La voix des vassaux (Languedoc, xie-xiie siècles)
Résumés
La voix des vassaux (Languedoc, xie-xiie siècles)
Il est très difficile d’entendre une voix par-delà le formulaire et les contraintes de la forme diplomatique des chartes. Une conjonction exceptionnelle de facteurs nous permet cependant d’accéder à cette parole laïque dans des serments féodaux du Languedoc, entre la fin du xie et le milieu du xiie siècle, mis en forme et recopiés par des laïcs dans des cartulaires seigneuriaux.
cartulaire, charte, Languedoc, serments, vassalité
Plan
Haut de pageTexte intégral
1Osmundus, « Bouche-Monde », était le scribe attitré des vicomtes Trencavel au tournant des xie et xiie siècles. N’ayant jamais quitté l’état laïc, il peut faire figure de porte-parole d’une cour seigneuriale, celui par la bouche duquel on dit le monde. Si l’on tente de se mettre à l’écoute d’une voix laïque, ne faut-il pas en effet la chercher sous une plume laïque ? L’enquête sera donc ici menée dans un cartulaire laïc, mis en forme par un laïc, copiant des originaux rédigés par des laïcs pour transmettre, parfois, une parole laïque, une voix dont on peut supposer qu’elle prononça vraiment les paroles retranscrites.
- 1 Pour des précisions sur l’organisation du cartulaire et sur sa mise en œuvre, voir l’introduction (...)
- 2 Voir la liste exhaustive des scribes des actes du cartulaire dans l’édition citée à la note précéd (...)
2Le cartulaire est celui des Trencavel, vicomtes de Carcassonne-Béziers, composé dans les années 1186-1188 par un notaire vicomtal que l’on peut identifier comme un certain Bernard de Canet. Il dirigeait alors la chancellerie vicomtale et a organisé la transcription de la première partie du codex aujourd’hui conservé, les cahiers 1 à 311. La copie des originaux présents dans les archives vicomtales qui fut réalisée pour l’occasion est scrupuleuse et exacte ; lorsque la précision était présente dans l’original, elle mentionne systématiquement le scribe responsable du parchemin transcrit. Or ces spécialistes de l’écrit œuvrant à la cour vicomtale sont exclusivement des laïcs à partir du début du xiie siècle. Dans les actes plus précoces, les noms des scribes sont rarement donnés et, au xie siècle, on rencontre encore un certain nombre de rédacteurs désignés comme presbiter, sacerdos ou monachus, à côté d’autres pour lesquels on ne possède qu’un simple nom2. Mais cela ne dura pas.
- 3 Il s’agit du sacriste du chapitre Saint-Nazaire de Carcassonne nommé Raimond, rédacteur du testame (...)
- 4 1095 : CT, actes 261 et 347 ; un troisième accord entre Ermengarde, son fils et le comte de Foix e (...)
- 5 Cartulaire des Templiers de Douzens, éd. P. Gérard et É. Magnou, Paris, 1965 [désormais Douzens], (...)
- 6 Douzens, A 115, p. 106-108.
3À partir du début du xiie siècle, en effet, ces scribes indiscutablement ecclésiastiques disparaissent totalement, le dernier membre du clergé à rédiger un acte des Trencavel apparaissant en 11183. Osmundus, actif des années 1090 à environ 1125, inaugure ainsi une longue série de scribes vicomtaux dont on peut raisonnablement penser que ce sont des laïcs. Il instrumenta à Carcassonne pour la vicomtesse Ermengarde, puis pour son fils Bernard Aton IV. Il mit en forme notamment leurs séries d’accords avec les comtes de Foix, leurs parents, en 1096 puis en 11124, mais il fut aussi présent à la cour vicomtale réunie à Lagrasse en 1113, lorsqu’Ermengaud de Barbaira abandonna des biens en faveur du prieuré Saint-Jean de Carrière dans la main du vicomte Bernard Aton5. Après la grande révolte des châtelains du Carcassès, vers 1125, il fut remplacé par Guilhem Adaulfi, sans que l’on sache si son rôle dans le soulèvement fut la cause du changement. Ce dernier fut ensuite responsable de la chancellerie de Carcassonne jusqu’en 1146. Dénommé à une reprise « notaire du seigneur Roger6 », parfois secondé par son frère ou son fils, Bernard Adaulfi, il fut remplacé par Arnaud de Clairan qui est attesté à partir de 1146 et jusque vers 1177.
4Parallèlement, le vicomte faisait aussi appel à l’occasion à un bureau d’écriture biterrois, tenu par la famille Sicfredi : apparaissent ainsi tour à tour Stephanus Sicfredi, Sicfredus puis Bernardus Sicfredi. Ceux-ci étaient actifs à Béziers jusqu’au milieu des années 1160 et pas uniquement au service du vicomte. Ils furent probablement évincés lors de la répression qui suivit le meurtre du vicomte Raimond Trencavel en 1167.
- 7 Voir notre article : « Les premiers notaires de Béziers (dernier tiers du xiie siècle) », Revue hi (...)
5Avant l’apparition des notaires publics et la cristallisation du statut du notariat, il existait donc un milieu de scribes vicomtaux laïcs, entre le dernier tiers du xie et le milieu du xiie siècle, instrumentant au service de la cour vicomtale et de l’aristocratie régionale7. Il est difficile de juger si leur état laïc les a rendus particulièrement sensibles à la parole des vassaux qu’ils côtoyaient régulièrement dans ce milieu curial. Ou si l’impulsion venait des seigneurs qui commandaient l’écriture ces chartes. Les scribes, en effet, mentionnent régulièrement la jussio ou la rogatio en vertu de laquelle ils ont pris la plume (leur souscription est faite jussione ou mandamento, « sur l’ordre » du vicomte ou du seigneur auteur de l’acte), et l’on peut imaginer que les seigneurs ont eu quelque influence sur le choix des formules retranscrites.
La voix des serments
- 8 Les textes de serment reprennent le discours diplomatique de la charte timidement à partir des ann (...)
6De fait, un certain nombre des textes copiés dans le cartulaire mettent en scène des laïcs qui prêtent serment, et ces textes sont particulièrement perméables à l’expression d’une parole vive. La forme de ces serments les plus précoces, effectivement, ne respecte pas les canons de l’écriture diplomatique. Avant les années 1130, voire avant le milieu du xiie siècle, les textes, en particulier, ne présentent généralement ni protocole ni eschatocole8. Le scribe n’y est donc pas toujours nommé puisque les formules de validation ou de corroboration font défaut. Il n’y a cependant pas lieu de suspecter que les rédacteurs de ces serments soient différents des scribes qui ont rédigé les donations ou les accords mentionnés ci-dessus. Les textes sont issus de la même chancellerie, ils étaient conservés dans les mêmes armoires et ils ont été copiés ensemble au moment de la confection du cartulaire.
- 9 M. Zimmermann, Écrire et lire en Catalogne (ixe-xiie siècle), Madrid, 2003 ; et surtout : Id., « A (...)
- 10 Dans le CT : 101 serments du xie s. et 242 du xiie s. ; les données du cartulaire des Trencavel pe (...)
7Michel Zimmermann a longuement souligné les caractéristiques sémantiques et syntaxiques qui permettent d’entendre la voix des vassaux sous le formalisme des textes de serment9, et le fait, notamment, que ces paroles étaient rapportées à la première personne et en langue vernaculaire. En Languedoc, une exceptionnelle série de tels serments écrits est conservée dans plusieurs fonds archivistiques, dont le plus riche est le cartulaire des Trencavel10. Ces serments constituent l’armature de la société féodale, une société sans État, structurée par des réseaux de fidélité, simples dans leur principe et complexes dans leur fonctionnement effectif. Lors de chaque serment, un homme (homo, fidelis) prêtait serment de fidélité à un autre (dominus, senior) en lui promettant son aide et son conseil, et il reconnaissait détenir un bien de lui, généralement un castrum. Élément réel de cette relation personnelle, le château en question était un fief, même si le vocable n’est pas utilisé dans ce type d’acte. L’analyse de ces textes de serment permet ainsi de mettre au jour les procédures de leur prestation et les effets de hiérarchisation sociale qu’ils induisaient.
- 11 Exemples de serment à la première personne : voir en annexe les textes 2, 3, 4, 6, 7, 9 ; à la tro (...)
8Car le serment de fidélité était ici l’élément essentiel du rituel de conclusion d’un lien féodo-vassalique. On rencontre aussi quelques mentions de cérémonies d’hommage ; le rite n’était pas inconnu, mais il ne semble pas avoir été systématique dans le Midi. Le serment, en revanche, était un passage obligé de l’entrée en vassalité dans le rituel méridional, et de plus ce serment était très régulièrement couché par écrit sur un parchemin, ce qui nous a permis d’en conserver la teneur. ll s’agissait d’un acte promissoire très formalisé. Le vassal prenait la parole pour énoncer une série de propositions sur lesquelles il s’engageait. Ce n’est pas ici le lieu de reprendre toute la typologie des clauses de ces serments. Elles sont de fait en nombre assez restreint, environ une quinzaine, toujours les mêmes, mais agencées différemment, dans des textes tous différents. Le vassal promettait d’être fidèle à son seigneur, de ne pas le tuer ou le mutiler, de l’aider à la guerre ; mais aussi et surtout de garder dans sa fidélité le château qui est l’objet de l’engagement. Les clauses de l’engagement reposaient sur des verbes qui exprimaient le contenu de la promesse : faire, rendre, tenir, ne pas prendre, aider, etc. La forme pouvait aussi bien en être subjective, à la première personne, ou objective, à la troisième personne, sans que l’on comprenne les raisons du choix d’énonciation, ni que l’on sache qui était le tiers qui prenait alors la parole pour transcrire les engagements11. En quelque sorte, la parole du vassal pouvait être immédiate, ou médiatisée par un énonciateur anonyme.
- 12 Prescriptio : voir le texte 6 en annexe. Forma : « […] aliud sacramentum non exigat nec accipiat, (...)
9De toute évidence, il ne s’agissait pas d’une parole libre. Les énoncés sont très répétitifs et relèvent d’un rituel codifié, mis en mots dans une forme très corsetée. Nous avons manifestement affaire à un formulaire rédigé par des laïcs pour des laïcs, et il est possible de suivre la généalogie de certaines clauses jusqu’à la période carolingienne. C’est le cas, par exemple, de la promesse de ne pas s’en prendre à la vie et aux membres du seigneur, sans que l’on sache quel fut le canal de transmission jusqu’aux actes des xie-xiie siècles. Il est certain que des modèles circulaient, ou plutôt des sortes de canevas sans doute, dans lesquels on pouvait puiser au gré des besoins. Un acte du début du xiie siècle fait clairement allusion à ce genre de formulaire sous l’appellation de prescriptio ; d’autres textes emploient le terme de forma12. S’il y avait donc des formulaires, l’énoncé de chaque serment n’en conservait pas moins une certaine latitude dans les clauses et l’organisation interne, de sorte qu’il est impossible de savoir qui décidait de la liste et de la forme des engagements énoncés. Le seigneur, le vassal, le scribe ? Ou bien la succession des clauses était-elle le résultat d’une négociation ? La question est insoluble parce que, de tout ce processus d’élaboration, il ne nous reste que des textes bruts, sans apparat et sans contexte.
- 13 Il ne faut cependant pas confondre oralité et expression en langue vernaculaire : sur les marqueur (...)
- 14 « le formulaire qui dit “je ne te l’interdirai pas [le castrum], ni ne t’en interdirai [une partie (...)
- 15 Voir références en n. 9.
- 16 Voir notre article « Vers une nouvelle scripta juridique occitane : la langue des serments langued (...)
10Bien que très formalisées, ces paroles laissent parfois transparaître l’écho des voix derrière les mots recopiés. L’irruption de l’occitan, en particulier, fait percer cette voix au milieu de formulaires latins13. La langue vernaculaire, en effet, est employée essentiellement pour les verbes sur lesquels repose la syntaxe des clauses et qui constituent l’armature de l’engagement vassalique. À tel point que le formulaire a pu y puiser son nom : il est désigné comme la « prescriptio qui dit “no·l te vedarei ni t’en vedarei”14 ». Le formulaire parle alors à la première personne et en occitan, et il nous transmet certaines des paroles effectivement prononcées par le vassal au cours de la cérémonie de prestation du serment. On peut croire avec Michel Zimmermann que les verbes étaient en occitan parce qu’ils étaient effectivement prononcés par le vassal lors de la cérémonie, alors que le reste du formulaire pouvait avoir été lu par le scribe qui avait rédigé l’acte ou par un autre protagoniste15. De fait, ces verbes occitans rythment le texte et permettent d’imaginer de façon assez vivante le déroulement du rituel. Lorsque le texte est à la troisième personne, en revanche, les verbes ne peuvent pas avoir été prononcés tels quels. Il faut alors supposer une forme de transposition par le rédacteur, et donc une conscience aiguë de la nécessité de restituer la réalité des paroles dites, par attachement à la virtus verborum, à la magie des mots16.
- 17 J. Belmon, F. Vielliard, « Latin farci et occitan dans les actes du xie siècle », Bibliothèque de (...)
- 18 T. Brunner, « Le passage aux langues vernaculaires dans les actes de la pratique en Occident », Le (...)
11Il existe de fait toute une gradation depuis des textes entièrement en latin jusqu’à des textes purement en occitan, décalques du classique formulaire en latin17. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’évolution ne va pas linéairement vers une invasion de la langue vernaculaire. L’occitan est très présent dès le xie siècle, dès les premiers serments conservés qui datent des années 1010-1030. La part du vernaculaire semble ensuite augmenter jusqu’au tournant des xie et xiie siècles, quand l’occitan prend une part prépondérante, si ce n’est exclusive dans la formulation des serments. À partir des années 1130-1150, on constate un net reflux et une très évidente relatinisation des formulaires18. On peut sans aucun doute mettre cette réaction latine sur le compte de la diffusion du notariat public à partir du milieu du xiie siècle : ces hommes de loi frottés de droit savant ont certainement voulu marquer de leur empreinte les textes qu’ils copiaient en faisant état de leur culture nouvelle.
- 19 Voir les textes 2, 3, 4 et 9 en annexe.
- 20 Une liste de ces textes avec leurs références est à trouver dans notre article, « Le serrement des (...)
12Un petit nombre de textes, parmi ceux qui sont intégralement en occitan, transcrivent un autre élément très parlant du rituel : l’interpellation initiale. Le prestataire du serment, en effet, apostrophait le seigneur pour attirer son attention, concrètement et symboliquement. La forme de cette interpellation était très orale et les scribes ont eu du mal à la transcrire : elle s’écrit parfois aus ou audis (écoute), parfois antenz (entends), ou bien encore cai gara, za gara, say garda (prends garde)19. Le cartulaire des Trencavel recèle une quinzaine de ces formulations, une trentaine d’autres sont réparties dans les fonds de tout le Midi : on les rencontre dans des serments prêtés aux comtes de Toulouse, aux comtes de Provence, aux vicomtes de Carlat, de Marseille ou d’Avignon, aux seigneurs de Montpellier ou d’Anduze, aux évêques de Rodez et d’Antibes, aux chanoines d’Avignon, aux abbés de Lérins et de Gellone20.
13À la suite de cette interpellation, il faut le souligner, l’ordre habituel de la désignation des protagonistes du serment est inversé : après l’interjection vient immédiatement le nom du seigneur (sous la forme « écoute, toi untel, moi je… »), ce qui est logique vu l’énoncé, mais qui bouleverse les formulaires. Cette exclamation peut être considérée comme un marqueur d’oralité : à n’en pas douter, elle reproduit assez fidèlement une voix occitane et une partie du rituel qui n’est pas documentée par ailleurs, une interpellation symbolique qui campait les deux protagonistes face à face, les mains droites jointes. Il est impossible de décider pourquoi seule une quarantaine d’actes comporte cette formule : il ne semble pas y avoir eu de rite particulier dans ces seuls cas-là, rien ne distingue ces actes en ce qui concerne le rang des protagonistes ou les biens concernés. Tout ce que l’on peut remarquer, c’est que ce sont les textes où la langue est la plus occitane. Il est permis de penser que la transcription est alors particulièrement proche des véritables paroles prononcées, et que c’est l’irruption de l’occitan qui a permis de passer outre le formulaire accoutumé : c’est lui qui nous donne accès à cette parole laïque, aux mots réellement prononcés dans ces serments.
Une voix interdite
- 21 Il est difficile de situer socialement ces deux individus, sans doute membres de la petite aristoc (...)
- 22 « Ipsi vero inter alia verba que inde processerunt chartam quamdam in qua fidei sue articulos cons (...)
14Dans un univers culturel dominé par le latin et l’Église, l’émergence de cette oralité est tout à fait exceptionnelle. Un exemple rare permet de mesurer ce que pouvait être l’étouffement constant des voix laïques dans cette même région, et dans les mêmes années. Nous sommes à Toulouse en 1178, juste avant le troisième concile de Latran où le pape s’engagea à condamner fermement l’hérésie et ses sectateurs qui propageaient des opinions dissidentes concernant le dogme ou la pratique religieuse. Un légat pontifical, le cardinal Pierre de Pavie (ou de Saint-Chrysogone), faisait comparaître devant une grande cour deux petits seigneurs de la région alentour, gagnés à l’hérésie21. Le légat présidait le tribunal où figuraient également l’évêque de Poitiers, le comte de Toulouse, le vicomte de Turenne et trois cents clercs et laïcs. La cérémonie se déroulait dans l’église Saint-Jacques, tout près de la cathédrale. Le légat interrogea les deux hérétiques, Raimond de Baimiac et Bernard Raimond sur leurs croyances. En réponse, les deux « bonshommes » commencèrent par lire une sorte de profession de foi, « ils produisirent une charte dans laquelle ils avaient consigné les articles de leur foi et ils lurent entièrement ce qui y était écrit22 ».
- 23 « Viri idiotae non intelligentes scripturas » (ibid.).
15Ils avaient lu leur texte en occitan, et le cardinal s’en émut immédiatement : il ne comprenait pas tout et soupçonnait certaines formulations d’être suspectes. Il leur demanda de défendre leur foi en s’exprimant en latin, aussi, dit-il, « parce que les évangiles ont été écrits en latin ». L’un des deux hérétiques se lança alors, mais ses propos étaient incompréhensibles : il ne savait pas le latin et n’arrivait pas à aligner deux mots. Le cardinal condescendit alors à continuer la discussion en occitan, à s’abaisser à discuter en langue vulgaire des sacrements de l’Église à cause du manque de connaissances des deux hérétiques, aussi « absurde » que cela pût paraître pour traiter de telles matières. Dans la lettre qu’il nous a laissée, Pierre de Pavie explique un peu plus loin comment il a révélé leur mauvaise interprétation des écritures parce qu’ils étaient des « hommes stupides qui ne comprenaient rien aux écritures23 ».
- 24 « Prohibemus etiam ne libros veteris testamenti aut novi laici permittantur habere, nisi forte psa (...)
- 25 Voir en dernière instance J.-L. Biget, Église, dissidences et société dans l’Occitanie médiévale, (...)
16Le légat pontifical tentait ici tout à la fois de canaliser une autre voix laïque et d’empêcher l’accès direct des laïcs au texte des écritures, pour interdire toute interprétation personnelle, hors du cadre et sans le filtre de l’Église. Le couronnement de cet effort peut se lire clairement exprimé dans le canon 14 du concile de Toulouse de 1229, concile qui tirait les conséquences de la défaite du comte Raimond VII et qui jetait les bases de l’ordre nouveau que l’Église entendait imposer au Languedoc : « Il est interdit aux laïcs de posséder les livres de l’ancien et du nouveau testament. Nous autorisons le psautier, le bréviaire et les heures de la sainte vierge, si certains par dévotion veulent les avoir. Mais nous interdisons formellement qu’ils soient traduits en langue vulgaire24. » Pour l’Église, la voix laïque, et surtout si elle est occitane, n’a pas sa place pour traiter des questions d’exégèse ou de dogme. Il s’agissait évidemment de condamner les interprétations des hérétiques, des « bonshommes », qui appuyaient leur foi sur la Bible à l’exclusion de tout autre source ; une voix que l’Église s’est acharnée à faire taire25.
- 26 T. N. Bisson, Tormented Voices. Power, Crisis and Humanity in Rural Catalonia 1140-1200, Cambridge (...)
17L’anecdote permet de bien comprendre pourquoi il est si difficile de saisir une parole laïque en direct, non médiatisée par un récit, fût-il pris en charge par un laïc. Une situation doublement ou triplement exceptionnelle a permis de découvrir quelques bribes de ces paroles vivantes : un cartulaire laïque, qui transcrit des actes dont les auteurs sont des laïcs, et dont les scribes sont laïcs. Cette voix laïque au xiie siècle s’exprime préférentiellement en occitan, dans les serments ou dans la controverse hérétique, et ce n’est pas pour nous surprendre. Il faut, en effet, des circonstances tout à fait particulières pour que celle-ci soit parvenue jusqu’à nous. En Languedoc, la voix des vassaux est perceptible dans les textes conservés lorsque l’activité des cours qui servaient de cadre à la cérémonie de prestation de serment est relayée par des scribes qui n’étaient pas encore frottés de culture notariale. Il s’agit d’un moment relativement bref et d’une conjonction très particulière où l’animation curiale est suffisamment forte et où les bureaux d’écriture se sont émancipés des cadres ecclésiastiques. Les laïcs dont on perçoit faiblement la voix ne sont cependant qu’une infime élite : ils appartiennent à la meilleure aristocratie, ils paraissent dans l’entourage vicomtal, ils détiennent des castra ou des parts de castra. Si l’on tente de sonder plus profondément dans le tissu social, il est beaucoup plus difficile de trouver des témoins, aucune de ces tormented voices dont Thomas Bisson a pu entendre l’écho grâce aux rancuras et autres querimonie catalanes26. La seule trace qui subsiste a été conservée dans le cadre de la controverse anti-hérétique et elle est de peu postérieure. Elle témoigne d’une parole laïque interdite. Ces rares témoignages n’en sont que plus précieux.
Annexe
1 1074-1100 : serment pour Auriac
18Amiel, fils d’Audiard, prête serment de fidélité à Ermengarde, fille de Rangarde, pour le castellum d’Auriac.
19CT 180, f. 57v.
20De ista hora in antea, non decebra Amiels filz d’Audiard Ermengarz filiam Rengard de ipsum castellum de Auriag, neque de ipsa turre aut turres, neque de ipsas forcias que hodie ibi sunt et in antea erunt factas, no·l te tolrei ni t’en tolrei, no·l te vedarei ni t’en vedarei. Et si est homo qui o fara, adjutor t’en serei ab ti et senes ti per fe et senes engan. Et per quantas vez m’en comonraz per te ipsam aut per tuum missum aut missos, en ta postad lo tornarei. Et si es homo ni femina qui·l te tola ni t’en tola, ab achel ni ab acheles fi ni societat non aurei tro a recobrat l’aia, et in antea en ta postad lo tornarei senes nul logre d’aver ni de honor que non requirei. Et pois ton sacrament t’o tenrei et del castel et de la toa domerdura fidels te serei, per aquestz sanz.
2 1100-1129 : serment pour Arzens
21Raimond Pierre, Roger, Bernard Jourdain, Bernard Arnaud, Bernard Alfonse, Guilhem Pons, Raimond, Guilhem, Raimond, Arimbert et Pierre d’Arzens prêtent serment de fidélité à Bernard [Aton IV], fils d’Ermengarde, pour le castel d’Arzens.
22CT 291, f. 94v-95.
23Ausz Bernard filz de Ermengard cui eu per est manu tenet, a tu ni a tua muliere vel a filiis tuis, de ista hora in antea, castel d’Arzinco no·l te tolrei a tu ni a tua mulier vel infantes tuos, eu ni hom per men consel. Et si nullus hom o’n fazia, ego adjutori vos en seria per dreta fe senes engant per istum sanctum tro recobrat l’aias. Raimud Peire, Roger, Bernard Jordan, Bernard Arnal, Bernard Alfons, Guillelm Ponz, Raimud, Guillelm, Raimun, Arimber, Petrus de Arcincus.
3 Fin xie-début xiie siècle : serment pour Vieussan
24Guilhem d’Olargues prête serment de fidélité à Aton [de Bruniquel], fils de Guillelma, pour le castel de Vieussan.
25CT 117, f. 38.
26Antenz filz de Guillelma Ato cui eu per la man ten, eu Guillelmus de Largue ab ista hora in antea lo castel de Vinzan, las forzas que i sunt ni in antea factas i erunt ne i serant, non tibi tollam. Et si homo era ou femna qui o fezes ab el ni ab ela fi ni societat non auria, fors per lo castel a cobrar, et pois cobrar la oria, en ta postad lo tornaria senes logre de tun aver et sanz decepcion, per ez sanz. Petrus scripsit.
4 1129 : serment pour Vieussan
27Adalric, fils de Fideta, prête serment de fidélité à Pierre Aton [de Bruniquel], fils de Guillelma, pour le castellum de Vieussan.
28CT 420, f. 158v ; HGL, V, n° 496, III, col. 947 (incomplet).
29Cai gara Pere filz de Gillelma qui vocaris Ato, eu Adalrigs filz de Fideta lo castel de Vinzan, ni las forzas que i sunt ni adenant i seran, no·t tolrei ni t’en tolrei, ni hom ni femna ab mon consel ni ab ma voluntat. Et si hom ni femna lor tolia ni t’en tolia, ab achel ni ab achela fin ni societat non aurai, fors per el castel a recobrar, et quant cobrat l’auria, a ti el reddria senes logre de ton aver et ses deception. Hoc fuit factum quod superius scriptum est in presentia Raimundi Unauldi, Raimundi de Briva et Willelmi de Auriac, Calveti de Mala Falgaria et Ricardi et Olumbelli et Augerii abbatis de Loddeva, cujus consilio factum fuit sacramentum, anno Mo Co XXIXo incarnationis dominice, Petrus scriba scripsit.
5 1100-1129 : serment pour Arifat
30Arnaud Bernard d’Arifat, fils de Rengarde, et son fils Raimond, fils d’Argentella, prêtent serment de sécurité et de fidélité à Bernard Aton [IV], vicomte, et à Cecilia sa femme et à leurs enfants, pour le castel d’Arifat. Ont aussi juré Pierre Ermengaud et W. son frère. Leur serment est garanti par le serment de dix-neuf hommes d’Arifat, qui ont juré à la demande des seigneurs du castel, Ugo Ermengaud de Paulin, Fredelon de Montredon, Arnaud Bernard et son fils.
31CT 134, f. 43v-44 ; HGL, V, col. 837-838, VI.
32Breu de sacrament que a fait Arnalds Bernard d’Arifat lo filz de Rengard et Raimundus filius ejus et filius Argentelle a Bernard Ato lo vescomte et Cecilie uxori sue et infantibus eorum. Arnalds Bernard et Raimun sos filius au jurada al vescomte et Cecilie uxori sue et infantibus eorum lor vida e lor membra e lor castels, aizo lor tenrau per totz tans. Et au lor jurat lo castel d’Arifat, las forzas que i so ni adenant i serau que no·lli tolan, e que·llor redon per somonimentz que·l lor ne faran per lor o per lor messages. E se es om o femna qui lor tolla ne lor ne tola, ver e fidel ajutori lor en serau senes engan e senes lucre d’aver tro cobrat l’aion. Aquest sacrament del castel d’Arifat lor tenren e lor atendran tro li senior d’Arifat jurat l’aron per ben e per fe senes engan, aqueil que nominativat son per laudament de Bernard de Miraval e de Guido Pelapol, per qual covenenza Arnald Bernard et Raimun sos filz o an jurat, et o a jurat Peire Ermengaus et W. frater ejus, e sez se el l’en enganavon, lor ne portarion bona fe, e Peire Amels, e W. Amels, e Pelecz de Sant Germer e Sicards sos fraire, et W. Sobiras et Arnald sos fraire et Raimun Sobiras lor fraire, et Amels Auriols e Isarnus sos fils, e Raolf, et Raimun de Rocega e W. At sos fraire, et Eschafres Peire Ermengaus, et Isarns Sobiras, et Bernard [fol. 44] Moissetz non o an jurat an ne mandat lo vescomte et sa moller e sos enfanz metre enlor e que·llor daunz no sia. Aquest sacrament au fait home d’Arifat al vescomte et a sa moller et a sos enfanz per mandament des seniors del castel, de Ugo Ermengau de Paulin e de Fredolon de Mont Redon et Arnald Bernard e de so fil.
6 Vers 1130 : serment pour Cessenon
33Isarn de Cessenon, fils d’Adalaicis, prête serment de fidélité à Cecilia, vicomtesse de Béziers, fille d’Alamburgis, pour le castellum de Cessenon. CT 449, f. 171-171v ; HGL, V, n° 509, II, col. 965 (incomplet).
34CT 449, f. 171-171v ; HGL, V, n° 509, II, col. 965 (incomplet).
35De ista hora in antea, ego Isarnus de Cencenone filius Adalaicis femine non decebrei te Ceciliam Biterrensem vicecomitissam filiam Alamburgis femine de castello de Cencenone, neque de forciis que ibi hodie facte sunt et in antea ibi facte erunt, no·l te tolrai ni t’en tolrai, ni·l te vedarei ni t’en vedarei, ni eu ni home ni femna, ni homes ni femnas per meum ingenium neque per meum consilium. Et si est aut erit homo vel femina, aut homines vel femine qui vel que illum tibi tollant aut rem inde tibi tollant, cum illo neque cum illa neque cum illis finem aut societatem ad tuum dampnum non aurai, fors per illum castellum et illas fortecas a recobrare. Et quando recuperatum illum habebo, in tua potestate illam reddam per quantas vices tu m’en comonras per te vel per tuum missum vel per tuos missos et de ipso commonimento non m’en vedarei. Sicut superius scriptum est, aisi t’o tenrei et t’o atendrai fors quant tu m’en absolveras per tuos gradiens animos sine forcia per istos sanctos. Testes sunt de hoc Sicardus de Muro Vetulo, Petrus Sigerii et nepos suus Gillelmus Sigarius, Petrus Rainardi et filius suus Berengarius et Elisiarius et multi alii. Stephanus Sicfredi scripsit cum prescriptione que dicit no·l te vedarei ni t’en vedarei.
7 1132 : serment pour Le Vintrou
36Pierre Raimond, fils de Garsende, prête serment de fidélité à Roger [Ier], fils de Cecilia, pour le castellum du Vintrou.
37CT 19, f. 5v-6 ; HGL, V, n° 509, IV, col. 966 (incomplet).
38De ista hora in antea, ego Petrus Raimundi qui fui filius Garsendis femine non decipiam te Rogerium filium Cecilie vicecomitisse de ipso castello quod vocamus Vintro, de ipsis fortezis que ibi sunt vel in antea facte fuerint, no·l te tolrei ni t’en tolrei, no·l te vedarei ni t’en vedarei, nec ego nec homo nec femina vel homines aut femine per meum ingenium vel per meum consilium. Et si erit homo aut femina vel homines aut femine chi·l te tolau ni t’en tolau, chi·l te vedon aut t’en vedon, ab achel ni ab achela, ab achels ni ab achelas finem vel societatem non habuero ad tuum dampnum. Et si recuperare illud potuero, in tua potestate lo tornarei sine lucro tui muneris atque honoris. Et per quantas vices lo·m demendaraz per te aut per tuum missum aut per tuos missos, in tua potestate lo tornarei, e·l te redrei sine tuo inganno. Et si de te Rogerio desierit sine infante, totum per eandem convenientiam fratribus tuis Raimundo Trencavello atque Bernardo atendrei sine illorum inganno. Sicut superius scriptum est, tibi et illis totum sine inganno omni vita mea o tenrei et o atendrei per Deum et per hec sancta. Factum est hoc apud Carcassonam, idibus aprilis, anno Mo Co XXXII incarnationis dominice, regnante Lodovico rege. Factum est sacramentum hoc in presentia Fredolonis de Monte Rotondo et Petri de Peirola et Willelmi Petri de Castras.
8 1129-1150 : serment pour Auriac
39Raimond Polverel, fils de Serena, prête serment de fidélité à Roger [Ier], fils de Cecilia, pour le castellum d’Auriac.
40CT 35, f. 9-9v.
41De ista hora in antea, Raimuns Polverels filius de Serena non decebra, no devedara lo castel de Auriag, las fortezas que ibi sunt et in antea facte erunt et non tolra ni l’en tolra Rogerio filio de Cidilia nec homo nec femina per suum ingenium et per suum consilium. Et si homo aut femina, homines aut femine prescriptum castel de Auriag toliant, ni l’en toliant, ni l’en vedavant Rogerio, fidels adjutoris li seria bona fide, et cum illis pacem vel societatem non haberet, si per lo castel cobrar non o avia, entro Rogerius prescriptum castel per so conoissement recuperatum et in sua potestate haberet. Sicut in hac carta scriptum est et clericus in ea bona fide legere potest, per totas aquelas sazos que prescriptus Rogerius filius de Cidilia comonra per se o per son message o per sos messages prescriptum Raimundum Polverel filium de Serena, o tenra et o atendra, per nomen de sacrament senes engan Rogerio filio Cidilie et senes lugre d’aver.
9 1158 : serment pour Brens, Gaillac, Cahuzac et Montaigu
42Sicard de Laurac, fils d’Ava, prête serment de fidélité à Raimond Trencavel, vicomte de Béziers, fils de Cecilia, et à Roger [II], fils de Raimond Trencavel et de Saura, pour les castella de Brens, de Gaillac, de Cahuzac et de Montaigu.
43CT 12, f. 4-4v.
44Anno Mo Co LVIIIo incarnationis Verbi divini, IIIIa feria, XVII kalendas augusti, Lodovico rege Francorum regnante. Aus tu Raimon Trencavel vescoms de Beders fils de Cecilia vescomptissa e tu Rogers fils de Raimon Trencavel e de Saura comitissa, eu Sicarz de Laurag fils de Ava d’achesta hora enant lo castel de Berengs, ni achel de Galac, ni achel de Causac, ni achel de Mont Agud, las forzas que ara i son ni adenant i seron no las vos tolrei, ni vos ne tolrei, ni las vos devedarei. Et per quantas vegadas nos per vos meteises o per vostre messaige o per vostres messages las me demanderes, eu las vos redrei e redre las vos farei senes lo vostre engan. Et si om era ni femna que las vos tolges ni·os en tolges, ni omnes ni femnas que vos las tolgissont ni·os en tolgesson, ab aquel ni ab aquels amor ni societat non auria tro eu los vos redes e·el vostre poder senes engan et senes logre de vostre honor e de vostre aver las tornes. Aisi cho de sobre es escrit, o tenrei et o atendrei senes engan per hec sancta evangelia. Omnium rerum predictarum est testis Isarnus de Durna et Bernardus de Sancto Michaele et Poncius de Turre et Isarnus de Villa Nova et Guillelmus Raterii et Guillelmus de Sancto Felice et Petrus de Vilario et Isarnus Jordani de Saxaco et Jordanus frater illius, Guillelmus Petri de Alto Pullo et Bernardus Pilapulli et Raimundus Atto de Cotencs et Guillelmus de Mazerag de Monte Acuto et Poncius Matfre de Monte Acuto.
10 Lettre de Pierre de Pavie (ou de Saint-Chrysogone)
45J.-P. Migne éd., Patrologie latine, Paris, 1855, vol. 199, col. 1119-1124.
46[…] Eodem Pictavensi episcopo et praedicto comite Tolosano et aliis clericis et laicis quasi trecentis in ecclesia Beati Stephani nobiscum pariter congregatis, illis injunximus ut fidem suam nobis exponerent, et ad catholicae fidei veritatem redeuntes, infamiam quam et tota terra et ipsi per damnabilem praedicationem incurrerant per salutiferam confessionem verae fidei removerent. Ipsi vero inter alia verba quae inde processerunt chartam quamdam in qua fidei suae articulos conscripserant in medium protulerunt, et eam sicut prolixius scripta fuerat perlegerunt. In qua cum verba quaedam deprehendissemus quae et suspecta videbantur existere, et nisi plenius exponerentur, haeresim quam predicaverant possent velare. Quaesivimus ut Latinis verbis respondentes suam fidem defenderent, tum quia lingua eorum non erat nobis satis nota, tum quia Evangelia et Epistolae quibus tantummodo fidem suam confirmare volebant Latino eloquio noscuntur esse scripta. Cumque id facere non auderent, utpote qui linguam Latinam penitus ignorabant, sicut in verbis unius illorum apparuit qui cum latine vellet loqui vix duo verba jungere potuit et omnino defecit. Necesse fuit nos illis condescendere et de ecclesiasticis sacramentis propter imperitiam illorum quamvis satis esset absurdum, vulgarem habere sermonem.
Notes
1 Pour des précisions sur l’organisation du cartulaire et sur sa mise en œuvre, voir l’introduction de l’édition que nous avons préparée, à paraître en 2021 dans la collection des « Documents inédits sur l’histoire de France », au CTHS. Le codex est possédé par la Société archéologique de Montpellier, cote ms 10 [désormais désigné CT].
2 Voir la liste exhaustive des scribes des actes du cartulaire dans l’édition citée à la note précédente.
3 Il s’agit du sacriste du chapitre Saint-Nazaire de Carcassonne nommé Raimond, rédacteur du testament du vicomte Bernard Aton IV, en partance pour la croisade en Espagne (acte 115 du cartulaire ; aussi édité par C. Devic, J. Vaissète, Histoire générale de Languedoc [désormais HGL], rééd. É. Privat, Toulouse, 1872-1892, t. V, col. 867-868).
4 1095 : CT, actes 261 et 347 ; un troisième accord entre Ermengarde, son fils et le comte de Foix est conservé à l’état d’original : Paris, AN, J 879, n° 11, édité par HGL, t. V, col. 737, III ; 1112 : HGL, t. V, col. 823-824.
5 Cartulaire des Templiers de Douzens, éd. P. Gérard et É. Magnou, Paris, 1965 [désormais Douzens], A89, p. 86 : grande cour seigneuriale avec le vicomte Bernard Aton, l’évêque d’Albi, Adalgerius de Penne, le vicomte de Lautrec Frotard, Bertrand de Roquenégade, d’autres nobiles viri et l’abbé de Lagrasse. En outre, les archives de l’Aude conservent trois originaux de la main d’Osmundus, datés de 1116 et de 1119 (Carcassonne, AD Aude, G 76 n° 1bis, n° 2 et n° 3). La dernière apparition d’Osmundus dans le chartrier vicomtal date du 16 avril 1125 ; il s’agit de la concession d’un champ en complant effectuée par le vicomte en faveur de deux couples (CT, acte 103). Le nom d’Osmundus est rarissime en Languedoc, il ne semble pas abusif d’attribuer les 10 actes conservés à un seul et même scribe.
6 Douzens, A 115, p. 106-108.
7 Voir notre article : « Les premiers notaires de Béziers (dernier tiers du xiie siècle) », Revue historique, 3 (2017), p. 491-514.
8 Les textes de serment reprennent le discours diplomatique de la charte timidement à partir des années 1130, plus massivement au milieu du xiie s., alors que les autres types d’actes le respectent globalement depuis le xie s. (pour le détail de la chronologie, voir notre thèse La Féodalité languedocienne. Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, 2003, p. 124-128).
9 M. Zimmermann, Écrire et lire en Catalogne (ixe-xiie siècle), Madrid, 2003 ; et surtout : Id., « Aux origines de la Catalogne féodale : les serments non datés du règne de Ramon Berenguer Ier », La formació i expansió del feudalisme català, Estudi General, 1985, vol. 5-6, p. 109‑149 ; Id., « “Et je t’empouvoirrai” (Potestativum te farei). À propos des relations entre fidélité et pouvoir en Catalogne au xie siècle », Médiévales, 10 (1986), p. 17-36 ; Id., « Langue et lexicographie : l’apport des actes catalans », Bibliothèque de l’École des chartes, 155 (1997), p. 185-205 (p. 199-204).
10 Dans le CT : 101 serments du xie s. et 242 du xiie s. ; les données du cartulaire des Trencavel peuvent être complétées par celles contenues dans celui des Guilhem de Montpellier (A. Germain, Cartulaire des Guilhem de Montpellier. Liber instrumentorum memorialium, Montpellier, 1884) : 16 serments du xie s. et 117 du xiie s. En prenant en compte tous les autres fonds languedociens, on parvient à un total d’environ 600 textes : pour les décomptes et la typologie des textes, voir notre article « “Une féodalité qui sent l’encre” : typologie des actes féodaux dans le Languedoc des xie-xiie siècles », dans J.-F. Nieus éd., Le Vassal, le Fief et l’Écrit. Pratiques d’écritures et enjeux documentaires dans le champ de la féodalité (xie-xve siècle), Louvain-la-Neuve, 2007, p. 35‑58.
11 Exemples de serment à la première personne : voir en annexe les textes 2, 3, 4, 6, 7, 9 ; à la troisième personne : voir les textes 1, 5 et 8.
12 Prescriptio : voir le texte 6 en annexe. Forma : « […] aliud sacramentum non exigat nec accipiat, nisi secundum eam formam qua juravit Raimundus filius Guillelmi de Durbanno » (accord entre Ermengarde vicomtesse de Narbonne et les seigneurs de Durban, en 1153 : HGL, t. V, col. 1152-1153). Plus tardivement, les actes ont pu reprendre la dénomination classique de forma fidelitatis, comme dans ce serment de 1209 du comte de Foix au roi d’Aragon : « […] eandem formam fidelitatis idem hominum consimile sacramentum vobis […] facere teneantur » (Paris, BnF, Collection Doat, vol. 192, f. 197v-198). Forma fidelitatis est le terme employé dans le droit féodal, par exemple dans les Libri feudorum : voir G. Giordanengo, Le Droit féodal dans les pays de droit écrit, l’exemple de la Provence et du Dauphiné (xiie-début xive siècles), Rome, 1988. Sur l’efficacité juridique du formalisme : C. Leveleux-Teixeira, « Prêter serment au Moyen Âge. La virtus verborum au risque du droit », dans N. Bériou, J.-P. Boudet, I. Rosier-Catach éd., Le Pouvoir des mots au Moyen Âge, Turnhout, 2014, p. 171‑188 ; Ead, « Le serment, une parole sacrée ? », dans La Parole sacrée. Formes, fonctions, sens, Toulouse, 2013 (Cahiers de Fanjeaux, 47), p. 175‑194.
13 Il ne faut cependant pas confondre oralité et expression en langue vernaculaire : sur les marqueurs linguistiques d’oralité, voir P. Vermander, « Les voix du texte », dans La Voix au Moyen Âge, Paris, 2020, p. 61-76. Sur la précocité de l’irruption des langues vernaculaires dans les textes sacramentels : M. Banniard, « Niveaux de langue et efficacité pragmatique dans les serments carolingiens », dans M.-F. Auzépy, G. Saint-Guillain éd., Oralité et lien social au Moyen Âge (Occident, Byzance, Islam). Parole donnée, foi jurée, serment, Paris, 2008, p. 41-62 ; Id., « Y a-t-il une spécificité de l’occitan dans l’émergence des langues et des scriptas romanes ? », dans J.-F. Courouau éd., Fidélités et dissidences, Toulouse, 2020, p. 7-17 (p. 15).
14 « le formulaire qui dit “je ne te l’interdirai pas [le castrum], ni ne t’en interdirai [une partie]” » (voir le texte 6 en annexe).
15 Voir références en n. 9.
16 Voir notre article « Vers une nouvelle scripta juridique occitane : la langue des serments languedociens du xie siècle », dans M. Banniard éd., Langages et peuples d’Europe. Cristallisation des identités romanes et germaniques (viie-xie siècles), Toulouse, 2002, p. 67-77.
17 J. Belmon, F. Vielliard, « Latin farci et occitan dans les actes du xie siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, 155 (1997), p. 147-183 (p. 163-164).
18 T. Brunner, « Le passage aux langues vernaculaires dans les actes de la pratique en Occident », Le Moyen Âge, 115/1 (2009), p. 29-72 (p. 43-45).
19 Voir les textes 2, 3, 4 et 9 en annexe.
20 Une liste de ces textes avec leurs références est à trouver dans notre article, « Le serrement des mains. Éléments pour une analyse du rituel des serments féodaux en Languedoc et en Provence (xie-xiie siècles) », Le Moyen Âge, 113/1 (2007), p. 9-23.
21 Il est difficile de situer socialement ces deux individus, sans doute membres de la petite aristocratie régionale : voir P. Jiménez Sanchez, Les Catharismes. Modèles dissidents du christianisme médiéval, xiie-xiiie siècles, Rennes, 2008 ; M. Zerner, L’Histoire du catharisme en discussion. Le « concile » de Saint-Félix (1167), Nice, 2001 (p. 45, 106, 114-115, 155-158) ; J.-L. Biget, Hérésie et inquisition dans le midi de la France, Paris, 2007 (p. 160-161).
22 « Ipsi vero inter alia verba que inde processerunt chartam quamdam in qua fidei sue articulos conscripserant in medium protulerunt et eam sicut prolixius scripta fuerat perlegerunt » (PL 199, col. 1119-1124) ; voir le texte 10 en annexe. Bien évidemment et malheureusement pour nous, le cardinal ne transcrit pas les paroles effectivement prononcées.
23 « Viri idiotae non intelligentes scripturas » (ibid.).
24 « Prohibemus etiam ne libros veteris testamenti aut novi laici permittantur habere, nisi forte psalterium, vel breviarium pro Divinis officiis, aut horas beatae Mariae aliquis ex devotione habere velit. Sed ne praemissos libros habeant in vulgari translatos, arctissime inhibemus » (texte latin dans G. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, 1779, vol. XXIII, col. 197 ; traduction dans P. Bonnassie, G. Pradalié, La Capitulation de Raymond VII et la fondation de l’université de Toulouse (1229-1979), Toulouse, 1979, p. 46).
25 Voir en dernière instance J.-L. Biget, Église, dissidences et société dans l’Occitanie médiévale, Lyon/Avignon, 2020.
26 T. N. Bisson, Tormented Voices. Power, Crisis and Humanity in Rural Catalonia 1140-1200, Cambridge, 1998.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Hélène Débax, « La voix des vassaux (Languedoc, xie-xiie siècles) », Médiévales, 81 | 2022, 113-126.
Référence électronique
Hélène Débax, « La voix des vassaux (Languedoc, xie-xiie siècles) », Médiévales [En ligne], 81 | automne 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/11887 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.11887
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page