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Thématique

Vraie foi, fausse loi. Les mutations de la religiosité dans la Chanson de Roland

Christophe Grellard
p. 35-54

Résumés

Vraie foi, fausse loi. Les mutations de la religiosité dans la Chanson de Roland
Le but de cet article est d’examiner le statut de la religion dans la Chanson de Roland, et ses évolutions au cours du xiie siècle, en comparant les versions d’Oxford et de Châteauroux. Si dans la version d’Oxford l’accent est mis sur la religion comme système rituel et sur la protection temporelle accordée par le vrai Dieu, dans la version de Châteauroux, l’accent est mis sur l’amour de Dieu et le salut individuel. Mais en même temps, on semble assister à un encadrement clérical plus fort. Celui-ci, tout en autorisant une appropriation laïque de la relation à Dieu, s’efforce de la maintenir dans un cadre institutionnel fixé.
Chanson de Roland, dogmes, Église, foi, Loi, littérature, païen, religion

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Texte intégral

  • 1 Je prends la notion de « religiosité » dans le sens classique qui est le sien en sociologie de la (...)
  • 2 Voir. É. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1968, p. 65 : « Une religi (...)
  • 3 Voir, dans ce sens, les remarques de J. Scheid, Les Dieux, l’État et l’Individu. Réflexions sur la (...)

1Je me propose dans ce qui suit d’analyser le statut de la religion dans la Chanson de Roland afin d’y identifier les traces d’une voix laïque qui, entremêlée avec la mise en forme cléricale, permette de mettre au jour les indices des mutations de la religiosité au cours du xiie siècle. J’appellerai « religiosité » les manifestations de la pratique religieuse et les formes d’appropriation d’un cadre théorique général, telles qu’elles se laissent appréhender dans le double discours sur les païens et les chrétiens1. Si l’on a tendance, usuellement, à définir la religion comme un système de rites et de croyances2, il me semble qu’il faut résister à la facilité qui consiste à appliquer de façon universelle et indifférenciée une telle définition, et chercher à comprendre quand et comment la notion de croyance est devenue un élément central de la définition de la religion3. Une telle démarche permettra, je l’espère, de démêler en partie l’entrelacement des voix cléricales et laïques dans le discours sur la religion et les pratiques qui l’accompagnent.

  • 4 J’utilise les éditions suivantes : La Chanson de Roland, édition critique par C. Segre, Genève, 20 (...)
  • 5 Pour une présentation synthétique de la question, voir J.-P. Martin, M. Lignereux, La Chanson de R (...)
  • 6 Voir La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux…, p. 9-10.
  • 7 Comme l’écrit justement B. Cerquiglini, « Roland à Roncevaux ou la trahison des clercs », Littérat (...)

2Pour ce faire, je comparerai deux versions de la Chanson de Roland, celle d’Oxford et celle de Châteauroux4. La première version, la plus ancienne conservée, jouit, on le sait, d’une forme de précellence, due à son ancienneté puisque le manuscrit date vraisemblablement des années 1125-1150, et fixe (peut-être en le modifiant ponctuellement) une œuvre produite autour de 1100, mais dépendant probablement d’une tradition antérieure5. Le cas du manuscrit de Châteauroux est plus simple : réalisé au xiiie siècle, le manuscrit rapporte une version de la chanson datant des années 1180, et produite dans un milieu capétien6. L’auteur de cette version, bien plus prolixe que celle contenue dans le manuscrit d’Oxford, ajoute un certain nombre de développements significatifs sur la question religieuse, de sorte que l’on peut y voir véritablement l’expression de mutations plus profondes dans la religiosité médiévale à la fin du xiie siècle. Il semble alors que l’on peut distinguer un triple discours sur la religion porté par la Chanson : un premier niveau de discours qui affleure dans la partie commune aux deux versions étudiées, et qui promeut une vision « féodale », ritualisée, de la religion7 ; à ce premier niveau s’ajoute, dans le manuscrit d’Oxford, de façon assez discrète, un ensemble d’éléments de théologie chrétienne, de nature assez vague et classique ; enfin, dans le manuscrit de Châteauroux apparaît un troisième discours lié de façon assez manifeste aux développements de la théologie scolaire du xiie siècle, et aux mutations de la religiosité qui l’accompagnent.

3De fait, si le discours sur la religion dans la Chanson est principalement porté par le rapport entre chrétiens et païens, païens dont la religion est pensée comme le négatif du christianisme, on voit apparaître progressivement, et avec de plus en plus d’importance, un ensemble de transformations propres au christianisme médiéval, qui place en son centre les notions de croyance et d’amour (c’est-à-dire de fides et de caritas), insiste sur de nouvelles formes de dévotion, et relie fortement croyance vraie et salut. Ce sont ces éléments que je vais essayer de faire ressortir en me demandant si l’on peut y voir une appropriation proprement laïque des formes de religiosité du xiie siècle.

La religion comme système rituel

4Si l’on met temporairement de côté la différence entre christianisme et paganisme pour en saisir les points communs, il apparaît que, de façon massive, le manuscrit d’Oxford présente la religion comme un système de protection temporelle. À ce premier niveau s’ajoute cependant par glissements successifs une seconde dimension, que l’on pourrait rattacher au filtre clérical qui transmettrait une éventuelle tradition orale, et qui ajoute une dimension spirituelle à cette protection divine, à travers la question de la destinée de l’âme post-mortem.

  • 8 R. Moore, La Persécution. Sa formation en Europe. xe-xiiie siècle, Paris, 1991.
  • 9 Voir G. F. Jones, The Ethos of the Song of Roland, Baltimore, 1963, p. 97: « They have a group mor (...)
  • 10 Voir sur ce point, D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hér (...)

5Je signalerai au préalable qu’il ne faut pas, à mon sens, surestimer la question de l’Islam et des musulmans dans la Chanson. Celle-ci ne vise nullement à présenter cette religion et la civilisation qui lui est liée. Elle cherche seulement à construire une forme d’altérité religieuse, une sorte de négatif du christianisme, afin de rassembler les chrétiens, en les distinguant des autres, dans un processus bien décrit par Robert Moore dans son analyse de la constitution d’une société de persécution8. Peut-être, à l’origine, la Chanson est-elle liée à la croisade, mais la version fixée dans le manuscrit est bien plus un code de conduite à destination de la société des bellatores9, code dans lequel l’Église essaie de s’immiscer en modifiant progressivement l’emprise de la religion sur ces conduites. Si la Chanson peut être conçue, à l’origine, comme un document de propagande en faveur de la croisade, le résultat final auquel nous avons accès dans le manuscrit d’Oxford va au-delà, et s’inscrit dans un processus plus large de mise en ordre de la societas christiana10.

  • 11 Sur le lexique de la religion au Moyen Âge, voir P. Biller, « Words and the Medieval Notion of “Re (...)
  • 12 O 2251 : « Forment le pleignet a la lei de sa tere ».
  • 13 La Chanson… (trad. I. Short), p. 233 ; O 3265-3277 : « Li amiralz mult par est riches hoem. / Deda (...)

6Le terme générique utilisé dans la Chanson pour désigner la religion, qu’elle soit païenne ou chrétienne est celui de lei, traduisant très exactement le latin lex qui, pendant tout le Moyen Âge, renvoie (parfois au côté du terme secta) à l’idée de système rituel et de code de comportement (ce que l’on pourrait appeler une religion de la Coutume en reprenant l’expression d’Edmond Ortigues)11. Que la loi soit d’abord un système rituel est souligné quand Roland prie pour le salut de l’âme de Turpin (« Il commence une plainte conformément à la coutume de son pays12 ») : c’est conformément à ce qu’édicte la loi que l’on doit prier, et plus encore à la loi qui est propre à la communauté à laquelle on appartient (« la lei de sa tere »). La notion de loi est spécifiée par un adjectif qui indique de quelle religion il s’agit, ou encore par une indication d’origine : religion des païens (O 3665 : « De false lei », O 611 : « La lei i fut Mahum e Tervagan »), religion des chrétiens (O 3596 : « lei de Deus », O 38 : « lei de chrestiens », O 126 : « lei de salvetet »). Comme on le voit, les idées de vérité et de salut sont assez vite introduites en complément à l’idée de loi, afin de distinguer la religion chrétienne (vrai et salvatrice) de la religion païenne (fausse et inutile). Néanmoins, la formule « Que X vous sauve », « Salvez seiez de X » (O 119, 412, 424, 674) s’applique aussi bien à Dieu qu’à Mahomet, renvoyant le salut à sa dimension de protection terrestre. De fait, par-delà ces différences, ces deux religions n’en possèdent pas moins une similitude structurelle : il s’agit d’un système rituel par lequel on rend hommage, par la prière et l’adoration, à un ou plusieurs dieux, en vue d’en obtenir une protection. Le vocabulaire est d’abord celui du service (« sert » : O 8, 2584, 3247) : on sert Mahomet ou le Christ. Ce vocabulaire est redoublé par celui de l’invocation (« recleimet ») : on prie, on invoque celui que l’on sert pour lui demander un service en retour, sur le schéma du « do ut des ». Le schéma de la religion est donc très largement isomorphe à celui de la féodalité. C’est, en effet, principalement dans les moments de trouble (en l’occurrence, de combats) que l’on invoque les dieux pour réclamer leur aide (« aïe », « guarison »). L’un des passages les plus clairs sur ce point est l’arrivée de l’émir Baligant sur le champ de bataille, face à Charlemagne : « C’est un seigneur de grande puissance, l’émir ; / Il fait porter devant lui son dragon / et l’étendard de Tervagan et de Mahomet / et une statue d’Apollyon le félon. / Autour de lui chevauchent dix Chananéens / d’une voix très hautes ils lancent cet appel : / Qui veut avoir la protection de nos dieux, / qu’il les supplie, prosterné, et les serve ! / Les païens baissent alors têtes et mentons, / et ils inclinent très bas leurs heaumes clairs. / Les Français disent : Truands, vous allez mourir sur l’heure ! / Qu’aujourd’hui soit votre ruine, votre honte, / Vous, notre Dieu, préservez Charles13 ! » Si la dévotion, tant chez les chrétiens que les païens, passe par un medium matériel (images, icônes, reliques), il s’agit surtout ici de matérialiser la présence des dieux au cœur de la bataille, pour en faire des belligérants comme les autres. Leur protection suppose prière et service, exprimées ici par la génuflexion (« afflictiun ») qui vaut reconnaissance de la supériorité des dieux. Du côté chrétien, même si l’attitude est plus sobre ici (pour des raisons que l’on expliquera plus loin), l’invocation divine est elle aussi tournée vers la protection du chef de guerre.

  • 14 Sur la figure de Bramimonde, voir A. Tukey Harrisson, « Aude and Bramimunde : Their Importance in (...)
  • 15 La Chanson…, p. 191 ; O 2580-2591 : « Ad Apolin (en) curent en une crute, / Tencent a lui, laideme (...)
  • 16 Voir par exemple, le Psaume 115. Pour un exemple d’humiliation des statues païennes, voir G. de Br (...)
  • 17 Voir P. Geary, « L’humiliation des saints », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 34 (1979 (...)

7L’importance de la protection, attendue en échange du culte rendu, apparaît de façon remarquable et a contrario en cas de faillite des dieux. Lors du retour à Saragosse de Marsile, mortellement blessé par Roland, et des restes de son armée en déroute, son épouse Bramimonde14 se livre à une entreprise iconoclaste : « Vers Apollyon ils courent dans une crypte, / s’en prennent à lui, l’injurient effrontément : / Eh ! mauvais dieu, pourquoi nous faire une telle honte ? / Et notre roi, pourquoi l’as-tu laissé aller à la ruine ? Tu paies fort mal ceux qui te servent bien ! Ils lui enlèvent son sceptre et sa couronne, / à une colonne ils le pendent par les mains, / puis le renversent à terre à leurs pieds, / le mettent en pièce à coup de gros bâtons. / A Tervagan, ils arrachent son escarboucle / et précipitent Mahomet dans un fossé, / et porcs et chiens le mordent et marchent dessus15. » Comme on le voit, on peut distinguer deux moments distincts dans la démarche de la reine. En premier lieu, dans un discours adressé aux dieux, elle dresse le constat de leur échec, et de l’absence de réciprocité dans le service (le grand service « mult te sert » est opposé à la mauvaise récompense « malvais luer ») qui entraîne ipso facto une rupture du pacte, et délie la reine et les habitants de Saragosse de leur soumission aux dieux. Cette rupture du pacte est matérialisée par la déchéance physique des statues auxquelles on retire leurs attributs royaux, avant de leur faire subir des outrages corporels (pendaison, coups, etc.). La scène semble ainsi croiser deux motifs proprement chrétiens, mais anthropologiquement plus vastes, les rituels d’humiliation des statues païennes à la fin de l’Antiquité d’une part, et l’humiliation des saints d’autre part. D’un côté, en effet, il s’agit par l’attaque physique contre les statues de montrer leur impuissance, conformément à un thème vétérotestamentaire bien connu16, et à une pratique commune à la fin de l’Antiquité. D’un autre côté, aussi, la démarche de Bramimonde rejoint le processus d’humiliation des saints, dont les statues et les reliques sont humiliées par des paroles et des actes, quand leur virtus a fait défaut17.

8On voit donc que se fait jour, principalement du côté païen, et plus discrètement du côté chrétien, une théorie de la religion conçue comme système rituel, reposant sur un ensemble de manifestations extérieures, qui visent à assurer un échange de services dans un pacte de protection. Même si, dans le cas des chrétiens, comme on va le voir, cette strate initiale disparaît partiellement sous l’ajout de nouveaux modes de religiosité, elle n’en est pas moins présente comme on l’a entraperçu. À ce titre, d’ailleurs, le propos de Charlemagne est éminemment ambigu, quand il dit de Marsile qui vient de faire sa soumission et d’annoncer son désir de conversion : « Uncor purrat guarir » (O 155). La traduction par « il pourra encore être sauvé » intègre volens nolens le filtre clérical qui s’impose au discours religieux par la suite, mais il n’est certain que l’enjeu à ce moment soit le salut spirituel de Marsile. Car le sens premier, et le plus fréquent dans la Chanson, est bien celui de protection, de préservation : Marsile peut encore échapper au danger de la guerre s’il se fait vassal de Charles.

9Il y a donc bien un fond commun à l’ensemble des religions, dont les chrétiens vont néanmoins se distinguer par l’ajout, par le biais d’un filtre clérical, d’une dimension plus spirituelle : la protection est entendue aussi comme protection dans l’au-delà, comme salut de l’âme individuelle, et ce changement de point de vue, de la protection commune au salut individuel, change la donne de façon importante.

Croyance et salut : la protection spirituelle

  • 18 O 154 : « Enz voz bainz que Deus pur vos i fist ».
  • 19 O 3668-3671 : « Meinent paiens entresqu’al baptistirie. / […] Baptizet sunt asez plus de cent mili (...)
  • 20 O 3985 : « La baptizerent la reine d’Espagne ».
  • 21 C 229, 666.
  • 22 La Chanson…, p. 103 ; O 1134-1135 : « Si vos murez, esterez seinz martirs : / Sieges avrez el grei (...)
  • 23 Voir P. Anciaux, La Théologie du sacrement de pénitence au xiie siècle, Louvain/Gembloux, 1949. Po (...)
  • 24 La Chanson…, p. 101 ; O 1132-1133 : « Clamez vos culpes, si preiez Deu mercit ! / Asoldrai vos pur (...)
  • 25 O 1138 : « Par penitence les cumande a ferir ».
  • 26 Sur les prières dans les différentes versions de La Chanson, voir J. de Caluwé, « La prière épique (...)
  • 27 O 2383 : « Cleimet sa culpe, si prïet Deu mercit ».
  • 28 O 2358, 2381.

10À la protection temporelle, qui est attestée par les succès militaires, la religion chrétienne ajoute une protection de type sotériologique : la religion chrétienne est en effet appelée « lei de salvetèt » (O 126), et c’est même par là qu’elle se distingue dans la mesure où elle est la plus efficace : elle est la « lei la plus salve » (O 189). Même si la notion de salut a encore un sens large de protection, puisque l’on peut demander son salut aussi bien à Mahomet qu’à Dieu, une dimension sotériologique est progressivement introduite dans le cas du salut offert par la religion chrétienne. Ce salut est d’abord fondé sur le rite du baptême, que Marsile s’engage à recevoir lors de sa soumission (feinte) à Charles18 ; qui est imposé aux païens après la prise de Saragosse19 ; et reçu de son plein gré in fine par Bramimonde20. Dans le manuscrit de Châteauroux, la valeur purificatrice du baptême qui lave des péchés est encore précisée par le syntagme « batizez et levez21 ». À côté du baptême, qui constitue en quelque sorte une condition nécessaire mais pas suffisante du salut, une garantie supplémentaire peut être apportée par le martyre, comme cela apparaît dans le discours de Turpin avant la bataille de Roncevaux : « Si vous mourrez, vous serez de saints martyrs / et vous aurez un siège en haut du paradis22. » Néanmoins, le martyre lui-même est encadré par un ensemble de conditions rituelles nouvelles, à savoir la confession, la contrition et la pénitence23. Avant même de promettre le martyre, Turpin l’avait rappelé, il faut se confesser pour sauver son âme : « Confessez-vous, demandez pardon à Dieu ! Je vous absous pour sauver vos âmes24. » À ce moment, la confession est collective, de même que la pénitence25, mais le cas de Roland à la fin de la bataille semble un peu différent. Dans deux prières successives (assez classiques dans leur forme, surtout la seconde qui reprend des exemples vétérotestamentaires et néotestamentaires de clémence divine26), Roland fait acte de contrition en reconnaissant ses péchés (et en admettant implicitement la marque du péché originel en faisant remonter ses péchés au moment de sa naissance), en demandant explicitement pardon27, et en accompagnant ses paroles des gestes adéquats (pleurs, prostration face contre terre28). La pénitence imposée par un membre du clergé (massacrer les ennemis du Christ) est donc redoublée par un acte de contrition personnelle directement adressé à Dieu. C’est sans doute là le premier filtre clérical imposé au discours laïc. De fait, il s’agit bien d’un filtre clérical dans la mesure où, par elle-même, notamment dans sa dimension narrative, la Chanson ne requiert pas une telle précision sur la contrition, précision qui, en revanche, est en prise directe avec les débats théologiques du moment sur le sacrement de pénitence. Mais ce premier filtre est redoublé par un second, plus discret mais plus novateur, qui relie ces rites à un ensemble de croyances.

  • 29 O 1634 : « ne creit en Deu, le filz seinte Marie ».
  • 30 La Chanson…, p. 253 (traduction modifiée) ;3596-3599 : « Receif la lei que Deus nos apresentet  (...)
  • 31 O 3666 : « Li rei creit Deu, faire voelt sun servise ».
  • 32 O 7 : « Li rei Marsilie la tient, ki Deu nen aimet ».
  • 33 La Chanson…, p. 257 ; O 3671-3674 : « Baptizet sunt asez plus de cent milie, / Veir chrestien, ne (...)
  • 34 La Chanson…, p. 275-277 (traduction modifiée) ; O 3978-3987 : « En ma maisun ad une caitive franch (...)
  • 35 Il manque une synthèse sur les théories de la croyance au xiie siècle. On trouvera des éléments da (...)

11De façon générale, la notion de croyance est extrêmement peu présente dans le manuscrit d’Oxford. Le terme de « foi », lors de ses rares occurrences, est pris dans son sens féodal de fidélité vassalique (par exemple O 86, 3770, 3801, 3810). La croyance religieuse est exprimée par le terme « croire » (creire). Celui-ci est d’abord appliqué négativement aux païens, qui sont ceux qui ne croient pas en Dieu, et au Christ29. À l’inverse, le roi Charles se caractérise par sa croyance en Dieu, et sa croyance redouble l’idée de service : cela apparaît d’abord dans la séquence d’invectives qui précède le combat entre Baligant et Charles. Ce dernier l’invite à se convertir, c’est-à-dire à croire et servir le Dieu tout-puissant : « Reçois la loi que Dieu nous donne, / Chrétienté, puis je t’aimerai toujours. / Ensuite sert et crois le Roi Tout-puissant30. » Le lien entre croyance et service est réaffirmé lors de la prise de Saragosse31. Ces quelques occurrences sont encore fort discrètes et renvoient davantage à l’idée de croyance comme confiance en Dieu, que comme adhésion à un dogme (« croire à » plutôt que « croire que »). Il en va de même du thème de l’amour qui est présent surtout négativement : d’emblée il est précisé que les païens n’aiment pas Dieu32. Mais l’amour de Dieu, la charité, est pour ainsi dire absent de la théologie implicite de la Chanson. La rupture se produit avec la conversion de Bramimonde. Lors de la prise de Saragosse, alors que les païens sont l’objet de baptêmes forcés, une exception est faite pour la reine dont Charles veut qu’elle se convertisse par amour : « Plus de cent mille sont ainsi baptisés, / De vrais chrétiens, la reine fait exception. / En France la douce elle sera emmenée captive, / Car le roi veut qu’elle se convertisse par amour33. » Ce thème de l’amour est précisé à la fin de la Chanson, en lien avec la question de la croyance. Il faut citer le texte en entier qui est tout à fait remarquable, mais qui en même temps constitue indubitablement une rupture forte avec la conception générale de la religion que l’on a vue jusqu’à présent : « En ma maison, j’ai une noble captive. / Et elle a tant entendu de sermons et de récits édifiants, / qu’elle veut croire en Dieu, et désire se faire chrétienne. / Baptisez-la pour que Dieu ait son âme […]. Elle est chrétienne par connaissance de la vérité34. » Le discours sur la foi (quoique le terme ne soit pas employé) est ici assez clair : la fides est d’abord ex auditu (Ro : 10, 17). C’est par l’audition de sermons exposant le dogme et accompagnés de récits édifiants (les exempla) que l’esprit peut se tourner vers Dieu dans un mouvement de conversion. À ce moment s’ajoute un acte de volonté, qui vient renforcer et garantir l’acte intellectuel, avec l’aide de la grâce, confirmée par le baptême. Ainsi, c’est par une connaissance vraie du dogme, qui met en mouvement la volonté de croire, que l’on devient effectivement chrétien. Appliquant un schéma typique à la fois de la théologie scolaire naissante et de la théologie monastique, la conclusion de la Chanson, de façon décalée par rapport à tout ce qui a précédé, introduit l’idée que le salut dépend de la connaissance de la vérité et de l’amour de Dieu35. C’est un tournant important dans la conception de la religion qui s’amorce ici, qui substitue la vérité à l’efficacité séculière.

12On voit donc qu’à une strate primitive qui décrit la religion en termes de rituel et d’efficacité, un filtre clérical ajoute subrepticement certains éléments propres aux modifications de la religiosité du xiie siècle : une relation plus personnelle à Dieu, qui insiste sur la contrition ; l’importance de l’amour de Dieu, et de la croyance dans la vérité du dogme. Ce sont ces éléments qui se trouvent amplifiés dans les versions ultérieures de la Chanson, comme le montre le cas du manuscrit de Châteauroux.

Appropriation laïque ou amplification cléricale ? Les évolutions du discours sur la religion dans le manuscrit de Châteauroux

  • 36 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux…, p. 466-468 (trad. J. Subrenat modifiée) ; C 57 (...)

13Le manuscrit de Châteauroux (qui appartient à la même famille que le manuscrit de Venise appelé V7) reprend la trame générale de la Chanson, et même certains passages de la version d’Oxford, mais en introduisant un ensemble de changements substantiels. De façon générale, la Chanson se trouve enrichie et amplifiée, soit par le développement de certains épisodes, soit par l’ajout d’événements nouveaux. Le discours sur la religion ne fait pas exception. On retrouve la même strate primitive d’une religion de la coutume : l’épisode (qui ne se trouve pas dans la version d’Oxford) où Charles récite trois noms de Dieu, en raison de leur efficacité, est sans doute l’un des cas les plus emblématiques : « Il se rappelle les noms auxquels il croit, / qu’il avait appris, quand il fut éduqué dans son enfance. / Il en prononça trois qui ont un grand pouvoir. / Il retrouva alors force et courage36. » Mais cette strate primitive disparaît presque sous l’amplification d’un discours, bien plus développé, sur la religion chrétienne, qui ne fait pas simplement entériner le décalage perçu dans la version d’Oxford, mais introduit une perspective différente. À un premier niveau de lecture, on pourrait penser à une simple extension du filtre clérical. Mais on peut aussi percevoir, par certains aspects, une certaine appropriation laïque des nouvelles formes de religiosité.

Extension du domaine de la croyance

  • 37 C 4517 : « Il guerpira sa creanze et son dé ».
  • 38 C 177 : « Por mon Deu croire un mien fil i ara ».
  • 39 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction modifiée), p. 397 ; C 4683-4685 : « (...)
  • 40 C 104 : « qi sajes sunt des lois ».
  • 41 C 740-741 : « Marsilles sot des ars bien la maistrie, / Escoler fu en la loi paenie ».
  • 42 C 2344 : « Ne Deu ne croient, lo Paire omnipotent / Ne pas ne quident qe il aümbrement. » Voir aus (...)
  • 43 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction modifiée), p. 77 ; C 117-118 : « Le (...)
  • 44 C 5863 : « Tot par amor prendra la loi saintie ».

14Le premier point frappant, dans le manuscrit de Châteauroux, est la place centrale accordée à la notion de croyance dans la définition des formes de religiosité. Cette extension du domaine de la croyance apparaît d’abord dans le fait que les païens eux-mêmes ne se contentent plus de servir leurs dieux, mais ont des croyances : quand Marsile écrit à l’émir Baligant pour lui demander de l’aide, il prévient que, sans réponse de sa part, il abandonnera sa croyance et son dieu37 ; de même, lors de son ambassade auprès de Charles, Blanzardin met en avant sa croyance en son dieu au moment de l’envoi des otages38 ; le poète va jusqu’à esquisser une théologie païenne : « Que le seigneur Dieu créateur de la mer et du vent, Tervagan, si le texte dit vrai, protège Marsile à la fière volonté39. » De fait, les païens ont des théologiens qui ont un savoir sur leur loi40 ; et Marsile lui-même l’a étudiée41. Assurément, ces croyances, par opposition à celles des chrétiens, sont fausses, et les païens sont qualifiés de mécréants (C 2412) car ils ne croient pas au vrai Dieu, au Dieu tout-puissant qui s’est incarné42. Il n’en reste pas moins que tout autant que les rites, les croyances, comme adhésion à un dogme tenu pour vrai (éventuellement à tort), sont désormais un élément constitutif de la religion. Lorsque Charles convertit les païens par la force, il ne se contente pas de les baptiser, il veut leur arracher aussi une croyance : « Il a fait massacrer les Sarrasins qui ne veulent croire ni se faire baptiser43. » Les détails sur la conversion de Bramimonde disparaissent puisque l’attitude finale qui lui est prêtée n’a finalement plus rien d’exceptionnel mais renvoie à une attitude (ou une théorie ?) désormais commune. On se contente de souligner qu’elle se convertit par amour44.

  • 45 C 4147 : « Si voirement, comme je sui creant » ; C 4162 : « come gel croi et sai a esciant ».
  • 46 Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, x, 2, PL 176, col. 330-331. Sur la foi chez Hugues de S (...)
  • 47 C’est la thèse défendue de façon plus générale par J. Wirth, « La naissance du concept de croyance (...)
  • 48 Voir O. Lottin, « L’intention morale de Pierre Abélard à Thomas d’Aquin », Psychologie et morale a (...)
  • 49 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction J. Subrenat modifiée), p. 251 ; C 2 (...)
  • 50 Néanmoins, va progressivement se mettre en place la théorie selon laquelle la défaillance de l’off (...)
  • 51 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction J. Subrenat modifiée), p. 343 ; C 3 (...)
  • 52 C 3806 : « De Deu les seigne en qi mot se fie ; C 8053 : « Car onqes vers seignor n’envers Dieu no (...)

15À l’inverse de la croyance fausse des païens, la croyance des chrétiens est vraie et salvifique. Ce rapport à la vérité apparaît de façon exemplaire dans la prière de Roland (sur laquelle on reviendra)45. La croyance de Roland a la vérité pour objet, et s’accompagne d’une certitude qui est équivalente à celle du savoir, comme il se doit pour la foi au sens propre (comme le rappelle la fameuse définition de Hugues de Saint-Victor, par exemple46). La dimension fiduciaire de la croyance, dominante dans la conception féodale, laisse progressivement une place à la croyance comme adhésion certaine47. Ce glissement est renforcé par l’apparition du thème, fondamental dans la théologie scolaire à partir des années 1120, de l’intention, comme fondement de la valeur éthique et sotériologique d’un acte extérieur48. Ainsi, quand Turpin bénit les chevaliers avant le combat de Roncevaux, il le fait avec une bonne intention : « Turpin de Reims, par une intention bonne, leur donna une réconfortante absolution au nom de Die»49. » C’est la disposition intérieure de l’esprit qui fait la valeur de l’acte rituel50. De la même façon, quand Roland fait acte de contrition avant de mourir, il se repent avec une intention sincère : « Il bâtit sa coulpe avec une intention sincère51. » On voit ainsi apparaître, de façon concomitante à la transformation du concept de croyance, un ensemble d’indices qui attestent du développement de la place de l’intériorité dans les formes de religiosité. Ce glissement se repère aussi dans la tentative d’appropriation cléricale du vocabulaire de la foi, et de son acculturation religieuse. Alors que, dans la version d’Oxford, le vocabulaire de la foi, on l’a dit, relève strictement du champ féodal, dans le manuscrit de Châteauroux, le terme, qui conserve son sens fondamental de confiance, est progressivement déplacé vers le champ religieux52.

16On voit donc clairement à l’œuvre, dans le discours sur la religion, un renforcement du filtre clérical qui introduit dans la Chanson, un ensemble de transformations théologiques récentes dans un but clairement normatif : il s’agit de façonner des conduites. On peut néanmoins se demander si on ne peut pas repérer dans ce discours des formes nouvelles de religiosité laïque. Pour cela, il faut examiner un peu plus en détail les gestes et les paroles qui sont prêtés aux laïcs dans ce texte.

Une religiosité laïque : voix laïque ou clerc ventriloque ?

  • 53 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction J. Subrenat modifiée), p. 179-181 ; (...)
  • 54 O 1132-1142, C 1986-1996.
  • 55 C 2032-2042, 2044-2051.
  • 56 O 1472-1482.
  • 57 C 2559-2572.
  • 58 C 2034-2042 ; 3901-3911.

17Au premier abord, le discours sur la religion dans le manuscrit de Châteauroux vise assez clairement à encadrer des pratiques dans le cadre de l’institution ecclésiale, qui était présente de façon plutôt discrète dans la version d’Oxford. Les marques extérieures de dévotion ont, en effet, une dimension institutionnelle beaucoup plus forte. Avant le combat à Roncevaux, Roland prend le temps d’aller à la messe, qu’il écoute avec une dévotion intérieure, mais lors de laquelle il multiplie aussi les signes extérieurs de piété (offrande, signe de croix, adoration d’une image, et confession publique) : « L’archevêque a célébré la messe / que Roland a écouté avec ferveur ; / le comte a fait une offrande d’une once d’or. / Il s’est signé sur le front, a adoré une image. / Il sort de l’église, et confesse ses péchés53. » La dévotion est ainsi encadrée par un ensemble de pratiques cultuelles réglées. De la même façon, les interventions de Turpin avant la bataille sont démultipliées : outre l’absolution initiale, qui se trouve également dans la version d’Oxford54, Turpin ajoute encore deux prières55. Lorsque la bataille devient désespérée pour les Francs, dans la version d’Oxford, Turpin se contente de les inciter au combat en leur promettant le paradis56, tandis que dans la version de Châteauroux, il ajoute une nouvelle absolution57, redoublant le discours par le rite sacramentel. De façon générale, les interventions de Turpin sont bien plus développées, et insistent sur l’importance de la confession et sur le sens de l’Incarnation et de la Rédemption avec un certain didactisme58.

  • 59 O 2256 : « Pur lei tenir » ; C 3956 : « La loi Jhesu as tenu droitement ».
  • 60 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux…, p. 363 ; C 4169 : « Nel vos pot dire nus clerc, (...)

18Néanmoins, par-delà cette emprise cléricale, on peut repérer aussi certains indices d’une appropriation laïque du nouveau discours religieux. Le premier exemple de cette appropriation apparaît dans les prières de Roland. Comme on l’a dit, celles-ci sont réduites à leur plus simple expression dans la version d’Oxford (six vers pour l’oraison funèbre de Turpin, quatre vers pour sa propre oraison). À l’inverse, les prières sont bien plus développées dans la version de Châteauroux, attestant d’une connaissance de certains dogmes (en particulier l’Incarnation et la Rédemption) bien plus précise. L’oraison pour Turpin, quoiqu’un peu plus longue, est structurellement similaire à celle d’Oxford : elle met en avant la capacité à prêcher et à défendre la religion chrétienne59. En revanche, la prière qu’il fait pour lui-même est assez différente. Comme on l’a dit, dans la première version, après avoir battu sa coulpe, Roland en appelle aux exemples de Lazare et Daniel pour appeler sur lui la miséricorde divine. Dans la version de Châteauroux (v. 4144-4169), la pénitence est qualifiée par deux adjectifs qui renvoient à la contrition intérieure (« ben repentant », « voir regeïssant »). Il ne suffit plus de battre sa coulpe, il faut le faire de façon sincère. Ensuite, la prière commence, on l’a dit, par l’affirmation de la vérité de l’acte de foi : « si voirement, comme je suis creant ». Roland invoque alors plusieurs saints (Jonas ayant remplacé Daniel pour les exemples vétérotestamentaires), ainsi que Madeleine (ajout de V7, absent de C) et Lazare. C’est le même « couple » Madeleine/Lazare qui avait été invoqué dans la prière (sans équivalent dans O) qu’il avait récitée devant les corps rassemblés de ses camarades (C 3774-3786). Cette prière insiste sur la Rédemption christique, sur la résurrection, et le pardon. Surtout, l’ensemble de la séquence de la repentance, des prières, et finalement de l’assomption de l’âme de Roland, s’achève sur une forme de disqualification du savoir théologique, face à la pratique laïque de la religion ainsi décrite : « Aucun clerc, si érudit fût-il, ne peut vous en dire plus60. » La limite de l’érudition cléricale revalorise par opposition le savoir simple mais efficace dont Roland fait preuve. Une pratique sincère de la pénitence accompagnée d’une croyance minimale dans les dogmes de l’Incarnation et de la Rédemption suffit pour le salut de l’âme. Mais, en même temps, cette remarque institue une ligne de partage entre, d’une part, le savoir clérical, théorique et spéculatif, et inutile pour les laïcs, et d’autre part, le savoir laïque qui a une visée pratique. Au moment même où apparaît un indice d’appropriation laïque de l’élément religieux, cette appropriation se trouve encadrée et délimitée.

  • 61 La Chanson…, p. 259-261 (trad. I. Short) ; O 3717-3721 : « Alde respunt : Cest mot mei est estrang (...)
  • 62 C 7098 : « Sole i vel estre por amor deprier ».
  • 63 C 7124-7155.
  • 64 C 7140.
  • 65 C 7153 : « Fai venir, Dex, alcun demostrement ».
  • 66 C 7158 : « De la clarté toz li mostiers resplent ».
  • 67 C 7159 : « Grant joie ot Aude, la clarté ot coisie ».
  • 68 7204.
  • 69 C 7215-7727.
  • 70 Je rejoins absolument les avertissements de Dominique Poirel sur les précautions que le médiéviste (...)
  • 71 C 7243-7246 : « Angle l’enportent qui l’ont tres bien gardee, / Devant Yhesu l’en ont la sus porte (...)

19Le deuxième exemple de cette appropriation laïque souligne davantage encore la différence entre les deux versions de la Chanson. Il s’agit de l’extase ou vision spirituelle d’Aude. Dans la version d’Oxford, l’affaire est expédiée en quelques vers. Aude refuse d’épouser le fils de Charlemagne en compensation de la mort de Roland, et tombe morte : « Aude lui répond : Ces paroles ne s’adressent pas à moi. / Ne plaise à Dieu, ni à ses saints, ni à ses anges, / qu’après Roland je continue à vivre ! / Elle devient blême, tombe aux pieds de Charlemagne / et la voilà morte ; que Dieu ait pitié de son âme61 ! » À l’inverse, dans la version de Châteauroux, sa mort prend 248 vers, et 141 pour la seule description de l’extase. Aude commence par demander que l’église soit évacuée, afin qu’elle demeure seule auprès des corps d’Olivier et Roland62. Après avoir battu sa coulpe, elle adresse une première et longue supplique à Dieu63, qui commence par un rappel du pouvoir créateur (sur le modèle du Credo), suivi d’une réflexion sur l’aveuglement des impies et la nécessité du pardon64. La prière détaille ensuite les étapes de la mise au tombeau et de la résurrection, pour conclure sur la récompense du Paradis. À ce moment, Aude demande un signe65. C’est alors que se produit l’illumination matérielle et spirituelle66. Cette illumination a un effet spirituel immédiat, qui est la joie d’Aude67. Cette lumière provoque aussi une forme de repos, de calme (« coisie ») qui prépare l’étape suivante. Aude poursuit par un second Credo qui reprend les motifs de l’Incarnation, de la Rédemption (Lazare, assimilé aux lépreux ; Madeleine, la prostituée ; Judas, le traître), la crucifixion, et enfin la résurrection (attestée par les pèlerins d’Emmaüs). La prière demande alors un second signe, direct, venant d’Olivier. Ici, une délégation de pouvoirs s’organise pour satisfaire la demande : Dieu délègue un ange qui transmet les paroles de l’âme d’Olivier à travers son corps, lequel annonce le ravissement prochain d’Aude qui sera amenée auprès de Dieu. C’est le moment de l’extase où Aude se voit annoncer toutes les joies futures qui attendent le vrai fidèle. Après cette vision des joies célestes, Aude peut refuser les richesses terrestres que lui offre Charles68. Néanmoins, elle se conforme aux rites de l’Église en se confessant, en faisant pénitence et en recevant l’absolution69. Le point est important, on y reviendra, mais il est déjà clair que cette « mystique laïque70 » ne quitte pas le cadre autorisé par l’Église. Survient alors la mort d’Aude qui est, plus clairement que dans la version d’Oxford, une assomption : l’évanouissement est suivi de l’envol de l’âme conduite par les anges auprès de Dieu71.

  • 72 Voir J. Wirth, « La naissance du concept de croyance… ».
  • 73 Voir J. de Caluwé, « La prière épique dans les plus anciennes chansons de gestes », Olifant, 4/1 ( (...)
  • 74 Voir sur cette question M.-T. Nadeau, Foi de l’Église. Évolution et sens d’une formule, Paris, 198 (...)
  • 75 Pour un exemple d’appropriation laïque d’un schéma ecclésial, voir É. Andrieu, « Itinéraires cheva (...)

20Ce que montrent ces deux exemples, c’est que, dans un cadre ecclésial discret mais indéniable, les laïcs développent des formes de dévotion qui leur sont propres, au sens où elles sont mises en œuvre sans la présence d’un prêtre, et qui sont fondées sur une relation à Dieu plus individualisée, plus personnelle. Assurément, il s’agit là d’une transformation plus large des formes de la fides, dont on trouve un équivalent dans les débats théologiques contemporains72. Mais ces deux exemples soulignent, en outre, avec force que les rites, avec leur dimension collective et l’encadrement ecclésial qu’ils exigent, ne suffisent plus. Il faut un acte de contrition personnelle, une adhésion intime à la vérité du dogme, en particulier à la bonté divine et à sa force rédemptrice. Même si, comme on le sait, le contenu de ces « prières épiques » reste largement stéréotypé73, la comparaison des deux versions de la Chanson montre bien une sensibilité de plus en plus grande à la question de l’Incarnation et de la Rédemption. De même, la prière est accompagnée de « marqueurs subjectifs » qui valorisent la sincérité de l’orant, au-delà du simple accomplissement du rite. Les laïcs disposent ainsi d’une certaine latitude dans la mise en pratique de leur dévotion : Roland est seul, sans encadrement clérical, après le décès de Turpin. On est alors dans un cas où, par nécessité, le laïc est sauvé par la fides ecclesiae74. De la même manière, Aude s’affranchit temporairement, et avec l’accord du roi, de ce même encadrement clérical, même si elle reste dans l’Église, et que, une fois confirmée par sa vision, elle revient aux rites habituels, se faisant confesser par un évêque. Le texte ouvre donc la possibilité d’une religiosité laïque, partiellement affranchie de la tutelle ecclésiale, tout en se gardant d’aller trop loin dans cet affranchissement. Il est néanmoins difficile de déterminer si l’on a bien affaire à une voix laïque, ici, plutôt qu’à un clerc ventriloque qui mime (voire prescrit) une religiosité laïque. S’agit-il d’une appropriation laïque de certaines transformations de la théologie scolaire, ou au contraire de l’imposition aux laïcs de ces nouvelles formes de religiosité ? Dans les deux cas, on assiste néanmoins à un transfert de la culture scolaire à la culture populaire75.

  • 76 Sur l’idée de distinction mosaïque, voir J. Assmann, Violence et monothéisme, Paris, 2009.

21La comparaison des versions d’Oxford et de Châteauroux de la Chanson de Roland atteste de l’introduction des nouvelles formes de religiosité entre le début et la fin du xiie siècle. Trois niveaux de discours apparaissent à la lecture de ces deux versions : d’abord, un discours qui met en scène une forme féodale de la religion, fondée sur l’extériorité du rite, sur la notion de service et d’échange réciproque (selon le schéma do ut des), où la religion a une fonction de protection terrestre avant tout (et de protection de la communauté), même si progressivement la question du salut de l’âme individuelle s’introduit peu à peu ; de fait, à ce premier niveau de discours, s’ajoute dans le manuscrit d’Oxford un second niveau, qui par bien des aspects semble exogène et plaqué sur le précédent, et qui ménage une place, encore discrète, à un discours fondé sur l’amour, sur la croyance et sur la perspective du salut de l’âme individuelle. Cette deuxième strate semble accompagner le renforcement de la distinction mosaïque en insistant sur l’idée que la croyance à la vérité est nécessaire au salut76. C’est davantage dans le troisième niveau de discours, exemplifié par la version de Châteauroux, que l’on constate une transformation assez radicale du discours sur la religion, qui fonde cette dernière sur la croyance sincère au dogme, et développe des formes laïques de religiosité. Ces formes nouvelles valorisent une dimension plus intériorisée et plus individualisée de la religion, liée à l’intention sincère et authentique du croyant, ainsi qu’une pratique religieuse laïque moins codifiée. Il n’en reste pas moins que cette nouvelle strate s’ajoute aux deux premières sans les abolir, de sorte que subsiste la dimension fortement ritualisée de la religion, et la perspective d’une protection temporelle de la communauté, à côté de la perspective du salut de l’âme individuelle.

  • 77 Pour une synthèse sur cette question, voir F. Mazel, 888-1180, Féodalités, Paris, 2019, p. 263-323

22Cette laïcisation des formes de religiosité soulève néanmoins le problème du statut de la voix laïque dans ce texte, dès lors qu’il est question de religion, c’est-à-dire d’un domaine qui, au moins depuis la réforme grégorienne, est fortement cléricalisé, et constitue un axe de distinction entre deux types de chrétiens77. Il est difficile de dire si le discours sur la religiosité dans la Chanson introduit progressivement une voix laïque, ou si, comme je le suggérais, on a affaire à un clerc ventriloque qui fait parler un laïc idéal, lequel aurait assimilé les transformations de la théologie du xiisiècle comme l’Église l’attend de lui. Pour résoudre ou tenter de résoudre cette difficulté, je propose un rapide détour par une réflexion théorique sur les liens entre littérature et philosophie à partir du xiie siècle.

  • 78 Voir J. Morton, « Introduction: Textual experiments, thinking with fiction », dans P. Knox, J. Mor (...)

23Il me semble que lorsque l’on s’interroge sur les rapports entre littérature médiévale (si l’on entend par là, dans une perspective rhétorique, une narratio fabulosa qui repose largement sur l’émotion) et philosophie (ou disons : pensée spéculative abstraite et rationnelle), trois modèles se font jour. En premier lieu, la littérature peut être le reflet, la mise en œuvre simplifiée de théories élaborées dans un cadre scolaire, simplification qui a une visée didactique en général. En second lieu, la littérature peut être conçue comme la mise en scène d’un cas, la mise en pratique d’une théorie, ou comme test pour cette théorie à partir de ce qui relève alors de l’expérience de pensée. La littérature devient ainsi l’un des lieux où les limites d’un concept peuvent être révélées78. Enfin, la littérature peut être considérée comme un mode de pensée autonome, adapté à un nouvel auditoire, les laïcs, et qui vise à mettre en place une pensée proprement laïque autonome, différente du modèle théorique dont elle peut éventuellement s’inspirer (l’appropriation introduisant alors une différence de nature et pas seulement de degrés). Ces trois modèles ne sont pas exclusifs, et cohabitent souvent dans une même œuvre, susceptible de différents niveaux de lecture. Pour faire la part de ces différentes approches, il faut ajouter sans doute un autre critère, qui est celui de la normativité. Dans quelle mesure un texte s’inscrit-il dans une démarche descriptive (éventuellement, dans le but de dénoncer un fait, comme dans la satire) ou dans une perspective normative de prescription de conduites ? La dimension narrative du texte littéraire peut inciter à y voir en général de simples descriptions d’un contexte social et culturel contemporain, mais cela risque de masquer leur dimension également fortement normative qui, à ce titre, les rapproche des textes philosophiques. Même si l’on n’atteint pas le degré d’abstraction d’un texte de philosophie scolaire, même si l’on est dans le cadre d’une pratique informée par la théorie, ou de pratiques théoriques, le degré de normativité n’en reste pas moins fort.

  • 79 F. Jones, The Ethos of the Song of Roland
  • 80 F. Goyet, Penser sans concepts. Fonction de l’épopée guerrière. Iliade, Chanson de Roland, Högen e (...)
  • 81 Ibid., p. 354.
  • 82 On trouve le même type d’encadrement moral et ecclésial du « modèle » que constitue Roland dans la (...)

24À partir de cette double grille théorique, on peut revenir à la Chanson de Roland. Par bien des aspects, comme la mise en œuvre d’une morale statutaire, par exemple, fondée sur un petit nombre de vertus héroïques, et sur une éthique de la fama et de la honte, comme l’a montré Fenwick Jones79, la Chanson est bien une « mise en scène de la théorie ». Comme l’a bien souligné aussi Florence Goyet dans son étude sur l’épopée, en proposant l’idée d’une « pensée sans concept », la Chanson met en scène un conflit de valeurs afin de proposer « une réflexion non conceptuelle » qui permet de faire advenir une figure nouvelle du roi80. La pluralité des points de vue, des figures sociales, permet finalement de faire émerger une approche complexe de la société et d’élaborer des nouvelles formes de rapports politiques. À ce titre, au-delà de sa dimension descriptive, le texte a bien une fonction normative. Pourtant Florence Goyet bute sur la question de la religion, qu’elle expédie finalement : « […] la religion ne tient pas une grande place dans le texte81 ». De fait, moins qu’aucune autre question, l’Église ne pouvait laisser des laïcs s’approprier le problème de la religion. Pourtant la question religieuse n’est pas absente du texte, et se trouve amplifiée dans les versions plus tardives. Il apparaît alors clairement que, à une strate descriptive, celle de la religion féodale, s’ajoute un discours éminemment normatif sur la croyance et le salut. Sur ce point, donc, il n’y a guère appropriation laïque d’un problème et développement d’une pensée proprement laïque, mais plutôt prescription discrète de formes nouvelles de religiosité, transmises de façon simplifiée mais aisément exécutable. La voix laïque est sans doute ici celle d’un clerc ventriloque qui cherche à intégrer une théorie politique nouvelle dans un cadre cohérent avec la théologie scolaire naissante82. La Chanson, dans les formes manuscrites qui la fixent, apparaît ainsi comme un texte éminemment normatif qui vise à prescrire aux laïcs de nouvelles formes de religiosité, tout en les incitant à se les approprier dans le cadre autorisé par l’Église. Elle donne bien à voir un transfert culturel des écoles à la cour, mais sans que cette dernière soit en mesure de s’approprier un domaine que l’Église s’efforce depuis peu de lui retirer entièrement.

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Notes

1 Je prends la notion de « religiosité » dans le sens classique qui est le sien en sociologie de la religion, en particulier depuis G. Simmel (et au-delà, de Durkheim à Bourdieu), qui distingue la forme objective de la religion, l’institution et les dogmes, et la forme subjective, la religiosité, qui renvoie au degré de pratique et à l’appropriation individuelle de la forme objective.

2 Voir. É. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1968, p. 65 : « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale appelée Église tous ceux qui y adhèrent. »

3 Voir, dans ce sens, les remarques de J. Scheid, Les Dieux, l’État et l’Individu. Réflexions sur la religion civique à Rome, Paris, 2013, p. 43-44.

4 J’utilise les éditions suivantes : La Chanson de Roland, édition critique par C. Segre, Genève, 2003 (abrégée O, suivi du numéro du vers) ; La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux, édition bilingue établie, traduite, présentée et annotée par J. Subrenat, Paris, 2016 (abrégée C, suivi du numéro du vers). Une comparaison de ces deux versions, sur des points différents de ceux que j’aborde ici, a été proposée par D. Boutet, L’Épique au Moyen Âge. D’une poétique de l’histoire à l’historiographie, Paris, 2019, p. 65-78.

5 Pour une présentation synthétique de la question, voir J.-P. Martin, M. Lignereux, La Chanson de Roland, Neuilly, 2003, p. 61-63.

6 Voir La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux…, p. 9-10.

7 Comme l’écrit justement B. Cerquiglini, « Roland à Roncevaux ou la trahison des clercs », Littérature, 42 (1981), p. 40-56 (p. 53 : « La religion du texte est celle du lien féodal, sa morale, celle du vasselage »).

8 R. Moore, La Persécution. Sa formation en Europe. xe-xiiie siècle, Paris, 1991.

9 Voir G. F. Jones, The Ethos of the Song of Roland, Baltimore, 1963, p. 97: « They have a group morality and strive to please their peers rather than to follow the decrees of their own conscience. »

10 Voir sur ce point, D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1000-1150, Paris, 2004.

11 Sur le lexique de la religion au Moyen Âge, voir P. Biller, « Words and the Medieval Notion of “Religion” », Journal of Ecclesiastical History, 36/3 (1985), p. 351-369 ; U. Kollodzeiski, « Religion(en) im Mittelalter und der Frühen Neuzeit », Zeitschrift für Junge Religionswissenschaft, 13 (2018), [en ligne] https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/zjr.1071 [consulté le 19 août 2021]. Sur la notion de « religion de la Coutume », voir E. Ortigues, Religions du Livre et religions de la Coutume, Paris, 1981.

12 O 2251 : « Forment le pleignet a la lei de sa tere ».

13 La Chanson… (trad. I. Short), p. 233 ; O 3265-3277 : « Li amiralz mult par est riches hoem. / Dedavant sei fait porter sun dragon / E l'estandart Tervagan e Mahum / E un ymagene Apolin le felun. / Des Canelius chevalchent environ / Mult haltement escrient un sermun : / “Ki par noz Deus voelt aveir guarison, / Sis prit e servet par grant afflictiun !” / Paien i baissent lur chefs e lur mentun ; / Lor helmes clers i suzclinent enbrunc / Dient F[r]anceis : “Sempres murrez, glutun ! / De vos seit hoi male confusiun ! / Li nostre Deu, guarantisez Carlun !” »

14 Sur la figure de Bramimonde, voir A. Tukey Harrisson, « Aude and Bramimunde : Their Importance in the Chanson de Roland », The French Review, 54/5 (1981), p. 672-679 ; H.-E. Keller, « La conversion de Bramimonde », dans Autour de Roland. Recherches sur la chanson de geste, Paris, 2003, p. 109-128.

15 La Chanson…, p. 191 ; O 2580-2591 : « Ad Apolin (en) curent en une crute, / Tencent a lui, laidement le despersunent : / “E ! malvais deus, por quei nus fais tel hunte ? / Cest nostre rei por quei lessas cunfundre ? / Ki mult te sert, malvais luer l'en dunes !“ / Puis si li tolent se sceptre e sa curune. / Par les mains le pendent sur une culumbe, / Entre lur piez a tere le tresturnent, / A granz bastuns le batent e defruisent. / E Tervagan tolent sun escarbuncle, / E Mahumet enz en un fosset butent, / E porc e chen le mordent e defulent. »

16 Voir par exemple, le Psaume 115. Pour un exemple d’humiliation des statues païennes, voir G. de Bruyn, « Briser les idoles païennes ou les sauvegarder ? Le sort des statues divines de Caesarea (Cherchel, Algérie) à la fin de l’Antiquité », Revue historique, 677 (2016), p. 3-26.

17 Voir P. Geary, « L’humiliation des saints », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 34 (1979), p. 27-42.

18 O 154 : « Enz voz bainz que Deus pur vos i fist ».

19 O 3668-3671 : « Meinent paiens entresqu’al baptistirie. / […] Baptizet sunt asez plus de cent milie ».

20 O 3985 : « La baptizerent la reine d’Espagne ».

21 C 229, 666.

22 La Chanson…, p. 103 ; O 1134-1135 : « Si vos murez, esterez seinz martirs : / Sieges avrez el greignor pareïs ».

23 Voir P. Anciaux, La Théologie du sacrement de pénitence au xiie siècle, Louvain/Gembloux, 1949. Pour l’appropriation de ces transformations dans la littérature, voir J.-C. Payen, Le Motif du repentir dans la littérature médiévale française (des origines à 1230), Genève, 1967.

24 La Chanson…, p. 101 ; O 1132-1133 : « Clamez vos culpes, si preiez Deu mercit ! / Asoldrai vos pur voz anmes guarir ».

25 O 1138 : « Par penitence les cumande a ferir ».

26 Sur les prières dans les différentes versions de La Chanson, voir J. de Caluwé, « La prière épique dans la tradition manuscrite de La Chanson de Roland », Senefiance, 10 (1981), « La prière au Moyen Âge (Littérature et civilisation) », p. 147-155.

27 O 2383 : « Cleimet sa culpe, si prïet Deu mercit ».

28 O 2358, 2381.

29 O 1634 : « ne creit en Deu, le filz seinte Marie ».

30 La Chanson…, p. 253 (traduction modifiée) ;3596-3599 : « Receif la lei que Deus nos apresentet / Chrestientet, e puis t’amerai sempres / Puis serf e crei le rei omnipotente ».

31 O 3666 : « Li rei creit Deu, faire voelt sun servise ».

32 O 7 : « Li rei Marsilie la tient, ki Deu nen aimet ».

33 La Chanson…, p. 257 ; O 3671-3674 : « Baptizet sunt asez plus de cent milie, / Veir chrestien, ne mais sul la reine / En France dulce iert menee caitive / Ço voelt li reis, par amur cunvertisset ».

34 La Chanson…, p. 275-277 (traduction modifiée) ; O 3978-3987 : « En ma maisun ad une caitive franche. / Tant ad oït e sermuns e essamples / Creire voelt Deu, chrestientet demandet. / Baptizez la, pur quei Deus en ait l'anme / […]. Chrestiene est par veire conoisance ».

35 Il manque une synthèse sur les théories de la croyance au xiie siècle. On trouvera des éléments dans J. Wirth, « La naissance du concept de croyance (xiie-xviie siècle) », dans Id, Sainte Anne est une sorcière, Genève, 2003, p. 113-176 ; voir aussi les études réunies dans M. Forlivesi, R. Quinto, S. Vecchio éd., Fides Virtus. The Virtue of Faith from the Twelfth to the Early Sixteenth Century, Münster, 2014.

36 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux…, p. 466-468 (trad. J. Subrenat modifiée) ; C 5771-5774 : « Remebren li des nons de sa creance / Qe il apprist quant fu noiriz d’enfance. / Trois en noma, qui sunt de grant puissance. / Lors li revint et vigors et membrance. »

37 C 4517 : « Il guerpira sa creanze et son dé ».

38 C 177 : « Por mon Deu croire un mien fil i ara ».

39 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction modifiée), p. 397 ; C 4683-4685 : « Cil damedex qi fist et mer et vent / C’est Tervagans se la letre ne ment / Il salt Marsille a l’orguellos talent ».

40 C 104 : « qi sajes sunt des lois ».

41 C 740-741 : « Marsilles sot des ars bien la maistrie, / Escoler fu en la loi paenie ».

42 C 2344 : « Ne Deu ne croient, lo Paire omnipotent / Ne pas ne quident qe il aümbrement. » Voir aussi C 4379, 5307-5308.

43 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction modifiée), p. 77 ; C 117-118 : « Les Saracins a fait toz detranchier / S’il ne vost croire et faire batiser ».

44 C 5863 : « Tot par amor prendra la loi saintie ».

45 C 4147 : « Si voirement, comme je sui creant » ; C 4162 : « come gel croi et sai a esciant ».

46 Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, x, 2, PL 176, col. 330-331. Sur la foi chez Hugues de Saint-Victor, voir F. Mandreoli, « La virtus della fede nel De sacramentis Christiane fidei di Ugo di San Vittore », dans M. Forlivesi, R. Quinto, S. Vecchio éd., Fides Virtus…, p. 151-182.

47 C’est la thèse défendue de façon plus générale par J. Wirth, « La naissance du concept de croyance… ».

48 Voir O. Lottin, « L’intention morale de Pierre Abélard à Thomas d’Aquin », Psychologie et morale aux xiie et xiiie siècles, t. IV, 3e partie, Louvain/Gembloux, 1954, p. 309-486.

49 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction J. Subrenat modifiée), p. 251 ; C 2567-2568 : « Turpin de Reims, par bone entencion, / De Deu lor fist gente ausolucion. »

50 Néanmoins, va progressivement se mettre en place la théorie selon laquelle la défaillance de l’officiant est compensée, en raison de son statut de simple vicaire, par l’intention de l’Église. Voir I. Rosier-Catach, La Parole efficace. Signe, rituel, sacré, Paris, 2004, p. 263-295.

51 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction J. Subrenat modifiée), p. 343 ; C 3901 : « Bati sa colpe por voire entencion ».

52 C 3806 : « De Deu les seigne en qi mot se fie ; C 8053 : « Car onqes vers seignor n’envers Dieu non ot foi ».

53 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux… (traduction J. Subrenat modifiée), p. 179-181 ; C 1571-1575 : « Li arcivesqe a la mese cantee, / Li cons Rollanz l’a de cuer escutee / D’une once d’or l’a li cons honoree. / Sena son chief, s’a l’imaige aoree. / Ist du mostier, s’a sa corpe clamee. »

54 O 1132-1142, C 1986-1996.

55 C 2032-2042, 2044-2051.

56 O 1472-1482.

57 C 2559-2572.

58 C 2034-2042 ; 3901-3911.

59 O 2256 : « Pur lei tenir » ; C 3956 : « La loi Jhesu as tenu droitement ».

60 La Chanson de Roland. Le manuscrit de Châteauroux…, p. 363 ; C 4169 : « Nel vos pot dire nus clerc, tant fust lisant ».

61 La Chanson…, p. 259-261 (trad. I. Short) ; O 3717-3721 : « Alde respunt : Cest mot mei est estrange. / Ne place Deu ne ses seinz ne ses angles / Apres Rollant que jo vive remaigne ! / Pert la culor, chet as piez Carlemagne, / Sempres est morte, Deus ait mercit de l'anme ! »

62 C 7098 : « Sole i vel estre por amor deprier ».

63 C 7124-7155.

64 C 7140.

65 C 7153 : « Fai venir, Dex, alcun demostrement ».

66 C 7158 : « De la clarté toz li mostiers resplent ».

67 C 7159 : « Grant joie ot Aude, la clarté ot coisie ».

68 7204.

69 C 7215-7727.

70 Je rejoins absolument les avertissements de Dominique Poirel sur les précautions que le médiéviste doit prendre quand il utilise le terme « mystique » (voir D. Poirel, « Introduction » et « “Mystique” : histoire d'un mot, histoire d’un malentendu », dans Id. éd., Existe-t-il une mystique au Moyen Âge, Turnhout, 2021, p. 5-9, 11-31). J’utilise ici le terme par commodité pour désigner une vision extatique qui permet un contact direct avec Dieu, relevant davantage de l’affect que de l’intellect. Que la mystique soit laïque signifie que le laïc peut, de façon ponctuelle, bénéficier d’un accès au divin qui échappe à l’encadrement ecclésial.

71 C 7243-7246 : « Angle l’enportent qui l’ont tres bien gardee, / Devant Yhesu l’en ont la sus portee. »

72 Voir J. Wirth, « La naissance du concept de croyance… ».

73 Voir J. de Caluwé, « La prière épique dans les plus anciennes chansons de gestes », Olifant, 4/1 (1976), p. 4-21.

74 Voir sur cette question M.-T. Nadeau, Foi de l’Église. Évolution et sens d’une formule, Paris, 1988.

75 Pour un exemple d’appropriation laïque d’un schéma ecclésial, voir É. Andrieu, « Itinéraires chevaleresques dans quelques textes du xiie siècle : une appropriation laïque de l’evangelica seu apostolica perfectio ? » dans V. Fasseur, J.-R. Valette éd., Les Écoles de pensée du xiie siècle et la littérature romane (oc et oïl), Turnhout, 2016, p. 243-269.

76 Sur l’idée de distinction mosaïque, voir J. Assmann, Violence et monothéisme, Paris, 2009.

77 Pour une synthèse sur cette question, voir F. Mazel, 888-1180, Féodalités, Paris, 2019, p. 263-323.

78 Voir J. Morton, « Introduction: Textual experiments, thinking with fiction », dans P. Knox, J. Morton, D. Reeve éd., Medieval Thought Experiments. Poetry, Hypothesis, and Experience in the European Middle Ages, Turnhout, 2018, p. 1-20.

79 F. Jones, The Ethos of the Song of Roland

80 F. Goyet, Penser sans concepts. Fonction de l’épopée guerrière. Iliade, Chanson de Roland, Högen et Heiji monogatari, Paris, 2006.

81 Ibid., p. 354.

82 On trouve le même type d’encadrement moral et ecclésial du « modèle » que constitue Roland dans la réécriture de Gilles de Paris. Voir J.-Y. Tilliette, « La triple mort de Roland. L’épisode de Roncevaux dans l’épopée latine du Moyen Âge », dans J. Cerquiglini-Toulet, O. Collet éd., Mélanges de philologie et de littérature offerts à Michel Burger, Genève, 1994, p. 273-288.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Grellard, « Vraie foi, fausse loi. Les mutations de la religiosité dans la Chanson de Roland »Médiévales, 81 | 2022, 35-54.

Référence électronique

Christophe Grellard, « Vraie foi, fausse loi. Les mutations de la religiosité dans la Chanson de Roland »Médiévales [En ligne], 81 | automne 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/11867 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.11867

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Auteur

Christophe Grellard

EPHE, Université PSL, LEM (UMR 8584)

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