Navigation – Plan du site

AccueilNuméros77Notes de lectureÉlodie Burle-Errecade, Michèle Ga...

Notes de lecture

Élodie Burle-Errecade, Michèle Gally, Francesca Manzari (dir.), Modernités des troubadours

Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence (« Senefiance », 65), 2018, 194 p.
Jean-François Courouau
p. 181-182

Texte intégral

  • 1 J.-F. Courouau et I. Luciani éd., La Réception des troubadours en Languedoc et en France. xvie-(...)
  • 2 J.-F. Courouau et D. Lacroix éd., La Réception des troubadours en Europe au xixe siècle (à para (...)

1Ce volume bienvenu s’inscrit dans un champ de recherches qui s’est ouvert il y a peu, soit vers le début des années 2010. Des colloques ont été organisés, des volumes d’actes de colloques ou des numéros thématiques de revues ont paru sur la réception des troubadours à diverses époques et dans différents lieux. On s’est intéressé à l’Italie et à la France médiévales, mais aussi à la période moderne, souvent délaissée, et aux auteurs occitans du xxe siècle (René Nelli, Max Rouquette, Jean Boudou...)1. Un volume est en cours de parution sur la réception des troubadours en Europe au xixe siècle2, moment essentiel dans la redécouverte et la réappropriation multiforme des troubadours occitans. Rien n’avait été entrepris pour le xxe siècle au-delà de la seule sphère occitane, et c’est ce vide que comble opportunément le présent ouvrage issu d’un colloque organisé en 2013 par le Centre interdisciplinaire d’étude des littératures d’Aix-Marseille (CIELAM, Aix-Marseille Université).

2La question posée délaisse le champ, familier aux médiévistes, de la philologie, de ses méthodes et de ses avancées, de son approche des textes et de son histoire, pour s’intéresser exclusivement à la multiplicité des formes que prend la réappropriation du corpus troubadouresque chez les créateurs du xxe siècle, que ce soit chez les écrivains ou dans d’autres domaines d’expression artistique. La littérature française occupe une place importante dans ce volume, mais justice est rendue au poète du xxe siècle sans doute le plus fasciné de tous par les troubadours, l’Américain Ezra Pound, dont Jonathan Pollock, exégète de ses Cantos, retrace l’itinéraire poétique dans son rapport complexe aux troubadours. Dans la littérature française, c’est par La Leçon de Ribérac (1941-1942) d’Aragon que les troubadours réinvestissent la poésie, mais c’est probablement Jacques Roubaud qui s’engouffre le plus avant dans la brèche ouverte par le poète surréaliste (Stéphane Bacquey). La fascination pour les formes initiées par les troubadours marque ces poètes, comme Louis Zukofsky ou Raymond Queneau, et on la retrouve dans la fortune exceptionnelle dont bénéficie, au sein de l’Oulipo, le genre de la sextine inventé par Arnaut Daniel, repris par Dante et Pétrarque, renouvelé en français par Queneau. Francesca Pagani en retrace l’itinéraire qui mène aux créations étonnantes de Paul Fournel (La Liseuse, 2012), ou à celles, fondées sur une utilisation de l’image, de la mathématicienne oulipienne Michèle Audin (Mai quai Conti, 2010-2014). Sandrine Bédourret-Larraburu montre comment le genre de la sextine connaît de multiples variations, de la térine à la n-ine régressive narrative de Harry Matthews.

3Une telle faveur pour la création et les formes inventées par les troubadours en ce début de xxie siècle a été préparée par tout un ensemble de découvertes, de réappropriations et d’heureux misreadings. Dans une partie intitulée « Le trobar revisité », on voit Stendhal sélectionner dans le corpus troubadouresque les éléments qui nourrissent son esthétique (Elisabeth Rallo Ditche), et Nietzsche découvrir le gai saber occitan dans des circonstances que retrace Maria Cristina Franco Ferraz. Le fil qui court depuis la fin’amor médiévale est suivi par la comparatiste Camille Dumoulié chez Heinrich von Kleist, Hermann Melville, Joseph Conrad et l’auteur chilien Roberto Bolaño, et dans la littérature irlandaise, de langue gaélique et de langue anglaise, par Cathal de Paor. Il n’est pas sûr, comme l’envisage ce chercheur, que les poèmes gaéliques médiévaux aient pu être influencés par la lyrique occitane, mais ce genre d’hypothèses montre à quel point la question de l’origine et de la circulation des modèles demeure, dans bien des cas, pendante et suscite les rapprochements les plus risqués.

4Plusieurs contributions sont consacrées à la question des transferts comment la littérature occitane médiévale traverse les frontières nationales et linguistiques. Inês Oseki-Depré nous fait découvrir l’œuvre du poète brésilien Augusto de Campos, fondateur du mouvement concrétiste, traducteur d’Arnaut Daniel, anthologiste (Mais provençais, 1987). Avec son frère Haroldo de Campos, auquel s’intéresse également Ana Lúcia Machado de Oliveira, cet auteur a fondé en 1952 la revue littéraire Noigandres, dont le nom est inspiré du Canto XX d’Ezra Pound dans lequel le poète américain fait référence à Arnaut Daniel. Plus près de nous, Luminița Diaconu fait le tour des travaux et des écrits consacrés aux troubadours, depuis le xixe siècle et jusqu’à nos jours, en Roumanie, pays qui a longtemps contribué à la vitalité des études romanes et occitanes, tandis qu’Anna Loba livre un panorama complet des traductions des œuvres des troubadours en Pologne, autre grand pays où la tradition romanistique est riche et, espérons-le, vivante.

5L’intérêt du volume est de ne pas se limiter aux créations littéraires. L’art des troubadours est aussi musical. Plusieurs contributions portent sur cette question. Jean-Marie Jacono, musicologue spécialiste du rap, connaisseur des groupes marseillais, rend compte de la vitalité de la création musicale contemporaine à travers le groupe toulousain Fabulous troubadours. Son travail fait écho à celui réalisé par Sylvan Chabaud sur le groupe marseillais Massilia Sound System. Gérard Zucchetto pose, de son côté, la délicate question de l’interprétation des chansons de troubadours. Il ne la résout pas, tant elle soulève de questions, mais il contribue, par son expérience d’interprète et de musicien, à alimenter une réflexion dont on n’est pas sûr qu’elle sera jamais close.

6Comment rendre accessible à un large public l’art des troubadours ? C’est également la question que se sont posée Céline Magrini-Romagnoli, spécialiste de littérature provençale, et le comédien-jongleur Denis Vanderhaeghe, créateurs d’un spectacle théâtral autour du Roman de Flamenca, interprété en 2008 et lors du colloque dont est issu ce volume.

7Modernités des troubadours, actualité(s) des troubadours, pourrait-on dire. Ce sont en réalité, pour le moins, deux champs de recherche que défrichent les directrices et les auteurs de ce volume. Un premier champ tourne autour de la question de la relecture/récriture dans le cadre d’une société occidentale qui n’a cessé de connaître des mutations. L’enquête est encore vaste, elle mérite d’être poursuivie, sans doute en tenant compte des dimensions historiques et sociologiques sans lesquelles on courrait le risque de produire des vues réduites à la seule sphère littéraire. Quelle place, demande avec raison C. Dumoulié, pour la fin’amor médiévale dans un monde où la place de la femme a été réévaluée en même temps qu’ont été redéfinis les termes des relations amoureuses ? Au-delà des problématiques littéraires, historiques et sociétales, la question que nous posent également les troubadours occitans concerne la remarquable fortune dont ils jouissent, depuis la fin du xixe siècle et jusqu’à nos jours, sous des formes souvent inattendues, auprès des créateurs, certes, quel que soit leur domaine, mais aussi d’un public plus large, moins érudit, mais plus « globalisé » et tout aussi fasciné par ce moment originel de l’art et de la pensée européens et les formes alors façonnées pour mettre en scène le désir amoureux.

Haut de page

Notes

1 J.-F. Courouau et I. Luciani éd., La Réception des troubadours en Languedoc et en France. xvie-xviiie siècle, Paris, 2015 ; Eid. éd., La Réception des troubadours en Provence. xvie-xviiie siècle, Paris, 2018 ; M.-J. Verny éd., Les Troubadours dans le texte occitan du xxe siècle, Paris, 2015.

2 J.-F. Courouau et D. Lacroix éd., La Réception des troubadours en Europe au xixe siècle (à paraître).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-François Courouau, « Élodie Burle-Errecade, Michèle Gally, Francesca Manzari (dir.), Modernités des troubadours »Médiévales, 77 | 2019, 181-182.

Référence électronique

Jean-François Courouau, « Élodie Burle-Errecade, Michèle Gally, Francesca Manzari (dir.), Modernités des troubadours »Médiévales [En ligne], 77 | automne 2019, mis en ligne le 12 mai 2020, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/medievales/10631 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/medievales.10631

Haut de page

Auteur

Jean-François Courouau

Université de Toulouse, PLH-ELH, UT2J

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search