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Notes de lecture et comptes rendus d’expositions

« Théâtre du Monde » , « La Chambre des sublimations »,

Paris, La Maison Rouge, 19 octobre 2013 – 19 janvier 2014 / Paris, BNF, 8 octobre 2013 – 5 janvier 2014
Angelica Gonzalez
p. 160-161
Référence(s) :

Paris, La Maison Rouge, 19 octobre 2013 – 19 janvier 2014

Paris, BNF, 8 octobre 2013 – 5 janvier 2014

Texte intégral

1« Théâtre du Monde » présente de manière éclectique deux collections australiennes : l’une provenant du Tasmanian Museum and Art Gallery (TMAG) et l’autre de la collection de David Walsh conservée au Museum of Old and New (MONA).

2Seule une intuition très fine dans le choix des pièces peut faire éclater d’autres lectures potentielles de ces collections déjà hétéroclites. Dans son meilleur style épuré, le conservateur Jean-Hubert Martin a voulu s’amuser et faire que le spectateur s’amuse à son tour dans une sélection d’objets artistiques et non artistiques. On l’a souvent dit, cette démarche est bien connue depuis l’exposition légendaire « Magiciens de la Terre ». À la Maison Rouge, Martin a voulu remettre en question la distinction entre objets savants et objets d’art populaire, mais il a aussi voulu créer une certaine indistinction entre la présentation d’œuvres artistiques occidentales et non occidentales. On note par exemple la salle nommée « Majesté », dédiée aux étoffes d’écorce (tapas) peintes réalisées par des femmes des îles Salomon, Fidji et Samoa. À première vue, on croit être transporté dans une salle du Louvre, grâce à la présence forte du sarcophage égyptien d’Itnedjes. En fait, en contournant ce sarcophage, le spectateur voit qu’il cache la Femme Leoni (1947) de Giacometti. Si l’on peut ressentir l’impact d’une telle confrontation, c’est précisément en raison de la nature de ces deux pièces : l’une qui rappelle l’éternité, l’autre la fragilité humaine. Un autre moment frappant de confrontation se présente à la fin de l’exposition, dans un dialogue intime, avec la mort à travers les vases canopes égyptiens, le Cercueil Mercedes Benz (2010) de Paa Joe et le Long homme solitaire (2010) de Berlinde De Bruyckere, œuvres qui rappellent les rituels de mort mais aussi que le voyage pour la vie est un simple transit de préparation pour l’au-delà.

3Dans le catalogue de présentation de l’exposition, Martin explicite son critère de sélection. Le cadre de ces deux collections oblige à une réflexion attentive partant d’un corpus précis des œuvres. Il note : « Il faut arriver à satisfaire le besoin esthétique, tout en ménageant des chocs qui attirent l’attention. Pour ce faire, toutes les œuvres doivent être choisies pour leur efficacité visuelle intrinsèque. Les regroupements et les séquences ne sont pas élaborés conformément à un concept préexistant, mais à partir de l’addition d’œuvres au fur et à mesure des trouvailles dans les deux collections. ». D’une manière critique, Martin souligne que cette méthode est éloignée des concepts stéréotypés des expositions actuelles. Ainsi, il n’existe pas d’idée préétablie comme point de départ de l’exposition, mais plutôt la rencontre précise et pratique avec les œuvres. Il oppose donc une pensée abstraite qui élabore et ordonne, telle que la réalisent les musées émanant de la philosophie des Lumières, à une pensée visuelle qui se fonde sur une approche sensorielle du réel. Étant donné que de plus en plus les musées tendent à se spécialiser – voire à s’enfermer –, sa proposition se situe plutôt dans le registre du dialogue entre œuvres de cultures et de périodes différentes pour créer une sorte d’« image du monde ou de théâtre du monde ».

4Cette proposition visuelle peut se confondre apparemment avec la pratique relativement récente des institutions muséales invitant des artistes ou des spécialistes de divers domaines à donner une lecture renouvelée des collections avec la formule de la « carte blanche » : une pratique qu’on peut trouver par exemple dans l’exposition « La chambre de sublimation. Dessins de Matthew Barney » où, dans une présentation plutôt classique des dessins de cet artiste, il est invité à présenter sa documentation personnelle et à intégrer un choix des œuvres de la BNF comme des manuscrits médiévaux, des papyrus, des antiquités égyptiennes, des gravures, des livres rares alchimiques, entre autres. Cette opération de rassemblement artistique va à l’encontre de la logique traditionnelle propre au catalogage et aux impératifs formels d’une bibliothèque ou d’un musée qui jamais ne placeraient ensemble des objets très précieux et des images tirées d’Internet. Cela a été le cas dans l’exposition de Barney où il expose ses storyboards mais aussi des croquis, des photos personnelles, des cartes postales, des coupures de presse et des documents liés à ses intérêts, le tout côtoyant les livres rares de la BNF.

5À cet égard, on pourrait dire que la pratique de Martin et celle de l’artiste sont semblables. D’ailleurs, le premier a été critiqué pour les choix qu’il a opérés dans ses expositions, pour un certain manque de respect des conventions de l’histoire de l’art et pour avoir mis sur le même plan des choses incomparables. Évidemment, il y a une certaine distance entre l’opération de l’artiste et celle du conservateur. Barney nous ramène dans chaque vitrine à son univers personnel et obsessionnel : on y retrouve ses thèmes récurrents comme la musculation, les prothèses, les bestiaires d’animaux à cornes, etc. Dans le choix des livres rares, il cherche plutôt des coïncidences formelles et iconographiques qui nous font penser que son univers est nourri de toute une tradition ancestrale mais aussi de choses et d’images de tous les jours. Dans le cas de Martin, il défend sa position de conservateur de musée et qui n’est pas artiste, un conservateur qui revendique un pouvoir : le pouvoir d’interprétation des œuvres. Ce privilège lui permet de les situer dans une salle, dans un espace, en créant pour elles un dispositif de présentation ou plutôt en présentant toutes sortes de dispositifs scénographiques dans le même espace d’exposition : dispositifs empruntés aux musées d’ethnographie, d’histoire naturelle et d’art moderne et contemporain.

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Pour citer cet article

Référence papier

Angelica Gonzalez, « « Théâtre du Monde » , « La Chambre des sublimations »,  »Marges, 18 | 2014, 160-161.

Référence électronique

Angelica Gonzalez, « « Théâtre du Monde » , « La Chambre des sublimations »,  »Marges [En ligne], 18 | 2014, mis en ligne le 01 mai 2014, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/906 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.906

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Auteur

Angelica Gonzalez

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