« Magiciens de la Terre, retour sur une exposition légendaire »
Texte intégral
1Après l’organisation à Venise l’année dernière par la Fondation Prada de l’exposition « When Attitudes Become Form : Bern 1969/Venice 2013 » qui était présentée comme un remake de l’exposition d’Harald Szeemann de 1969, c’est au tour d’une autre exposition phare de l’histoire de l’art contemporain international de faire l’objet d’une attention toute particulière. Un colloque au mois de mars puis, une université d’été et une exposition intitulée « Magiciens de la Terre, retour sur une exposition légendaire » ont en effet été organisés par la Bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou à Paris pour commémorer le 25e anniversaire de l’exposition de Jean-Hubert Martin « Magiciens de la Terre » qui eut lieu au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette de mai à août 1989.
2Contrairement à l’exposition Prada qui visait, illusoirement, à recréer le plus fidèlement possible l’exposition de Szeemann, l’exposition « Magiciens » de 2014 se présentait comme une exposition documentaire, évitant ainsi l’écueil du remake d’exposition, dont nous savons qu’il procède d’une méconnaissance du caractère contextuel de toute exposition et donc d’une confusion entre les idées d’œuvre d’art et d’exposition. Dans la Galerie du Musée où se tenait l’exposition « Magiciens » de 2014, le visiteur pouvait découvrir plus d’une centaine de photographies d’époque des œuvres de l’exposition de 1989 placardées aux murs en quinconce façon chambre d’adolescent. Des projections de films documentaires s’intégraient ça et là à cet imagier conçu par l’artiste Sarkis. D’autres films, tournés pendant le montage de l’exposition de 1989 et comportant des interviews des artistes et du commissaire de l’exposition, tournaient sur des moniteurs. Des croquis d’artistes et d’autres documents de travail ayant permis la préparation de l’exposition et la conception des œuvres étaient présentés en nombre dans des vitrines comme des reliques saintes. À l’inverse des coupures de presse, des exemplaires de revues spécialisées et des catalogues d’expositions postérieures à « Magiciens de la Terre » étaient consultables par les visiteurs, lesquels étaient ainsi amenés à prendre conscience de la forte intensité du débat critique qui fut suscité par la proposition de Jean-Hubert Martin. On déplorera l’absence (un vol ?) dans cette documentation du numéro 29 des Cahiers du Musée national d’art moderne (publié en 1989) qui, bien que critique à l’encontre du projet, y avait été entièrement consacré.
3Se dégageait de l’ensemble l’impression paradoxale d’être face à une exposition riche de nombreux documents mais néanmoins dépourvue du moindre intérêt pour le visiteur (qui n’est, la plupart du temps, ni historien ni archéologue des expositions). Cela n’a pas de quoi surprendre car, en vérité, l’objectif de l’exposition de 2014 n’était nullement de faire revivre les débats entourant l’exposition de 1989 comme le laissait entendre le texte à l’entrée de la Galerie du Musée. L’enjeu se situait principalement dans la symbolique de la commémoration de son propre passé par le Centre Pompidou pour laquelle il avait simplement fallut qu’une exposition, quelle qu’elle soit, eut lieu.
4À la même époque que « Magiciens de la Terre », Françoise Choay, qui avait été l’une des premières à critiquer la démarche de patrimonialisation tous azimuts, fit remarquer à juste titre que la fonction du patrimoine est de permettre à l’homme de s’enorgueillir narcissiquement de ses propres créations. Choay reprit quelques années plus tard sa critique du narcissisme patrimonial pour préciser que le narcissisme est en psychanalyse un stade du développement de l’individu et, qu’en tant que tel, il ne saurait être autrement que transitoire, « sous peine, détaillait-elle, de se transformer en névrose stérile ». À l’orée de ses quarante ans le Centre Pompidou est-il entré dans ce fameux stade narcissique ? Ou cet intérêt nostalgique pour la programmation audacieuse d’une époque (l’exposition « Les Immatériaux » de Jean-François Lyotard, culte elle aussi, date de 1985) est-il une forme d’incantation liée à une conception de l’histoire proche de l’historia magistra vitae cicéronienne car fondée sur l’exemplarité du passé et l’espoir de sa récurrence ?
5On conviendra bien volontiers du rôle majeur de l’exposition « Magiciens » de 1989 : portant un regard neuf sur la création non-occidentale, elle avait permis un véritable appel d’air. Mais vingt-cinq ans après, le rôle du Centre Pompidou n’est-il pas, dans la voie tracée naguère par Jean-Hubert Martin, d’explorer à nouveau des terrains méconnus (ils sont encore nombreux) plutôt que de s’enorgueillir narcissiquement de son propre passé ? Pour l’heure, c’est une description de l’orientation actuelle du Centre Pompidou qu’on croirait lire sous la plume de son directeur Bernard Blistène lorsque, dans la préface du catalogue, il évoque l’état de la société dans laquelle l’exposition de 1989 avait vu le jour : « trop sclérosée sur elle-même et sur ses propres référents ».
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Vialle, « « Magiciens de la Terre, retour sur une exposition légendaire » », Marges, 20 | 2015, 174-175.
Référence électronique
Pierre Vialle, « « Magiciens de la Terre, retour sur une exposition légendaire » », Marges [En ligne], 20 | 2015, mis en ligne le 01 mars 2015, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/963 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.963
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