L’agentivité discursive des conseillers du seigneur dans les romans antiques
Résumés
L’agentivité discursive des conseillers du seigneur dans les romans antiques
La représentation des groupes dans des situations de parole pose des problèmes techniques particuliers aux auteurs. La forme qu’ils donnent aux conversations à plusieurs personnages est révélatrice de leur conception de l’individu dans le groupe ou de la prédisposition du groupe au conflit ou au consensus. En développant le concept d’agentivité discursive, on observe, dans un corpus constitué des trois romans antiques, la place que prennent les grands laïcs dans les représentations littéraires des conseils féodaux. Bien que la majorité des conversations de groupe soient rendues au moyen de voix collectives, beaucoup de personnages manifestent une réelle capacité à prendre la parole par eux-mêmes, à s’opposer, à persuader. Leur présence discursive au sein du groupe privilégie les postures dissensuelles qui permettent de percevoir le goût médiéval pour les débats.
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- 1 Je reprends ici les définitions des pragmaticiens : le dialogue désigne toute interaction verbale (...)
1La réflexion ci-dessous vise à expérimenter un outil d’analyse dans le cadre de la recherche que je mène sur les dialogues à plusieurs personnages, les polylogues1, dans la littérature médiévale. Elle vise à partir des concepts de la pragmatique, élaborés sur des interactions verbales authentiques, pour mettre au jour une poétique littéraire du dialogue à plusieurs personnages. À l’oral, on sait la complexité des conversations à plusieurs et des débats, le brouhaha qu’ils peuvent entraîner et les règles sociales qui ont été inventées pour les réguler. À l’écrit, les auteurs doivent inventer des formes qui signifient la collectivité sans perdre de vue l’intelligibilité du discours. S’ils veulent montrer l’implication de plusieurs, ils ne peuvent se contenter d’une simple alternance des répliques entre deux locuteurs a/b/a/b… Si des possibilités spécifiquement littéraires existent, comme celle de fondre les voix individuelles en une voix collective, elles nient la singularité de chaque prise de parole. Au-delà de cette question technique, la forme que prend le dialogue renvoie à la représentation du groupe : elle implique la sociabilité des personnages romanesques. En effet, représenter un groupe et la manière dont la parole est distribuée dans ce groupe a une dimension anthropologique. Certains ont l’autorité hiérarchique, permanente ou ponctuelle, qui leur permet de distribuer la parole, d’autres la remettent en question, tandis que d’autres enfin luttent pour arriver à être reconnus comme des locuteurs valables. À travers la représentation du groupe parlant, on peut aussi approcher une certaine représentation du pouvoir ou de l’individu dans le groupe selon le désordre, le dissensus ou le consensus qui dominent.
2En cela, l’écriture des voix peut témoigner des identités sociales telles qu’elles se construisent dans les représentations littéraires au cours du xiie siècle. La circulation de la parole témoigne des rapports de force au sein du groupe entre ceux qui sont dotés du pouvoir de parler et les autres. Qu’en est-il en particulier des grands laïcs ? Quelle place leur est accordée dans la représentation de la parole politique ? Comment repérer leur présence discursive au sein du groupe parlant ?
- 2 J. Butler, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, New York, 1990 ; P. Mann, Micr (...)
3Pour aborder ces questions, je me permets de reprendre un concept né en sciences sociales et en philosophie, celui d’agentivité (agency), c’est-à-dire la faculté d’action d’un être, sa capacité à agir ou sa puissance d’agir sur le monde et les êtres. Ce concept a été particulièrement développé dans les études de genre pour montrer les difficultés spécifiques aux femmes2. Pour une femme, développer son agentivité est le premier enjeu pour atteindre l’autonomie d’action et de pensée. Je me limiterai à la question de l’agentivité au plan discursif. Si l’agentivité est la faculté d’un être à décider d’une action par lui-même, son agentivité discursive est sa faculté à prendre la parole lui-même, à formuler une opinion qui lui est propre et à influencer les autres. Pour cela, nous n’observerons pas la situation des héros des romans, ni celle des personnages situés les plus hauts dans la hiérarchie sociale. Il est évident qu’un roi ou qu’un héros a une forte agentivité : sa parole domine en général celle des autres, en qualité comme en quantité. Ceux dont nous traiterons ici sont des personnages secondaires qui entrent dans la catégorie des grands laïcs : chevaliers, barons, princes, conseillers du seigneur. Ils sont certes des grands ou des notables, mais ils ne sont pas des clercs et peuvent représenter le public que visent ces romans. Ces personnages secondaires ont-ils le droit à la parole ? De quelle manière la prennent-ils ? Se situent-ils en opposition ou en accord avec le groupe ? Ont-ils la capacité à changer l’opinion du groupe ?
Les critères de l’agentivité discursive
- 3 On notera aussi que le personnage doté d’un nom a forcément plus d’autonomie discursive qu’un anon (...)
4L’agentivité discursive des personnages romanesques se manifeste sur deux plans : le plan conversationnel, c'est-à-dire celui de la conversation « réellement prononcée », et le plan textuel, c’est-à-dire celui du dialogue, sa « transposition » écrite. Le personnage parle-t-il « dans la réalité » ? Et s’il parle, sa parole est-elle rapportée dans le récit ? Nous poserons la question d’un point de vue quantitatif (quelle est la quantité de paroles prononcées et/ou rapportées) et qualitatif (que dit-il ? Sa parole a-t-elle un poids au milieu des autres3 ?).
5Cette agentivité varie selon la manière dont la conversation à plusieurs est représentée. Nous distinguerons trois manières de rendre ce type de scène : 1. soit en regroupant plusieurs personnages dans une voix collective, qui dialogue éventuellement avec un locuteur singulier ; 2. soit en ramenant le polylogue à un dilogue par l’utilisation d’un porte-parole ou par la juxtaposition de plusieurs dilogues ; 3. soit dans un polylogue dit individualisant, dans lequel plusieurs personnages parlent ensemble, chacun dans ses propres répliques distinguées de celles des autres. Ces trois techniques, qui peuvent aussi se cumuler, constituent un continuum dans lequel on passe insensiblement d’un type à un autre. Seuls les polylogues individualisants peuvent donner de l’agentivité discursive à un personnage.
Les données quantitatives
6La première chose à déterminer pour savoir si les personnages ont la capacité à s’exprimer dans le groupe est de regarder s’ils y parlent effectivement. Nous décrirons pour cela leur présence matérielle dans les polylogues. Quelle place leur est accordée quantitativement (nombre de vers, nombre de répliques) ? Parlent-ils au sein d’une voix collective ou leur parole est-elle individualisée par des répliques personnelles ? Par ailleurs, l’impact d’un propos rendu au discours direct est forcément plus fort que s’il est rapporté au discours indirect ou au discours narrativisé.
7Ce comptage matériel aboutit à déterminer trois types de locuteurs dans les polylogues : le bavard qui dispose de deux répliques ou plus par polylogue dans lesquels il participe, le discret qui n’a qu’en moyenne une réplique par polylogue, et le silencieux qui n’a moins d’une réplique dans les conversations où on sait qu’il est présent. La limite de deux répliques est sans doute à modifier dans d’autres romans. Il arrive aussi qu’un personnage parle énormément en dilogues mais fort peu en polylogues. Cela ne peut donc pas être le seul critère à observer pour juger des capacités discursives d’un personnage.
Les critères qualitatifs
8L’autre critère discursif important est qualitatif et tient aux actes de langage auxquels les personnages ont accès, la manière dont ils se situent dans la progression argumentative du dialogue et l’efficacité de leur parole.
Les positions d’autorité
- 4 C. Kerbrat-Orecchioni, Les Interactions verbales, Paris, 1992, t. II, p. 68.
9Pour étudier le fonctionnement du groupe, il importe de voir quelle hiérarchie s’y dessine entre le personnage qui assume la position haute du leader et les autres. En effet, la parole se distribue différemment selon les places conversationnelles qui sont attribuées aux participants. Officieusement ou officiellement se met en place une relation verticale, qui oppose des personnes en position haute à des personnes en position basse dont l’accès à la parole ou à certains actes de langage est plus compliqué4.
- 5 O. Ducrot, considérant l’aspect menaçant pour la face d’autrui de la question, parle de « diktat » (...)
10La position haute est manifeste à plusieurs indices qui témoignent de l’aisance du personnage dans l’interaction verbale. Le dominant a l’initiative de l’interaction à laquelle il impose sa thématique et à laquelle il contribue souvent le plus. Il la conclut éventuellement et distribue la parole selon son envie ou peut utiliser des actes de langage contraignants comme les actes directifs des questions5 ou des ordres, autant d’éléments qui témoignent de son agentivité discursive. Dans des dialogues représentant des situations féodales, il est évident que la hiérarchie va avoir une forte prégnance sur l’organisation des répliques : la position haute est attribuée de manière institutionnelle au seigneur qui détient l’autorité politique et/ou militaire.
Les positions basses
11Intervenant dans la conversation de manière minimale, les personnages discrets, qui n’ont qu’une réplique dans un polylogue, font rarement preuve d’initiative. Leur parole est limitée à des positions ou à des actes de langage précis, en général de l’ordre de l’acquiescement ou de la conformité à la suite d’un personnage de premier plan. Ils sont souvent réduits à la réplique finale d’un dialogue.
Le renversement de position
12L’agentivité discursive se manifeste aussi par les coups d’État conversationnel d’un personnage qui intervient là où il n’est pas attendu ou qui persuade les autres personnages. Faire irruption dans une conversation est tout particulièrement le signe d’une forte personnalité. Toutefois dans le corpus retenu, où les polylogues sont essentiellement des conseils féodaux, la prise de parole est plutôt spontanée et il est plus délicat de déterminer s’il s’agit vraiment d’une intrusion.
13Enfin la plus grande manifestation de l’agentivité discursive d’un personnage est sa capacité à s’opposer aux autres du groupe, à aller contre l’opinion dominante – ce qui implique souvent aussi un courage physique, tant les personnages sont prompts à remplacer le combat des mots par celui des épées –, et évidemment à emporter l’adhésion.
Le cas des romans antiques
- 6 J.-C. Payen, « La mise en roman de la matière antique : le cas du Roman de Thèbes », dans J.-M. D’ (...)
- 7 Le Roman de Thèbes, édition du manuscrit S (Londres, Brit. Libr., Add. 34114), éd. et trad. F. Mor (...)
- 8 Sur la place des débats dans les chansons de geste : M. de Combarieu du Grès, L’Idéal humain et l’ (...)
14Les traductions en langue romane des grands textes latins ou grecs ont abouti à la création de formes littéraires originales, frappant par leur extraordinaire plasticité. Les premiers écrivains en langue française ont en effet réutilisé une partie des procédés des chansons de geste6 en les coulant dans une esthétique originale et en infléchissant leurs thématiques. Sur les trois romans antiques qui constituent notre corpus7, le traitement du débat est très proche de celui de l’épopée8 : de fortes personnalités se déchirent sur les positions à prendre, très loin par exemple des romans courtois qui suivront, dans lesquels le débat, loin d’être valorisé, sera un signe de mauvaise politique. De ce fait, des personnages de conseillers, nos grands laïcs, ont un espace pour discuter de choix politiques cruciaux sur lesquels les consensus sont difficiles à atteindre.
15Dans ces textes, j’ai compté 82 polylogues rassemblant plusieurs personnages, mais 43 d’entre eux (52,5 %) sont simplement rendus avec une voix collective, qui éventuellement dialogue avec un personnage isolé.
Tableau 1. Type de polylogues dans les romans antiques.
Voix collective |
Polylogues ramenés à un dilogue |
Polylogues individualisants |
Nombre total de polylogues |
|
Roman de Thèbes |
16 (dont 9 au discours direct) |
2 |
23 |
41 |
Roman de Troie |
14 (dont 2 au discours direct) |
1 |
10 |
25 |
Roman d’Énéas |
13 (dont 2 au discours direct) |
1 |
2 |
16 |
- 9 J.-C. Payen, « Structure et sens du Roman de Thèbes », Le Moyen Âge, 76 (1970), p. 493-513.
16Le plus souvent la parole des conseillers est chorale, englobée dans une voix collective, souvent elle-même limitée à un rôle d’approbation. Toutefois la proportion de voix collectives par rapport aux polylogues individualisants varie selon les romans. Le Roman d’Énéas a non seulement le moins de polylogues, mais c’est aussi le texte qui fait le plus grand usage de la voix collective. Inversement, le Roman de Thèbes9, peut-être le plus influencé par l’esthétique de la chanson de geste, présente 23 vrais polylogues contre 16 conversations (49 %), rendues simplement par une voix collective. Les polylogues sont particulièrement utilisés pour les conseils féodaux, lieu où s’exerce le pouvoir. Il n’y a guère plus d’un ou deux polylogues qui ne relèvent pas de ce type d’interaction dans chaque roman, exception faite des harangues auxquelles un groupe de chevaliers répond, parfois, d’une seule voix. Seul le Roman de Thèbes présente cinq conversations à plusieurs personnages qui ne sont pas des conseils féodaux, essentiellement au début quand le roi Arcade parle avec Tydès et Polynice.
17Cette primauté du conseil féodal entraîne une moindre diversité des rôles conversationnels des participants de polylogue : le seigneur sert d’animateur ; un conseiller exceptionnel fait une proposition ; deux conseillers se disputent… les positions discursives sont donc assez figées dans leur déroulement. En général, le seigneur présente le problème auquel il faut trouver une solution, puis, le débat prend diverses formes selon la place que le récit accorde aux conseillers. Enfin, le conseil se clôt sur une décision généralement approuvée par une voix collective qui rétablit l’unanimité.
- 10 Pour d’autres types de conseils féodaux : C. Denoyelle, « Polylogues masculins et polylogues fémin (...)
18Dans ce corpus, trois formes de débat sont privilégiées10 : « le conseiller charismatique » ; « le débat devant le seigneur » ; « le débat élargi », qui représentent plus ou moins l’agentivité discursive de leurs participants.
- Le conseiller charismatique : je désigne sous ce nom les débats dans lesquels un unique conseiller prend la parole pour avancer une opinion qui sera d’emblée acceptée ou refusée par le groupe. Aucun autre individu ne parle après lui. Ce personnage est mis en valeur soit pour son rôle charismatique, soit pour son sens de l’opposition.
- La dispute devant le seigneur : ce terme désigne les débats dans lesquels deux barons disputent devant le seigneur qui reste assez neutre. Les deux opinions opposées sont mises en valeur : elles sont construites l’une par rapport à l’autre en se réfutant. Cette réfutation est parfois réelle, avec une véritable contre-argumentation ; parfois il s’agit simplement de l’exposé d’une autre thèse juxtaposée à la première. Les deux conseillers peuvent disposer de plusieurs répliques. Le seigneur, ou le reste du conseil sous forme de voix collective, prend position pour l’un ou pour l’autre (en général pour le dernier à avoir parlé).
- Le débat élargi par coalition : dans cette forme de débat, un ou plusieurs autres conseillers prennent la parole d’un côté ou de l’autre des premiers débatteurs. La prise de parole est spontanée. Quand le débat est ainsi allongé, chaque conseiller ne dispose en général que d’une réplique. Il est rare que la parole revienne à ceux qui ont déjà parlé.
19Quelle que soit la forme utilisée, quand ils ne se limitent pas à une voix collective, on constate que ces romans privilégient une orientation vers le dissensus.
Le conseiller charismatique mais vain
20Dans la forme de débat que j’ai appelée « conseiller charismatique », un unique conseiller expose une position à laquelle tout le monde se range généralement. Toutefois, dans ce corpus, sa parole est fréquemment rejetée et son intervention s’avère souvent vaine. Dans le Roman de Thèbes, un des chefs de guerre argiens, Hippomédon, convoque ses barons pour décider d’une stratégie. La première proposition est d’emblée refusée par le groupe quand bien même elle émanait d’un homme présenté comme parfaitement fiable :
Un Bogre ot al consoil venu,
Sage et corteis, viel et chanu :
« Si vous, fait il, me creïez,
Tout autre counseil prendriez ;
A salveté vous en menreie.
Chevalchons et nuit a la lune
Et si nos ferron en Valbrune
Li mount sont haut, la val parfounde
Nous n’i crïendron tout le monde. »
Li baron dient non ferront,
Ja lour veie ne changeront
Ja ne ferront issi grant faille
Foïr por crieme de bataille. (Thèbes, 8111-8124)
21Le Bulgare, bien que qualifié de « sage et courteis », suffisamment âgé pour être reconnu comme expérimenté, ne reçoit aucune approbation pour sa stratégie prudente. Le conseil des Argiens se tourne au contraire de manière unanime vers l’attaque la plus téméraire et la plus exaltante.
22De même, dans le Roman de Troie, Priam sollicite l’opinion de ses hommes avant d’envoyer Pâris en Grèce venger le rapt de sa sœur (Troie, v. 4039-4131). La seule réponse présentée est celle d’un vieil homme, Panthus, « mout senez, de lettres saives et fundez » (v. 4078), qui annonce la catastrophe à venir, mais dont la parole est unanimement rejetée par le groupe. Si ces personnages manifestent assez d’agentivité pour s’opposer à tout le monde, ils n’en ont pas assez pour convaincre. Leur rôle se limite à cette annonce et ils ne reviennent pas dans le récit. Bien sûr, ces deux scènes n’ont pas le même effet. Dans la scène du Roman de Thèbes, l’enjeu est de mettre en avant la valeur guerrière des Argiens qui font des choix stratégiques audacieux et qui, rejetant les conseils de prudence, témoignent ainsi de leur prouesse. Dans le cas du Roman de Troie, le conseiller vain montre le fatal aveuglement qui conduira à la destruction de toute la cité.
La dispute devant le seigneur
23Plus fréquemment, le conseiller a un interlocuteur qui expose, devant le seigneur, une position adverse. Dans le Roman d’Énéas, seuls deux polylogues permettent l’expression de plusieurs personnages individualisés : le conseil organisé par Turnus avec « sa grant gent », « les dux, maistres chevetainnes et tous les princes des compaignes » (Énéas, v. 4195-4325), et celui de Latinus (v. 6600-6896), un peu après, pour savoir s’il faut continuer le combat contre les Troyens. Dans les deux conseils, la forme choisie est celle du débat devant le seigneur. Les deux seigneurs, Turnus et Latinus, commencent par exposer la situation, proposer une solution et laissent enfin la parole à leurs hommes. Dans le premier cas, Mézence et Mesappe, deux barons de Turnus, s’opposent en prenant l’un après l’autre la parole spontanément. Leurs noms ont déjà été cités dans la liste des alliés venus à la cour de Turnus. Le premier parle sur 25 vers et suggère que l’on agisse selon le droit en demandant réparation sans violence. Mésappe réagit contre ce qui a été dit en critiquant ce propos :
Mesapus dist : « Or oy merveilles,
Estrange chose li conseilles,
Que il le face araisonner
24De droit faire, de defier. » (Énéas, 4298-4301)
25Mésappe propose d’attaquer tout de suite les Troyens. Il parle pendant 25 vers lui aussi, mais son agentivité est plus importante car il emporte l’adhésion du conseil. Le débat est donc ici résumé en la juxtaposition de deux positions opposées. Cela n’empêche pas Mésappe de disparaître ensuite du récit alors que Mézence gardera un peu plus de présence narrative en intervenant dans un combat et en trouvant la mort contre Énéas lui-même.
26Le second conseil, organisé par Latinus, donne plus de place à la dispute, car les deux locuteurs, le vieux Drancès et Turnus, qui parle cette fois en tant que conseiller de son suzerain Latinus, échangent plusieurs répliques, pleines de « d’ire, de mautalent », d’accusation de « couardise, de fellonnie ». Le roi Latinus expose la situation et présente une solution pacifiste, approuvée dans un murmure par la salle. Drancès et Turnus échangent quatre répliques. Drancès en a deux, il parle pendant 63 vers, puis à nouveau pendant 34 vers avant de redonner la parole au roi pour qu’il tranche. Les premières paroles du vieil homme sont adressées à son souverain, elles sont argumentées. Celles de Turnus en revanche manifestent plus de colère, il ne s’adresse qu’à son adversaire. Il ne dispose que de 43 vers au discours direct puis de 4 au discours indirect. Drancès va dans le même sens que son seigneur en proposant de régler le conflit avec les Troyens par un combat singulier. Turnus refuse et réclame la reprise des combats généraux. C’est l’opinion de Drancès qui l’emporte puisque le roi Latinus donne son accord à cette stratégie. Il semble donc manifester plus d’agentivité discursive que son adversaire, d’ailleurs il a été longuement présenté dans un portrait de neuf vers (v. 6700-6709) insistant sur sa sagesse, sa puissance, sa subtilité et son expertise. Toutefois, le personnage n’a plus d’existence narrative en dehors de cette scène et ne réapparaîtra jamais dans l’histoire après cet épisode. De plus, il ne peut rien faire contre le destin puisque les Troyens attaquent alors que le conseil est à peine terminé. La mêlée sera finalement bien générale et le conseil bien vain.
Les coalitions
27Ces formes de débat peuvent se complexifier avec l’apparition d’un autre conseiller qui va faire pencher la balance. Une coalition se crée donc avec deux personnages, ou plus, qui s’opposent à un troisième ou quatrième conseiller. Toutefois chacun de ces personnages n’a le plus souvent qu’une seule réplique. Dans le Roman de Troie par exemple, Pâris annonce qu’il a le soutien de Vénus pour aller en Grèce venger le rapt de sa tante (v. 3920 sq.). Sa position est aussitôt approuvée par l’un de ses frères, Deiphobe, dans une réplique de douze vers (v. 3931-3942), mais un autre, Hélénus, s’y oppose (v. 3946-3982), prédisant la catastrophe à venir. Ses propos négatifs jettent un froid, jusqu’à ce que le plus jeune fils de Priam, Troïlus, vienne galvaniser leurs ardeurs belliqueuses (v. 3993-40198). Une voix collective, émanant de toute l’assemblée, vient enfin faire définitivement pencher le débat vers la position la plus belliqueuse :
A cele parole ot grant bruit :
« Mout a bien dit, ce dient tuit. »
Chascuns löe, chascuns otreie
Que Paris se mete a la veie :
« Por les paroles Heleni,
O die veir, o ait menti,
Ne remaigne ! » ne fara il.
Por ce furent tuit a eissil.
Ensi fu li conseilz greez. (Troie, 4019-4017)
28La position d’Hélénus se trouve alors seule opposée à la coalition de ses trois frères. Le schéma du débat devant le seigneur qui oppose deux hommes se trouve donc ici amplifié par plusieurs personnages dont l’agentivité discursive se renforce mutuellement. Ce modèle est fréquent dans les chansons de geste, où il peut se prolonger à n’en plus finir quand chaque prise de parole donne lieu à une laisse différente.
29Les trois modèles de conseils féodaux les plus courants sont ceux qui laissent la part belle à la prise de position individuelle des conseillers. Certes le « conseiller vain » n’arrive pas à persuader ses pairs du bien-fondé de sa position, mais tous ont néanmoins la possibilité de prendre la parole et d’exposer leur opinion, reconnue comme suffisamment valable par le récit pour être exposée sur plusieurs vers sans être ridiculisée. En privilégiant le dissensus, dans tous les cas où une voix collective ne dessine pas une unanimité englobante, les romans antiques valorisent la problématisation des situations qui ne sont jamais présentées sous une unique facette. Les grands laïcs ont leur mot à dire dans le débat.
Trois exemples d’agentivité discursive
30Je voudrais pour finir observer l’agentivité discursive de trois personnages du Roman de Thèbes, où ils sont représentatifs de la valorisation du débat.
31Pour cela, j’ai compté le nombre de répliques au discours direct dans lesquelles ils parlent par rapport au nombre de polylogues dans lesquels ils interviennent. J’ai indiqué aussi le nombre de répliques au discours narrativisé ou dans une voix collective auxquelles ils participent, mais elles ne font pas partie du calcul.
Tableau 2. L’agentivité discursive de quelques personnages.
Nombre de polylogues dans lesquels ils interviennent |
Nombre de répliques |
Moyenne : nombre de répliques au discours direct par polylogue |
||
Au discours direct |
Dans une voix collective ou au discours narrativisé |
|||
Polynice |
8 |
6 (41 vers) |
5 |
0,75 |
Tydée |
9 |
12* (163 vers) |
3 |
1,3 |
Jocaste |
4 |
7 (55 vers) |
1,75 |
|
Othon |
7 |
31 (582 vers) |
1 |
4,42 |
32*Dont six répliques avec Étéocle quand il est l’ambassadeur des Argiens devant le conseil des Thébains.
Ce tableau nous montre des personnages secondaires du Roman de Thèbes qui parlent plus que les autres. Seuls Adraste et Étéocle ont un plus grand nombre d’interventions, mais ils sont rois. Nous voyons que Polynice est plutôt silencieux, Tydée et Jocaste sont discrets en moyenne et Othon est franchement bavard. On constate un décalage entre l’importance narrative d’un personnage et son agentivité discursive. Polynice est un des personnages fondamentaux de l’histoire, mais il intervient finalement assez peu dans les polylogues et les conseils qui le concernent. Deux exemples en sont assez frappants. Sa voix ne dépasse guère celle de Tydée au début du roman, quand le roi Adraste décide de faire d’eux ses gendres. Là où Tydée a une réplique au discours direct, Polynice est limité au discours narrativisé qui le met en retrait :
Premiers li respont Tydeüs
« Cest plait, fait il, je ne refus,
Que volentiers n’en prengne l’une ;
Mais por ceo que n’i ait rancune,
Mis compains eslise devant mei :
L’aisné prengne, et je l’otrei. »
Polinicés issi l’agree
Que la maire li seit doné,
Et Tydeüs le li ottreie. (Thèbes, v. 1164-1173)
33De même, Tydée intervient dans plus de polylogues que son ami : outre l’ambassade qu’il mène à Thèbes, il prend parti dans un conseil qu’organise Adraste lors de l’ambassade de Jocaste alors que Polynice n’y est pas présent (v. 4492-4571). Enfin, la qualité de sa parole est importante, c’est lui qui à deux reprises emporte la décision : il renverse l’opinion dans les deux conseils auxquels il participe, avant la bataille de Monflor (v. 3179-3222) et lors de l’ambassade de Jocaste (v. 4425-4467). Dans l’extrait ci-dessous, Polynice suggère à ses alliés d’abandonner le combat, jusqu’à ce que Tydée les persuade de repartir :
« Seignors, fait il, veiez quel tor !
Ne criemt engin ne nul estor, […]
Tanz chivalers ad en Monflor,
Qui n’essaucent gaires m’onor :
Conseillez mei que jeo ferrai,
Et coment je me contiendrai,
Laisson Monflor, alon avant,
A vis deables le comant ! »
Quant cel entendit Tydeüs,
Si reguarda vers Adrastus,
A Polinicés dist ytant :
« Que querrïon nous donc avant ?
A mei fei, fait Tydeüs,
Malement conquerron nous plus !
Molt avez dit que mal coart. […]
Ne devez pas laissez Monflor,
Qui est el chief de vostre honor,
Jusqu’en aions les murs fonduz
et lez fossés touz abatuz. » […]
Dist Adrastus, li riches reis :
« Tydeüs, molt par es corteis
Mielz deis aver la corone d’or
Que dans Nabugodonosor.
Ore sachent bien cil de Monflor
Qu’el chastel lor ferrai poor. » (Thèbes, v. 3183-3218)
- 11 A. Petit, « Tydée dans le Roman de Thèbes », repris dans Aux origines du roman. Le Roman de Thèbes(...)
34Ce conseil est à cheval entre le modèle du conseiller charismatique (Tydée est le seul à prendre la parole après la présentation du problème par Polynice) et celui du débat devant le seigneur (Tydée et Polynice s’opposent sur la stratégie). Le statut discursif du Thébain, qui est pourtant concerné au premier chef par la reconquête de son royaume, est ambigu : il semble hésiter entre le rôle de leader, qui présente le problème, et celui de conseiller, qui donne son opinion au roi grec Adraste. Si c’est bien lui qui amorce le débat, sa stratégie est disputée par Tydée, et c’est Adraste qui tranche en faveur de ce dernier, concluant le polylogue et le conseil de guerre. Quand il est en groupe, Tydée présente donc une agentivité discursive nettement supérieure à celle de son ami11.
- 12 Voir A. Petit, « La Reine Jocaste dans le Roman de Thèbes », repris dans Aux origines du roman…, p (...)
- 13 « C’est alors la négociatrice qui s’exprime avec un réel sens politique, comme on l’a déjà vu anté (...)
35La reine Jocaste12 est aussi un personnage doté d’une agentivité discursive remarquable mais spécifique à son genre, plus qualitative que quantitative. Elle prend la parole spontanément, comme les autres conseillers qui n’hésitent pas à l’approuver, mais tranche au milieu des hommes qui l’entourent, en particulier quand il s’agit d’envoyer une ambassade chez les Argiens (v. 4077-4084). Devant les conseillers timorés, refusant de partir en ambassade « senz bon conduit », elle choisit d’y aller elle-même : « Co dist Jocaste : “Jo irai, / Que le message conduirai.” » (v. 4081-4082). Sa capacité à décider témoigne d’une agentivité bien plus large que strictement discursive, que rend magnifiquement l’emploi du pronom personnel sujet dans ce vers13. Plus tard, alors que les hommes qui doivent juger Daire se perdent en casuistique féodale, Jocaste obtient la grâce de l’homme par une parole rusée, privée et secrète, qui contourne les débats. Elle use avec son fils Étéocle de câlineries féminines que les hommes ne reconnaissent pas, comme Créon le signale ici avec dépit :
« Il escundit et mei et vous
Onc rien ne volt faire por nous,
Neïs respit ne volt doner.
Ore le li ad fait pardoner
La prier d’une meschine ! » (Thèbes, v. 10319-10323)
- 14 Itier parle pendant 28 vers en 3 répliques ; Sicart, 119 vers en une seule réplique ; Salin du Pon (...)
36Othon, enfin, se voit doté d’une présence exceptionnelle pour un conseiller. Il est le seul à avoir une grande importance, qui dure sur plusieurs polylogues. Il parle énormément : 80 vers dans le premier conseil d’Étéocle alors que le très jeune Atys, qui est son principal interlocuteur, en dispose de 50 ; puis 406 vers dans l’épisode du procès de Daire en 17 répliques14. Il parle plusieurs fois : aucun de ses interlocuteurs ne réapparaît dans un autre polylogue : ni le très jeune chevalier Atys, qui fera pourtant des exploits sur le champ de bataille, ni, à l’exception de Créon, aucun des juges qui prennent la parole au sujet de Daire. Comme la plupart des autres conseillers, Othon est d’emblée présenté comme raisonnable et digne de créance : il est vieux, il est riche, il est le cousin de Platon. Il n’hésite pas à « sortir des rangs » pour s’immiscer dans le conflit d’Étéocle et de Daire :
Molt par ont vers Daire grant ire :
Ardeir le vont en un bordel.
Otes l’entent : ne li fu bel ;
Par les rencs va devant le rei :
« Sire, dist il, entent a mei.
Jugier le fai premierement
Et justisier par jugement. » (Thèbes, 9144-9150)
37Il sait le poids d’une prise de parole face au souverain et connaît les risques qu’il prend en faisant justement preuve d’agentivité :
« Si je ne di sa volentee
D’iceo qu’il avra enpensé
Et qu’il voudra faire a estrus
Ja nel laireit pur trestouz nous,
Ains me laidera si vilenement,
- 16 Sur le jugement de Daire, voir A. Petit, « La trahison de Daire le Roux dans le Roman de Thèbes », (...)
38Malgré ces risques, Othon a non seulement une capacité d’intervention, mais il est aussi doté de la capacité à lancer la discussion et à l’organiser (v. 9273-9282). Il se place en leader du groupe parlant et, s’il ne distribue pas la parole, il s’arroge tout de même le droit de questionner ses interlocuteurs pour les mettre face à leurs contradictions dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de son illustre cousin : poussant ses interlocuteurs dans leur retranchement, les obligeant à réévaluer leurs présupposés et à tirer les conséquences de leurs affirmations (voir par exemple sa dispute avec Alis, v. 9981-9999). Et, alors qu’il a face à lui cinq hommes qui jugent tous que Daire est un traître méritant la mort, il ne cesse envers et contre tous de faire entendre sa propre opinion et de maintenir sa position, incarnant ainsi, selon les mots d’Aimé Petit, la légalité féodale face à l’arbitraire seigneurial16. Si le procès contre Daire qu’il dirige n’aboutit pas, les interventions d’Othon sont toutefois régulièrement suivies par une approbation générale :
« Si m’aït Deus, si come jeo crei,
jeo vous counseil par dreite feie. »
Trestout li dient li baron :
- 17 Voir aussi v. 9197-9201 ou v. 9309.
« Bien est, sire, creiez Othon » (Thèbes, 9257-9260)17
39Son rôle discursif va donc bien au-delà de celui des conseillers ordinaires, non seulement en quantité d’interventions mais aussi en qualité. Notons qu’en face de lui et dans bien d’autres polylogues, une présence discursive non négligeable est donnée à des personnages à peine sortis de l’anonymat, n’existant que pour une ou deux répliques. Itier, Sicart, Salin de Pont, Alis…, par exemple, se trouvent ainsi dans la situation paradoxale où ils manifestent pendant un bref instant une grande agentivité discursive tout en étant quasiment inexistants au plan du récit. Ce paradoxe se retrouve dans les chansons de geste : un personnage peut être décrit comme un membre essentiel d’un conseil, peut parler sur plus de trente vers et ne jouer finalement qu’un rôle de circonstance. À leur agentivité discursive certaine s’oppose alors leur inconsistance actancielle.
40Les romans antiques donnent donc à un certain nombre de personnages une réelle agentivité discursive : c'est-à-dire cette capacité à agir, ici à prendre la parole par eux-mêmes, à être présent dans une discussion, y compris au niveau textuel par le discours direct, à affirmer une opinion qui leur est propre et à influencer les autres. Cette notion d’agentivité discursive peut sembler être déjà très banale : il est habituel quand on étudie les caractéristiques d’un personnage, d’observer ses compétences langagières. Le concept que je développe ici se focalise sur la place que peut prendre un individu dans un groupe parlant. Une poignée d’hommes se détachent sur un vaste fond constitué par la silhouette des « barons », grands hommes souvent limités à la voix collective et/ou au discours narrativisé. Le Roman de Thèbes, qui possède la plus grande proportion de polylogues individualisants, est le roman dont quelques personnages de conseillers ont la plus grande agentivité.
41Les grands laïcs sont donc mis en scène par les plus anciens romans français dans une parole spécifiquement liée au cadre du conseil féodal. Suivant en cela la tradition des chansons de geste, ils présentent des débats particulièrement dissensuels, dans lesquels les personnages font preuve d’une importante agentivité discursive. Les conversations consensuelles n’accèdent pas au niveau textuel du dialogue. Place est donnée aux oppositions, aux réfutations, en bref à une parole indépendante des puissants, consciente des risques qu’elle prend pour faire entendre un point de vue qui lui est propre, pour exprimer les doutes d’une communauté prise entre le désir de puissance et le devoir de prudence. Que ces décisions débouchent en général sur les décisions les plus belliqueuses n’est pas étonnant d’un point de vue narratif : on écrit une histoire beaucoup plus facilement en racontant une guerre que des négociations de paix. La violence, que l’on a pu qualifier d’inhérente à ces premiers romans, est sans doute une donnée moins anthropologique que narrative. En revanche, leur goût des débats est une donnée littéraire, celle d’un genre qui, avant d’explorer les tours et les détours de l’âme humaine, s’interroge sur la vie sociale à travers des oppositions d’homme à homme.
Notes
1 Je reprends ici les définitions des pragmaticiens : le dialogue désigne toute interaction verbale (dia- signifiant la médiation par la parole). Le polylogue est une interaction à plusieurs personnes alors que le dilogue ou le trilogue mettent en présence deux ou trois locuteurs. C. Kerbrat-Orecchioni, C. Plantin, Le Trilogue, Lyon, 1995 et C. Kerbrat-Orecchioni, « Introducing polylogue », Journal of Pragmatics, 36 (2004), p. 1-24.
2 J. Butler, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, New York, 1990 ; P. Mann, Micro-Politics. Agency in a Postfeminist Era, Minneapolis, 1994.
3 On notera aussi que le personnage doté d’un nom a forcément plus d’autonomie discursive qu’un anonyme, mais cette question renvoie à celle de la nomination des personnages, ce qui est une problématique plus large. Voir V. Obry, Et pour ce fu ainsi nommee. Linguistique de la désignation et écriture du personnage dans les romans en vers des xiie et xiiie siècles, Genève, 2013.
4 C. Kerbrat-Orecchioni, Les Interactions verbales, Paris, 1992, t. II, p. 68.
5 O. Ducrot, considérant l’aspect menaçant pour la face d’autrui de la question, parle de « diktat », du « pouvoir exorbitant que s’arroge le questionneur » dans « La valeur argumentative de la phrase interrogative » (Logique, argumentation, conversation. Actes du colloque de Pragmatique, Berne/Francfort-sur-le-Main, 1983, p. 79-112, [p. 99]). Notons cependant que cet indice de la hiérarchie des locuteurs est aussi ambigu, puisque le personnage qui interroge est en même temps en position d’infériorité sur le plan des connaissances.
6 J.-C. Payen, « La mise en roman de la matière antique : le cas du Roman de Thèbes », dans J.-M. D’Heur et N. Cherubini éd., Études de philologie romane et d'histoire littéraire offertes à Jules Horrent à l'occasion de son soixantième anniversaire, Liège, 1980, p. 325-332.
7 Le Roman de Thèbes, édition du manuscrit S (Londres, Brit. Libr., Add. 34114), éd. et trad. F. Mora-Lebrun, Paris, 1995 ; Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie. Extraits du manuscrit Milan, Bibliothèque ambrosienne, D 55, éd. et trad. E. Baumgartner, F. Vielliard, Paris, 1998 ; Le Roman d’Enéas. Édition critique d'après le manuscrit BN, fr. 60, éd. et trad. d’A. Petit, Paris, 1997.
8 Sur la place des débats dans les chansons de geste : M. de Combarieu du Grès, L’Idéal humain et l’expérience morale chez les héros des chansons de geste des origines à 1250, Aix-en-Provence, 1979.
9 J.-C. Payen, « Structure et sens du Roman de Thèbes », Le Moyen Âge, 76 (1970), p. 493-513.
10 Pour d’autres types de conseils féodaux : C. Denoyelle, « Polylogues masculins et polylogues féminins dans la littérature médiévale », Le Discours et la langue, 8/1 (2016), p. 15-30. Cet article traite aussi spécifiquement de la parole des femmes dans les conseils.
11 A. Petit, « Tydée dans le Roman de Thèbes », repris dans Aux origines du roman. Le Roman de Thèbes, Paris, 2010, p. 361-374.
12 Voir A. Petit, « La Reine Jocaste dans le Roman de Thèbes », repris dans Aux origines du roman…, p. 129-136.
13 « C’est alors la négociatrice qui s’exprime avec un réel sens politique, comme on l’a déjà vu antérieurement dans le roman. Jocaste revêt donc ici un aspect fondamental de la virago, c'est-à-dire de la femme qui, sans aucune nuance péjorative, manifeste des qualités viriles en égalant l’homme – non pas dans les tâches guerrières, mais dans ses activités politiques. […] Cette mère se situe entre la femme de consilium dont la chanson de geste nous offre des exemples et la mère romanesque. » (ibid., p. 135).
14 Itier parle pendant 28 vers en 3 répliques ; Sicart, 119 vers en une seule réplique ; Salin du Pont, 102 vers, 5 répliques ; Alis, 61 vers, 5 répliques. Créon, 42 vers, une seule réplique.
15 Daire avait déjà signalé ce comportement du roi qui va à l’encontre de ses devoirs seigneuriaux (v. 8426-8436).
16 Sur le jugement de Daire, voir A. Petit, « La trahison de Daire le Roux dans le Roman de Thèbes », repris dans Aux origines du roman…, p. 375-391, ou l’introduction de B. Ribémont à Id. éd., Qui des set arz set rien entendre… Études sur le Roman de Thèbes, Orléans, 2012, p. 15-20.
17 Voir aussi v. 9197-9201 ou v. 9309.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Corinne Denoyelle, « L’agentivité discursive des conseillers du seigneur dans les romans antiques », Médiévales, 81 | 2022, 55-70.
Référence électronique
Corinne Denoyelle, « L’agentivité discursive des conseillers du seigneur dans les romans antiques », Médiévales [En ligne], 81 | automne 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/11872 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.11872
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