Par le cuer bieu et autres jurons. Comment entendre le blasphème dans le Roman de Renart ?
Résumés
Par le cuer bieu et autres jurons. Comment entendre le blasphème dans le Roman de Renart ?
Cet article s’intéresse à la façon d’entendre le blasphème dans le Roman de Renart et, à travers lui, « la voix du grand laïc ». Pour ce faire, nous considérerons aussi bien ses modalités linguistiques, ses propriétés morphologiques et le problème que le choix du discours direct soulève dans la réception effective des textes au Moyen Âge que les enjeux littéraires et sociohistoriques que révèlent ses différents emplois au sein de cette œuvre.
blasphème, juron, outrage, péché de la langue, profane, Roman de Renart, serment
Plan
Haut de pageTexte intégral
- 1 I. Rosier-Catach, « Le blasphème et l’invention du huitième péché capital, le “péché de langue” », (...)
- 2 J. Le Goff, J.-C. Schmitt, « Au xiiie siècle : une parole nouvelle », dans J. Delumeau éd., Histoi (...)
- 3 Ibid., p. 261.
- 4 Ibid., p. 263.
- 5 I. Rosier-Catach, « Le blasphème… », p. 95.
- 6 Ibid.
- 7 C. Casagrande, S. Vecchio, Les Péchés de la langue. Discipline et éthique dans la culture médiéval (...)
1Au xiie siècle, « le statut de la parole vacille1 ». Ce phénomène est en grande partie expliqué par les récentes transformations sociales : les laïcs, en particulier, se font « de plus en plus entendre2 ». Émerge alors une « parole nouvelle3 », interpersonnelle et horizontale4, qui inquiètent fort les prédicateurs. Ces derniers se doivent d’intervenir pour « distinguer le bon du mauvais », « le licite de l’illicite », et « démarquer un pouvoir bénéfique d’un pouvoir maléfique »5 : « Gouverner la langue c’est gouverner tout court6. » Pour ce faire, les théologiens reprennent différemment l’enseignement du système des sept péchés capitaux. Dès le siècle suivant, Guillaume Peyraut ajoute, dans sa grande Somme dominicaine sur les vertus et les vices, un dernier péché : le peccatum linguae. Le péché de la langue naît donc dans un contexte essentiellement marqué par le combat d’une « parole nouvelle contre [une] parole nouvelle7 » : celle des prédicateurs face à celle des villes, des tavernes, des cours princières.
- 8 Ibid., p. 17.
- 9 Il ne s’agit pas de considérer les textes littéraires comme des « matériaux archéologiques bruts » (...)
- 10 Le Roman de Renart, éd. et trad. A. Strubel, avec la collaboration de R. Bellon, D. Boutet, S. Lef (...)
- 11 J. Le Goff, « Préface », dans C. Casagrande, S. Vecchio, Les Péchés de la langue…, p. 11-15 (p. 13 (...)
2Nous proposons au sein de cette étude de mettre en regard la virulence des discours religieux et juridiques sur les « fautes commises en parlant8 » et les pratiques effectives telles qu’elles sont représentées dans les textes littéraires9. Parmi ces textes, le Roman de Renart constitue un excellent témoin10. Ceci pour deux raisons : tout d’abord, sa date de composition (1175-1250), qui coïncide peu ou prou avec celle d’une intense réflexion sur les péchés de la langue (1190-126011) ; ensuite, sa réputation : la plupart des « branches » constitutives de ce corpus présentent aux yeux des historiens de la littérature un caractère profondément subversif vis-à-vis de la religion et de la foi. En témoigne la présence du blasphème, et surtout la manière de l’entendre, au double sens du terme : ouïr ses occurrences et comprendre ses emplois.
- 12 Selon l’articulation de l’écriture et des modes de pensées proposée par D. Boutet, L. Harf-Lancner(...)
3Le premier volet de cette étude analysera le mode d’écriture du blasphème dans le Roman de Renart en considérant ses modalités linguistiques, ses propriétés morphologiques et le problème que le choix du discours direct soulève dans la réception effective des textes au Moyen Âge. Nous consacrerons le second volet de cette étude aux modes de pensée12 du blasphème dans la matière renardienne : quels enjeux littéraires et sociohistoriques les différents emplois du blasphème révèlent-ils ? Dans quelle mesure ce dernier explicite-t-il les traits définitoires d’une identité générique et/ou socioculturelle ? L’acte juratoire consolide-t-il la distinction entre les clercs et les laïcs qu’avait durcie la réforme grégorienne ou vient-il au contraire la brouiller ?
Ouïr le blasphème dans le Roman de Renart
Le blasphème au prisme du langage
- 13 C. Leveleux-Teixeira, « Entre droit et religion : le blasphème, du péché de la langue au crime san (...)
4La notion de blasphème mérite d’être éclaircie. Le sens général d’« outrage à la divinité » auquel nous renvoie ce vocable aujourd’hui n’est que partiellement représentatif du sens parfois très technique conféré au terme par les médiévaux. Aux xiie et xiiie siècles, le blasphème reste un objet à « contenu notionnel équivoque13 ». Sa définition n’échappe pas à la confusion, ni même parfois à la contradiction. Deux grandes conceptions s’affrontent ainsi : l’une, ancrée dans la tradition augustinienne, met l’accent sur la dimension mensongère du discours ; l’autre, qui remonte à la définition donnée par Haymon d’Auxerre, insiste sur la modélisation linguistique de l’insulte adressée à Dieu. Dans le cadre de cette étude, je tiendrai compte de cette seconde conception, que les ouvrages à vocation pénitentielle (vie-xiie siècles) mettent d’ailleurs à l’honneur. Dans un paragraphe qu’il consacre aux serments et aux vœux, Burchard de Worms décrit le blasphème de la façon suivante :
- 14 Cité par C. Vogel, Le Pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, 1969, p. 86.
As-tu juré par les cheveux de Dieu le Père ou par sa tête, ou as-tu commis d’autres blasphèmes de ce genre ? Si tu l’as fait une fois en passant : 7 jours au pain et à l’eau. Si tu l’as fait plus souvent : 25 jours au pain et à l’eau14.
- 15 C. Leveleux, La Parole interdite. Le blasphème dans la France médiévale, xiiie-xvie siècles : du p (...)
5On notera que le Corrector sive medicus ne réduit pas l’action de blasphémer à « jurer par les cheveux de Dieu le Père », mais on soulignera, à la suite de Corinne Leveleux, que « seule cette catégorie lui paraît mériter d’être prise en compte, puisqu’il n’y a que les “blasphèmes de ce genre” qui fassent l’objet d’une sanction canonique15 ».
- 16 Ibid., p. 72-73.
- 17 Voir en particulier le Liber canonum diversorum sanctorum patrum sive collectio in CLXXXIII titulo (...)
6Le travail de Burchard influencera le Liber poenitentialis d’Alain de Lille et les œuvres des compilateurs grégoriens. « [I]mprégnés de préoccupations pastorales16 », ces recueils17 annoncent déjà la fameuse définition attribuée à Guillaume Peyraut :
- 18 I. Rosier-Catach, « Le blasphème et l’invention… », p. 100.
Le blasphème est une parole prononcée pour offenser Dieu, comme quand quelqu’un, en colère, voulant se venger de Dieu, nomme certains de ses membres18.
- 19 C. Leveleux-Teixeira, « Entre droit et religion… », p. 593-594.
- 20 J. Hoareau-Dodinau, » Le blasphème au Moyen Âge : une approche juridique », Atalaya. Revue françai (...)
- 21 Le blasphème n’est pas absent de la législation royale au Moyen Âge, bien au contraire. Philippe A (...)
- 22 Il s’agit là de la première ordonnance promulguée par Saint Louis visant spécialement « ceux qui j (...)
7Si, pendant longtemps, « le blasphème vécut dans l’ombre du serment dont il apparaissait comme une odieuse contrefaçon, voire comme l’équivalent diabolisé du parjure19 », le fait de nommer les membres de Dieu dans un mouvement de colère rapproche spontanément le blasphème du juron. Le droit laïc et l’« esprit populaire » retiendront d’ailleurs la définition de Peyraut20. La série d’exemples de l’ordonnance établie par Saint Louis en 1268 en témoigne21 : « […] il jure par aucuns des membres de Dieu, de Nostre Dame, ne des sainz, ne qu’ils fassent chose par manière de blasme, ne ne dient vilaine parole, ne par manière de jurer, ne autrement qui torne a despit de Dieu, de Nostre Dame, ne des sainz22 ». Quant au Roman de Renart, il présente des modalités discursives proches de celles que les théologiens, canonistes et juristes médiévaux décrivaient pour mieux les condamner : en examinant les termes présents dans l’environnement cotextuel des mentions de Dieu, force est de constater l’importance du nombre des termes qui réduisent la divinité à son enveloppe charnelle.
La morphologie du blasphème dans le Roman de Renart
- 23 Le Roman de Renart édité d’après le manuscrit de Cangé, v. 5861 (éd. M. Roques, vol. III, p. 10) ; (...)
- 24 Le Roman de Renart, v. 160 (éd. et trad. J. Dufournet, L. Harf-Lancner, M.-T. de Medeiros, J. Subr (...)
- 25 Le Roman de Renart, v. 530 (éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. I, p. 123).
- 26 J. Scheidegger, Le Roman de Renart ou le texte de la dérision, Genève, 1989, p. 363.
8Dans leur Index des thèmes et des personnages [du Roman de Renart], Micheline de Combarieu du Grès et Jean Subrenat relèvent plus de 560 occurrences du nom « Dieu ». Pourtant, l’environnement cotextuel de trois d’entre elles seulement semble parfaitement répondre à la définition de Guillaume Peyraut : « Par les iauz Dieu », dans Le viol d’Hersent (dans les ms. B et ms. C23) ; « Por le cuer Dieu », dans Le Labourage en commun (dans le ms. B24) ; « Par la cervele Dieu », dans Renart et Primaut (dans le ms. C25). Les résultats de l’enquête sont donc bien maigres : devons-nous en conclure que le Roman de Renart, souvent cité en exemple par la critique pour l’ordre « injurieux », « antisocial », « révolutionnaire même »26 de son rapport au sacré, n’ose braver l’interdit blasphématoire ?
- 27 Le Roman de Renart, v. 1185 (éd. E. Martin, vol. I, p. 124) ; Le Roman de Renart, v. 317 (éd. A. S (...)
- 28 Le Roman de Renart, v. 160 (éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. II, p. 6).
- 29 Le Roman de Renart, v. 1568 (éd. A. Strubel et al., p. 422).
- 30 É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, 1980, t. II, p. 254.
- 31 Ibid., p. 257.
9Oui et non. Arrêtons-nous un instant sur les différentes leçons proposées par quatre témoins. Dans Le Viol d’Hersent, les ms. A et H substituent « beu »/« be » à « Dieu » : « Par les ieus beu27 ». Dans Le Labourage en commun, branche absente des ms. A et de H, le ms. C commue « Dieu » en « bieu » : « Par le cuer bieu28 ». Enfin, dans Primaut et le loup, le ms. H préfèrera « Beu » à « Dieu » ou à « deu » (ms. A) : « Par la cervele Beu29 ». Cette mise en regard des collections prouve que les mots employés dans certaines expressions jugées blasphématoires ont donc déjà subi les fameuses modifications de forme qui accompagneront par la suite leur dépérissement sémantique. Ces altérations ne relèvent pas ici d’une simple erreur de copie due à l’inattention du scribe, mais cristallisent la force d’« euphémie30 » distinguée par Émile Benveniste. À l’œuvre dès le Moyen Âge central, le processus d’euphémisation nécessite donc d’élargir le champ de notre enquête. L’importance du nombre de formules qui pratiquent « la mutilation du vocable “Dieu” par aphérèse de la finale […] ou la substitution d’une même assonance31 » nous renseigne sur le caractère séditieux de leur emploi. On en relèverait ainsi, tous témoins confondus (ms. A, B, C et H), une trentaine d’occurrences. Ce constat appelle plusieurs remarques :
- L’on rencontre fort peu de blasphèmes dits « littéraux » : la « pulsion blasphémique », dès le Moyen Âge central, et y compris dans les textes jugés les plus irrévérencieux comme l’est le Roman de Renart, suscite toujours une censure perceptible à travers les procédés d’euphémisation.
- Le nombre considérable de variantes observées constitue lui aussi un indice : un certain nombre de jurons blasphématoires ne sont pas repris d’un manuscrit à l’autre, manifestant là, peut-être, un certain esprit de réserve de la part des copistes.
- Les témoins les plus tardifs32 concentrent le plus grand nombre d’occurrences. Doit-on en conclure que plus le siècle avance et, avec lui, la dénonciation de la parole peccamineuse, plus les copistes choisissent de convoquer volontairement des expressions blasphématoires ? S’agit-il alors de prendre en charge, d’une manière provocatrice, cette « distinction socioculturelle » imposée par l’Église entre « clerc et laïc33 » ? Quels problèmes soulève le fait de rapporter une parole blasphématoire en contexte médiéval ?
Rapporter la parole blasphématoire
- 34 Voir B. Cerquiglini, La Parole médiévale. Discours, syntaxe, texte, Paris, 1981.
- 35 M. Perret, « Façon de dire : les verbes de parole et de communication dans La Mort le Roi Artu », (...)
- 36 Voir Renart magicien, v. 1960-1963 (éd. A. Strubel et al., p. 822) ; Le Jugement de Renart, v. 724 (...)
- 37 L. Rosier, Le Discours rapporté. Histoire, théories, pratiques, Paris, 1999, p. 138.
10L’ancien français possédait maintes ressources pour rapporter un discours34. Nos auteurs, pourtant, varient fort peu leur mode de représentation du discours blasphématoire. On remarque que 95 % des sacrilèges verbaux sont restitués au style direct. Les auteurs n’usent en effet qu’à deux reprises du discours narrativisé. Ce dernier a la propriété de montrer que les paroles peuvent avoir existé dans l’univers de référence ; mais « cette existence [est alors] narrée par le texte sans que soit indiqué le contenu des discours tenus35 ». Deux occurrences constituent un cas « limite » de cette stratégie discursive36. Dans les deux cas en effet, le sacrilège verbal n’est jamais tout à fait réduit « la mention dans le continuum narratif d’un “simple fait discursif”37 ». Dans Renart Magicien, l’extension verbale de jurer accède déjà à un second plan énonciatif :
Et Noble li lïons s’aïre,
Par mautalent Renart apele,
Jure le cuer et la boele
« Renars, ti gieu m’ont hui traï.
- 38 Le Roman de Renart, v. 1960-1964 (éd. A. Strubel et al., p. 815).
Onques bien ne nos en chaï38. »
- 39 La Prise d’Orange, v. 1556 (La Prise d’Orange. Chanson de geste (fin xiie-début xiiie siècle), éd. (...)
11Si l’on se place du point de vue sémantique, comme le fait Gaulmyn, le discours narrativisé tend à se muer en discours indirect. Le discours rapporté est condensé (en témoigne la désignation des membres de la divinité, « cuer » et « boele »), le verbe et son extension ne se contentant dès lors plus seulement d’indiquer l’acte énonciatif, comme c’est par exemple le cas dans La Prise d’Orange lorsque Guillaume, emprisonné avec la reine Orable, essuie le gab de Guiélin et « Par maltalant en a juré saint Jacques39 ».
- 40 D. Lagorgette, « Les syntagmes nominaux d’insulte et de blasphème : analyse diachronique du discou (...)
- 41 Ibid., p. 178.
- 42 Ibid., p. 173.
- 43 Distinction établie par D. Lagorgette, « Les syntagmes nominaux d’insulte… », p. 172.
- 44 C. Leveleux-Teixeira, « Entre droit et religion… », p. 588.
12Jurer a tout d’un verbe discursif, et non métadiscursif. L’absence de cette dernière catégorie de verbes dans le Roman de Renart interroge. Dominique Lagorgette rappelle en effet que, en ce qui concerne le blasphème, le métadiscours est susceptible de remplir deux fonctions : « […] rapporter un acte de langage en protégeant celui qui le rapporte ou, au contraire, expliciter cet acte40 ». Dans le premier cas, le métadiscours permet d’« éviter la répétition des mots incriminants et/ou dangereux41 ». On l’aura vu, rien de tel dans le Roman de Renart. Dans le deuxième cas, le métadiscours « témoigne d’un calcul du sens42 » opéré par une instance étrangère au locuteur (personnage, narrateur, auteur). Du point de vue de notre corpus, les verbes métadiscursifs (tels que blastengier) deviendraient donc des sortes de « témoins » compromettants. Leur emploi attesterait la conscience (provocatrice ?) des auteurs d’avoir usé d’expressions linguistiques répréhensibles. Leur présence transformerait ce qui jusqu’alors était de l’ordre de la représentation au sein de la diégèse, d’un simple acte locutoire (« dire des blasphèmes ») en un séditieux acte illocutoire : « blasphémer » en affichant son intention de faire « dire des blasphèmes » aux personnages43. Par esprit de malice, ou par simple prudence, les auteurs du Roman de Renart ont visiblement choisi de faire l’économie de tout « repérage herméneutique44 ».
- 45 C. Leveleux, La Parole interdite…, p. 203.
- 46 C. Buridant, Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, 2001, p. 673.
- 47 Ibid., p. 674.
- 48 L. Rosier, Le Discours rapporté…, p. 29.
13Contrairement aux écrits des juristes médiévaux où le métadiscours abonde45, le corpus renardien privilégie effrontément « la construction au style direct non conjonctionnel en proposition indépendante46 », soit une forme de construction de la parole rapportée qui, aux yeux de Claude Buridant, garantit le plus haut degré de « vivacité » à cette dernière47. La « littéralité » et la « fidélité » qui s’inscrivent comme un « programme de lecture » dans les formes du discours direct48 posent un certain nombre de problèmes dans le cadre de la réception effective des œuvres au Moyen Âge, et de ce lien organique qui lie le texte à la voix et à la performance.
Les problèmes soulevés par la performance
- 49 Paul Zumthor rappelle en effet que la « présomption [d’oralité] devrait, en principe, jouer en fav (...)
- 50 Ibid., p. 37.
- 51 Ibid., p. 42.
- 52 J. Authier-Revuz, « Repères dans le champ du discours rapporté », L'Information grammaticale, 55 ( (...)
- 53 F. Bouchet, Le Discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles, Paris, 2008, p. 37.
14Les textes de notre corpus jouissent encore de cette « présomption [d’oralité] » évoquée par Paul Zumthor49. D’ailleurs, les « indices » d’une telle « oralité50 » sont légion. L’emploi du « couple dire-ouïr » présent en ouverture d’un certain nombre de branches a pour « fonction manifeste de promouvoir (fût-ce fictivement) le texte au statut de locuteur et de désigner sa communication comme une situation de discours in praesentia51 ». Et c’est bien cette « situation de discours in praesentia » qui pose problème lorsque décision est prise de « reproduire la matérialité exacte52 », dans le cadre du discours direct, d’un énoncé réprouvé par l’Église. La mimesis d’oralité élève le problème relatif à l’expression du blasphème à un double niveau énonciatif dans les cas où elle viendrait traduire une « habitude pragmatique » plus qu’une « habitude rhétorique »53 : le premier problème est lié à la formulation de jurons blasphématoires par les personnages (on est dans l’espace de la représentation) ; le second problème a partie liée à la prononciation des mêmes énoncés par le performeur (on quitte alors le domaine des realia pour celui de la réalité). Les théoriciens médiévaux qui abordèrent la question de la lecture insistèrent très tôt sur la transformation subie par un texte dès lors qu’il transitait par la voix. Leurs propos ne font que renforcer l’ambiguïté des postures. Telle est par exemple l’injonction de Geoffroy De Vinsauf qui, dans sa Poetria Nova, insiste sur l’adéquation entre pensée et expression :
- 54 Cité par E. Faral, Les Arts poétiques du xiie et du xiiie siècle. Recherches et documents sur la t (...)
Soumets ta voix pour qu’elle ne soit pas en discordance avec le sujet et qu’elle ne tende pas vers un autre but que celui auquel le sujet s’intéresse. Qu’ils marchent ensemble tous les deux. Que la voix soit une sorte d’écho du sujet54.
- 55 Cité par F. Bouchet, Le Discours sur la lecture…, p. 24.
- 56 P. Zumthor, La Lettre et la voix…, p. 37.
- 57 Ibid., p. 37.
15Les observations formulées par Richard de Fournival dans le prologue de son Bestiaire d’amour (milieu du xiiie siècle) apportent un éclairage complémentaire. Dans un mouvement pendulaire, l’écrit, après avoir été simple transposition visuelle de la parole ouïe, redevient pleinement parole au moment de lire : « […] toute escriture si est faite pour parole monstrer et pour che ke on le lise ; et quant on le list, si revient elle a nature de parole55 » – ou « nature » de blasphème pourrait-on dire dans le cas sensible de nos jurons. Le choix de représenter, par le biais du discours direct, « la matérialité exacte » des formules juratoires pose donc doublement la question de l’actualisation du blasphème dès lors qu’intervient une voix humaine dans la « publication » du texte : le blasphème, de fait, ne vit-il pas de manière concomitante la même « mutation56 » que ce texte ? Ne passe-t-il pas, en même temps que lui, « une ou plusieurs fois, d’un état virtuel à l’actualité » pour « désormais exister dans l’attention et la mémoire d’un certain nombre d’individus »57 ? Autrement formulé, lire un blasphème, avec toute l’implication que cet acte suppose au Moyen Âge, est-il blasphémer ?
16On voit le délicat problème que pose la représentation des jurons en contexte médiéval. Pour autant, le Roman de Renart peut-il vraiment en faire l’économie ? Ceux-ci ne font-ils finalement pas partie intégrante de son registre d’expression, comique et transgressif ? Pour mesurer ce phénomène, il convient d’examiner le sens et les fonctions des formules blasphématoires au sein des dialogues.
Comprendre l’expression blasphématoire dans le Roman de Renart : sens et fonctions du juron
- 58 E. D. Zolkiewska, « Le Bon Dieu et tous les saints – dans les fabliaux », dans C. Bel, P. Dumont, (...)
- 59 Ibid.
- 60 Voir par exemple La Monstrance des culs, v. 5528-5532 (Le Roman de Renart, éd. M. Roques, vol. II, (...)
- 61 N. Huston, Dire et interdire. Éléments de jurologie, Paris, 1980, p. 23.
- 62 C’est particulièrement le cas dans Renart et Primaut, v. 601-613 (Le Roman de Renart, éd. E. Marti (...)
- 63 L. Rosier, Le Discours rapporté…, p. 30.
- 64 Ibid., p. 4.
17Le juron blasphématoire semble pouvoir assumer, dans le Roman de Renart, deux fonctions principales : une fonction expressive, lorsqu’ils permettent de « souligner, ou plutôt grossir certaines émotions, aussi bien positives que négatives58 » ; une fonction « réaliste59 », ou mimétique. Dans le cadre de la première fonction, le juron blasphématoire traduit sur le plan linguistique une émotion fréquemment superlative. En atteste la récurrence des intensifs60. « [L]es mots tabous », sous le coup de la colère, de la surprise ou de l’indignation, « se répandent, telle une lave, dans les fissures du discours »61. Dans le cadre de la deuxième fonction, les jurons blasphématoires opèrent comme des realia linguistiques. L’irruption du juron avive dès lors notre impression de saisir comme sur le vif un échange ordinaire62. Les occurrences blasphématoires participeraient ainsi d’« une représentation socio-discursive partagée » qui emporterait l’« adhésion du lecteur »63 en « évoqu[ant] des caractéristiques linguistiques supposées d’un “parler oral” qui sonnent juste64 ».
- 65 Voir par exemple dans Le Serment de Renart, v. 7054 (Le Roman de Renart, éd. M. Roques, vol. II, p (...)
- 66 Les vêpres de Tibert, v. 502-503, 508, 514, 589, 691, 909, 960, 1166 (Le Roman de Renart, éd. A. S (...)
- 67 Le Jugement de Renart, v. 559 et 564 (ibid., p. 17).
- 68 Renart médecin, v. 307 (ibid., p. 521).
- 69 Le Labourage en commun, v. 160 (Le Roman de Renart, éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. II (...)
- 70 Le Viol d’Hersent, v. 317 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 299) et Le Moniage, v. 24 (...)
- 71 Le zoomorphisme renardien participerait d’une forme d’euphémisation.
- 72 Uniquement dans le ms. A, où l’on trouve : « “Par les euz be”, ce dist li rois », dans Renart méde (...)
- 73 Pour Le Jugement de Renart, v. 726 et 729-731 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 21) ; (...)
18Selon toute apparence, cette langue parlée est celle du laïc. Cependant, elle n’est pas l’apanage des laboratores65. Tous les barons mis en scène dans le Roman de Renart peuvent débiter de tels blasphèmes : Renart, en premier lieu, auteur de quinze jurons blasphématoires66 ; mais aussi : Brun l’ours67 ; le chien Roonel et son épouse68 ; le cerf Brichemer, qui pourtant assume la haute fonction de sénéchal69, ou encore le loup Isengrin, connétable de son état70. Ce « grand laïc » à visage animal71 peut enfin être le plus « grand » de tous, à savoir Noble le roi, auteur de plusieurs jurements dans Le Jugement de Renart, Renart médecin72 et Renart magicien73. Il est surprenant de constater qu’au sein de plusieurs branches, l’énonciateur du juron blasphématoire peut être un membre du clergé. Lorsque tel est le cas, il n’y a pas à proprement parler de sacrilège : un prêtre n’est pas spécialement sanctifié pour éviter un tel péché. Malgré tout, dans un contexte grégorien marqué par la volonté de réformer les mœurs du clergé, le phénomène étonne.
- 74 F. Mazel, « Pour une redéfinition de la réforme grégorienne. Éléments d’introduction », dans M. Fo (...)
- 75 La Confession de Renart, v. 563-568 et 595-600 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 141- (...)
- 76 Formule empruntée à C. Reichler, La Diabolie. La séduction, la renardie, l’écriture, Paris, 1979, (...)
- 77 C. Chalumeau, « Quand les vertus deviennent vices : du carnavalesque à la satire dans La Confessio (...)
- 78 Ibid.
19Représenter des ecclésiastiques en train de jurer par le cuer bieu opère comme un brouillage dans la distinction, nettement durcie dans un contexte grégorien74, entre les clercs et les laïcs. De ce point de vue, c’est La Confession de Renart qui va le plus loin. Les jurons jouent un rôle structurant dans la longue diatribe du milan75. L’expression blasphématoire ponctue et relance à chaque fois l’« orgie burlesque76 » à laquelle se livre li provoire. Son sermon d’inspiration explicitement cléricale est censé dénoncer la luxure de Renart. Pourtant, la batterie d’images obscènes qu’il déploie s’avère bien plus transgressives que celles du goupil. En succombant au turpiloquium, un autre péché de la langue stigmatisé par l’Église, le représentant du monde clérical se rend aussi coupable que Renart. Comme l’a remarqué Chloé Chalumeau, le texte procède d’un singulier « brouillage de la moralisation77 ». Toute la saveur, mais aussi toute la complexité de cette branche réside dans « le fléchissement qu’elle fait subir aux frontières habituelles qui séparent le vice de la vertu78 ». Les jurons blasphématoires sont au rang des opérateurs de subversion : eux aussi participent au détournement des codes repris à la tradition de la vituperatio. Le texte dérive du même coup vers la satire. Les frontières qui devraient séparer le laïc pécheur et l’homme consacré par Dieu deviennent poreuses. Les jurons blasphématoires rempliraient dès lors une troisième fonction : une fonction critique.
- 79 E. Birge Vitz, « La liturgie. Le Roman de Renart et le problème du blasphème dans la vie littérair (...)
- 80 Voir en particulier l’Ecbasis captivi, l’Ysengrimus et le Speculum stultorum.
- 81 E. Birge Vitz, « La liturgie. Le Roman de Renart et le problème… », p. 220.
20Cet éventail identitaire des jureurs dans le Roman de Renart nous invite à envisager les textes de notre corpus comme un « miroir » de leur temps, susceptible de réfléchir, dans un mouvement spéculaire, ces dérives de la langue stigmatisées par les théologiens et les prédicateurs. Bien plus, la présence de tels jurons justifierait la nécessité de normaliser le langage et stigmatiser ses écarts. Une telle hypothèse reste envisageable si l’on considère l’identité des rédacteurs, et si l’on admet, avec Evelyn Birge Vitz, que le Roman de Renart « est une œuvre qui semble bien être sortie des milieux cléricaux79 ». Cette critique signale que deux conteurs se sont respectivement identifiés comme un prêtre et comme un clerc ; que la tradition littéraire à laquelle appartient le Roman de Renart était essentiellement perçue à l’époque comme une tradition savante80 ; enfin, que « les aperçus de la vie religieuse font preuve d’une connaissance détaillée et approfondie du monde clérical et ecclésiastique81 ».
- 82 J. Le Goff, J.-C. Schmitt, « Au xiiie siècle : une parole nouvelle… », p. 266.
- 83 On notera d’ailleurs à cet égard qu’une telle déviance langagière n’est jamais punie dans le Roman (...)
- 84 E. Magnani Soares-Christen, Monastères et aristocratie en Provence – milieu xe-début xiie siècle, (...)
21Une autre hypothèse est possible si l’on admet, à l’inverse, pour certaines branches tout du moins, l’identité laïque des rédacteurs : écrire, en vue de lire et d’actualiser le « huitième péché capital » pourrait être conçu comme le moyen de reprendre quelque ascendant, ou pouvoir sur cette « parole nouvelle » qui émerge au xiie siècle dans les cours, les villes, les tavernes82 et que l’Église réprime sévèrement. En d’autres termes, truffer le discours des personnages de dérives langagières est aussi, et peut-être surtout, une façon de répondre aux discours normatifs produits à la même époque sur elles83. Les jurons blasphématoires contribueraient alors à expliciter et consolider, dans une « sociabilité de confrontation84 », les traits définitoires d’une identité « laïque », construite par le milieu clérical (hypothèse n° 1) ou revendiquée par le milieu laïque (hypothèse n° 2).
22Les différents points de vue à partir desquels nous avons tenté d’entendre (au sens physiologique du terme) le blasphème ont permis de révéler certaines « limites » à ne pas franchir. L’analyse morphologique met en évidence la vitalité des procédés d’euphémisation à l’œuvre dès le Moyen Âge central. L’analyse stylistique des discours attributifs rend saillante l’absence de verbes métadiscursifs susceptibles d’expliciter la nature blasphématoire de l’acte discursif, et donc, d’afficher ouvertement la volonté de le faire entendre comme tel. La même analyse révèle simultanément les audaces du Roman de Renart. Les textes normatifs n’osent pas rapporter les paroles exactes du jureur. Le phénomène est inverse dans les textes de notre corpus, où la grande majorité des blasphèmes sont exprimés au discours direct. Ce choix pose notamment problème dans la publication du texte, et la réception effective de l’œuvre médiévale réclame de circonscrire à nouveaux frais l’action de blasphémer.
23Les trois fonctions assumées par les jurons blasphématoires nous ont quant à elles rapidement ramenés à des considérations sociohistoriques : doit-on entendre – comprendre – la présence de ces occurrences comme le simple reflet d’une situation sociolinguistique donnée ou bien comme l’affirmation franche d’une identité socioculturelle que l’on définirait (dans les cas où les rédacteurs appartiendraient au monde ecclésiastique) ou qui s’autodéfinirait dans et par sa déviance à la norme ecclésiale (dans les cas où les rédacteurs appartiendraient au monde laïc) ? Réponse peu évidente, en particulier si l’on s’attache à l’identité des jureurs dans le texte : si les blasphémateurs restent en grande majorité des (grands) laïcs, les hommes d’Église sont loin d’être toujours des modèles de pureté langagière… Le texte opère un troublant brouillage entre les différents ordres de la société tripartite.
- 85 Je remercie chaleureusement Jean-René Valette qui a accompagné mon travail sur cet article et l’a (...)
24Quant à la question de savoir si le blasphème agit comme un marqueur générique, la réponse est probablement plus sûre : il suffirait d’élargir l’enquête à d’autres corpus. L’on se rendrait alors compte que les jurons qui nomment les membres de Dieu sont fort peu représentés dans les chansons de geste, les œuvres poétiques ou les romans produits à la même période. La seule exception notable est celle des fabliaux : au moins quatorze occurrences peuvent être relevées dans une dizaine de textes. Dans un tel corpus – que la critique a d’ailleurs souvent tendance à rapprocher du Roman de Renart –, les jurons blasphématoires constituent les éléments clés d’un registre d’expression mis au service de la représentation du monde rural et de l’univers des foires85.
Notes
1 I. Rosier-Catach, « Le blasphème et l’invention du huitième péché capital, le “péché de langue” », Po&sie, 162/4 (2017), p. 94-104 (p. 94).
2 J. Le Goff, J.-C. Schmitt, « Au xiiie siècle : une parole nouvelle », dans J. Delumeau éd., Histoire vécue du peuple chrétien, Toulouse, 1979, vol. II, p. 257-279 (p. 266).
3 Ibid., p. 261.
4 Ibid., p. 263.
5 I. Rosier-Catach, « Le blasphème… », p. 95.
6 Ibid.
7 C. Casagrande, S. Vecchio, Les Péchés de la langue. Discipline et éthique dans la culture médiévale, Paris, 1991, p. 96.
8 Ibid., p. 17.
9 Il ne s’agit pas de considérer les textes littéraires comme des « matériaux archéologiques bruts », mais d’observer, à la suite d’Anita Guerreau-Jalabert, « les effets de transmutation des réalités matérielles et sociales qu’impose la logique des représentations » (p. 140-141), la façon dont les « réalités idéelles » définies par Maurice Godelier sont évoquées « de manière détournée » en traduisant « une vision du monde et de la société propre aux groupes qui produisent ce discours » (p. 146). Voir A. Guerreau-Jalabert, « Histoire médiévale et littérature », dans J. Le Goff, G. Lobrichon éd., Le Moyen Âge aujourd’hui. Trois regards contemporains sur le Moyen Âge : histoire, théologie, cinéma, Paris, 1998, p. 137-149.
10 Le Roman de Renart, éd. et trad. A. Strubel, avec la collaboration de R. Bellon, D. Boutet, S. Lefèvre, Paris, 1998, constitue mon édition de référence. Celle-ci prend pour manuscrit de base le manuscrit de l’Arsenal (ms. H) appartenant à la famille des manuscrits dits « composites ». Toutefois, je solliciterai l’appui d’autres éditions pour mentionner certaines variantes. Mon enquête a été menée sur les grands représentants des différentes familles. Seront ainsi ponctuellement sollicitées : Le Roman de Renart, éd. E. Martin, Strasbourg, 1882-1887 (3 vol. ), pour le ms. Paris, BnF, fr. 20043 (ms. A) ; Le Roman de Renart édité d’après le manuscrit de Cangé, éd. M. Roques, Paris, 1948-1963 (6 vol. ), et Le Roman de Renart, branche XX et dernière : Renart empereur, éd. F. Lecoy, Paris, 1999, pour le manuscrit de Cangé (ms. B) ; Le Roman de Renart, éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, Tokyo, 1983-1985 (2 vol. ), pour le ms. Paris, BnF, fr. 1579 (ms. C).
11 J. Le Goff, « Préface », dans C. Casagrande, S. Vecchio, Les Péchés de la langue…, p. 11-15 (p. 13).
12 Selon l’articulation de l’écriture et des modes de pensées proposée par D. Boutet, L. Harf-Lancner éd., Écriture et modes de pensée au Moyen Âge : viiie-xve siècles, Paris, 1993.
13 C. Leveleux-Teixeira, « Entre droit et religion : le blasphème, du péché de la langue au crime sans victime », Revue de l'histoire des religions, 228 (2011), « L’Ordre chrétien médiéval entre le droit et la foi », p. 587-602 (p. 588).
14 Cité par C. Vogel, Le Pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, 1969, p. 86.
15 C. Leveleux, La Parole interdite. Le blasphème dans la France médiévale, xiiie-xvie siècles : du péché au crime, Paris, 2001, p. 68.
16 Ibid., p. 72-73.
17 Voir en particulier le Liber canonum diversorum sanctorum patrum sive collectio in CLXXXIII titulos digesta, une collection en 183 titres compilée avant 1083 ; la collection d’Anselme de Lucques, achevée vers 1083 ; le Decretum d’Yves de Chartres, rédigé en 1094.
18 I. Rosier-Catach, « Le blasphème et l’invention… », p. 100.
19 C. Leveleux-Teixeira, « Entre droit et religion… », p. 593-594.
20 J. Hoareau-Dodinau, » Le blasphème au Moyen Âge : une approche juridique », Atalaya. Revue française d’études médiévales hispaniques, 5 (1995), « L’invective au Moyen Âge. France, Espagne, Italie », p. 193-210 (p. 195).
21 Le blasphème n’est pas absent de la législation royale au Moyen Âge, bien au contraire. Philippe Auguste, vers 1182, devient ainsi le premier des Capétiens à adopter un texte législatif en matière de blasphème. Il faut toutefois attendre la seconde partie du règne de Saint Louis pour qu’une véritable tradition législative condamnant fermement le blasphème soit fondée. Quatre textes sont ainsi adoptés, parmi lesquels l’ordonnance de 1268, qui prévoit une échelle des peines en fonction de la gravité du blasphème. Ce dernier n’est jamais réellement défini, les textes de 1254, 1256, 1268 et 1270 se contentant de donner une série d’exemples… Voir J. Hoareau-Dodinau, « Le blasphème au Moyen Âge… », p. 196-197 ; C. Leveleux-Teixeira, « Entre droit et religion… », p. 596-597.
22 Il s’agit là de la première ordonnance promulguée par Saint Louis visant spécialement « ceux qui jurent le vilain serment ». Sur les débats suscités par la datation de cette ordonnance, voir C. Leveleux-Teixeira, La Parole interdite…, p. 299-300. Texte cité par J. Hoareau-Dodinau, « Le blasphème au Moyen Âge… », p. 197 (nous soulignons).
23 Le Roman de Renart édité d’après le manuscrit de Cangé, v. 5861 (éd. M. Roques, vol. III, p. 10) ; Le Roman de Renart, v. 465 (éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. I, p. 15).
24 Le Roman de Renart, v. 160 (éd. et trad. J. Dufournet, L. Harf-Lancner, M.-T. de Medeiros, J. Subrenat, d’après l’édition de M. Roques, Paris, 2015, vol. II, p. 52).
25 Le Roman de Renart, v. 530 (éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. I, p. 123).
26 J. Scheidegger, Le Roman de Renart ou le texte de la dérision, Genève, 1989, p. 363.
27 Le Roman de Renart, v. 1185 (éd. E. Martin, vol. I, p. 124) ; Le Roman de Renart, v. 317 (éd. A. Strubel et al., p. 299).
28 Le Roman de Renart, v. 160 (éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. II, p. 6).
29 Le Roman de Renart, v. 1568 (éd. A. Strubel et al., p. 422).
30 É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, 1980, t. II, p. 254.
31 Ibid., p. 257.
32 Les ms. H et ms. C datent de la fin du xiiie s., voire du début du xive s. pour le second.
33 C. König-Pralong, R. Imbach, Le Défi laïque. Existe-t-il une philosophie de laïcs au Moyen Âge ?, Paris, 2013, p. 8.
34 Voir B. Cerquiglini, La Parole médiévale. Discours, syntaxe, texte, Paris, 1981.
35 M. Perret, « Façon de dire : les verbes de parole et de communication dans La Mort le Roi Artu », dans J. Dufournet éd., « La Mort du roi Arthur » ou Le Crépuscule de la chevalerie, Paris, 1994, p. 181-195 (p. 187).
36 Voir Renart magicien, v. 1960-1963 (éd. A. Strubel et al., p. 822) ; Le Jugement de Renart, v. 724-731 (ibid., p. 21).
37 L. Rosier, Le Discours rapporté. Histoire, théories, pratiques, Paris, 1999, p. 138.
38 Le Roman de Renart, v. 1960-1964 (éd. A. Strubel et al., p. 815).
39 La Prise d’Orange, v. 1556 (La Prise d’Orange. Chanson de geste (fin xiie-début xiiie siècle), éd. C. Lachet, Paris, p. 196).
40 D. Lagorgette, « Les syntagmes nominaux d’insulte et de blasphème : analyse diachronique du discours marginalisé », Thélème, Revista Complutense de Estudios Franceses, número extraordinario (2003), p. 171-188 (p. 178).
41 Ibid., p. 178.
42 Ibid., p. 173.
43 Distinction établie par D. Lagorgette, « Les syntagmes nominaux d’insulte… », p. 172.
44 C. Leveleux-Teixeira, « Entre droit et religion… », p. 588.
45 C. Leveleux, La Parole interdite…, p. 203.
46 C. Buridant, Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, 2001, p. 673.
47 Ibid., p. 674.
48 L. Rosier, Le Discours rapporté…, p. 29.
49 Paul Zumthor rappelle en effet que la « présomption [d’oralité] devrait, en principe, jouer en faveur de la quasi-totalité des textes de langue romane dont la composition fut antérieure au xiiie siècle » (P. Zumthor, La Lettre et la voix. De la « littérature » médiévale, Paris, 1987, p. 46).
50 Ibid., p. 37.
51 Ibid., p. 42.
52 J. Authier-Revuz, « Repères dans le champ du discours rapporté », L'Information grammaticale, 55 (1992), p. 38-42 (p. 38).
53 F. Bouchet, Le Discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles, Paris, 2008, p. 37.
54 Cité par E. Faral, Les Arts poétiques du xiie et du xiiie siècle. Recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris, 1923, p. 259.
55 Cité par F. Bouchet, Le Discours sur la lecture…, p. 24.
56 P. Zumthor, La Lettre et la voix…, p. 37.
57 Ibid., p. 37.
58 E. D. Zolkiewska, « Le Bon Dieu et tous les saints – dans les fabliaux », dans C. Bel, P. Dumont, F. Willaert éd., « Contez me tout ». Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Herman Braet, Louvain/Paris, 2006, p. 355-362 (p. 356).
59 Ibid.
60 Voir par exemple La Monstrance des culs, v. 5528-5532 (Le Roman de Renart, éd. M. Roques, vol. II, p. 71) ; ou Le Labourage en commun, v. 160 (Le Roman de Renart, éd. et trad. J. Dufournet, vol. II, p. 52).
61 N. Huston, Dire et interdire. Éléments de jurologie, Paris, 1980, p. 23.
62 C’est particulièrement le cas dans Renart et Primaut, v. 601-613 (Le Roman de Renart, éd. E. Martin, vol. II, p. 125-126).
63 L. Rosier, Le Discours rapporté…, p. 30.
64 Ibid., p. 4.
65 Voir par exemple dans Le Serment de Renart, v. 7054 (Le Roman de Renart, éd. M. Roques, vol. II, p. 47) ; ou dans Renart et Liétard, v. 1239 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 361).
66 Les vêpres de Tibert, v. 502-503, 508, 514, 589, 691, 909, 960, 1166 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 230-246) ; Renart et le roi Connin, v. 160 (Le Roman de Renart, éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. II, p. 6) ; La confession de Renart, v. 379 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 137) ; Le Jugement de Renart, v. 1523 (ibid., p. 40) ; Renart et le vilain Liétard, v. 644 (ibid., p. 347) ; Comment Renart parfist le con, v. 640 (ibid., p. 766).
67 Le Jugement de Renart, v. 559 et 564 (ibid., p. 17).
68 Renart médecin, v. 307 (ibid., p. 521).
69 Le Labourage en commun, v. 160 (Le Roman de Renart, éd. N. Fukumoto, N. Harano, S. Suzuki, vol. II, p. 6).
70 Le Viol d’Hersent, v. 317 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 299) et Le Moniage, v. 240 (ibid., p. 313).
71 Le zoomorphisme renardien participerait d’une forme d’euphémisation.
72 Uniquement dans le ms. A, où l’on trouve : « “Par les euz be”, ce dist li rois », dans Renart médecin, v. 1555 (Le Roman de Renart, éd. E. Martin, vol. I, p. 385).
73 Pour Le Jugement de Renart, v. 726 et 729-731 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 21) ; pour Renart Magicien, v. 1962 (ibid., p. 822).
74 F. Mazel, « Pour une redéfinition de la réforme grégorienne. Éléments d’introduction », dans M. Fournié, D. Le Blévec et F. Mazel éd., La Réforme « grégorienne » dans le Midi (milieu xie-début xiie siècle), Toulouse, 2013 (Cahiers de Fanjeaux, 48), p. 9-38 (p. 20). Voir en particulier Gratien, Decretum, sec. pars, c. 12, q. 1, c. 7.
75 La Confession de Renart, v. 563-568 et 595-600 (Le Roman de Renart, éd. A. Strubel et al., p. 141-142).
76 Formule empruntée à C. Reichler, La Diabolie. La séduction, la renardie, l’écriture, Paris, 1979, p. 104.
77 C. Chalumeau, « Quand les vertus deviennent vices : du carnavalesque à la satire dans La Confession Renart », e-Spania, [en ligne] le 31 octobre 2015 : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/e-spania.24905 [consulté le 16 octobre 2020].
78 Ibid.
79 E. Birge Vitz, « La liturgie. Le Roman de Renart et le problème du blasphème dans la vie littéraire au Moyen Âge, ou : Les bêtes peuvent-elles blasphémer ? », Reinardus, 12 (1999), p. 205-225 (p. 219).
80 Voir en particulier l’Ecbasis captivi, l’Ysengrimus et le Speculum stultorum.
81 E. Birge Vitz, « La liturgie. Le Roman de Renart et le problème… », p. 220.
82 J. Le Goff, J.-C. Schmitt, « Au xiiie siècle : une parole nouvelle… », p. 266.
83 On notera d’ailleurs à cet égard qu’une telle déviance langagière n’est jamais punie dans le Roman de Renart.
84 E. Magnani Soares-Christen, Monastères et aristocratie en Provence – milieu xe-début xiie siècle, Münster, 1999, p. 428 sq.
85 Je remercie chaleureusement Jean-René Valette qui a accompagné mon travail sur cet article et l’a relu aux dernières étapes de sa rédaction.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Valentine Eugène, « Par le cuer bieu et autres jurons. Comment entendre le blasphème dans le Roman de Renart ? », Médiévales, 81 | 2022, 21-34.
Référence électronique
Valentine Eugène, « Par le cuer bieu et autres jurons. Comment entendre le blasphème dans le Roman de Renart ? », Médiévales [En ligne], 81 | automne 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/11857 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.11857
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page