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Essais et recherches

La fabrique d’une loi

Retour sur la « grande ordonnance de réforme de 1254 »
Marie Dejoux
p. 189-208

Résumés

La fabrique d’une loi. Retour sur la « grande ordonnance de réforme de 1254 »
Célèbre et célébrée par l’historiographie, la « grande » ordonnance de 1254, ensemble de prescriptions édictées par Louis IX en vue de moraliser son administration locale et, au-delà, le royaume tout entier, est un monument normatif dont on connaît mal la fabrique, à l’image de l’ensemble de la production normative de la France du xiiie siècle. Dans la lignée des travaux menés depuis 2010 sur l’écriture de la loi au Moyen Âge, cet article, entièrement consacré à la célèbre ordonnance, entend proposer une micro-histoire de la production législative à une époque où le Parlement et la Chambre des Comptes, principales chambres d’enregistrement de la loi aux siècles suivants, se détachent à peine de la curia regis. Sont ainsi mis au jour les multiples phases de rédaction de cette loi, sa diffusion, son enregistrement, sa conservation, ses sources, ses auteurs, de même que les mécanismes qui aboutirent à sa promulgation et à sa monumentalisation.

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Texte intégral

Je remercie Olivier Canteaut, François Foronda et Olivier Mattéoni pour les conseils et les matériaux qu’ils m’ont offerts tout au long de l’écriture de cet article.

  • 1 L. Carolus-Barré, « La Grande Ordonnance de 1254 sur la réforme de l’administration et la police d (...)

Accueilli avec enthousiasme par les contemporains et toujours cité depuis avec éloge, tant par les historiens de l’Ancien régime que par ceux de l’époque moderne, cet “établissement le roi” est un document capital : sans aucun doute l’un des actes les plus importants du règne de saint Louis.
Louis Carolus-Barré1

  • 2 J. Le Goff, Saint Louis, Paris, 2000, p. 216.
  • 3 Recueil des historiens des Gaules et de la France (ci-après RHGF), Paris, t. XX, 1840, p. 392-398.
  • 4 Jean de Joinville, Histoire de saint Louis, éd. N. de Wailly, Paris, 1864, p. 382 sq.
  • 5 RHGF, t. XX, p. 393.
  • 6 Jean de Joinville, Histoire…, p. 382. Il se sert du premier état traductif de la vita de Guillaume (...)
  • 7 Jean de Joinville, Histoire…, p. 382.

1Célèbre et célébré, « la grande ordonnance de 1254 », ensemble de prescriptions édictées par la chancellerie capétienne en vue de moraliser l’administration locale et, au-delà, le royaume tout entier en luttant contre l’usure juive, le blasphème, la prostitution et les jeux de hasard, fut tour à tour un passage obligé de la vie de Saint Louis et le symbole des « progrès du pouvoir monarchique2 » au xiiie siècle. Sa monumentalisation emprunta d’abord, et de manière originale, un canal biographique et hagiographique. Dans sa Vie de saint Louis, le dyonisien Guillaume de Nangis en reproduisait in extenso une version3, bientôt reprise par Joinville en 1302 dans son Livre des saintes paroles et des bons faiz de nostre saint roy Looÿs4. Pour l’un et l’autre, lesdits « generaus estatus5 » étaient la marque du changement intervenu au retour de la croisade dans le comportement d’un roi plus soucieux encore de « dévotion envers notre seigneur » et de « droiture envers ses sujets6 », récit auquel Jacques Le Goff souscrivait encore sept cents ans plus tard en faisant du texte l’un des symboles extérieurs de la marche du monarque « vers une vie et un règne purificateur et même eschatologique7 ».

  • 8 Titre donné par L. Carolus-Barré à son article, « La Grande Ordonnance de 1254 sur la réforme de l (...)
  • 9 Pour reprendre le titre de l’ouvrage consacré à la question pour le royaume Plantagenêt par F. Lac (...)
  • 10 A. Rigaudière, A. Gouron éd., Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, Montpellier/P (...)
  • 11 Notamment : S. Petit-Renaud, « Faire loy » au royaume de France, de Philippe VI à Charles V (1328- (...)
  • 12 Entre autres : J. Krynen, « “De nostre certaine science…”. Remarques sur l’absolutisme législatif (...)
  • 13 J. Le Goff, Saint Louis…, p. 220.
  • 14 Comme l’ordonnance de 1254, ces enquêtes sont coutumièrement désignées comme les « grandes » enquê (...)
  • 15 Le corpus documentaire a été rassemblé et édité par L. Delisle dans le tome XXIV du RHGF, « Les en (...)
  • 16 Pour reprendre le titre du célèbre article de R. Cazelles, « Une exigence de l’opinion… ».
  • 17 G. Sivéry, Saint Louis : le roi Louis IX, Paris, 1983, p. 161.

2Ce document, que les médiévistes ont coutume de nommer la « grande ordonnance », est aussi retenu et cité pour les règles de bonne conduite qu’il fixe aux officiers locaux, et, partant, pour la « réforme de l’administration8 » et la naissance d’une « éthique de l’office9 » capétienne. Le célèbre règlement illustre la renaissance du pouvoir législatif royal10, thème principalement développé sous l’angle des fondements théoriques du pouvoir de « faire loy11 » et sous celui des mécanismes de la prise de décision princière12. Deux éléments font ici consensus : le « grand texte porte [non seulement] fortement l’empreinte des idées et de la volonté du roi13 », mais il est aussi l’aboutissement de « grandes14 » enquêtes diligentées par le monarque à partir de 1247. Autre monument historiographique, ces dernières, destinées à restituer les biens mal acquis par le roi et par ses officiers, furent longtemps rapprochées des cahiers de doléance révolutionnaires pour les milliers de plaintes qui en ont été conservées15. La fabrique de la loi procéderait dès lors à la fois, proprio motu, de la volonté éclairée et personnelle du monarque, et de celle du peuple, voire de « l’opinion16 » publique, dûment sondée par le pouvoir royal lors d’une grande consultation populaire, « équivalent d’un sondage au 1/400e17 ». On l’aura compris, le récit qui entoure la genèse de l’ordonnance de 1254 ne s’est pour l’heure détaché ni de la trame hagiographico-biographique, ni de quelques grandes passions et récits fondateurs collectifs : l’indispensable « réforme » de l’administration et de l’État tout entier, la nécessité de grandes consultations populaires et la loi comme émanation des « doléances » du peuple et réponse aux attentes de ce dernier. Un double mouvement que l’on qualifierait aujourd’hui avec délices de top down et bottom up.

  • 18 M. Dejoux, Les Enquêtes…
  • 19 Cf. supra.
  • 20 On pense notamment aux travaux novateurs sur l’ordonnance de 1374 (A. Rigaudière, « La lex vel con (...)
  • 21 Pour reprendre la formule de l’introduction d’O. Mattéoni au volume Diffuser, recevoir, conserver (...)

3À partir de mes travaux sur les enquêtes de réparation18, cet article reviendra bien entendu sur cette dimension du problème qui est aussi celle qui a le plus retenu l’historiographie19. Mais, dans une lignée plus neuve, celle des travaux entrepris sur l’écriture de la loi à la fin du Moyen Âge depuis le début des années 201020, je souhaite aussi, pour restituer la logique et la pratique normative autochtone, « regarder vers l’aval21 » en cernant au plus près les processus de rédaction, de diffusion, de conservation et, ici, de monumentalisation d’un texte de loi médiéval. Cette étude de cas, pensée comme une micro-histoire de la fabrique législative, regardera en revanche chronologiquement vers l’amont, en centrant les investigations sur un document daté du mitan du xiiie siècle, à l’heure où le Parlement et la Chambre des Comptes, principales chambres d’enregistrement de la loi aux siècles suivants, se détachent à peine de la curia regis et ne sont pas encore des institutions formalisées.

« La » grande ordonnance de « 1254 » ? Retour sur l’écriture d’une loi

  • 22 S. Petit-Renaud, « Faire loy »…, p. 439.
  • 23 Ibid.
  • 24 Ibid.
  • 25 RHGF, t. XX, p. 393.
  • 26 Jean de Joinville, Histoire…, p. 382.
  • 27 Ordonnances des roys de France de la troisième race, recueillies par ordre chronologique, éd. E. d (...)
  • 28 Ibid., p. 78.
  • 29 S. Petit-Renaud, « Faire loy »…, p. 443.
  • 30 Selon la définition d’A. Rigaudière dans « Loi et État dans la France du bas Moyen Âge », dans L’É (...)

4Dans sa thèse, Sophie Petit-Renaud montrait la « grande fragilité du vocabulaire22 » désignant les documents normatifs produits par la chancellerie royale, cette dernière ayant « tendance à ne pas qualifier les textes23 ». Leur nature doit dès lors être souvent inférée « par les verbes employés ordinamus, statuimus, precipimus24 ». Si Guillaume de Nangis et Jean de Joinville utilisent les substantifs « ordinatio », « generale statutum »25 ou « general establissement26 » pour désigner l’ordonnance de 1254, ses différentes versions ne contiennent en effet que des expressions verbales : « suscripta duximus ordinanda » en 125427, puis « nous establissons » en 1256 dans son dernier état28. La coexistence même des termes ordinatio/ordinare et statutum/statuere est au demeurant intéressante, les historiens ayant coutume de penser que « l’ “établissement” dominerait le xiiie siècle avant de disparaître au profit de l’ordinatio ou de l’ordonnance29 » aux xive et xve siècles. Il ne paraît donc pas utile de revenir sur l’usage consacré du terme « ordonnance » de 1254, de même que le caractère général du document, l’intérêt qu’il témoigne pour le bien commun et « un certain degré de permanence » des décisions édictées30 autorise l’emploi du mot « loi » pour le désigner.

  • 31 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 90.

5Doit-on en revanche garder le singulier et la date unique de 1254 ? À juste titre soucieux de contribuer « à la solution du problème à la fois de la forme diplomatique et de l’élaboration des ordonnances31 », L. Carolus-Barré (C.B.) consacrait le cœur de l’article de référence qu’il dédia à cette loi aux phases d’une rédaction reconstituée ainsi :

  • 32 L. Carolus-Barré mentionne d’ailleurs pour finir l’ajout pour le Languedoc de trois articles disti (...)

6Les conclusions de L. Carolus-Barré sont claires : la rédaction de l’ordonnance se déroule toute entière au mois de décembre 1254 et procède non seulement par enrichissement progressif, mais aussi de proche en proche, de l’ancien domaine vers les terres plus récemment conquises. À l’origine simple code de bonne conduite à l’usage des officiers de langue d’oïl, l’ordonnance de 1254 serait progressivement devenue une ordonnance générale proscrivant la prostitution, le blasphème, les jeux de dés et l’usure à l’ensemble du royaume, avant d’être adaptée et complétée pour les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne32.

  • 33 Ord., t. 1, p. 78 sq.
  • 34 G. Sivéry, Saint Louis…, p. 45-47.
  • 35 L. Carolus-Barré ne les a pas remarquées car, dans la majorité des artefacts conservés, elles appa (...)
  • 36 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 86.

7Méthodique et savante, la démonstration de L. Carolus-Barré laisse pourtant perplexe. Que le premier état de l’ordonnance soit livré par un chroniqueur, Guillaume de Nangis, surprend et, pour rétablir une cohérence dans les dates de lieu, on intervertirait volontiers les états 4 et 5. Gêne surtout l’oubli de certains témoins documentaires, comme « l’ordonnance pour l’utilité du royaume33 » datée de 1256, et que Gérard Sivéry considérait comme l’état final du texte34. Enfin, un retour attentif à chacun des artefacts documentaires atteste tout bonnement d’erreurs : l’état 1 ne comprend certes pas les dispositions issues de l’ordonnance de Melun sur les juifs, mais il intègre bel et bien en son cœur celles contre la prostitution, le blasphème et les jeux de hasard35. L’ordonnance n’avait donc pas à l’origine comme « seul objet la réforme de l’administration des baillis royaux36 ». Une reprise à nouveaux frais du dossier laisse apparaître le processus rédactionnel suivant :

  • 37 G. Chenard, J.-F. Moufflet, « La pratique du registre dans les chancelleries de Louis IX et d’Alph (...)
  • 38 M. Nortier, « Les actes de Philippe Auguste : notes critiques sur les sources diplomatiques du règ (...)

8Il n’y eut tout d’abord pas « une ordonnance de 1254 », mais des ordonnances de 1254-1256. Le processus de rédaction s’étale de décembre 1254 au courant de l’année 1256 et aboutit à plusieurs états, plusieurs traditions du texte de loi. Le mois de décembre 1254 constitue une première phase parisienne de travail particulièrement intense, tour à tour consacrée à la mise en forme et à l’enrichissement progressif des dispositions. L’inachèvement relatif de l’état 1, dépourvu de titulature et d’adresse, de même que les signes évidents de reprises, comme l’ajout de dispositions issues de l’ordonnance de Melun après les clauses de réserve, accréditent non seulement l’hypothèse formulée par Jean-François Moufflet et Gaël Chenard d’un possible enregistrement en temps réel des actes, peut-être systématique dès Louis IX37, de même que celle, controversée, de Michel Nortier, selon laquelle « les actes enregistrés dans les registres de chancellerie pouvaient parfois constituer la minute de l’acte, ou du moins un état préparatoire38 », au vu des améliorations observées par la suite.

  • 39 La traduction en français de l’état 5 est-elle postérieure et exécutée par et pour les gens des Co (...)
  • 40 D’après les itinéraires de Louis IX, RHGF, t. XXI, p. 415.

9Progressivement amendé dans sa teneur et son organisation (états 1 à 6), le texte est également à géographie variable. Initialement rédigé pour la moitié nord du royaume (état 1), il est par un simple jeu de plume étendu à tout le royaume (états 2 et 3) avant d’être véritablement adapté, enrichi et précisé pour les deux sénéchaussées de Carcassonne et de Beaucaire (état 4). Les améliorations générales apportées au texte lors de sa « méridionalisation », comme le rapprochement des différents articles condamnant l’usure juive, sont reprises dans les états 5 et 6 rédigés pour les pays de langue d’oïl respectivement à Paris et en français39 en décembre 1254, puis à Royaumont en latin, autour de la Noël 125440. Les va-et-vient entre le général et le particulier, entre le Nord et le Sud, sont donc, contrairement au récit d’une simple transposition des pays de langue d’oïl vers les pays de langue d’oc, incessants.

  • 41 Ces trois articles, édités dans Ord., t. 1, p. 76 n’ont pas été intégrés dans le tableau car ils o (...)
  • 42 Cf. la dernière version de l’ordonnance, donnée à Paris en 1254 (Ord., t. 1, p. 78 sq.). Le texte (...)
  • 43 Citations extraites de Ord., t. 1, p. 79.
  • 44 Ibid.
  • 45 G. Sivéry, Saint Louis…, p. 539.
  • 46 Entre autres, J. Rossiaud, Amours vénales : la prostitution en Occident xiie-xvie siècle, Paris, 2 (...)
  • 47 En 1235, l’usure est interdite aux juifs normands, puis en 1246 aux juifs languedociens (M. Dejoux(...)
  • 48 C’est la vision de saint Augustin : J. Rossiaud, Amours…, p. 37.
  • 49 M. Dejoux, « Gouvernement… », p. 870. Entre l’expulsion partielle de 1253 et les nouvelles mesures (...)
  • 50 Ibid., p. 869.
  • 51 Ord., t. 1, p. 105 sq. On pourrait rappeler aussi l’ordre d’expulsion des usuriers lombards et cah (...)

10En 1255, l’enrichissement des dispositions touchant le Languedoc se poursuit avec la rédaction séparée de trois articles supplémentaires41, tandis que commence peut-être une dernière phase d’écriture marquée a contrario par une très nette désinflation. Si l’on suit Guillaume de Nangis, en effet, l’ordonnance est remise sur le métier dès 1255 (assurément en 125642) pour être raccourcie (elle passe de trente-deux articles dans l’état 5 à vingt-six articles dans l’état 8), uniformisée (les articles propres au Languedoc disparaissent), voire adoucie par le pouvoir royal. L’article 34, par exemple, ordonnait initialement d’expulser les prostituées hors des villes et des champs, de confisquer leurs biens et d’exiger à ceux qui leur louaient des maisons un an de loyer. L’article 11 de 1256 est beaucoup plus modéré : les « folles femmes et ribaudes » doivent certes être chassées « hors de toutes nos bonnes cités et villes », mais surtout hors des rues « qui sont au cœur des dites bonnes villes » et « mises hors des murs et loin de tous les lieux saints comme églises et cimetières43 ». Quant à la punition des logeurs, elle est identique, mais la précision faite à des « lieux à ce non établis44 » prouve bien qu’il s’agit désormais moins d’interdire la prostitution que de la cantonner « dans des quartiers spéciaux45 », des bordeaux46. De même, si l’ordonnance de décembre 1254 est le point d’orgue d’une interdiction répétée du commerce de l’argent aux juifs entre 1235 et 125347, la disparition totale des dispositions sur celui-ci (et sur les juifs) de la version de 1256 peut laisser penser que, comme la prostitution, il fut alors considéré comme « un moindre mal48 », le roi s’étant rendu aux arguments de ses conseillers, selon lesquels le peuple ne pouvait vivre sans crédit et qu’il valait mieux le confier à des juifs déjà damnés49. Précisons toutefois que ce recul n’empêche pas, au tournant des années 1268-69, dans un contexte de durcissement idéologique lié au second départ à la croisade, une nouvelle captio des biens des juifs50 et l’envoi d’un mandement exigeant aux régents l’expulsion générale des prostituées51.

  • 52 Sur la forme, on pourrait ajouter la disparition de l’adresse universelle, du préambule, la traduc (...)
  • 53 L. Carolus-Barré, « La grande ordonnance… », p. 88. C’est peut-être parce que les articles ajoutés (...)
  • 54 Ibid., p. 88-89.
  • 55 Sur l’intégration de la vita de Guillaume de Nangis aux Grandes Chroniques, cf. I. Guyot-Bachy, J. (...)

11Deux récits très contre-intuitifs de l’écriture de la loi médiévale apparaissent donc ici. Celle-ci n’est tout d’abord pas nécessairement cumulative, mais peut être a contrario déflationniste et, au lieu de monter en généralité et en universalité, aboutir à ce qui ressemble, en 1256, plus à un règlement adressé aux officiers locaux qu’à de « généraux estatus ». Les dispositions contre le blasphème, la prostitution, les jeux et la taverne ne servent plus, comme en 1254, de conclusion, mais remontent dans le corps du texte pour être solidement arrimées aux règles de bonne conduite édictées pour les officiers et au détail de leurs missions52. Autre surprise, une version de la loi ne chasse pas l’autre. Bien au contraire, les versions s’accumulent, se superposent, voire vivent chacune leur vie propre. Gui Foucois ne présente-t-il pas en 1255 à l’assemblée des barons, des prélats et des chevaliers de Béziers l’état 2 de l’ordonnance53, alors même que l’état 4, lui aussi rédigé en décembre 1254, est plus précis pour les terres languedociennes ? L’état 3 n’est-il pas encore vidimé en 1315 et en 134054, et avec lui les directives très dures contre les prostituées et les usuriers juifs ? Les deux derniers états, plus conciliants, n’ont-ils pas connu au final une plus grande postérité par leur transmission, via Guillaume de Nangis, aux Grandes Chroniques55 et à Jean de Joinville ? On glisse ici vers une autre question, celle de la transmission et de la conservation des ordonnances de 1254-1256.

Enregistrement, cartularisation, conservation et monumentalisation des ordonnances de 1254-1256

  • 56 Paris, AN, J 427 n° 11.2. L’absence de conservation d’expéditions scellées des ordonnances de 1254 (...)
  • 57 L’enregistrement décrit la pratique qui consiste à copier dans des registres des documents au fur (...)
  • 58 Paris, AN, JJ 30A, f. 209-210v ; AN, JJ 30B, f. 69v-71r ; et un registre de Louis IX non identifié (...)
  • 59 Date de l’ordonnance de fondation de Vivier-en-Brie ; des « maîtres des comptes » apparaissent néa (...)
  • 60 Si l’ordonnance dans sa version de 1254 ouvre le registre Pater, le registre Noster2 la place aprè (...)
  • 61 Cf. les vidimus envoyés en décembre 1315 à l’évêque de Clermont (Clermont-Ferrand, AD Puy-de-Dôme, (...)
  • 62 Sur le repli, on lit « Facta est collatio cum registro per clericum domini P. de Stampis et per me (...)
  • 63 L. Carolus-Barré, « La grande… », p. 88-89. Il fait erreur quand il rapproche en revanche le docum (...)
  • 64 O. Guyotjeannin, Y. Potin, « La fabrique de la perpétuité. Le Trésor des chartes et les archives d (...)

12Aucune expédition par la chancellerie royale de ce monument normatif n’est conservée, ce qui n’a rien d’exceptionnel : pour le règne de Louis IX, l’ordonnance de Melun fait au contraire figure d’unicum en ce qu’on en conserve un original scellé56. Les ordonnances de 1254-1256 ont en revanche été dûment enregistrées, ou du moins cartularisées, par les institutions royales57. Entre 1254 et la fin du xiiie siècle, trois registres de chancellerie au moins en ont accueilli la transcription58, puis autour de 1320, dans le contexte de « création59 » de la Chambre des Comptes, plusieurs de ses gens, en quête d’actes fondateurs pour leur toute jeune institution, les ont à nouveau copiées. À l’instar de Jean Mignon, ces derniers transcrivirent davantage dans leurs Libri Memoriales la version de 1256,60 qui ne fut a contrario pas recopiée par la chancellerie dans ses registres. En 1315, dans un contexte de pacification après les ligues, c’est encore la version de décembre 1254 qui est envoyée par Louis X à la demande d’au moins deux évêques du royaume61. Le vidimus alors dressé pour l’évêque de Clermont contient une mention hors teneur intéressante, puisqu’elle indique que Jean du Temple, notaire de la chancellerie, le réalise avec Pierre d’Étampes, alors garde du Trésor des Chartes, à partir d’un registre de Louis IX non identifié62. En 1340, c’est cette fois au tour de la Chambre des Comptes d’expédier une copie du même état de l’ordonnance, vidimée par le notaire de la sénéchaussée de Carcassonne63. « Fabrique de perpétuité », le Trésor des Chartes ne fut en effet jamais le principal lieu de conservation de la législation royale, et subit en la matière la concurrence de la Chambre des Comptes au cours du xive siècle64.

  • 65 Laon, AD Aisne, G1850, f. 1 à 3. En mars 1257, le même évêque est sommé dans un mandement de faire (...)
  • 66 A. Rigaudière, « Un grand moment… », p. 359-360.
  • 67 B. Guenée, « Documents insérés et documents abrégés dans la Chronique du religieux de Saint-Denis (...)

13La conservation des dispositions normatives est généralement assurée par ceux auxquels elles ont été envoyées, traditionnellement les officiers royaux. Ce n’est pas le cas ici, mais elles furent en revanche adressées à l’évêque de Laon qui, sur les pages de garde du cartulaire de son chapitre, livre une version de l’ordonnance donnée à Royaumont en décembre 125465. La loi fut peut-être aussi envoyée à l’abbaye royale de Saint-Denis, pour que, comme plus tard la lex vel constitutio de 1374, les moines « la mettent et gardent en leur trésor66 ». Ce dépôt officiel expliquerait que Guillaume de Nangis, garde des chartes de Saint-Denis de 1289 à 1299, puisse copier dans sa Vie de saint Louis une version intermédiaire du texte, datée selon lui de 1255, dûment dressée en latin et dotée d’un préambule et de clauses finales, contrairement au dernier état conservé en français dans les registres de la Chambre des Comptes. Le dépôt d’une copie à Saint-Denis, sanctuaire mémoriel de la royauté capétienne, témoigne de la part du pouvoir royal d’une volonté d’exemplarisation d’une loi jugée importante. Est-elle entrée dans les archives de l’abbaye en tant que preuve à verser au dossier de la canonisation du monarque lors de l’enquête qui s’y est déroulée entre 1282 et 1283 ? Impossible à prouver, mais par cette transcription in extenso dans sa vita, Guillaume de Nangis en consacre le caractère exceptionnel, la copie d’actes dans les chroniques dionysiennes étant extrêmement rare avant Michel Pintoin et les années 140067. L’ordonnance fut enfin pour partie reprise par la non moins célèbre ordonnance de réforme de 1303.

La loi, la requête et l’enquête : retour aux sources des ordonnances de 1254-1256

  • 68 J. Richard, Saint Louis, roi d’une France féodale, soutien de la Terre Sainte, Paris, 1993, p. 278
  • 69 C. Gauvard, « Ordonnance de réforme… », p. 94. L’ordonnance de 1303 est ainsi précédée d’une tourn (...)

14La grande ordonnance de Louis IX est considérée comme « la première des ordonnances réformatrices qui devaient se succéder, siècle après siècle, sous ses successeurs directs comme sous les Valois et les Bourbons68 ». Or le cycle décisionnel aboutissant à la promulgation des ordonnances de réforme a été mis en lumière par Claude Gauvard : face à une requête plus ou moins formalisée, pouvant s’exprimer par la voix de la rumor, le roi dépêche des enquêteurs-réformateurs dans le royaume, puis il promulgue une loi69. Se dessine ainsi une séquence politique cohérente – requête-enquête-ordonnance – que C. Gauvard eut toutefois la prudence de faire commencer avec l’ordonnance de 1303. Est-elle déjà d’actualité en 1254 ?

  • 70 Entre autres, L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 90.
  • 71 Ibid., p. 186.
  • 72 Ibid., p. 91.
  • 73 Ibid.
  • 74 M. Dejoux, Les Enquêtes…, p. 38-64.
  • 75 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers. Arrêts de son Parlemen (...)
  • 76 Y. Potin, « Archiver l’enquête ? Avatars archivistiques d’un monument historiographique : les enqu (...)
  • 77 C. Gauvard, « Introduction », dans S. Menegaldo, B. Ribémont éd., Le Roi fontaine de justice. Pouv (...)

15L’historiographie considère tout à la fois Louis IX comme « l’inspirateur de la Grande Ordonnance70 » – qui agirait ainsi proprio motu – et celle-ci « comme l’aboutissement logique et direct des enquêtes royales instituées […] en 124771 ». Mieux, la « vaste documentation constituée de la sorte et rassemblée à Paris72 » permit de faire « apparaître, sous les yeux du roi et de ses conseillers », des « irrégularités, abus, méfaits de toute sorte, dévoilés au cours de cet immense travail73», et de légiférer en toute connaissance de cause. L’analyse codicologique et archivistique de ladite documentation invalide pourtant cette thèse74 : on ne garde nul rapport synthétique comme dans les archives alphonsines75, mais de modestes pièces intermédiaires de l’instruction, des milliers de plaintes jamais mises au net ou cartularisées. Produits pour et par les enquêteurs, ces documents de travail restèrent d’ailleurs sur place ou dans leurs papiers personnels et ne s’échouèrent dans le chartrier royal que par hasard, après la mort du roi et jusqu’au xixe siècle76. Faire des griefs recensés en 1247 une base rédactionnelle de l’ordonnance de 1254 revient donc à souscrire à un mythe politique encore d’actualité, selon lequel la loi tiendrait compte des consultations populaires. C. Gauvard invite ainsi à ne pas se laisser abuser par la rhétorique royale qui présente l’ordonnance de réforme comme le résultat d’une enquête, alors qu’elle est prise le plus souvent à la demande de groupes sociaux particuliers ou sous l’effet de la clameur77.

  • 78 M. Dejoux, « Une main tendue vers le Midi ? Louis IX et le Languedoc en ses enquêtes de réparation (...)

16Dans ce cas précis, la séquence politique unissant l’enquête et l’ordonnance est au demeurant passablement contrariée : pas moins de six années d’absence séparent des enquêtes de 1247 les dispositions édictées entre 1254 et 1256. Ni motif ou support d’écriture de l’ordonnance, l’enquête intervient ici autrement, en en renforçant la légitimité et la promulgation. Dès novembre 1254, Louis IX charge en effet une commission de procéder à ses restitutions personnelles dans la sénéchaussée de Beaucaire, les officiers royaux n’étant alors plus directement concernés par les investigations comme en 124778. Confier au même homme, Gui Foucois, ces nouvelles enquêtes et la lecture de l’ordonnance de décembre 1254 devant l’assemblée des barons, des prélats et des chevaliers de Béziers en 1255 dut en renforcer significativement la portée et la résonnance : le roi exigeait de lui l’éthique qu’il attendait de ses officiers. Peut-être le souvenir des enquêtes de 1247 fut il même convoqué par le clerc du roi ?

  • 79 Ibid.
  • 80 On y lit la formule « visis peticionibus et discussis » (GL, t. VIII, col. 1337-1345).
  • 81 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 185.
  • 82 Ibid., p. 186.
  • 83 M. Dejoux, « Gouvernement… », p. 867.
  • 84 Matthieu Paris, Chronica Majora, éd. H. R. Luard, t. V, Londres, 1880, p. 361-62. W.-C. Jordan voi (...)

17Plus que le résultat d’une pratique de terrain, les ordonnances de 1254-1256 sont donc avant tout le produit d’autres dispositifs législatifs. Le préambule de l’ordonnance et, mieux encore, l’examen de sa teneur, dévoilent clairement l’influence du droit romain : des emprunts au Digeste et au code Justinien sont ainsi décelables79. L. Carolus-Barré cite aussi à raison deux mandements royaux datés de Saint-Gilles (fin juillet 1254) et de Nîmes (début août 1254), pris à la demande des habitants de Beaucaire et de Carcassonne : est-ce là la requête initiale80 ? Ces dispositions donnent lieu aux articles spécifiquement ajoutés à la version méridionale du texte81. Ceux sur les juifs sont reproduits de l’ordonnance de Melun « dont certains passages sont textuellement reproduits82 » et de la controverse sur le Talmud. Sur l’usure juive, l’ordonnance s’inspire des dispositions de 1235 et de 1246 interdisant aux juifs normands et languedociens le commerce de l’argent83, et peut-être d’un mandement envoyé de la Terre sainte en 1253, exigeant à nouveau des juifs qu’ils se convertissent en sujets productifs et ordonnant l’expulsion des usuriers84.

  • 85 Par exemple, pour l’Espagne, P. Fernandez-Viagas Escudero, « De los alcahuetes. Un estudio interdi (...)
  • 86 J. Rossiaud, Amours …, p. 41.
  • 87 J.-M. Mehl, Des jeux et des hommes dans la société médiévale, Paris, 2010, p. 344.
  • 88 Id., Les Jeux au royaume de France du xiiie au début du xvie siècle, Paris, 1990, p. 340. D’après (...)
  • 89 C. Leveleux-Teixeira, La Parole interdite. Le blasphème dans la France médiévale (xiiie-xvie siècl (...)
  • 90 Ibid.
  • 91 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes…, n° 5 p. 59-62. L. Carolus-Barré a trop vite écarté ce docume (...)

18Mais d’où viennent les articles de moralisation des officiers et du royaume ? L’interdiction de la prostitution, du jeu ou de la taverne est, pour le royaume de France, une première85. Certes, Robert de Courson, nouveau légat du pape, avait ordonné d’excommunier et d’expulser en 1213 les meretrices de Paris, mais la mesure est considérée comme « une aberration demeurée théorique et surtout singulière86 ». De même, au nom des atteintes à l’ordre public possiblement engendrées, s’adonner à la boisson et au jeu exposait le clerc à perdre sa charge et le laïc à l’excommunication depuis la synthèse de Gratien de 114087, mais ce sont bien les dispositions de 1254-1256 qui ouvrent la voie à la douzaine d’ordonnances royales sur le jeu édictées jusqu’en 153788. En matière de blasphème, Louis IX suit en revanche le chemin de Philippe Auguste, qui édicta en 1182 per totum regnum la première ordonnance royale (malheureusement perdue) le réprimant89. D’après Rigord, quiconque blasphèmerait le cœur, la tête ou quelque autre membre de Dieu devrait vingt sous aux pauvres ou serait jeté dans un fleuve90. Si Louis IX n’assortit son interdiction d’aucune peine et la limite à ses seuls officiers, il l’élargit en revanche à toute parole « qui tourne au mépris de Dieu, de Notre Dame et de tous les saints ». Quant au code de bonne conduite des officiers, il se calque sur un règlement édicté par son frère Alphonse en juillet 1251 et adressé aux bailes, juges et sénéchaux du comté de Toulouse91. Les ordonnances de décembre 1254 empruntent la teneur et parfois une partie de la formulation à quatorze de ses articles.

Ordonnance alphonsine de juillet 1251, 36 articles Ordonnance de décembre 1254, état 4 (édition de Laurière), 38 articles Thèmes abordés
§ 1 § 2 Serment
§ 2 § 4 Dons et présents
§ 4 § 23 Amendes
§ 5 § 31 Obligation de répondre de leurs actes après la fin de leur office
§ 6 § 17-18 Personnel des baillis et sénéchaux
§ 7 § 31 Obligation de répondre de leurs actes après la fin de leur office
§ 18 § 2 Sources du droit
§ 24 § 22 Torture
§ 25 § 20 Détention carcérale
§ 31 § 24 Vente des offices
§ 32 § 25 Audiences et assises
§ 33 § 26 Chevauchées
§ 34 § 33 Dettes juives
§ 35 § 33 Usures juives
  • 92 Ibid., p. 59, et Layettes, t. V, n° 572, 573 et 579, p. 194 et 196.
  • 93 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes…, n° 7 p. 64-67, n° 8 p. 67-68, n° 9 p. 69-71.
  • 94 Par exemple, « Cum in Agennensi et Caturcensi diocesibus prêter querimonias singularium personarum (...)
  • 95 G. Chenard, L’Administration d’Alphonse de Poitiers (1241-1271), Paris, 2018.

19Ce règlement pris lors du voyage d’Alphonse dans le comté de Toulouse, de mai à juillet 1251, fut l’occasion pour lui d’affermer plusieurs baillies92, d’où l’insistance sur le serment que doivent alors prêter les officiers. Contrairement aux ordonnances « de réforme » délivrées en 1253 pour l’Agenais, le Quercy et le Toulousain93, qui se présentent comme la suite directe des plaintes reçues lors des enquêtes conduites par leurs rédacteurs94, la tonalité du règlement de 1251 est, comme celle de l’ordonnance royale, très générale. On note un autre point commun : l’emprunt que font les deux textes à l’ordonnance de Melun de 1230. De tels échos entre les administrations royales et alphonsines ne doivent pas surprendre. Si la relation des deux frères fut sans doute moins irénique qu’on le pensait jadis95, les administrations d’Alphonse de Poitiers et de Louis IX eurent toutefois en partage un même patrimoine politique, culturel et législatif, défendu parfois, comme ici, par les mêmes hommes.

  • 96 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p 184.
  • 97 A. Beugnot, Les Olim, ou registres des arrêts rendus par la Cour du Roi, Paris, 1839-1848, t. 1, I (...)
  • 98 Y. Dossat, « Guy Foucois, enquêteur-réformateur, archevêque et pape (Clément IV) », dans Les Évêqu (...)
  • 99 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 185.

20Parmi les possibles rédacteurs de l’ordonnance royale, L. Carolus-Barré retient deux noms : Jean de Maisons et Gui Foucois. Le premier, chevalier et bailli de Normandie de 1235 à 1246, accompagne Louis IX à la croisade et en revient avec Alphonse qui en fait son enquêteur ; il siège au conseil royal à partir de 125596 et enquête à deux reprises pour le parlement en 126197. En 1254, le personnage a donc non seulement derrière lui une longue pratique de l’administration royale, mais aussi une connaissance des excès des officiers comtaux. Gui Foucois, après avoir sans doute participé à l’élaboration du règlement toulousain de 1251, mené en 1253 les enquêtes de réparation d’Alphonse et rédigé plusieurs ordonnances alphonsines aux côtés de Jean des Maisons, est quant à lui choisi par Louis IX pour mener ses restitutions à partir de 125498. Clerc du roi, il participe à la rédaction des deux textes législatifs au bénéfice des habitants de Beaucaire et de Nîmes, intégrés ensuite dans la grande ordonnance dont il transmet le texte aux États de Languedoc à l’Ascension 125599.

Ordonnance de « réforme » ou « croisade intérieure contre les inconstants100 » ?

  • 100 C. Leveleux-Teixeira, La Parole…, p. 305.
  • 101 J. Le Goff, Saint Louis…, p. 216.
  • 102 P. Contamine, « Le vocabulaire politique en France à la fin du Moyen Âge : l’idée de réformation » (...)
  • 103 R. Cazelles, « Une exigence… », p. 91-92.

21La relation entre Gui Foucois et les lois de 1254-1256 est étroite au point que l’on peut peut-être y identifier une signature du jurisperitus : l’utilisation du lemme reformare qui passe à cette date avec la rapidité d’une comète dans le ciel du vocabulaire capétien. Si l’on a coutume de désigner le règlement de 1254 comme une ordonnance de « réforme » et, partant, de faire de Louis IX le « réformateur du royaume101 », c’est parce qu’il déclare en toutes lettres l’édicter « ad statum regni reformandum in melius ». Dans son article sur le vocabulaire politique de la réformation, Philippe Contamine reconnaissait néanmoins que, malgré ce célèbre emploi, « le terme de réforme (était alors) encore rarement employé dans la sphère du politique102 ». De même, Raymond Cazelles faisait remarquer que les ordonnances de Philippe III ne se référaient pas expressément à l’idée de réformation103.

  • 104 O. Canteaut, « Le juge… ».
  • 105 « […] reformationem regis et regni, correctionem preteritorum excessuum, et bonum regimen regni vi (...)
  • 106 « […] ad conservationem libertatis antique, honorum, et status regni predicti, ac incolarum ipsius (...)
  • 107 O. Canteaut, « Le juge… », p. 273.

22C’est au vif contentieux qui opposa le pape à Philippe le Bel que l’on doit l’adoption définitive de cette notion dans le champ politique capétien104. À Boniface VIII qui le menaçait dans la bulle Ausculta fili du 5 décembre 1301, d’entreprendre « la réformation du roi et du royaume105 », le monarque se proclama en retour, lors de la grande assemblée du 10 avril 1302, seul et unique défenseur de « la réformation du royaume et de l’Église gallicane106 ». Il envoyait en outre dès la fin de l’année des enquêteurs chargés « de corriger ou de réformer tout ce qu’ils jugeraient nécessaire de réformer ou corriger107 » et édictait l’ordonnance de mars 1303 « pro reformatione regni nostri », faisant de ce terme l’un des mots d’ordre du pouvoir royal (mais aussi de ses détracteurs) jusqu’à la fin du Moyen Âge.

  • 108 M. Dejoux, Les Enquêtes…, p. 348-370.
  • 109 HGL, t. VIII, n° 443, col. 1337. Dans le préambule, on trouve aussi la formule in statum reduximus (...)
  • 110 Ord., t. 1, p. 76.
  • 111 O. Canteaut, « Le juge… », n. 13 p. 273.
  • 112 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes…, n° 7 p. 64.
  • 113 Layettes, t. III, n° 4174.

23Les enquêteurs de Louis IX ne furent pour leur part jamais désignés comme des réformateurs, mais comme des « fratres in negocio restitutionum et emendacionum ». Pénitentiel, l’idéal présidant ces enquêtes était, conformément à la théorie ecclésiale de restitution des male ablata, la réparation financière des biens mal acquis par le roi et ses officiers108. L’usage du vocabulaire réformateur stricto sensu paraît dès lors se limiter à sa pratique législative et à trois occurrences : le mandement de juillet 1254 en faveur des habitants de Beaucaire et de Nîmes, pris « hoc igitur in melius reformantes109 », l’ordonnance de décembre 1254 et ses diverses versions et, enfin, l’ajout à celles-ci de trois articles pour le Languedoc en février 1255 (n. st.) ad reformandum statum terrae nostrae110. « Après cette date, la notion de réforme n’est plus évoquée dans les domaines d’Alphonse de Poitiers111 » non plus, alors que le 6 mars 1253 une ordonnance avait été prise pour l’Agenais « ad […] ea que reformanda viderimus reformandum112 », que deux l’avaient été dans la foulée pour le Quercy et le Toulousain « pro honore domini comitis reformanda », et que l’équipe envoyée en 1255 en Toulousain se disait chargée de réformer en mieux et selon la commune utilité le statut des terres (« statum terre ad communem utilitatem in melius reformare113 »). Hormis ce dernier document, tous ceux précédemment cités, royaux ou comtaux, ont un point commun : Gui Foucois et la courte, mais intense activité législative menée au profit des Capétiens. S’il enquête encore pour eux jusque dans le courant de l’année 1257, il est ensuite happé par de plus hautes fonctions, d’abord épiscopales au Puy, à Narbonne, cardinales en Sabine, puis pontificales de février 1265 à sa mort.

  • 114 G. Ladner, The Idea of Reform. Its Impact on Christian Thought and Action in the Age of the Father (...)
  • 115 Paris, BnF, Latin 9998, f. 106v.
  • 116 L’ordonnance de 1254 n’est-elle d’ailleurs pas vidimée avec l’ordonnance Cupientes de 1229 dans le (...)
  • 117 L’amélioration des juifs, c’est-à-dire leur conversion en sujets productifs, est bien documentée : (...)
  • 118 G. Chenard, « Les enquêtes administratives dans les domaines d’Alphonse de Poitiers », dans T. Péc (...)

24Gui Foucois n’est pas pour autant l’inventeur de la formule reformare in melius que l’on trouve déjà chez Tertullien114 ; il l’emprunte peut-être à la législation raymondine, Raymond VII de Toulouse prenant en 1233 une ordonnance contre les Albigeois « ad bonum statum totius terrae conservandum et in melius reformandum115 ». Fortuit, le rapprochement entre les ordonnances de 1254-1256 et la répression des hérétiques116 en dit pourtant long sur le sens que prenait l’expression pour les princes du xiiie siècle. Si Raymond VII, Alphonse de Poitiers et Louis IX déclarent vouloir réformer en mieux l’état de leurs terres ou de leur royaume, l’entreprise d’amélioration concerne avant tout des hommes et des femmes. Hérétiques, juifs117, usuriers, blasphémateurs, joueurs, prostituées ou encore officiers y sont solennellement enjoints de cesser leurs péchés. On retrouve ici la définition originelle de la reformatio, une re-formation des individus à l’image du Christ. Dans les ordonnances de 1254-1256, plus encore que dans les ordonnances alphonsines, l’amendement des officiers est dès lors avant tout moral. Dans ses ordonnances de « réforme », Alphonse se souciait par exemple peu d’interdire à ses officiers le mariage avec des filles du coin, la « fornication », le jeu ou la taverne, comme dans ses enquêtes générales il entendait restituer ses biens mal acquis, mais aussi recenser les usurpations au domaine comtal118.

  • 119 Ord., t. I, p. 357.
  • 120 Le serment constitue les articles 38 à 55 de l’ordonnance de 1303 (Ord., t. 1, p. 364 sq.). L’inte (...)
  • 121 J. Barrow, « Ideas and applications of reform », dans The Cambridge History of Christianity, Cambr (...)
  • 122 Cf. les articles 12 à 37 de l’ordonnance de 1303 (Ord., t. 1, p. 359 sq).
  • 123 Par exemple l’article 18 les menace de révocation, les articles 21 et 23 s’achèvent par le verbe p (...)
  • 124 D’ailleurs, ce n’est que pour avoir violé ce serment que les ordonnances de 1254-1256 menacent les (...)

25L’adverbe in melius disparait ensuite des ordonnances de réformation des successeurs de Louis IX qui donnèrent un sens résolument conservateur au verbe reformare, en situant en outre l’âge d’or auquel il fallait revenir aux « temporibus felicis recordationis Beati Ludovici avi nostri119 ». Autre signe des temps, la dimension morale des ordonnances ludoviciennes est dès 1303 cantonnée à la reprise finale du serment que le saint roi demandait à ses officiers de prêter120. La teneur des autres articles laisse d’ailleurs penser que la reformatio regni est moins une purgation individuelle qu’un changement organisationnel et institutionnel, héritier de la reformatio ecclesiae promue par la papauté à partir de Latran IV121. Elle correspond davantage à ce que nous entendons par « réforme de l’administration » : une clarification de l’organigramme, des compétences, du nombre des fonctionnaires, etc.122. Enfin, en arrimant solidement au lemme reformare, le verbe corrigere, les derniers Capétiens lui ont donné une tonalité répressive : à plusieurs reprises dans l’ordonnance de 1303 les officiers sont menacés de sanction123. Le respect des ordonnances de 1254-1256 reposait quant à lui moins sur la peine que sur le serment qui les ouvre et occupe les onze premiers articles124.

  • 125 Ord., t. I, article 11, p. 70.
  • 126 C. Gauvard, « Ordonnance de réforme… », p. 89.
  • 127 Par exemple, M. Pacaut, Les Structures politiques de l’Occident médiéval, Paris, 1969, p. 229-230  (...)
  • 128 C. Amalvi, Les Héros des Français. Controverses autour de la mémoire nationale, Paris, 2011, p. 22 (...)

26Proclamé à chaque prise de fonction « dans les assises, quand même il aurait été fait avant devant le roi125 », ce serment fut, on l’a dit, réinscrit dans l’ordonnance de 1303, republiée une trentaine de fois jusqu’en 1413126, assurant aux onze articles ludoviciens une promulgation démultipliée. La postérité mémorielle de l’ensemble des dispositions fut assurée autrement : de la vita hagiographique de Guillaume de Nangis aux Grandes Chroniques, de l’Histoire de Jean de Joinville aux manuels de premier cycle actuels127, en passant par la diffusion des mémoires du sénéchal à la jeunesse française par des maisons confessionnelles sous la Restauration128. Un monument était né : on en connaît désormais mieux la construction.

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Notes

1 L. Carolus-Barré, « La Grande Ordonnance de 1254 sur la réforme de l’administration et la police du royaume », dans Septième centenaire de la mort de Saint Louis, Paris, 1976, p. 85-96 (p. 85).

2 J. Le Goff, Saint Louis, Paris, 2000, p. 216.

3 Recueil des historiens des Gaules et de la France (ci-après RHGF), Paris, t. XX, 1840, p. 392-398.

4 Jean de Joinville, Histoire de saint Louis, éd. N. de Wailly, Paris, 1864, p. 382 sq.

5 RHGF, t. XX, p. 393.

6 Jean de Joinville, Histoire…, p. 382. Il se sert du premier état traductif de la vita de Guillaume de Nangis, réalisé avant 1309 (A. Brix, Itinéraires et séjours des rois d’encre. Histoire médiévale de la fortune littéraire des Grandes Chroniques de France, xiiie-xvie s., mémoire inédit de doctorat, dir. P. Bertrand, Université catholique de Louvain, 2018, p. 126).

7 Jean de Joinville, Histoire…, p. 382.

8 Titre donné par L. Carolus-Barré à son article, « La Grande Ordonnance de 1254 sur la réforme de l’administration… ».

9 Pour reprendre le titre de l’ouvrage consacré à la question pour le royaume Plantagenêt par F. Lachaud, L’Éthique du pouvoir au Moyen Âge. L’office dans la culture politique (Angleterre, vers 1150-vers 1330), Paris, 2010.

10 A. Rigaudière, A. Gouron éd., Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, Montpellier/Perpignan, 1988.

11 Notamment : S. Petit-Renaud, « Faire loy » au royaume de France, de Philippe VI à Charles V (1328-1380), Paris, 2001 ; A. Rigaudière, A. Gouron, Renaissance… ; J. Krynen, A. Rigaudière éd., Droits savants et pratiques françaises du pouvoir (xie-xve siècles), Bordeaux, 1992 ; A. Padoa-Schioppa éd., Justice et législation. Les origines de l’État moderne en Europe, xiiie-xviiie siècles, Paris, 2000.

12 Entre autres : J. Krynen, « “De nostre certaine science…”. Remarques sur l’absolutisme législatif de la monarchie française », dans Renaissance…, p. 131-144 ; R. Cazelles, « Une exigence de l’opinion depuis Saint Louis : la réformation du royaume », Annuaire-bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1962-1963-1964, p. 91-99 ; C. Gauvard, « Ordonnance de réforme et pouvoir législatif en France au xive siècle », dans Renaissance…, p. 89-98 ; Ead., « Le roi de France et l’opinion publique à l’époque de Charles VI », dans Culture et idéologie dans la genèse de l’État moderne, Rome, p. 352-366 ; etc.

13 J. Le Goff, Saint Louis…, p. 220.

14 Comme l’ordonnance de 1254, ces enquêtes sont coutumièrement désignées comme les « grandes » enquêtes de Louis IX.

15 Le corpus documentaire a été rassemblé et édité par L. Delisle dans le tome XXIV du RHGF, « Les enquêtes administratives du règne de Saint Louis et la chronique de l’anonyme de Béthune », Paris, 1904. Pour une étude synthétique de ces dernières, M. Dejoux, Les Enquêtes de Saint Louis, gouverner et sauver son âme, Paris, 2014.

16 Pour reprendre le titre du célèbre article de R. Cazelles, « Une exigence de l’opinion… ».

17 G. Sivéry, Saint Louis : le roi Louis IX, Paris, 1983, p. 161.

18 M. Dejoux, Les Enquêtes…

19 Cf. supra.

20 On pense notamment aux travaux novateurs sur l’ordonnance de 1374 (A. Rigaudière, « La lex vel constitutio d’août 1374, “première loi constitutionnelle de la monarchie française” », dans Un Moyen Âge pour aujourd’hui, Paris, 2010, p. 169-188 ; Id., « Un grand moment pour l’histoire du droit constitutionnel français : 1374-1409 », Journal des Savants, juillet-décembre 2012, p. 281-370 ; B. Grévin, La Première loi du royaume. L’acte de fixation de la majorité des rois de France (1374), à paraître) ; aux journées d’étude de 2013 et 2014 Diffuser, recevoir, conserver la loi (xive-xviiie siècle), sous la direction d’O. Mattéoni, P. Arabeyre et P. Bonin ; aux travaux de « génétique textuelle » des documents normatifs de F. Foronda, « Généalogie de l’implicite. La loi-pacte de 1442 ou la contre-filiation du contrato callado (1469) ? », dans J.-P. Genet éd., Généalogie de l’implicite, Paris, 2015, p. 269-319, Id., El espanto y el miedo : golpismo, emociones politiquas y constitutionalismo en la Edad Media, Madrid, 2013, p. 176 sq. ; au Magna Carta Project de 2015 ; au programme coordonné par D. Lett sur les statuts communaux : D. Lett éd., La Confection des statuts dans les sociétés méditerranéennes de l’Occident (xiie-xve), Paris, 2017 ; etc.

21 Pour reprendre la formule de l’introduction d’O. Mattéoni au volume Diffuser, recevoir, conserver la loi (xive-xviiie siècle), à paraître, et qu’il a eu l’extrême gentillesse de me communiquer.

22 S. Petit-Renaud, « Faire loy »…, p. 439.

23 Ibid.

24 Ibid.

25 RHGF, t. XX, p. 393.

26 Jean de Joinville, Histoire…, p. 382.

27 Ordonnances des roys de France de la troisième race, recueillies par ordre chronologique, éd. E. de Laurière, D.-F. Secousse, Paris, 1723, t. 1, p. 67 (ci-après Ord., t. 1).

28 Ibid., p. 78.

29 S. Petit-Renaud, « Faire loy »…, p. 443.

30 Selon la définition d’A. Rigaudière dans « Loi et État dans la France du bas Moyen Âge », dans L’État moderne : le droit, l’espace et les formes de l’État, Paris, 1990, p. 33-59 (p. 35).

31 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 90.

32 L. Carolus-Barré mentionne d’ailleurs pour finir l’ajout pour le Languedoc de trois articles distincts en 1255 « sous la forme d’un acte particulier » (« La Grande… », p. 90).

33 Ord., t. 1, p. 78 sq.

34 G. Sivéry, Saint Louis…, p. 45-47.

35 L. Carolus-Barré ne les a pas remarquées car, dans la majorité des artefacts conservés, elles apparaissent à la fin du dispositif.

36 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 86.

37 G. Chenard, J.-F. Moufflet, « La pratique du registre dans les chancelleries de Louis IX et d’Alphonse de Poitiers : regards croisés », dans L’Art médiéval du registre, Paris, 2019, p. 71-96. La seconde partie du registre JJ30A, dont la copie de l’ordonnance est issue, serait un travail préparatoire à l’établissement d’un registre-cartulaire qui ne vit pas le jour, mais qui témoignerait selon eux, d’une œuvre d’enregistrement stricto sensu des actes royaux au fur et à mesure de leur rédaction.

38 M. Nortier, « Les actes de Philippe Auguste : notes critiques sur les sources diplomatiques du règne », dans La France de Philippe Auguste. Le temps des mutations, Paris, 1982, p. 429-453.

39 La traduction en français de l’état 5 est-elle postérieure et exécutée par et pour les gens des Comptes ?

40 D’après les itinéraires de Louis IX, RHGF, t. XXI, p. 415.

41 Ces trois articles, édités dans Ord., t. 1, p. 76 n’ont pas été intégrés dans le tableau car ils ont fait l’objet d’une lettre à part ne reprenant pas les autres articles.

42 Cf. la dernière version de l’ordonnance, donnée à Paris en 1254 (Ord., t. 1, p. 78 sq.). Le texte que recopie Guillaume de Nangis était-il en outre daté de l’année 1255, mais en ancien style ? Impossible de le savoir en absence de conservation de l’original.

43 Citations extraites de Ord., t. 1, p. 79.

44 Ibid.

45 G. Sivéry, Saint Louis…, p. 539.

46 Entre autres, J. Rossiaud, Amours vénales : la prostitution en Occident xiie-xvie siècle, Paris, 2010, p. 42.

47 En 1235, l’usure est interdite aux juifs normands, puis en 1246 aux juifs languedociens (M. Dejoux, « Gouvernement et pénitence, les enquêtes de réparation des usures juives de Louis IX (1247-1270) », Annales HSS, 69/4 (2014), p. 849-876, ici p. 867-868), tandis qu’en 1253 le roi émettrait depuis la Terre Sainte un mandement d’expulsion des usuriers juifs, sans doute partiellement appliqué (R. Chazan, Medieval Jewry in Northern France. A Political and Social History, Baltimore, 1973, p. 122).

48 C’est la vision de saint Augustin : J. Rossiaud, Amours…, p. 37.

49 M. Dejoux, « Gouvernement… », p. 870. Entre l’expulsion partielle de 1253 et les nouvelles mesures anti-juives des années 1268-69, s’ouvrirait peut-être une période de trêve relative, marquée entre autres par la restitution aux chrétiens des usures juives, aux juifs de leurs cimetières et de leurs synagogues, et par la vente au profit du roi des autres biens spoliés (ibid., p. 861-64).

50 Ibid., p. 869.

51 Ord., t. 1, p. 105 sq. On pourrait rappeler aussi l’ordre d’expulsion des usuriers lombards et cahorsins Ord., t. 1, p. 96.

52 Sur la forme, on pourrait ajouter la disparition de l’adresse universelle, du préambule, la traduction en français, etc.

53 L. Carolus-Barré, « La grande ordonnance… », p. 88. C’est peut-être parce que les articles ajoutés dans l’ordonnance royale proviennent de dispositions d’ores et déjà promulguées en Languedoc à l’été 1254 (Histoire générale de Languedoc [ci-après HGL], t. VIII, col. 1337-1345).

54 Ibid., p. 88-89.

55 Sur l’intégration de la vita de Guillaume de Nangis aux Grandes Chroniques, cf. I. Guyot-Bachy, J.-M. Moeglin, « Comment ont été continuées les Grandes Chroniques de France dans la première moitié du xive siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, 163 (2005), p. 385-433.

56 Paris, AN, J 427 n° 11.2. L’absence de conservation d’expéditions scellées des ordonnances de 1254-1256 ne signifie pas qu’il n’en a pas été produit : Gui Foucois aurait lu en 1255 l’une d’entre elles à la cour de Béziers (Baluze, Concilia Narbonensis, p. 68 ; et cf. infra à Saint-Denis).

57 L’enregistrement décrit la pratique qui consiste à copier dans des registres des documents au fur et à mesure de leur production ou de leur réception. La cartularisation est une campagne de copie des archives du producteur. À part le registre JJ30A, peut-être produit à partir d’un document ayant une logique d’enregistrement, tous les autres registres de chancellerie sont avant tout des « registres-cartulaires ». Les libri memoriales quant à eux sont des recueils composés pour tel ou tel clerc ou maître de la Chambre des Comptes pour son usage personnel. Comme les Olim pour les arrêts du Parlement, ils sont certes à l’origine d’une série régulière consacrée à l’enregistrement des ordonnances, édits et documents émanés de l’autorité royale, mais seulement à partir du xive siècle.

58 Paris, AN, JJ 30A, f. 209-210v ; AN, JJ 30B, f. 69v-71r ; et un registre de Louis IX non identifié, mentionné dans le vidimus de 1315 Clermont-Ferrand, AD Puy-de-Dôme, 1G, liasse 12, pièce 14.

59 Date de l’ordonnance de fondation de Vivier-en-Brie ; des « maîtres des comptes » apparaissent néanmoins dans la documentation royale dès 1256.

60 Si l’ordonnance dans sa version de 1254 ouvre le registre Pater, le registre Noster2 la place après l’ordinatio regia pro utilitate de 1256, qui est seule conservée dans les registres Croix, Qui es et Saint Just2 : J. Petit, Essai… ; Id., « Les premiers journaux de la Chambre des comptes de Paris », Bibliothèque de l’École des chartes, 60 (1899), p. 418-422.

61 Cf. les vidimus envoyés en décembre 1315 à l’évêque de Clermont (Clermont-Ferrand, AD Puy-de-Dôme, 1G, liasse 12, pièce 14) et à l’évêque de Mende (Ord., t. XI, p. 239). Le ms. Paris, BnF, Moreau 222, f. 5, est adressé à ce dernier, mais le document est expédié à Soissons : l’ordonnance fut-elle envoyée à tous les évêques sans que l’adresse soit systématiquement actualisée ? Je remercie O. Canteaut pour cette suggestion.

62 Sur le repli, on lit « Facta est collatio cum registro per clericum domini P. de Stampis et per me ». Sur cette pratique somme toute peu répandue de réalisation d’expéditions à partir des registres de chancellerie, cf. O. Canteaut, « Du bon usage des registres », dans L’Art médiéval..., p. 125-205.

63 L. Carolus-Barré, « La grande… », p. 88-89. Il fait erreur quand il rapproche en revanche le document retranscrit par Baluze et ce vidimus coté Paris, BnF, Colbert 413, n° 862.

64 O. Guyotjeannin, Y. Potin, « La fabrique de la perpétuité. Le Trésor des chartes et les archives du royaume (xiiie-xixe siècle) », Revue de synthèse, 125 (2004), p. 15-44.

65 Laon, AD Aisne, G1850, f. 1 à 3. En mars 1257, le même évêque est sommé dans un mandement de faire observer l’ordonnance des monnaies (Laon, AD Aisne, G1, f. 5v, d’après le catalogue des actes de Louis IX, réalisé par J. F. Moufflet dans le cadre de sa thèse de l’École nationale des chartes, Autour de l’Hôtel de Saint Louis (1226-1270). Le cadre, les hommes, les itinéraires d’un pouvoir, Paris, 2007, p. 208).

66 A. Rigaudière, « Un grand moment… », p. 359-360.

67 B. Guenée, « Documents insérés et documents abrégés dans la Chronique du religieux de Saint-Denis », Bibliothèque de l’École des chartes, 152 (1994), p. 375-428.

68 J. Richard, Saint Louis, roi d’une France féodale, soutien de la Terre Sainte, Paris, 1993, p. 278.

69 C. Gauvard, « Ordonnance de réforme… », p. 94. L’ordonnance de 1303 est ainsi précédée d’une tournée d’enquête générale (O. Canteaut, « Le juge et le financier. Les enquêteurs-réformateurs des derniers capétiens (1314-1328) », dans L’Enquête au Moyen Âge, Rome, 2008, p. 269-318).

70 Entre autres, L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 90.

71 Ibid., p. 186.

72 Ibid., p. 91.

73 Ibid.

74 M. Dejoux, Les Enquêtes…, p. 38-64.

75 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers. Arrêts de son Parlement tenu à Toulouse et textes annexes, 1249-1271, Paris, 1959.

76 Y. Potin, « Archiver l’enquête ? Avatars archivistiques d’un monument historiographique : les enquêtes “administratives” de Louis IX (1247-1248) », dans L’Enquête…, p. 241-267 ; M. Dejoux, Les Enquêtes…, p. 38-48.

77 C. Gauvard, « Introduction », dans S. Menegaldo, B. Ribémont éd., Le Roi fontaine de justice. Pouvoir justicier et pouvoir royal au Moyen Âge et à la Renaissance, Orléans, 2012, p. 7-28 (p. 16).

78 M. Dejoux, « Une main tendue vers le Midi ? Louis IX et le Languedoc en ses enquêtes de réparation », dans B. Moreau, J. Théry-Astruc éd., La Royauté capétienne et le Midi au temps de Guillaume de Nogaret, Nîmes, 2015, p. 81-96.

79 Ibid.

80 On y lit la formule « visis peticionibus et discussis » (GL, t. VIII, col. 1337-1345).

81 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 185.

82 Ibid., p. 186.

83 M. Dejoux, « Gouvernement… », p. 867.

84 Matthieu Paris, Chronica Majora, éd. H. R. Luard, t. V, Londres, 1880, p. 361-62. W.-C. Jordan voit dans ce mandement un « brouillon » d’ordonnance (Louis IX and the challenge of the crusade, Princeton, 1979, p. 154), dont J. Sibon fait trop promptement « un brouillon de l’ordonnance de 1254 » (Saint Louis et les juifs, Paris, 2017, p. 42).

85 Par exemple, pour l’Espagne, P. Fernandez-Viagas Escudero, « De los alcahuetes. Un estudio interdisciplinar del titulo XXII de la Séptima Partida », Cuadernos de historia del derecho, 24 (2017), p. 219-242.

86 J. Rossiaud, Amours …, p. 41.

87 J.-M. Mehl, Des jeux et des hommes dans la société médiévale, Paris, 2010, p. 344.

88 Id., Les Jeux au royaume de France du xiiie au début du xvie siècle, Paris, 1990, p. 340. D’après cet auteur, l’interdiction de fabriquer des dés n’empêche pas l’enregistrement « quelques années après et le plus naturellement du monde du statut des déiciers dans le Livre des métiers » !

89 C. Leveleux-Teixeira, La Parole interdite. Le blasphème dans la France médiévale (xiiie-xvie siècles). Du péché au crime, Paris, 2002, p. 295-296.

90 Ibid.

91 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes…, n° 5 p. 59-62. L. Carolus-Barré a trop vite écarté ce document capital.

92 Ibid., p. 59, et Layettes, t. V, n° 572, 573 et 579, p. 194 et 196.

93 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes…, n° 7 p. 64-67, n° 8 p. 67-68, n° 9 p. 69-71.

94 Par exemple, « Cum in Agennensi et Caturcensi diocesibus prêter querimonias singularium personarum a bonis accepissemus […] » (ibid., p. 69).

95 G. Chenard, L’Administration d’Alphonse de Poitiers (1241-1271), Paris, 2018.

96 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p 184.

97 A. Beugnot, Les Olim, ou registres des arrêts rendus par la Cour du Roi, Paris, 1839-1848, t. 1, IX, p. 141 ; III, p. 145.

98 Y. Dossat, « Guy Foucois, enquêteur-réformateur, archevêque et pape (Clément IV) », dans Les Évêques, les clercs et le roi (1250-1300), Toulouse, 1972 (Les Cahiers de Fanjeaux, 7), p. 23-57.

99 L. Carolus-Barré, « La Grande… », p. 185.

100 C. Leveleux-Teixeira, La Parole…, p. 305.

101 J. Le Goff, Saint Louis…, p. 216.

102 P. Contamine, « Le vocabulaire politique en France à la fin du Moyen Âge : l’idée de réformation », dans J.-P. Genet, B. Vincent éd., État et Église dans la genèse de l’État moderne, Madrid, 1986, p. 145-156 (p. 148).

103 R. Cazelles, « Une exigence… », p. 91-92.

104 O. Canteaut, « Le juge… ».

105 « […] reformationem regis et regni, correctionem preteritorum excessuum, et bonum regimen regni viderimus expedire » (cité dans E.-R. Brown, « Unctus ad executionem justitie : Philippe le Bel, Boniface VIII, et la Grande Ordonnance pour la réforme du royaume (du 18 mars 1303), dans S. Menegaldo, B. Ribémont (éd.), Le Roi fontaine de justice…, p. 152, n. 21).

106 « […] ad conservationem libertatis antique, honorum, et status regni predicti, ac incolarum ipsius, et relevationem gravaminum predictorum, reformationem regni et ecclesie Gallicane » (ibid., p. 152, n. 22).

107 O. Canteaut, « Le juge… », p. 273.

108 M. Dejoux, Les Enquêtes…, p. 348-370.

109 HGL, t. VIII, n° 443, col. 1337. Dans le préambule, on trouve aussi la formule in statum reduximus meliorem.

110 Ord., t. 1, p. 76.

111 O. Canteaut, « Le juge… », n. 13 p. 273.

112 P.-F. Fournier, P. Guébin, Enquêtes…, n° 7 p. 64.

113 Layettes, t. III, n° 4174.

114 G. Ladner, The Idea of Reform. Its Impact on Christian Thought and Action in the Age of the Fathers, Cambridge (Mass.), 1959, p. 47.

115 Paris, BnF, Latin 9998, f. 106v.

116 L’ordonnance de 1254 n’est-elle d’ailleurs pas vidimée avec l’ordonnance Cupientes de 1229 dans le vidimus de 1315 (Clermont-Ferrand, AD Puy-de-Dôme, 1G, liasse 12, pièce 14) ?

117 L’amélioration des juifs, c’est-à-dire leur conversion en sujets productifs, est bien documentée : J. Sibon, Chasser les juifs pour régner, Paris, 2016, p. 80 sq.

118 G. Chenard, « Les enquêtes administratives dans les domaines d’Alphonse de Poitiers », dans T. Pécout éd., Quand gouverner c’est enquêter : les pratiques politiques de l’enquête princière, Occident, xiiie-xive siècles, Paris, 2010, p. 157-168.

119 Ord., t. I, p. 357.

120 Le serment constitue les articles 38 à 55 de l’ordonnance de 1303 (Ord., t. 1, p. 364 sq.). L’interdiction de la prostitution, des jeux et de la taverne disparaît.

121 J. Barrow, « Ideas and applications of reform », dans The Cambridge History of Christianity, Cambridge, 2008, p. 345-362.

122 Cf. les articles 12 à 37 de l’ordonnance de 1303 (Ord., t. 1, p. 359 sq).

123 Par exemple l’article 18 les menace de révocation, les articles 21 et 23 s’achèvent par le verbe punir (ibid.).

124 D’ailleurs, ce n’est que pour avoir violé ce serment que les ordonnances de 1254-1256 menacent les officiers de punition (art. 1).

125 Ord., t. I, article 11, p. 70.

126 C. Gauvard, « Ordonnance de réforme… », p. 89.

127 Par exemple, M. Pacaut, Les Structures politiques de l’Occident médiéval, Paris, 1969, p. 229-230 ; M. Kaplan, Le Moyen Âge xie-xve siècle, Paris, 1994, p. 107 sq.

128 C. Amalvi, Les Héros des Français. Controverses autour de la mémoire nationale, Paris, 2011, p. 229.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie Dejoux, « La fabrique d’une loi »Médiévales, 79 | 2020, 189-208.

Référence électronique

Marie Dejoux, « La fabrique d’une loi »Médiévales [En ligne], 79 | automne 2020, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/11097 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.11097

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Auteur

Marie Dejoux

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (UMR 8589), Membre de l’Institut universitaire de France

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