« Bad Thoughts – Collection Martijn and Jeannette Sanders »
Texte intégral
1L’exposition qui clôture l’année 2014 au Stedelijk Museum est consacrée à l’une des plus importantes collections privées néerlandaises, celle de Martijn et Jeannette Sanders. Elle témoigne de l’intérêt grandissant du monde de la culture envers la figure du collectionneur et le collectionnisme et s’inscrit dans un contexte de valorisation des initiatives privées qui, face à la crise, tendent à prendre le pas sur les investissements publics. Ainsi, le nombre d’espaces d’exposition consacrés à des collections privés se multiplient – citons par exemple, l’ouverture de la Fondation Vuitton à Paris récemment ou la collection de Jean-Philippe et Françoise Billarant installée dans un espace restauré à leur initiative en 2008, Le Silo (Val d’Oise) –, tout comme les expositions consacrées à des collections privées – telles celles de Michael Werner en 2013, au Musée d’art moderne de la ville de Paris et « Le Mur » d’Antoine de Galbert à la Maison rouge en 2014. À Amsterdam, la collection est montrée pour la première fois à si large échelle : près de 100 pièces ont été sélectionnées sur les quelques 350 œuvres de la collection. Débutée dans les années 1970, elle rassemble presque tous les grands noms de l’histoire de l’art contemporain de ces quarante dernières années, d’Anselm Kiefer à Aernout Mik, en passant par Gilbert & George, Cindy Sherman, Johan Grimonprez, Robert Longo, Guillermo Kuitca, Gabriel Orozco, entre autres. Les Sanders ont commencé en acquérant naturellement les œuvres d’artistes de leur génération. Initialement concentrée sur la peinture et la sculpture européenne, avant de rapidement s’étendre à celles des artistes américains dès les années 1980, leur collection se tourne vers la photographie à partir des années 1990, pour s’ouvrir enfin aux nouveaux médias récemment.
2« Bad Thoughts » emprunte son titre à une œuvre de Gilbert & George de 1975, symbolisant sa thématique. Le dossier de presse rappelle que, si le titre peut être un commentaire ironique du caractère addictif que représente l’activité de collectionneur, il réfère d’abord à l’obscurité sous-jacente que reflète la collection Sanders. Un large nombre de leurs œuvres « aborde le côté sombre de la nature humaine, examinant le manque d’implications individuelles dans les processus culturels et historiques ». Les Sanders assimilent leur collection à un journal intime, symptomatique de leur mariage et de leur vie de couple, ponctuée par les rencontres amicales avec des artistes, des galeristes, des conservateurs. Collectionner des œuvres d’art devient autant « un processus intuitif qu’une manière de vivre ». La problématique fonctionne globalement et rassemble subtilement des œuvres très différentes – Douglas Gordon et Keith Haring, par exemple –, même s’il est plus difficile de voir cette part d’obscurité se cacher dans l’installation picturale très colorée d’Anton Henning ou dans la vidéo Rrrrolle-red de Marijke van Warmerdam (2011).
3L’exposition, qui occupe le spacieux sous-sol du Stedelijk Museum, a été conçue par Florian Idenburg de l’agence new-yorkaise SO – IL Architects (Prix de Rome d’architecture de 2014, accordé aux Pays-Bas), qui s’est appliqué à retranscrire spatialement le collectionnisme. Cette scénographie spécialement conçue pour l’exposition insiste sur la liberté de choix du visiteur : aucun sens de lecture n’est pré-déterminé, ni aucune lecture chronologique ou historique proposée à travers la succession des ensemble d’œuvres. Les différentes salles du musée s’organisent thématiquement ou par artiste. Ainsi, la salle dédiée à Anselm Kiefer succède à celle de Gilbert & George, tandis que l’installation Cardboard Walls (2013) d’Aernout Mik, sur la catastrophe nucléaire de Fukushima, voisine avec les portraits de Cindy Sherman. Conformément à la vision qu’ont les Sanders de leur activité de collectionner l’art comme manière de vivre, le spectateur est ainsi libre de choisir et de construire lui-même un parcours dont il devient l’activateur. La scénographie ayant prévu plusieurs ouvertures pour chaque salle, offre une multitude de possibilités au visiteur qui peut ainsi créer ses propres connections entre les œuvres.
4Outre la qualité d’un certain nombre d’œuvres présentées, cette scénographie est sans aucun doute la clé de l’exposition. Elle permet de proposer un regard différent sur certaines œuvres ou artistes régulièrement exposés et trop souvent associés de manière systématique à un autre artiste ou un mouvement ; un regard qui n’est peut-être pas nouveau, mais dégagé de contraintes ou de l’autorité d’un discours traditionnel sur l’art. Certaines œuvres arrivent ainsi à se détacher temporairement du moment de l’histoire de l’art auquel elles appartiennent. L’autre difficulté, ici relativement bien évacuée, tient au principe même de l’exposition d’une collection, qu’elle soit privée ou publique, qui tourne vite au catalogue. « Bad Thoughts » réussit à refléter la cohérence de la sélection réalisée par les Sanders au fil de ces quarante années.
Pour citer cet article
Référence papier
Émeline Jaret, « « Bad Thoughts – Collection Martijn and Jeannette Sanders » », Marges, 20 | 2015, 184-185.
Référence électronique
Émeline Jaret, « « Bad Thoughts – Collection Martijn and Jeannette Sanders » », Marges [En ligne], 20 | 2015, mis en ligne le 01 mars 2015, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/972 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.972
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