas impliquant des aristocrates pour essayer de comprendre dans quelle mesure la violence de guerre entre parents a pu être modérée et selon quelles modalités.

Une condamnation des guerres intrafamiliales au sein de la dynastie ducale

  • 15 M. Aurell, L’Empire des Plantagenêt. 1154-1224, Paris, 2002, p. 45-50.
  • 16 Pour deux exemples, l’un sur la « Dacie », soit le Danemark, chez Dudon, et sur la guerre civile, (...)
  • 17 X. Storelli, « La figure d’Absalon dans la famille royale anglo-normande (xie-xiie siècles) », dan (...)
  • 18 K. Thompson, « L’héritier et le remplaçant : le rôle du frère puîné dans la politique anglo-norman (...)
  • 19 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XI, 20 (The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, éd. (...)

6La dynastie normande puis angevine a depuis longtemps fait l’objet de nombreuses remarques insistant sur la régularité de ces conflits internes15. Le jugement porté par les différentes sources sur ces guerres intrafamiliales est, sans surprise, négatif. Régulièrement, les chroniqueurs, ou les discours qu’ils reproduisent, condamnent le déchirement des parentés en temps de guerre16. Parler de la guerre entre parents, c’est d’abord déplorer la destruction d’un ordre familial considéré comme étant un des fondements de la société médiévale chrétienne. Cette condamnation a évidemment un fondement biblique. Des figures comme celles d’Absalon17 ou de Caïn18 servent de repoussoir afin de dénoncer la rupture du lien de parenté, qu’il soit filial ou fraternel. Les sources peuvent aussi s’appuyer sur des exemples antiques afin de rendre intelligible ces conflits. Vital de Mortain, selon Orderic Vital, compare ainsi les fils du Conquérant aux Lagides19. Tous ces exemples conservent en même temps une certaine ambivalence. Ils condamnent ces conflits tout en montrant leur caractère inévitable et peuvent donc ainsi les légitimer.

  • 20 T. Roche, « The Way Vengeance Comes : Rancorous Deeds and Words in the World of Orderic Vitalis », (...)
  • 21 Un thème très classique dans les conceptions politiques du temps : M. Billoré, « Introduction », d (...)
  • 22 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XI, 11 (vol. 6, p. 62-63).

7La terminologie n’est pas en soi réellement différente : le terme de bellum demeure utilisé (guerra est plus rare et ne porte pas en soi de jugement de valeur20) et, majoritairement, ce sont des termes plus précis (comme obsidio pour un siège) que nous rencontrons. De manière plus ponctuelle, des termes insistant sur l’idée de rupture peuvent aussi être employés (discordia). Celui qui rompt la concorde familiale au sein de la dynastie fait presque toujours l’objet d’un portrait critique de la part des chroniqueurs. Le premier registre sémantique est donc, sans surprise, celui de la condamnation morale (nefas, crudelis). Globalement, les sources évoluent autour des registres de la trahison (conspiratio, perjurus, perfidia)21, de la révolte (rebellio, seditio, dissensio) et de l’exaction commise par le parent auquel est imputé le conflit (iniquitas, miseria, tumultus). Lorsque ce n’est pas le cas et qu’un auteur prend le parti de l’initiateur de la guerre, il cherche toujours à le légitimer. Il en est ainsi dans la façon qu’a Orderic Vital de légitimer la guerre menée par Henri Ier contre son frère Robert Courteheuse, en soulignant à la fois le soutien de Dieu à Henri et la fin de la déliquescence de l’autorité dans le duché22.

  • 23 Ibid., XI, 20 (vol. 6, p. 86-87) : « audacter interdixit ne certarent comminus ».
  • 24 H. Platelle, « Pratiques pénitentielles et mentalités religieuses au Moyen Âge : la pénitence des (...)
  • 25 Très Ancien Coutumier, XXXV, 6 (Coutumiers de Normandie. Première partie, Le très ancien coutumier (...)

8Un point essentiel, et que les exemples à suivre confirmeront, réside dans l’évitement au maximum d’un combat interpersonnel pour empêcher qu’un individu fasse couler le sang de son parent. De manière significative, Orderic Vital fait intervenir Vital de Mortain, le fondateur de l’ordre de Savigny, lorsque ce dernier se rend compte que la bataille de Tinchebray en 1106 est inévitable entre Henri Ier et Robert Courteheuse. Celui qui est alors encore un ermite « leur interdit fermement de combattre au corps à corps23 ». Nous sommes presque ici face à la formulation par Orderic Vital d’un véritable tabou, le corps du frère devant être préservé de toute atteinte directe. Toutefois, les différents parents ne sont pas considérés de la même façon. En effet, le premier tabou est celui du parricide, aux fondements scripturaires évidents24, et dont la condamnation est fréquente dans les sources normandes (et ce jusque dans les premières versions plus tardives du Très Ancien Coutumier au xiiie siècle25). Le fratricide vient ensuite, mais, globalement, plus le lien de parenté est lointain, moins le crime semble être condamné. Surtout, ce tabou dépend aussi des formes de la violence. En effet, le discours de Vital de Mortain est ambivalent : il réaffirme la transgression que serait le fait de frapper (et pire de tuer) directement son frère, mais, dans le même temps, il ne les empêche pas de continuer la guerre.

  • 26 Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum, IV, 310 (éd. R. A. B. Mynors, R. M. Thomson, M. Win (...)
  • 27 Sur cette notion, et son lien avec les conceptions du péché, pour l’étude de la parenté, voir : D. (...)

9Pendant la bataille, des exemples de parents s’affrontant directement sont en effet très rares. Un premier cas est le siège subi par le futur Henri Ier au Mont-Saint-Michel par Guillaume le Roux et Robert Courteheuse en 1091 (Fig. 1). « Par Dieu, dois-je laisser mon frère mourir de soif ? Et quel autre frère aurions-nous si nous le perdions26 ? » : cette phrase est mise dans la bouche de Robert Courteheuse, duc de Normandie, par le chroniqueur Guillaume de Malmesbury. Robert explique à son frère Guillaume pourquoi il décide d’épargner leur cadet Henri, privé d’eau et dont la situation est alors critique. Si Guillaume prône la sévérité, Robert, au nom de la force du lien fraternel, se refuse à la possibilité de perdre un frère qui, pourtant, ne cessera de s’opposer à lui. Cette anecdote, qu’elle soit véridique ou non, n’apparaît pas en soi invraisemblable, mais l’enjeu de notre analyse est avant tout de nous demander comment Guillaume de Malmesbury présente ce conflit. Personne ne peut remplacer un membre de sa parenté, individu presque intouchable qui doit être protégé au risque de commettre un acte qui relèverait presque de l’interdit27. Au-delà des différends, l’appartenance à un même lignage doit transcender les oppositions au nom du maintien de la concorde, à la fois au sein de la parenté et de la société dans son ensemble.

Fig. 1. Arbre généalogique des individus mentionnés dans le texte et appartenant à la dynastie ducale

Fig. 1. Arbre généalogique des individus mentionnés dans le texte et appartenant à la dynastie ducale

© Hugo Fresnel et Jean-Claude Fossey

  • 28 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 2 (vol. 4, p. 130-133) : « Odo patruus tuus est » et (...)
  • 29 R. Le Jan, « Le royaume franc vers 900 : un pouvoir en mutation ? », dans P. Bauduin éd., Les Fond (...)

10Des exemples d’affrontements d’intensité croissante vont dans ce sens. Odon, demi-frère de Guillaume le Conquérant, a soutenu Robert Courteheuse contre Guillaume le Roux (Fig. 1). Il débarque en Angleterre et s’empare de Rochester, puis doit subir un siège mené par son neveu en 1088. Guillaume le Roux sait qu’Odon est le principal meneur de la révolte et refuse de lui accorder son pardon. Ainsi, si l’on suit Orderic Vital, les grands faisant partie de l’armée de Guillaume le Roux essaient de le convaincre d’épargner son oncle comme les autres assiégés. Le lien de parenté n’est, certes, pas le seul argument. Ils mettent en avant la fonction cléricale d’Odon, alors évêque de Bayeux, qui le protégerait, ainsi que les services qu’il a rendus à son père, Guillaume le Conquérant, mais en taisant leurs dissensions. Les barons insistent tout de même à deux reprises sur le lien qui unit Guillaume le Roux et Odon28. Guillaume finit par céder : Odon est alors condamné à l’exil et ne pourra pas récupérer ses biens en Angleterre. Malgré le souhait de se venger, Guillaume le Roux ne profite pas de sa supériorité militaire pour éliminer physiquement son oncle. Ces discours sur la nécessaire prise en compte des liens de parenté mettent en valeur l’importance de ces derniers. La parenté doit survivre au conflit, même dans des cas aussi extrêmes qu’une rébellion, car ce qui est en jeu derrière ces révoltes au sein de la dynastie ducale, aux yeux des chroniqueurs, c’est plus globalement le maintien de la concorde – concept central de la théorie politique depuis l’époque carolingienne29 – dans l’ensemble du duché comme du royaume anglo-normand et le souhait d’éviter un cycle de vengeance qui s’avérerait inarrêtable.

  • 30 D. R. Bates, Guillaume le Conquérant, Paris, 2019, p. 474-483.

11Lors de la bataille de Gerberoy, un affrontement sur le champ de bataille lui-même a eu lieu. Les relations entre Guillaume le Conquérant et son fils aîné Robert Courteheuse ont été particulièrement difficiles. S’il a intronisé de son vivant son fils comme son héritier, Guillaume ne considérait pas cette mesure comme anticipatoire, contrairement à Robert30. La querelle éclate probablement en 1078 lorsque Robert voit ses réclamations essuyer un refus cinglant de la part de son père. Robert prend possession du château de Gerberoy d’où il mène des raids contre la Normandie. Guillaume assiège Gerberoy en 1079, où une bataille s’engage à la suite d’une sortie de Robert. Ici, plusieurs récits de la bataille nous sont restés et ils ne concordent pas totalement. Nous nous concentrerons sur deux d’entre eux.

  • 31 The Anglo-Saxon Chronicle, MS. D, s. a. 1079 (The Anglo-Saxon Chronicle. A Collaborative Edition, (...)
  • 32 Katherine Lack comprenait le passage dans le même sens : K. Lack, Conqueror’s Son : Duke Robert Cu (...)
  • 33 D. R. Bates, Guillaume le Conquérant…, p. 318-319.
  • 34 S. Joye, « Trahir père et roi au haut Moyen Âge », dans M. Billoré, M. Soria éd., La Trahison au M (...)

12Le premier est celui de la Chronique anglo-saxonne. Dans sa version D, Robert blesse au bras son père, qui perd son cheval. Le plus intéressant est la remarque finale de l’annaliste : « Nous ne voulons pas, toutefois, écrire plus ici à propos du tort qu’il [a fait à] son père31. » Le manuscrit est tronqué à cet endroit, mais ceci apparaît comme une reconstitution logique32. Cette remarque a d’autant plus d’intérêt que l’auteur de cette section de la chronique dans le manuscrit D est globalement critique envers Guillaume33. Malgré cela, il semble réprouver le geste de Robert. Nous pouvons penser que cela est dû à la situation dans laquelle un fils attaque et, surtout, blesse son père. De plus, au parricide, Robert Courteheuse pouvait ajouter un régicide, renforçant la gravité de son geste34. Plutôt que d’insister sur la défaite de Guillaume, le récit souligne la transgression de Robert, qui rejette les positionnements politiques au second plan.

  • 35 D. R. Bates, Guillaume le Conquérant, p. 478-480.
  • 36 À cette éthique déjà anciennement mise en avant par Maurice Keen, nous pouvons, avec les travaux p (...)
  • 37 Jean de Worcester, Chronicon ex chronicis, II, 23 (The Chronicle of John of Worcester, éd. J. Bray(...)

13Le deuxième récit, en contrepoint, est celui de Jean de Worcester, qui écrit avant 1140. Robert et Guillaume se retrouvent face à face, mais sans se reconnaître. Le fils blesse le père au bras et finit par se rendre compte qu’il est face à son père. Il met pied à terre et donne son cheval à Guillaume pour que ce dernier puisse fuir. Nous avons ici un récit, douteux35, qui attribue à Robert un comportement caractéristique de l’ethos chevaleresque, peut-être à cause de sa réputation de croisé36. En donnant le beau rôle à Robert, il montre ce qu’on pouvait considérer comme la réaction la plus appropriée à une situation qui pouvait paraître particulièrement choquante. De plus, le passage insiste sur le fait qu’il n’avait pas reconnu son père, laissant penser que le combat n’aurait pas eu lieu si cela avait été le cas37.

  • 38 M. Strickland, « Réconciliation ou humiliation ? La suppression de la rébellion aristocratique dan (...)
  • 39 Sur l’importance et les débats autour de la misericordia : P. Byrne, Justice and Mercy. Moral Theo (...)
  • 40 E. M. C. Van Houts, « L’exil dans l’espace anglo-normand », dans P. Bouet, V. Gazeau, D. R. Bates (...)

14Cette modération semble se prolonger après la bataille lorsqu’il est question de la punition que devra subir le vaincu. Matthew Strickland met en avant le traitement globalement magnanime des rebelles, qui est aussi une forme de prudence politique38. Cette modération participe de la mise en avant de la figure royale et des valeurs qui y sont associées, comme la clémence, vertu politique au cœur des conceptions chrétiennes de la misericordia39. Cela se traduit avant tout par le fait de ne pas verser le sang, évitant ainsi d’entrer dans un cycle de violence qui déstabilise l’ordre public. Sous Guillaume le Conquérant, les membres de la dynastie ducale révoltés partent en général en exil40, tel Guillaume d’Arques. Ces parents peuvent aussi être emprisonnés, comme Robert Courteheuse par Henri Beauclerc après la défaite de Tinchebray en 1106.

  • 41 J. Huntington, « The Taming of Laity : Writing Waltheof and Rebellion in the Twelfth Century », An (...)
  • 42 The Anglo-Saxon Chronicle, MS. D, s. a. 1068 (éd. cit., p. 84) ; The Anglo-Saxon Chronicle, MS. E, (...)
  • 43 M. S. Hagger, William : King and Conqueror, Londres/New York, 2012, p. 110.
  • 44 Nous partageons la position d’autres travaux sur ce point : R. A. Fletcher, Bloodfeud. Murder and (...)
  • 45 M. Billoré, « Introduction… », p. 32.
  • 46 Chronicon monasterii de Hida iuxta Winton ab anno 1035 ad 1121, XI (éd. E. M. C. Van Houts, R. C.  (...)

15Les contre-exemples sont finalement rares. Le premier cas, celui de Waltheof, gendre de Guillaume le Conquérant, décapité sur ordre de son beau-père en 1076 alors qu’il ne semblait pas avoir pris part à la révolte de 1075, est complexe41. Avant la révolte des earls, Waltheof avait déjà été impliqué dans la révolte des grands aristocrates du Nord en 1069-107142. L’alliance matrimoniale, en plus de ses nouvelles charges et terres, avait pour but de sceller la réconciliation entre Waltheof et Guillaume. En ayant un rôle dans la révolte des earls, Waltheof apparaît de nouveau comme un rebelle et un traître43. Encore plus grave, en se révoltant à nouveau, il ne peut plus bénéficier de la clémence du roi44. De plus, en s’opposant à Guillaume, Waltheof s’en prend à un de ses parents, brisant l’alliance conclue entre les deux hommes45. La Hyde Chronicle est explicite sur la question46. Waltheof est comme Absalon : il est empli de colère contre les Normands, malgré son mariage avec Judith. Il a été pardonné à sa première conspiration (l’auteur ne précise pas laquelle, mais cela désigne forcément celle de 1069-1071) et est logiquement puni pour sa deuxième. Le lien de parenté est présenté comme insuffisant pour combler l’opposition entre Waltheof et le nouveau pouvoir.

  • 47 Sur la réapparition des femmes comme otages à partir du xie siècle : A. J. Kosto, Hostages in the (...)
  • 48 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XII, 10 (éd. cit., vol. 6, p. 212-213) : « Comperta vero fi (...)

16Un second contre-exemple est celui des filles d’Eustache de Breteuil, époux de Juliane, fille illégitime d’Henri Ier en 1119 (Fig. 1). Henri les aveugle alors qu’Eustache est en rébellion contre lui. Joue dans ce cas le statut des victimes qui sont des otages donnés par Eustache à Henri47. Eustache réclamait le château d’Ivry et gardait en contrepartie le fils de Raoul Harenc, le châtelain d’Ivry. Cependant, sur le conseil d’Amaury de Montfort, principal révolté qui réclamait le comté d’Évreux, Eustache avait fait aveugler en premier le fils de Raoul. L’acte d’Henri est donc une réponse à la rupture de l’accord par Eustache. Toutefois, Eustache et Juliane semblent avoir été très affectés, selon Orderic Vital, par le sort de leurs enfants48. Est-ce un signe qu’ils ne s’attendaient pas à de telles représailles ? Cela est possible, peut-être justement parce que le statut de leurs filles était ambigu. Elles sont à la limite entre les parents intouchables, en tant que petites-filles du roi, et ceux qui ne le sont pas, car issues d’une parenté illégitime.

  • 49 C. W. Hollister, Henry I, New Haven/Londres, 2001, p. 205 ; J. A. Green, Henry I : King of England (...)
  • 50 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, X, 1 (p. 698-701).
  • 51 Ibid., X, 1, p. 700-701: « Talia uulgus liberum diversificabat. »
  • 52 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, p. lxxvi-lxxvii.

17Un autre de ces contre-exemples est particulièrement intéressant, car il montre la réprobation que pouvait créer l’abandon d’une modération de la violence envers son parent. En 1106, après sa victoire à Tinchebray, Henri Beauclerc fait prisonnier Guillaume de Mortain, son cousin, gardé probablement en prison toute sa vie (Fig. 1). Surtout, Guillaume de Mortain aurait pu être mutilé (sans qu’il soit précisé de quelle manière) par son cousin le roi Henri Ier selon Henri de Huntingdon, seule source à l’évoquer. L’important n’est pas tellement l’authenticité de cet acte (que Warren Hollister et Judith Green mettent en doute49) que la façon dont Henri de Huntingdon le traite. En effet, au tout début du livre X de son Historia Anglorum, Henri de Huntingdon évoque le jugement du peuple (judicia populi) sur le roi défunt50. Parmi les défauts qui lui sont reconnus, les versions 3, 4 et 5 mentionnent l’aveuglement de Guillaume de Mortain. Le chroniqueur semble toutefois ne pas partager ce point de vue critique qu’il attribue uniquement aux gens du peuple51. Toutefois, ce passage disparaît dans la dernière version. La version 6 a été rédigée en 1156, deux ans après l’avènement au pouvoir d’Henri II52. Henri de Huntingdon a visiblement considéré qu’une telle accusation, même réfutée, ternissait déjà trop l’image du grand-père du nouveau roi.

  • 53 A. Thomas, Jeux lombards. Alliances, parenté et politique en Italie méridionale de la fin du viiie(...)
  • 54 G. Althoff, Die Macht der Rituale. Symbolik und Herrschaft im Mittelalter, Darmstadt, 2003, p. 73- (...)
  • 55 L. Leleu, « Frères et sœurs ennemis dans la Germanie du xe siècle », Médiévales, 54 (2008), p. 35- (...)
  • 56 K. Helle, « The Norwegian Kingdom : Succession Disputes and Consolidation », dans Ead. éd., The Ca (...)
  • 57 Snorri Sturluson, Heimskringla (éd. Bjarni Aðalbjarnarson, Reykjavík, 1951, vol. 3, p. 297-298) ; (...)

18Que pouvons-nous donc globalement en conclure ? Au nom de la préservation des liens de parenté et de l’ordre social, un prince doit éviter de faire couler le sang de ses parents, que ce soit pendant ou après la bataille, sans que cela n’empêche d’autres formes de punitions. Ce fonctionnement n’est pas en soi particulièrement original. Aurélie Thomas a montré ainsi qu’entre les cousins de la dynastie lombarde landulfide au ixe siècle, la violence est très contrôlée : le sang n’est jamais versé et l’exil semble la peine la plus sévère53. Les Ottoniens n’échappent pas à la règle selon Gerd Althoff54. De même, Laurence Leleu, dans son étude des conflits adelphiques dans la Germanie du xe siècle, ne trouve aucun exemple de « fratricide caractérisé55 ». Et qu’en est-il des « guerriers du Nord » ? Il semble que les normes soient différentes. Dans les « guerres civiles » en Norvège entre 1130 et 1240, plusieurs rois ou prétendants sont tués à la guerre en combattant l’armée d’un parent qui s’opposait à leur pouvoir comme Sigurd II et Inge Ier56. Nous pouvons citer aussi des cas de mutilations, comme en 1135 quand Magnus IV de Norvège aurait été castré par Harald Gille, demi-frère de son père57. Globalement, la modération à l’œuvre dans les affrontements au sein de la dynastie ducale, qui paraissent échapper au cycle de la vengeance et en particulier au meurtre du parent, semble donc s’inscrire plutôt dans le contexte de l’Occident latin.

Une guerre sur plusieurs générations : le cas du conflit entre Rotrou de Mortagne et Robert de Bellême

19Si la modération des violences de guerre entre parents se retrouve donc bien, avec des limites, au sein de la dynastie ducale, en est-il de même dans le reste de l’aristocratie ? Nous pouvons ici prendre l’exemple de la querelle entre les lignages de Mortagne et de Bellême, qui a l’avantage de se dérouler sur plusieurs générations.

  • 58 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 5 (vol. 4, p. 160-161).
  • 59 B. Lemesle, Conflits et justice au Moyen Âge, Paris, 2008, p. 8. Voir également : H. Couderc-Barra (...)

20Le conflit débute avec Geoffroy II de Mortagne, comte du Perche qui cherche à s’emparer du château de Domfront au détriment de son parent Robert de Bellême en 1088 (Fig. 2). Notre principale source est l’Historia ecclesiastica d’Orderic Vital, moine à l’abbaye de Saint-Évroult et donc bien renseigné sur ces deux familles qui sont possessionnées près de son monastère. Geoffroy a lancé une calumnia contre Robert au sujet de ce château, probablement en essayant d’en réclamer l’héritage au nom de sa mère Adeline, cousine de Mabille de Bellême58. L’utilisation de ce terme donne l’impression que la contestation a pu avoir dans un premier temps une dimension juridique, un registre sémantique que nous n’avions pas trouvé dans le cadre des guerres intrafamiliales au sein de la dynastie ducale. En effet, le terme calumnia n’implique pas forcément des actes de violence et signifie en général « des disputes, des contestations, des revendications du droit », comme l’a bien montré Bruno Lemesle59. Cela ne veut pas dire qu’aucune violence ne peut en découler. Ce sont en général des actes de prédation qui marquent symboliquement la propriété des biens ou de la terre qu’on revendique. Nous allons voir que cela est également le cas dans le conflit qui nous occupe.

Fig. 2. Arbre généalogique simplifié de la famille de Bellême

Fig. 2. Arbre généalogique simplifié de la famille de Bellême

D’après G. Louise, La Seigneurie de Bellême, xe-xiie siècle. Dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une frontière aux confins de la Normandie et du Maine, à la charnière de l’an mil, Flers, 1993, vol. 2, p. 134 et p. 143.

  • 60 K. Thompson, « Orderic Vitalis and Robert of Belleme », Journal of Medieval History, 20 (1994), p. (...)

21D’après le moine de Saint-Évroult, il n’y eut jamais de bataille rangée entre les deux hommes, mais seulement des petites expéditions de pillages de la part de Geoffroy sur les terres de Robert, trop lâche pour se rendre au combat et qui se réfugie dans ses châteaux sans en sortir. Orderic Vital présente systématiquement négativement l’action de Robert de Bellême, sa bête noire60. La couardise qu’Orderic lui reproche est-elle réelle ? Nous pouvons émettre une autre hypothèse. La querelle n’a peut-être tout simplement pas l’importance militaire que lui donne l’auteur, qui en profite pour exagérer les torts et la défaite de Robert. Les expéditions menées par Geoffroy sont des moyens d’appuyer sa calumnia et de montrer ce qu’il considère comme lui appartenant. Il ne semble d’ailleurs jamais vouloir assiéger son cousin, mieux équipé militairement comme le note Orderic lui-même. Ce cas nous révèle aussi pourquoi les conflits intrafamiliaux ne comportent que peu de violences interpersonnelles. Sur le champ de bataille, le combat direct d’un individu contre un de ses parents est en fait souvent absent, comme ici où jamais Robert et Geoffroy ne se rencontrent en chair et en os.

  • 61 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 18 (vol. 4, p. 252-253) et XIII, 3 (vol. 6, p. 396-39 (...)
  • 62 Gérard Louise propose comme datation 1087-1092. Toutefois, Orderic précise au livre VIII que, lors (...)
  • 63 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XIII, 3 (vol. 6, p. 396-397) : « Verumptamen Rotro superior (...)

22La querelle est relancée par Rotrou III de Mortagne, fils de Geoffroy, contre Robert de Bellême (Fig. 2). Orderic Vital nous la présente encore une fois comme un conflit d’héritage entre cousins61. La question est de nouveau celle de la possession de Domfront, Orderic condamnant l’avidité de Robert qui a accaparé l’héritage de toutes les branches. Toutefois, comme Domfront devient une possession d’Henri Ier en 1092 et qu’Orderic situe cette querelle d’abord autour des années 1091-1093 puis, dans un second temps, autour de 1108, d’autres biens que le château de Domfront devaient être en jeu62. Le terme utilisé par le moine est toujours celui de calumnia. Lors de cette deuxième partie du conflit, une bataille semble avoir eu lieu : « Pourtant, Rotrou se révéla le plus fort, défit Robert sur le champ de bataille, le faisant fuir, il captura beaucoup de ses hommes et les maintint en prison63. »

  • 64 Sur l’importance des châteaux et de la guerre de siège par rapport aux batailles rangées, voir : M (...)
  • 65 C’est l’opinion de G. Louise, La Seigneurie de Bellême…, vol. 1, p. 396.
  • 66 R. Keller, « Prédation et sociétés de l’Antiquité tardive au Moyen Âge. Remarques introductives », (...)

23Toutefois, le texte parle essentiellement de raids menés par Rotrou sur les terres de Robert et, au livre VIII, Orderic ne parle pas de bataille. En effet, cet affrontement n’a pas changé le rapport de force et Rotrou se retrouve tout de même en échec, ce qu’Orderic impute à la force militaire de Robert qui posséderait trente-quatre châteaux64. Ne peut-on pas penser que de nouveau Orderic Vital noircit le tableau afin de discréditer Robert65 ? La bataille dont parle Orderic n’est probablement pas une bataille rangée et possède une importance beaucoup plus faible que ce qu’il laisse entendre. Rotrou utilise avant tout des opérations de pillage pour appuyer ses revendications et discréditer son adversaire en montrant qu’il est incapable de protéger ses terres et ses sujets, le pillage ayant à la fois une dimension physique et morale, comme l’ont montré de récents travaux sur cette pratique66.

  • 67 Vita Bernardi Tironensis, 79-80 (Saint Bernard de Tiron : l’ermite, le moine et le monde, éd. B. B(...)
  • 68 G. Louise, La Seigneurie de Bellême…, vol. 1, p. 296.
  • 69 Fulbert de Chartres, Epistolæ, no 97 (The Letters and Poems of Fulbert of Chartres, éd. F. Behrend (...)

24La querelle rebondit une dernière fois, probablement en 1110-1111 lorsque Rotrou accompagne Henri Ier dans un conflit contre Foulques V d’Anjou, allié à Robert de Bellême. Foulques capture Rotrou et le fait prisonnier au Mans. D’après la Vita Bernardi Tironensis, Robert de Bellême paie la rançon de Rotrou pour mieux le garder prisonnier dans un ensemble de chaînes de fer qui l’empêcherait totalement de bouger67. Il aurait été sauvé par Henri Ier l’année suivante, quand celui-ci fit prisonnier Robert de Bellême. L’exemple d’individus emprisonnés par leurs parents se retrouve cependant régulièrement dans la famille ducale, comme nous avons pu le voir plus haut. D’autres exemples peuvent être signalés en ce qui concerne l’aristocratie. Ainsi, en 1024-1025, une lettre de Fulbert de Chartres à Robert le Pieux nous révèle que Guillaume Ier de Bellême a emprisonné son propre fils (nous ne savons pas lequel, ni la raison exacte68), mesure sévère que Fulbert approuve à cause de la perfidie du fils (perfidiam filii sui)69. L’emprisonnement demeure, avec l’exil, la mesure la plus forte qui peut être prise contre un parent à la suite d’une guerre. Elle semble correspondre aux situations où l’acceptabilité de la violence intrafamiliale est maximale, fondée sur les torts particulièrement forts des parents emprisonnés et par des rapports de force profondément déséquilibrés qui empêchent le parent victime de l’emprisonnement de pouvoir s’y opposer.

  • 70 K. Thompson, Power and Border Lordship in Medieval France. The County of the Perche, 1000-1226, Lo (...)
  • 71 Deux sources mentionnent un emprisonnement difficile, à tel point que Rotrou aurait envoyé un test (...)

25Si Kathleen Thompson a tendance à croire le récit de la Vita, l’épisode reste assez douteux70. Les conditions d’incarcération de Rotrou sont nettement exagérées et, surtout, Orderic Vital n’évoque pas du tout cet épisode, qui pourrait pourtant facilement rentrer dans son portrait très sombre de Robert de Bellême. De plus, les sources mancelles qui relatent cet emprisonnement ne mentionnent jamais Robert de Bellême71. Ce conflit sur plusieurs générations semble donc être constitué avant tout d’expéditions militaires de petite envergure où les parents ne se blessent pas ni ne s’affrontent directement, les moments de fortes tensions ne se traduisant pas par l’exécution du parent ennemi.

Guerres intrafamiliales et contexte politique : Galeran de Meulan face à sa parenté

  • 72 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XII, 5 (vol. 6, p. 200).
  • 73 D. Crouch, The Beaumont Twins : the Roots and Branches of Power in the Twelfth Century, Londres, 1 (...)
  • 74 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XII, 5 (vol. 6, p. 200-201) : « Nichil recuperavit. Facundi (...)

26Robert de Torigni et Orderic Vital nous informent sur la guerre qui eut lieu entre Robert de Neubourg et Galeran de Meulan. Galeran est le fils de Robert Ier de Meulan, frère d’Henri de Beaumont earl de Warwick, père de Robert de Neubourg (Fig. 3). Le premier épisode a lieu en 1118, à un moment où Galeran pourrait être en position de faiblesse : il n’a que quatorze ans et son père vient de mourir. Robert s’oppose à son cousin sans que nous sachions précisément sur quel point. Comme dans le cas de Geoffroy de Mortagne, Orderic Vital parle de calumniae pour désigner les contestations émises par Robert72. De nouveau, l’utilisation d’un terme qui relève du domaine juridique est un indice clair que l’opposition n’est pas, au moins initialement, guerrière. Robert n’arrive pas à faire entendre ses revendications et se rebelle alors contre Henri Ier, qui aurait protégé Galeran de Meulan si l’on suit Orderic Vital. En effet, jusqu’à ses seize ans, Galeran vit à la cour d’Henri et ses terres sont confiées à Guillaume II de Varenne73. Une fois entré en rébellion, Robert de Neubourg prend les armes, probablement pour mener des raids contre l’honneur de Beaumont. Orderic Vital nous décrit son échec sans concession : « Il fut incapable de récupérer quoi que ce soit. C’est un homme d’une grande éloquence, mais son bras est lent à agir et il a gagné plus par sa langue que par sa lance74. » De nouveau, il n’y a pas de violences interpersonnelles directes entre Robert et Galeran, mais plutôt une querelle qui se traduit au maximum par des raids dont on peut questionner l’impact et l’importance.

Fig. 3. Arbre généalogique simplifié de la descendance de Roger de Beaumont

Fig. 3. Arbre généalogique simplifié de la descendance de Roger de Beaumont

D’après David Crouch, The Beaumont Twins, p. 16.

  • 75 Le Cartulaire de l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre-de-Préaux (1034-1227), éd. D. Rouet, Paris, (...)
  • 76 R. Le Jan, « Malo ordine tenent. Transferts patrimoniaux et conflits dans le monde franc (viie-xe  (...)
  • 77 Malgré une défection en 1137 puis une réconciliation en 1141 : D. Crouch, The Beaumont Twins…, p.  (...)

27Nous disposons d’ailleurs d’une preuve de la réconciliation entre les deux hommes, même si celle-ci est tardive. La conventio réalisée entre eux date sans doute du début de l’année 1142, probablement quelques années après la réconciliation comme le note David Crouch75. L’origine de la querelle n’est pas rappelée, mais cela fait bien suite à une calumnia sur plusieurs biens, ces derniers, plus que des relations d’inimité profonde, formant les enjeux majeurs des conflits intrafamiliaux76. Robert obtient ainsi un certain nombre de revenus, des maisons et quelques fiefs. La réconciliation n’arrive pas à un moment anodin. Comme le rappelle David Crouch, Robert de Neubourg était passé aux Angevins et avait de bonnes relations à la cour de Geoffroy Plantagenêt77. En satisfaisant certaines de ses revendications, Galeran obtient aussi un véritable appui auprès du nouveau duc qu’il avait initialement combattu.

Fig. 4. Arbre généalogique simplifié de la descendance de Robert Ier de Meulan

Fig. 4. Arbre généalogique simplifié de la descendance de Robert Ier de Meulan

D’après David Crouch, The Beaumont Twins, p. 16.

  • 78 Robert de Torigni, Chronica, s. a. 1141 (The Chronography of Robert of Torigni, éd. T. N. Bisson, (...)
  • 79 Cartulaire de la léproserie du Grand-Beaulieu, et du prieuré de Notre-Dame de la Bourdinière, n° 2 (...)
  • 80 Robert de Torigni, s. a. 1153 (vol. 1, p. 182-183) : « Robertus de Monteforti cepit avunculum suum (...)
  • 81 Ibid., s. a. 1154 (vol. 1, p. 182-183).
  • 82 S. Morillo, Warfare under the Anglo-Norman Kings…, p. 177-178.
  • 83 Il est vrai que, selon Y. Friedman, cette pratique n’apparaîtrait pas réellement avant les croisad (...)
  • 84 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 14 (vol. 4, p. 212-217).

28Cependant, Galeran n’en a pas terminé avec les guerres intrafamiliales. Cette fois-ci, c’est son neveu Robert de Montfort-sur-Risle qui se dresse face à lui. Il est le fils d’Hugues IV de Montfort-sur-Risle qui avait épousé Adeline, sœur de Galeran (Fig. 4). Son père est mort en prison pour s’être révolté contre Henri Ier et c’est Galeran qui a la garde du jeune Robert et du château de Montfort à partir du début du règne d’Étienne et même après sa soumission à Geoffroy Plantagenêt78. Robert fait d’abord partie de la maisonnée de Galeran, souscrivant par exemple une donation de Galeran à la léproserie du Grand-Beaulieu vers 115079. Toutefois, en 1153, Robert s’empare de son oncle sur la route de Bernay. Si nous suivons le texte, c’est bien Robert en personne qui captura son oncle : « Robert de Montfort fit prisonnier son oncle maternel, Galeran, comte de Meulan, dans une assemblée réunie non loin du bourg de Bernay80. » Tandis qu’il tient son oncle prisonnier, il est assiégé dans le château d’Orbec par des hommes du comte. Robert va négocier avec son oncle : une fois ce dernier libéré, il rend à son neveu le château de Montfort. En 1154, Galeran tente de reprendre ce château, mais doit fuir ignominiose devant l’intervention de son neveu Robert81. Nous pouvons remarquer que Robert n’en profite pas pour demander une rançon à son oncle. Alors que la rançon en argent devient une pratique essentielle de la guerre82, elle se retrouve rarement dans le cas des guerres intrafamiliales83, même si des exemples très isolés existent, comme les trois mille livres données en 1091-1092 par Guillaume de Breteuil à son oncle Raoul de Tosny pour obtenir sa libération84.

  • 85 D. Crouch, The Beaumont Twins…, p. 74.
  • 86 Ibid., p. 74-75.

29Pourquoi ce conflit et pourquoi à ce moment précis ? Est-ce seulement à nouveau une question d’héritage ? Il semble en fait que ce soit bien plus que cela, d’après l’analyse de David Crouch85. En effet, cette arrestation a été voulue par un Henri II se méfiant de Galeran qui jouait un double jeu avec le roi de France Louis VII. Dans cet exemple, le duc-roi joue sur les rivalités internes à la parenté, en les exploitant afin de favoriser sa propre politique et réduire l’influence capétienne dans l’est du duché de Normandie. David Crouch n’hésite pas à faire de Robert « the duke’s instrument » entièrement aux ordres d’Henri86. Il est évidemment impossible de savoir si Henri a demandé à Robert d’emprisonner son oncle. Nous pouvons plutôt penser que cette capture répond à une situation d’opportunité pour Robert, qui peut atteindre les limites de ce qui est permis entre parents afin de forcer son puissant oncle dans une position de faiblesse à lui rendre son héritage.

  • 87 Sur cette éthique et ses liens avec la clémence : M. Strickland, War and Chivalry…, p. 24-30 ; D.  (...)

30Pour conclure, les violences commises entre parents sont avant tout indirectes, tout du moins sur le plan physique. En relatant ces violences ou, au contraire, en insistant sur la misericordia d’un individu pour son parent, les clercs réaffirment des normes qui voient dans la parenté un élément essentiel de l’ordre social et chrétien. La rupture des liens de parenté est globalement condamnée par nos sources, car elle est perçue comme une cause de désordre plus global, d’autant plus quand cela implique la dynastie ducale. Pour des raisons de prudence politique et de normes de la violence de guerre, il paraît alors malvenu sur un plan à la fois moral et politique de commettre un acte de violence ouverte et publique contre un parent lorsqu’on est duc, roi ou héritier. Cette modération tient donc d’une éthique aristocratique plus large qui, d’une certaine manière, s’intensifie lorsqu’il est question de la parenté87. Ainsi, la modération de la violence de guerre entre parents n’implique pas une modération de la violence en général. Au contraire, ne pas attaquer directement son parent oblige à se déporter vers d’autres cibles, en premier lieu des proches du parent ennemi ainsi que les communautés villageoises qui sont pillées.

  • 88 L’expression est empruntée à Stéphane Audouin-Rouzeau qui, appelant à une véritable histoire du co (...)

31Mais cette expérience combattante88 est-elle clairement différente des autres formes de modération de la violence de guerre que nous retrouvons entre chevaliers ? Plusieurs éléments semblent transposables : des batailles qui ne débouchent pas forcément sur des morts et la volonté d’éviter de tuer les vaincus. Il demeure toutefois des différences. Premièrement, cette modération apparaît renforcée avec, au moins dans les normes et dans les récits qui nous sont restés, la volonté de ne pas attaquer directement son parent et de se retrouver face à lui. Cependant, si cela semble bien traduire une faible acceptabilité de la violence intrafamiliale durant la bataille, cela n’est pas forcément le cas après celle-ci. Certes, les exécutions demeurent rares, mais l’exil et la prison sont fréquents. Le rejet de la violence intrafamiliale n’est donc pas total. Comme dans le cas de la guerre civile entre Henri Ier et Robert Courteheuse, la parenté peut se déchirer à partir du moment où la préservation de l’ordre social est en jeu. Il faut adopter une position nuancée : le contexte (le révolté n’est pas jugé comme le duc), les rapports de force ou les méfaits commis par un parent sont autant d’éléments qui peuvent permettre le recours à la violence intrafamiliale en période de guerre. Deuxièmement, certaines pratiques sont moins fréquentes. Éviter de porter directement la main sur son parent entraîne forcément des captures plus rares. L’expérience combattante des guerres intrafamiliales n’est donc pas différente de par sa nature, mais bien plus par l’intensité, ou non, de certaines pratiques modératrices de violences. Si la parenté se déchire, en règle générale, elle ne tue ni ne blesse.

Haut de page

Notes

1 P. Bauduin, « L’insertion des Normands dans le monde franc fin ixe-début xe siècle : l’exemple des pratiques matrimoniales », dans A.-M. Flambard Héricher éd., La Progression des Vikings, des raids à la colonisation, Mont-Saint-Aignan, 2003, p. 105-117.

2 D. Barthélemy, La Chevalerie, de la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, 2007, p. 219-220.

3 Pour un exemple sur la dynastie ducale: E. Searle, Predatory Kinship and the Creation of Norman Power, 840-1066, Berkeley, 1988.

4 R. Le Jan, Famille et Pouvoir dans le monde franc : viie-xe siècle. Essai d’anthropologie sociale, Paris, 1995, p. 87-88. En Scandinavie, l’importance de la faide intrafamiliale a aussi été mise en avant assez tôt dans J. Byock, Feud in the Icelandic Saga, Berkeley, 1982.

5 M. Aurell éd., La Parenté déchirée : les luttes intrafamiliales au Moyen Âge, Turnhout, 2010 ; S. Joye, « La “crise de la famille”. Débats contemporains et représentations médiévales à la lecture des sources du haut Moyen Âge occidental », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 131/1 (2019), p. 55-65.

6 D. Lett, Famille et Parenté dans l’Occident médiéval, ve-xve siècle, Paris, 2000, p. 2.

7 Jean-Clément Martin utilise cette expression dans : P. Minard et al., « Histoire et anthropologie, nouvelles convergences  ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 49/4bis-5 (2002), p. 81-121 (p. 93). Quelques propositions ont quand même été émises : P. Górecki, « Violence and the Social Order in a Medieval Society : The Evidence from the Henryków Region, ca 1150-ca 1300 », dans N. Balazs, M. Sebok éd., The Man of Many Devices, Who Wandered Full Many Ways... Festschrift in Honour of János M. Bak, Budapest, 1999, p. 91-104 ; C. Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 12. Nous pouvons toutefois noter que le problème ne se pose pas uniquement en histoire : M. Marzano, « Avant-propos », dans Ead. éd., Dictionnaire de la violence, Paris, 2011, p. i-xi.

8 M. Mead, « Alternatives to War », dans M. H. Fried et al. éd., War. The Anthropology of Armed Conflict and Aggression, Garden City, 1968, p. 215-228. Pour une utilisation de cette distinction, voir : S. Audoin-Rouzeau, « La violence », dans J.-F. Sirinelli, P. Cauchy, C. Gauvard éd., Les Historiens français à l’œuvre, 1995-2010, Paris, 2010, p. 131-142.

9 S. Morillo, Warfare under the Anglo-Norman Kings : 1066-1135, Woodbridge, 1994 ; J. B. Gillingham, « 1066 and the Introduction of Chivalry in England », dans G. Garnett, J. Hudson éd., Law and Government in Medieval England and Normandy, Cambridge, 1994, p. 31-55 ; M. Strickland, War and Chivalry. The Conduct and Perception of War in England and Normandy, 1066-1217, Cambridge, 1996.

10 R. W. Kaeuper, Chivalry and Violence in Medieval Europe, Oxford, 2002 ; D. Barthélemy, La Chevalerie….

11 J. Flori, « Guerre et chevalerie au Moyen Âge (à propos d’un ouvrage récent) », Cahiers de civilisation médiévale, 41/164 (1998), p. 353-363.

12 Malgré la volonté ducale de contrôler les faides, en particulier via la Paix de Dieu : M. Bennett, « Violence in Eleventh-Century Normandy : Feud, Warfare and Politics », dans G. Halsall éd., Violence and Society in the Early Medieval West, Woodbridge, 2002, p. 126-140 ; D. Barthélemy, « Le concile de paix tenu à Caen (1035/1042) », Annales de Normandie, 71/1 (2021), p. 37-53.

13 M. Staunton, The Historians of Angevin England, Oxford, 2017.

14 Pour citer Philippe Buc, « même les fictions donnent authentiquement accès aux conceptions des contemporains » : P. Buc, « Gerd Althoff, Die Macht der Rituale. Symbolik und Herrschaft im Mittelalter. Darmstadt Primus, 2003 », Cahiers de civilisation médiévale, 48/191 (2005), p. 251-253 (p. 252).

15 M. Aurell, L’Empire des Plantagenêt. 1154-1224, Paris, 2002, p. 45-50.

16 Pour deux exemples, l’un sur la « Dacie », soit le Danemark, chez Dudon, et sur la guerre civile, chez Gervais de Canterbury : Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normanniae ducum, II, 1 (éd. J. Lair, Caen, 1865, p. 141) : « illisque bellorum incendia inter se et in patres et avunculos frequenter suggerentibus » ; Gervais de Canterbury, Chronica, XIV (The Historical Works of Gervase of Canterbury, éd. W. Stubbs, Londres, 1879, p. 154) : « Praeterea tanta est in utroque exercitu consaguineorum atque nepotum sed et fratrem inter se dissidentium multitudo ». Je remercie Pierre Bouet pour m’avoir donné accès à sa traduction à venir de l’œuvre de Dudon.

17 X. Storelli, « La figure d’Absalon dans la famille royale anglo-normande (xie-xiie siècles) », dans M. Aurell éd., La Parenté déchirée…, p. 321-341.

18 K. Thompson, « L’héritier et le remplaçant : le rôle du frère puîné dans la politique anglo-normande (1066-1204) », dans V. Gazeau, J. A. Green éd., Tinchebray 1106-2006. Actes du colloque de Tinchebray (28-30 septembre 2006), Flers, 2009, vol. 1, p. 93-100.

19 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XI, 20 (The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, éd. M. Chibnall, Oxford, 1969, vol.  6, p. 86-87).

20 T. Roche, « The Way Vengeance Comes : Rancorous Deeds and Words in the World of Orderic Vitalis », dans S. A. Throop, P. R. Hyams éd., Vengeance in the Middle Ages : Emotion, Religion and Feud, Farnham, 2010, p. 115-136.

21 Un thème très classique dans les conceptions politiques du temps : M. Billoré, « Introduction », dans M. Billoré, M. Soria éd., La Trahison au Moyen Âge : de la monstruosité au crime politique (ve-xve siècle), Rennes, 2010, p. 15-34.

22 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XI, 11 (vol. 6, p. 62-63).

23 Ibid., XI, 20 (vol. 6, p. 86-87) : « audacter interdixit ne certarent comminus ».

24 H. Platelle, « Pratiques pénitentielles et mentalités religieuses au Moyen Âge : la pénitence des parricides et l’esprit de l’ordalie », Mélanges de science religieuse, 40 (1983), p. 129-155.

25 Très Ancien Coutumier, XXXV, 6 (Coutumiers de Normandie. Première partie, Le très ancien coutumier de Normandie : texte latin, éd. E.-J. Tardif, Rouen, 1881, p. 29-30). Le terme peut parfois désigner en latin autant le parricide que le matricide, le fratricide ou l’infanticide.

26 Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum, IV, 310 (éd. R. A. B. Mynors, R. M. Thomson, M. Winterbottom, Oxford, 1998, p. 552-553) : « Pape, dimitterem fratrem nostrum mori siti? Et quiem alium habemus si eum amiserimus ? »

27 Sur cette notion, et son lien avec les conceptions du péché, pour l’étude de la parenté, voir : D. Lett, « L’enfant, la famille et la parenté sous le regard des clercs. Interdits et transgressions dans la société médiévale (xiie-xve siècle) », dans Z. Guerraoui, O. Reveyrand-Coulon éd., Pourquoi l’interdit ?, Toulouse, 2006, p. 177-187.

28 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 2 (vol. 4, p. 130-133) : « Odo patruus tuus est » et « Ut antistitem Domini patruumque tuum velis condemnare ? ».

29 R. Le Jan, « Le royaume franc vers 900 : un pouvoir en mutation ? », dans P. Bauduin éd., Les Fondations scandinaves en Occident et les débuts du duché de Normandie. Colloque de Cerisy-la-Salle, 25-29 septembre 2002, Caen, 2005, p. 83-95 (p. 83-84).

30 D. R. Bates, Guillaume le Conquérant, Paris, 2019, p. 474-483.

31 The Anglo-Saxon Chronicle, MS. D, s. a. 1079 (The Anglo-Saxon Chronicle. A Collaborative Edition, vol. 6 : MS D : A Semi-Diplomatic Edition with Introduction and Indices, éd. G. P. Cubbin, Cambridge, 1996, p. 88-89): « Ne wylle we þeh her na mare scaðe awritan þe he his faeder ge. »

32 Katherine Lack comprenait le passage dans le même sens : K. Lack, Conqueror’s Son : Duke Robert Curthose, Thwarted King, Stroud, Sutton, 2007, p. 23. Michael Swanton laisse la porte ouverte à cette interprétation mais sans trancher : The Anglo-Saxon Chronicle, éd. M. J. Swanton, New York, 1998, p. 214. William Aird n’évoque pas le problème : W. M. Aird, Robert Curthose, Duke of Normandy : ca 1050-1134, Woodbridge, 2008, p. 86-90.

33 D. R. Bates, Guillaume le Conquérant…, p. 318-319.

34 S. Joye, « Trahir père et roi au haut Moyen Âge », dans M. Billoré, M. Soria éd., La Trahison au Moyen Âge…, p. 215-227 ; S. H. Bagge, « The Decline of Regicide and the Rise of European Monarchy from the Carolingians to the Early Modern Period », Frühmittelalterliche Studien, 53/1 (2019), p. 151-189.

35 D. R. Bates, Guillaume le Conquérant, p. 478-480.

36 À cette éthique déjà anciennement mise en avant par Maurice Keen, nous pouvons, avec les travaux plus récents de sociologies et d’anthropologie, insister sur la récurrence de ces épisodes. Ainsi, la similarité avec l’épisode du siège du Mont-Saint-Michel évoqué plus haut est frappante : M. H. Keen, Chivalry, New Haven/Londres, 1984, p. 10 ; B. Fusulier, « Le concept d’ethos », Recherches sociologiques et anthropologiques, 42/1 (2011), p. 97-109.

37 Jean de Worcester, Chronicon ex chronicis, II, 23 (The Chronicle of John of Worcester, éd. J. Bray, R. R. Darlington, P. McGurk, Oxford, 1995, vol. 2, p. 30-33) : « sed mox ut illum per vocem recognisset festinus descendit, ac illum suum caballum ascendere iussit, et sic abire permisit ».

38 M. Strickland, « Réconciliation ou humiliation ? La suppression de la rébellion aristocratique dans les royaumes anglo-normand et angevin », dans C. Bougy, S. Poirey éd., Images de la contestation du pouvoir dans le monde normand (xe-xviiie siècle), Caen, 2017, p. 65-77.

39 Sur l’importance et les débats autour de la misericordia : P. Byrne, Justice and Mercy. Moral Theology and The Exercise of Law in Twelfth-Century England, Manchester, 2019.

40 E. M. C. Van Houts, « L’exil dans l’espace anglo-normand », dans P. Bouet, V. Gazeau, D. R. Bates éd., La Normandie et l’Angleterre au Moyen Âge. Colloque de Cerisy-la-Salle, 4-7 octobre 2001, Caen, 2003, p. 117-128.

41 J. Huntington, « The Taming of Laity : Writing Waltheof and Rebellion in the Twelfth Century », Anglo-Norman Studies, 23 (2010), p. 79-95.

42 The Anglo-Saxon Chronicle, MS. D, s. a. 1068 (éd. cit., p. 84) ; The Anglo-Saxon Chronicle, MS. E, s. a. 1069 (The Anglo-Saxon Chronicle. A Collaborative Edition, vol. 7 : MS E : a Semi-Diplomatic Edition with Introduction and Indices, éd. S. Irvine, Cambdrige, 2004, p. 88) ; Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum, III, 248 (p. 462-463) ; Orderic Vital, Historia ecclesiastica, IV (vol. 2, p. 226-233) ; Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, VI, 32 (Historia Anglorum : the History of the English People, éd. D. E. Greenway, Oxford, 1996, p. 396-397) ; Liber Eliensis, II, 107 (éd. E. O. Blake, Londres, 1962, p. 188) ; Jean de Worcester, Chronicon ex chronicis, s. a. 1069 (vol. 2, p. 8-9).

43 M. S. Hagger, William : King and Conqueror, Londres/New York, 2012, p. 110.

44 Nous partageons la position d’autres travaux sur ce point : R. A. Fletcher, Bloodfeud. Murder and Revenge in Anglo-Saxon England, Londres, 2003, p. 188-194 ; D. R. Bates, Guillaume le Conquérant…, p. 463-464.

45 M. Billoré, « Introduction… », p. 32.

46 Chronicon monasterii de Hida iuxta Winton ab anno 1035 ad 1121, XI (éd. E. M. C. Van Houts, R. C. Love, The Warenne (Hyde) Chronicle, Oxford, 2013, p. 24-25) : « Comes autem Waldeth, […] ut alter esse Absalon videretur, tanto iracundie igne est accensus ut nullis precibus, nullis muneribus, nec propter consanguineam regis Juditham nomine pacis dote, ut fertur, sibi conjuctam, nisi simulatam cum rege potuerit habere concordiam. »

47 Sur la réapparition des femmes comme otages à partir du xie siècle : A. J. Kosto, Hostages in the Middle Ages, Oxford, 2012, p. 83-85.

48 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XII, 10 (éd. cit., vol. 6, p. 212-213) : « Comperta vero filiarum orbitate pater cum matre nimis indoluit. »

49 C. W. Hollister, Henry I, New Haven/Londres, 2001, p. 205 ; J. A. Green, Henry I : King of England and Duke of Normandy, Cambridge, 2006, p. 315.

50 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, X, 1 (p. 698-701).

51 Ibid., X, 1, p. 700-701: « Talia uulgus liberum diversificabat. »

52 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, p. lxxvi-lxxvii.

53 A. Thomas, Jeux lombards. Alliances, parenté et politique en Italie méridionale de la fin du viiie siècle à la conquête normande, Rome, 2016, p. 188-190.

54 G. Althoff, Die Macht der Rituale. Symbolik und Herrschaft im Mittelalter, Darmstadt, 2003, p. 73-74 ; Id., Family, Friends and Followers. Political and Social Bonds in Medieval Europe, New York, 2004, p. 23-24 et 59-60.

55 L. Leleu, « Frères et sœurs ennemis dans la Germanie du xe siècle », Médiévales, 54 (2008), p. 35-52. Cette conclusion semble confirmée par la thèse de Justine Audebrand : J. Audebrand, Les Fratries durant le haut Moyen Âge (vers 650-vers 1000), thèse de doctorat, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021, p. 394-418.

56 K. Helle, « The Norwegian Kingdom : Succession Disputes and Consolidation », dans Ead. éd., The Cambridge History of Scandinavia, vol. 1 : Prehistory to 1520, Cambridge, 2003, p. 369-391.

57 Snorri Sturluson, Heimskringla (éd. Bjarni Aðalbjarnarson, Reykjavík, 1951, vol. 3, p. 297-298) ; Saxo Grammaticus, Gesta Danorum, XIV, I, 8 (éd. K. Friis-Jensen, P. Fisher, Oxford, 2015, vol. 2, p. 978-979).

58 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 5 (vol. 4, p. 160-161).

59 B. Lemesle, Conflits et justice au Moyen Âge, Paris, 2008, p. 8. Voir également : H. Couderc-Barraud, La Violence, l’ordre et la paix. Résoudre les conflits en Gascogne du xie au début du xiiie siècle, Toulouse, 2008, p. 267-268.

60 K. Thompson, « Orderic Vitalis and Robert of Belleme », Journal of Medieval History, 20 (1994), p. 133-141.

61 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 18 (vol. 4, p. 252-253) et XIII, 3 (vol. 6, p. 396-397) : « Consobrini enim erant, et ideo de fundis antecessorum suorum altercabant. »

62 Gérard Louise propose comme datation 1087-1092. Toutefois, Orderic précise au livre VIII que, lorsque la querelle a commencé, Serlon d’Orgères était évêque de Sées, soit après 1091. Cet intervalle se situe surtout encore du vivant de Geoffroy, ce qui suggère que son fils a relancé cette lutte avec le soutien paternel. En ce qui concerne la date de la deuxième partie du conflit, Orderic Vital, au livre XIII, nous dit que la querelle a eu lieu « eodem tempore » que le départ de Rotrou de Mortagne pour l’Espagne à la demande du roi Alphonse Ier d’Aragon, soit en 1108 : G. Louise, La Seigneurie de Bellême, xe-xiie siècles. Dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine, à la charnière de l’an mil, Flers, 1992, vol.  1, p. 340.

63 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XIII, 3 (vol. 6, p. 396-397) : « Verumptamen Rotro superior extitit, et Rodbertum de bello victum fugavit, et plurimos de hominibus ipsius comprehendit, et in carcere coartavit. »

64 Sur l’importance des châteaux et de la guerre de siège par rapport aux batailles rangées, voir : M. Strickland, « Military Technology and Political Resistance : Castles, Fleets and the Changing Face of Comital Rebellion in England and Normandy, c. 1026-1087 », dans J. Hudson, S. Crumplin éd., « The Making of Europe ». Essays in honour of Robert Bartlett, Leyde, 2016, p. 145-183.

65 C’est l’opinion de G. Louise, La Seigneurie de Bellême…, vol. 1, p. 396.

66 R. Keller, « Prédation et sociétés de l’Antiquité tardive au Moyen Âge. Remarques introductives », dans R. Keller, L. Sarti éd., Pillages, tributs, captifs. Prédation et sociétés de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge, Paris, 2018, p. 7-25.

67 Vita Bernardi Tironensis, 79-80 (Saint Bernard de Tiron : l’ermite, le moine et le monde, éd. B. Beck, Cormelles-le-Royal, 1998, p. 398-399).

68 G. Louise, La Seigneurie de Bellême…, vol. 1, p. 296.

69 Fulbert de Chartres, Epistolæ, no 97 (The Letters and Poems of Fulbert of Chartres, éd. F. Behrends, Oxford, 1976, p. 176-177).

70 K. Thompson, Power and Border Lordship in Medieval France. The County of the Perche, 1000-1226, Londres, 2002, p. 56-61.

71 Deux sources mentionnent un emprisonnement difficile, à tel point que Rotrou aurait envoyé un testament à sa mère par le biais d’Hildebert de Lavardin, évêque du Mans. Toutefois, les deux récits (dont une lettre d’Hildebert lui-même à ce sujet) sont favorables aux Normands et soulignent l’illégitimité de cet emprisonnement. Surtout, Robert de Bellême n’est jamais évoqué. Cela donne globalement l’impression que les difficultés rencontrées par Rotrou ont eu lieu au Mans et ont été exagérées et attribuées à Robert de Bellême par la suite dans la Vita Bernardi : Hildebert de Lavardin, Venerabilis Hildeberti Epistolae, no 17 et 18 (Patrologia Latina, éd. J.-P. Migne, vol. 171, Paris, 1844, col. 225-228) ; Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, 35 (éd. A. Ledru, G. Busson, Le Mans, 1902, p. 406-407).

72 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XII, 5 (vol. 6, p. 200).

73 D. Crouch, The Beaumont Twins : the Roots and Branches of Power in the Twelfth Century, Londres, 1986, p. 6-7.

74 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, XII, 5 (vol. 6, p. 200-201) : « Nichil recuperavit. Facundia quidem est preditus, sed dextera frigidus, et plus lingua quam lancea lucratus. »

75 Le Cartulaire de l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre-de-Préaux (1034-1227), éd. D. Rouet, Paris, 2005, n° B3, p. 210-212 ; D. Crouch, « A Norman “Conventio” and Bonds of Lordship in the Middle Ages », dans G. Garnett, J. Hudson éd., Law and Government in Medieval England and Normandy, Cambridge, 1994, p. 299-324.

76 R. Le Jan, « Malo ordine tenent. Transferts patrimoniaux et conflits dans le monde franc (viie-xe siècle) », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 111/2 (1999), p. 951-972.

77 Malgré une défection en 1137 puis une réconciliation en 1141 : D. Crouch, The Beaumont Twins…, p. 33-34.

78 Robert de Torigni, Chronica, s. a. 1141 (The Chronography of Robert of Torigni, éd. T. N. Bisson, Oxford, 2020, vol.  1, p. 130-131).

79 Cartulaire de la léproserie du Grand-Beaulieu, et du prieuré de Notre-Dame de la Bourdinière, n° 29 (éd. R. Merlet, M. Jusselin, Chartres, 1909, p. 14).

80 Robert de Torigni, s. a. 1153 (vol. 1, p. 182-183) : « Robertus de Monteforti cepit avunculum suum Galerannum comitem Mellenti, in colloquio condicto haud procul a burgo Bernai. »

81 Ibid., s. a. 1154 (vol. 1, p. 182-183).

82 S. Morillo, Warfare under the Anglo-Norman Kings…, p. 177-178.

83 Il est vrai que, selon Y. Friedman, cette pratique n’apparaîtrait pas réellement avant les croisades. Toutefois, dans et en-dehors des mondes normands, des travaux l’évoquent pour des périodes antérieures : Y. Friedman, Encounter between Enemies. Captivity and Ransom in the Latin Kingdom of Jerusalem, Leyde, 2002 ; M. Strickland, « Killing or Clemency ? Ransom, Chivalry and Changing Attitudes to Deafeated Opponents in Britain and Northern France, 7th-12th Centuries », dans H. H. Kortum éd., Krieg im Mittelalter, Berlin, 2001, p. 93-121 ; J. Dunbabin, Captivity and Imprisonment in Medieval Europe, 1000-1300, Basingstoke, 2002, p. 32-45.

84 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, VIII, 14 (vol. 4, p. 212-217).

85 D. Crouch, The Beaumont Twins…, p. 74.

86 Ibid., p. 74-75.

87 Sur cette éthique et ses liens avec la clémence : M. Strickland, War and Chivalry…, p. 24-30 ; D. Crouch, The Birth of Nobility. Constructing Aristocracy in England and France, 900-1300, Harlow, 2005, p. 64-65.

88 L’expression est empruntée à Stéphane Audouin-Rouzeau qui, appelant à une véritable histoire du combat « au ras du sol », insisterait avant tout sur ce que vit le combattant plutôt que sur des considérations stratégiques plus générales. Il est vrai que nos sources ne nous permettent pas d’approcher les combattants d’aussi près et que le concept doit forcément être utilisé avec certaines réserves mais nous pouvons tout du moins avoir accès à la perception de cette expérience combattante dans les chroniques : S. Audoin-Rouzeau, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne, xixe-xxie siècle, Paris, 2008.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1. Arbre généalogique des individus mentionnés dans le texte et appartenant à la dynastie ducale
Crédits © Hugo Fresnel et Jean-Claude Fossey
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/docannexe/image/12460/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 101k
Titre Fig. 2. Arbre généalogique simplifié de la famille de Bellême
Crédits D’après G. Louise, La Seigneurie de Bellême, xe-xiie siècle. Dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une frontière aux confins de la Normandie et du Maine, à la charnière de l’an mil, Flers, 1993, vol. 2, p. 134 et p. 143.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/docannexe/image/12460/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 88k
Titre Fig. 3. Arbre généalogique simplifié de la descendance de Roger de Beaumont
Crédits D’après David Crouch, The Beaumont Twins, p. 16.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/docannexe/image/12460/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 40k
Titre Fig. 4. Arbre généalogique simplifié de la descendance de Robert Ier de Meulan
Crédits D’après David Crouch, The Beaumont Twins, p. 16.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/docannexe/image/12460/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 36k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Hugo Fresnel, « Petites guerres en famille : combattants et violences intrafamiliales dans le duché de Normandie (xe-xiie siècles) »Médiévales, 84 | 2023, 81-100.

Référence électronique

Hugo Fresnel, « Petites guerres en famille : combattants et violences intrafamiliales dans le duché de Normandie (xe-xiie siècles) »Médiévales [En ligne], 84 | printemps 2023, mis en ligne le 02 janvier 2025, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/12460 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.12460

Haut de page

Auteur

Hugo Fresnel

Université de Caen Normandie – Centre Michel de Boüard (Craham UMR 6273)

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search