Bioart et néo-matérialisme
Résumés
La dématérialisation de l’art est un phénomène qui partage avec la philosophie des sciences de matrice analytique certaines assomption théoriques concernant le langage et la connaissance du réel. En partant des œuvres de bioart d’Eduardo Kac, Genesis et The eighth day, je souhaite questionner le rapport entre la rematérialisation de l’art et le récent approche scientifique néo-matérialiste qui peut être considéré une solution originale du rapport entre causalité et liberté.
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Mots-clés :
art, artiste, bioart, conceptuel, contemporain, matérialité, néo-matérialisme, œuvre, réel, rematérialisationKeywords:
art, artist, bioart, conceptual, contemporary, materiality, neo-materialism, reality, rematerializationTexte intégral
- 1 Il y a effectivement une tendance néo-matérialiste qui concerne la science (voir, par exemple, Stua (...)
1S’il est vrai qu’un processus de rematérialisation1 de l’art est en cours, le bioart en est certainement une manifestation incontestable. Cette pratique, qui consiste à manipuler de la matière organique vivante au moyen des biotechnologies, est très intéressante non seulement en ce qui concerne l’art contemporain, mais aussi parce qu’elle nous permet de prendre en considération la tendance néo-matérialiste/1 caractérisant aujourd’hui une partie de la théorie des sciences. Pendant longtemps, en effet, la philosophie a considéré que les sciences visaient à élaborer une axiomatique des lois, c’est-à-dire la constitution d’un système logique et cohérent de propositions décrivant le réel. L’art dématérialisé, comme nous le montrerons, implique cette perspective du rapport entre la réalité phénoménale et le système linguistique qui l’exprime, en privilégiant le second. À l’inverse, comme nous souhaitons le prouver, le bioart, en tant qu’art rematérialisé, s’allie à une perspective que nous pouvons définir comme néo-matérialiste, affirmant la primauté des modèles empiriques concrets sur les formulations linguistiques des lois. Autrement dit, l’opposition entre les deux points de vue concerne le type de nécessité attribué à l’organisation de la matière : logique ou causale. Nous traiterons d’abord de la relation entre la philosophie des sciences de tendance analytique et l’art dématérialisé, cette relation étant surtout conceptuelle. Ensuite, en examinant les œuvres Genesis (1999) et The Eighth Day (2001) du bioartiste Eduardo Kac, nous mettrons au jour comment, au moins dans ce cas, la rematérialisation implique une autre vision de la connaissance scientifique, ainsi qu’une perspective différente sur l’organisation de la matière qui, nous semble-t-il, s’accordent avec la plus récente tendance que l’on peut appeler néo-matérialiste.
Dématérialisation et épistémologie
- 2 Lucy Lippard et John Chandler, «The Dematerialization of Art», Art International, vol. 12, n° 2, fé (...)
- 3 Sol LeWitt, « Sentences on conceptual art », 0-9, n° 5, janvier 1969, p. 3-5. Traduction française (...)
- 4 Nous pouvons dire que Karl Popper partage également ce point de vue sur le paradigme scientifique. (...)
- 5 Sol LeWitt a publié le texte « Alinéas sur l’art conceptuel » Artforum, en 1967. Il s’agit d’une th (...)
- 6 Lucy Lippard et John Chandler, « The Dematerialization of Art », op. cit., p. 34.
2Le terme « dématérialisation » a été employé pour la première fois par Lucy Lippard en 1968, dans le célèbre article « The Dematerialization of Art/2 », concernant le tournant conceptuel de l’art contemporain. Lippard y indique que, depuis la fin des années 1960, nombre d’artistes ont été plus intéressés par le processus de pensée relatif à la création que par la réalisation concrète des œuvres. Une fois le processus exprimé sous forme verbale ou d’esquisse, la réalisation devenait secondaire ou non nécessaire. Le centre d’intérêt des artistes basculait des aspects esthétiques du produit matériel, vers l’idée ou le projet donnant éventuellement lieu à un objet. De ce point de vue, chaque réalisation matérielle, quand elle a effectivement lieu, ne doit pas être évaluée par rapport à ses qualités esthétiques, mais en termes de transparence : une œuvre ne doit pas s’imposer en raison de ses caractéristiques sensibles, mais parce qu’elle se fait médium de transmission de l’idée, notamment d’une idée significative dans le contexte de l’art. À ce propos, nous pouvons rappeler deux des trente-cinq phrases de Sol LeWitt sur l’art conceptuel : « l’œuvre d’art peut etre comprise comme un fil conducteur entre l’esprit de l’artiste et celui du spectateur. Mais il ne doit pas nécessairement atteindre le spectateur, ni sortir de l’esprit de l’artiste » ; « Toutes les idées sont de l’art si elles concernent l’art et entrent dans les conversations artistiques/3 ». Bien que la notion d’idée artistique et bien que le processus de sa communication ou de sa manifestation formelle aient été interprétés de façon très différente par les protagonistes de la dématérialisation, nous pourrions dire que le trait commun général consiste à considérer que chaque réalisation artistique peut être réduite à une proposition déterminant son processus de production et sa forme finale. De cette manière, les qualités esthétiques et sensibles propres aux produits éventuels n’ont pas de valeur en soi, mais seulement en tant que données empiriques dont le sens devient clair une fois élucidée la règle qui préside à leur organisation, c’est-à-dire l’a priori conceptuel déterminant leur apparence formelle et auquel leur existence phénoménale renvoie. Il est donc possible de comparer ce schéma théorique avec celui qui, selon Russell, Wittgenstein et l’École de Vienne en général caractérise les sciences, étant bien affirmé au moment où l’art se dématérialisait. De ce point de vue, les propositions scientifiques, formulées mathématiquement, doivent d’abord être admissibles en termes logiques et, après, elles réquirent une vérification empirique. Ainsi, plutôt que par induction à partir des données sensibles, les théories scientifiques dériveraient par déduction du système constitué par l’ensemble des théories déjà acceptées, cette déduction s’obtenant suivant les règles de la logique. De ce point de vue, les expériences ne servent qu’à confirmer que la fonction mathématique produite correspond effectivement à un rapport entre grandeurs réels, qu’elle est concrètement réalisée dans les faits. Chaque théorie doit être d’abord cohérente avec la structure logique du langage rationnel employé par les sciences, elle doit en respecter les règles avant de pouvoir être considérée comme une hypothèse à tester empiriquement/4. Lorsque le modèle expérimental valide la théorie, on peut soutenir que le phénomène considéré renvoie à la théorie comme à son a priori logique, c’est-à-dire que les faits empiriques sont considérés comme la réalisation effective d’un possible rationnellement déterminable à l’avance. Nous notons alors une certaine cohérence entre cette conception des théories scientifiques et la conception du processus de création à la base de l’art dématérialisé et conceptuel : dans les deux cas, l’objet matériel, œuvre d’art ou expérience scientifique, n’est que la réalisation empirique d’une formulation dérivable d’une axiomatique spécifique, celle de la logique ou celle des idées sur l’art. Les fonctions mathématiques décrivant les faits naturels sont produites par déduction à partir du système des lois et elles sont après vérifiées par des expériences empiriques ; de la même manière, les œuvres de Sol LeWitt, par exemple, sont la réalisation empirique de certaines idées dérivables des alinéas/5 théoriques sur l’art conceptuel. En outre, dans les deux cas, on peut considérer que l’objet empirique produit, qu’il s’agisse de l’expérience ou de l’œuvre, n’est fonctionnel qu’à renvoyer à son a priori rationnel, c’est-à-dire qu’il n’est que la réalisation concrète qui sert de démonstration pour la validité d’une idée le précédant. Le but consiste alors à produire des œuvres d’art démontrant la validité des idées sur l’art et à élaborer des expériences démontrant la validité de l’axiomatique rationnelle : il s’agit de réduire les phénomènes à des formulations essentielles. Lucy Lippard rapprochait en ce sens le paradigme de celui qui est à la base de l’art conceptuel de celui à la base de la science : « la difficulté de l’art abstrait et conceptuel ne réside pas dans l’idée, mais dans les moyens qu’il faut trouver afin d’exprimer l’idée d’une manière immédiatement évidente pour le spectateur. Dans les mathématiques ou dans les sciences, plus une explication ou une formule est simple, plus elle est satisfaisante. Leur objectif consiste à réduire la grande complexité de l’univers à une seule équation ou métaphore/6. ». Autrement dit, la dématérialisation de l’art serait concevable seulement en partant de certains présupposés propres à la philosophie analytique, établissant qu’on dispose de langages rationnels dont les règles constituent les a priori organisant notre expérience empirique. Pour cette raison, non seulement l’intention de l’artiste détermine la forme de l’objet éventuellement produit (qui ne doit pas être nécessairement produit), mais une fois produit, l’objet ne peut renvoyer qu’à l’idée de l’artiste comme propre condition d’existence et détermination.
- 7 Sol LeWitt, op. cit., p. 914.
- 8 En ce sens LeWitt écrit : « les artistes conceptuels sont plus mystiques que rationalists, les juge (...)
3Le cas de Joseph Kosuth est emblématique pour mettre en évidence le lien entre art conceptuel et philosophie analytique : dans les deux cas on retrouve la tendance à considérer les objets matériels, œuvres ou faits empiriques, comme rationnellement déterminables à l’avance. De plus, comme Sol LeWitt le suggère dans ses textes théoriques, de la même manière que le but du scientifique est la découverte de nouvelles théories conduisant éventuellement à un changement de notre conception de la nature, le but de l’artiste n’est pas la production d’objets esthétiquement prégnants, mais l’élargissement du système d’idées cohérentes concernant l’art, amenant un changement de la notion d’art : « l’art réussi change notre compréhension des conventions en altérant nos perceptions/7 ». Toutefois, il faut considérer que, si les scientifiques sont obligés de parvenir à une déduction logique des théories, les artistes peuvent arriver à leurs idées par intuition/8. À ce propos, il ne faut pas oublier que toute idée sur l’art est compréhensible à partir du contexte de l’art, voire, à partir d’un jeu de langage très particulier n’étant pas celui de la science, de la logique ou des mathématiques, bien qu’il partage avec celles-ci la nécessité d’une cohérence interne.
- 9 Joseph Kosuth, « Art after philosophy», Studio international, vol. 178, n° 915-917, octobre, novemb (...)
4Afin de soutenir notre thèse sur le lien entre dématérialisation de l’art et philosophie analytique nous ferons maintenant référence aux écrits où Joseph Kosuth rend explicite ses sources d’inspiration : Alfred Ayer et Ludwig Wittgenstein. En effet, dans l’essai « L’Art après la philosophie/9 », l’artiste propose une confrontation entre la notion de science de la philosophie analytique et sa propre conception de l’art dématérialisé. Les deux disciplines, science et art, auraient la fonction d’élargir la connaissance de leurs objets respectifs : les sciences naturelles doivent découvrir de nouvelles propositions vraies concernant la nature, tandis que l’art doit trouver de nouvelles définitions de l’art. Toutefois, il existe une différence entre le paradigme des sciences naturelles et celui de l’art qui serait comparable à celle entre les sciences et la géométrie : les premières se développent en produisant des propositions synthétiques nécessitant d’être vérifiées empiriquement, tandis que les théorèmes de la seconde sont des propositions analytiques que l’on peut accepter par pure évidence logique. Les idées « artistiques » seraient alors des propositions analytiques dérivées de la notion d’art, des définitions de l’art, autrement dit, des tautologies, exactement comme les théorèmes géométriques. Le but de l’artiste consiste donc à produire des œuvres d’art qui, selon Kosuth, coïncident avec les idées mêmes, capables d’élargir la connaissance de la nature de l’art en fournissant de nouvelles définitions. Ainsi, les objets éventuellement réalisés ne sont-ils que des modèles approximatifs de ces idées, qui rendraient intelligible et communicable la définition de l’art analytiquement formulée par l’artiste. Pour cette raison les objets éventuellement réalisés ne doivent pas attirer l’attention en vertu de leurs qualités esthétiques, sensibles, ou matérielles, mais en vertu de la valeur de l’idée les rendant possibles.
5Nous pouvons alors dire que l’art conceptuel partage avec la philosophie analytique une position antimatérialiste, car, dans les deux cas, il s’agit d’obtenir une formalisation rationnelle concernant, dans le cas de la science, seulement les qualité primaires mathématisables, et seulement les éléments essentiels à la compréhension de l’idée dans le cas de l’art. La sélection de ses caractères renvoyant immédiatement à l’idée est très important et permet de cerner facilement la valeur et la qualité d’une œuvre d’une manière qu’on pourrait considérer comme objective. Il faut remarquer à ce propos que l’esthétique n’était pas parvenue à établir les caractéristiques nécessaires à la production de l’effet perceptif constituant la spécificité de l’art, de la même manière que le mécanisme classique n’avait pas réussi à démontrer la nécessité du lien causal entre les effets observables. De plus, l’approche épistémologique propre à la philosophie analytique concerne une solution particulière donnée au problème de l’induction de David Hume, selon lequel on ne peut pas déduire la nécessité des lois de la nature à partir de l’observation des régularités des phénomènes. Cette solution, également adoptée par Karl Popper, mais le conduisant à des conclusions différentes, consiste à nier que la science fonctionne par induction : les théories seraient formulées par déduction logique à partir du système constitué par les théories déjà acceptées. Ainsi, les lois de la nature résultent nécessairement (et la nécessité des lois est fondamentale pour que la science soit possible) du point de vue logique plutôt que causal, bien que, évidemment, chaque théorie logiquement déduite doive être vérifiée empiriquement. De la même manière, pour ce qui concerne l’art conceptuel les conditions a priori permettant d’obtenir ce qui est nécessairement une œuvre d’art sont logiques plutôt que sensibles/esthétiques. Nous pouvons affirmer alors que du point de vue partagé par la philosophie analytique et par l’art conceptuel, l’organisation de la matière sensible dépend d’une nécessité logique plutôt que causale, cette dernière caractérisant, au contraire, l’approche scientifique matérialiste et l’esthétique traditionnelle (l’expérience esthétique serait déterminée par des caractéristiques sensibles de l’objet). Par conséquent, dans la perspective antimatérialiste chaque phénomène ou chaque objet d’art, est considéré comme un modèle approximatif, ou imparfait, de la formule qui l’explique ou de l’idée de l’artiste. De ce point de vue, on justifie l’écart qu’il y a toujours entre le modèle empirique et la théorie en décrivant le comportement, de la même manière que l’on explique l’écart existant, par exemple, entre un cercle matérialisé et un cercle géométrique : la seconde est l’a priori rationnel qui nous permet d’appeler cercle toute forme ronde empiriquement repérée. Autrement dit, du point de vue antimatérialiste analytique, l’écart entre théorie et modèle empirique témoigne du fait que le seul ordre que l’on peut attribuer aux phénomènes répond à la nécessité logique. En effet, suivant la réflexion de David Hume concernant l’impossibilité de l’induction de la causalité, on ne peut supposer aucune causalité déterminant l’organisation de la matière, car, étant donné la même cause, rien ne nous assure que les phénomènes dérivés se répètent de la même manière, ce qui semble confirmé par l’observation de la variabilité de la plupart des effets. Du point de vue de l’art, nous pourrions dire que rien ne nous assure que les mêmes qualités sensibles produiront toujours les mêmes effets esthétiques. Ceci rendant presque impossible la détermination des causes objectives déterminant l’œuvre d’art.
Bioart et néomaterialisme
6Nous nous trouvons ainsi face à un dilemme : soit l’on accepte qu’il n’y ait qu’une nécessité logique et on considère les modèles expérimentaux comme autant d’approximations imparfaites des théories et, selon la même perspective théorique, on considère que les qualités matérielles et sensibles des œuvres d’art sont secondaires par rapport à l’idée. Soit, on est obligé d’assumer une nécessité réelle qui semble toujours contredite par l’expérience empirique, étant que la même cause détermine souvent des effets différents et que la même organisation matérielle produit des effets esthétiques variables.
7Dans cette partie, nous découvrirons qu’une troisième voie est envisageable pour la théorie des sciences comme pour l’art. Pour ce qui concerne la première, nous ferons référence aux théories sur la complexité, qu’on peut définir comme néomatérialistes, car l’objectif consiste à comprendre comment les émergences sont possibles à partir des interactions entre systèmes concrets (donc à s’interroger aussi sur les conditions du surgissement de la pensée), plutôt qu’à représenter les faits empiriques à partir de la connaissance des règles de la logique. Pour ce qui concerne l’art, on prendra comme exemple deux œuvres de bioart d’Eduardo Kac.
8Commençons par une œuvre telle que Genesis, mise au point par Eduardo Kac à l’occasion d’Ars Electronica en 1999. Il s’agit d’une installation présentant des bactéries dont l’ADN a été modifié par l’insertion d’un gène codifié par l’artiste à partir d’une phrase de la Genèse. La phrase, traduite en nucléotides et projetée sur l’un des murs de la galerie, était la suivante : « peuplez toute la terre et dominez-la ; soyez les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur la terre ». L’œuvre de Kac remet en cause ce passage, déclarant la supériorité des hommes sur les autres êtres. La boîte de Petri contenant les micro-organismes transgéniques se trouvait dans la salle d’exposition et son image agrandie était projetée au mur afin de la rendre visible aux spectateurs. Le dispositif était exposé à des rayons ultraviolets que le public pouvait activer par Internet et pouvait ainsi choisir d’augmenter la fréquence des mutations des bactéries. À la fin de l’exposition, le gène artificiel a été extrait de l’ADN des microorganismes et traduit à nouveau en anglais : tout au long du processus la phrase avait été changée par les bactéries d’une manière imprévisible et aléatoire. Loin de s’assurer, au moyen des biotechnologies, le contrôle sur le reste du monde vivant, l’humain se retrouve ainsi face à une matière organique affirmant sa propre capacité d’action : elle ne semble pas vouloir se soumettre à la nécessité logique déterminée par la rationalité, et non pas parce que l’on s’est trompé ou parce que l’on ne dispose pas encore des connaissances qui nous permettraient d’en prévoir le comportement. Ce sont exactement les connaissances acquises à propos du comportement des systèmes complexes, comme les êtres vivants, qui nous permettent de comprendre que la matière s’organise elle-même selon un mécanisme qui rend possible des effets contingents, non nécessaires et non prévisibles, tels que les mutations. Si du point de vue analytique, la logique humaine est capable de fournir le modèle idéel reflétant le comportement de la matière, ici, il nous semble, que c’est la logique interne selon laquelle la matière s’auto-organise – c’est-à-dire celle qui préside à la duplication de l’ADN et à la reproduction des bactéries – qui semble montrer que la capacité de prévision humaine n’est qu’une approximation d’un phénomène dont les règles de production, bien que connaissables comme des causes réelles, dépassent le possible prévu par une axiomatique linéaire classique. Bien que l’artiste ait pu prévoir que les bactéries, se reproduisant, auraient transformé la phrase inscrite dans leur code génétique, il n’aurait jamais pu imaginer les résultats effectivement obtenus. Ainsi, l’œuvre réalisée par Eduardo Kac, bien qu’elle donne lieu à des résultats imprévisibles, n’est pas la réalisation imparfaite d’un projet idéal. C’est plutôt le projet de l’œuvre, l’idée de l’artiste, qui apparait comme insuffisant à contenir et déterminer tous les effets dont la réalité est capable. En effet, il semblerait presque que, dans ce cas, la matière vivante auto-organisée ne peut qu’être stimulée par l’artiste, incapable d’en prévoir le comportement « créatif ». L’artiste se trouve, alors, dans le rôle d’une sorte de co-créateur, plutôt que dans celui du maître. Ce sont, en fait, ses idées et croyances, ici représentées par la phrase biblique, qui sont contraintes de changer, plutôt qu’avoir le pouvoir de déterminer les systèmes selon un plan rationnel précis. Les bactéries de Kac semblent ainsi suggérer que le jeu n’est pas réductible au plan de la rationalité car, s’il y a une logique nécessaire, elle est ici celle qui préside à l’organisation de la matière vivante ; c’est elle qui cause les effets que nous observons. Si la logique humaine classique répond à une nécessité stricte, la logique qui préside nécessairement à l’auto-organisation de la matière semble au moins partiellement libre de créer ce qui n’est pas déductible à partir de ces axiomes. Nous répéterions l’expérience mille fois et nous n’obtiendrions jamais le même résultat. Toutefois, l’œuvre de Kac semble suggérer que ceci ne signifie pas qu’il est impossible de supposer la nécessité des mécanismes à la base des phénomènes naturels, mais que le mécanisme naturel nécessaire, celui qui cause les différents effets empiriques, est tel qu’une certaine marge de liberté y est incluse. Les règles d’auto-organisation de la matière sont telles que l’émergence d’effets contingents et non déductibles des axiomes est permise. Cette perspective sur la nature de la matière caractérise la tendance que nous nommons néo-matérialisme.
- 10 À propos d’une théorie détaillée des rapports co-évolutifs d’interaction entre systèmes vivants aut (...)
- 11 Voir Gilbert Simondon, L’Individuation à la lumière des notions de forme et information, Million, P (...)
9Penchons-nous à présent sur l’exemple d’une autre œuvre d’art rematérialisée d’Eduardo Kac, The Eighth Day, réalisé entre 2000 et 2001. L’œuvre consiste en un environnement protégé par une coupole en plexiglas, habité par des êtres génétiquement modifiés afin de donner à voir une bioluminescence verte. Dans cet écosystème, les plantes, les poissons et les souris transgéniques interagissent entre eux et avec un robot dont le « cerveau » est constitué par une colonie d’amibes, les mouvements de celui-ci étant fonction de l’activité des organismes. Le biorobot, pourvu d’une caméra, offre un point de vue interne à la coupole au public grâce au web, lequel peut ainsi observer l’environnement comme s’il en était l’un des acteurs. Ce travail est évidemment caractéristique d’une œuvre rematérialisée, car l’artiste nous présente des êtres vivants manipulés dans leur matérialité organique et qui, étant fluorescents, se rendent sensibles d’une manière que nous pourrions qualifier d’esthétique pour le pouvoir de nous rendre présents à notre expérience d’une manière non banale. Cependant, en observant l’installation, nous éprouvons de l’inquiétude plutôt que du plaisir : les créatures transgéniques fluorescentes sont perçues comme des monstres et non comme des beautés nous faisant sentir l’accord entre nos facultés et la nature. De plus, cette apparence perturbante empêche le public de considérer l’expérience biotechnologique placée sous ses yeux comme le modèle imparfait déterminé par une idée rationnelle. Nous nous sentons tous concernés par l’éventualité que cette matière autonome puisse évoluer vers des formes imprévisibles et dangereuses, qu’elle soit capable de dépasser le prévisible. L’effroi réside, non dans ce que nous ne comprenons pas (l’œuvre serait en ce cas « sublime »), mais dans ce que nous avons bien cerné, au contraire, que ces créatures peuvent muter d’une manière qui, non seulement dépasse la logique suggérée par le sens commun (voire la logique linéaire), mais qui se présente aussi comme une émergence par rapport au mécanisme, nécessaire et connaissable en tant que cause, qui règle la nature. Autrement dit, l’inquiétude est déterminée par la conscience que la théorie, plutôt que représenter la forme idéelle de laquelle un modèle ne peut que s’approcher d’une manière imparfaite, est ce qui approche le comportement d’un système réel ne répondant pas à des a priori rationnels. Système qui, bien que réglé par des lois nécessaires connues, est laissé libre, par ces mêmes lois, de muter, de se différencier en se recréant. L’écosystème transgénique présenté par Kac est donc un modèle empirique reconnu capable de dépasser ce que l’idée de l’artiste avait prévu. Ce qui nous préoccupe n’est pas l’impuissance de notre pensée par rapport à l’infinité du réel ; mais le fait que la puissance de notre pensée réside dans sa capacité à connaître objectivement certains objets et aussi sa capacité à créer, ou mieux co-créer, avec une nature partiellement libre entraînant des effets imprévisibles. Or, eu égard aux effets non prévisibles qui pourraient se vérifier dans cette installation, en laissant de côté l’éventualité – très rare – d’une mutation extrême, nous savons que ceux-ci peuvent être provoqués par les interactions entre les différents systèmes vivants en présence. Les organismes appartenant au même écosystème sont pris dans un processus co-évolutif au cours duquel ils se modifient, réorganisent leur structure matérielle, les uns en réponse aux perturbations produites par les autres, et ce, afin de conserver un certain équilibre interne. Ainsi, nous pourrions dire qu’ils se « connaissent » avant d’avoir accès à une rationalité ou à une conscience développée. Cette connaissance, conduit directement à des actions sur soi qui ont des effets à l’extérieur (ce en quoi consiste l’auto-organisation) plutôt qu’à une représentation théorique/10. Le robot que Kac a positionné dans son environnement transgénique est une exemplification parfaite du phénomène de « connaissance pré-rationnelle » que nous avons décrit : les amibes le faisant bouger réagissent à des stimulations réciproques. De plus, elles sont perturbées par ses mouvements, provoqués par les amibes elles-mêmes, et par les interactions entre le robot et l’environnement. La manière dont le robot connaît ce qui l’entoure (ce qui correspond à la manière dont l’écosystème est exploré par le public sur internet) n’est pas une représentation théorique ou linguistique, mais un processus pendant lequel il n’y a que des actions répondant à d’autres actions et déterminant des modifications du système isolé par la coupole. Cette connaissance, alors, suit une logique propre à l’auto-organisation de la matière organique vivante, une logique qui n’est pas une axiomatique linéaire, mais établie selon des règles permettant certains changements des règles mêmes, quand il le faut. Il ne s’agit pas d’une logique déductive car il y a là la possibilité de produire des émergences, c’est-à-dire des effets qui, d’une certaine manière, causent le changement de certaines règles : la logique est donc récursive. Ainsi, dans ce « processus de coévolution » les êtres vivants se connaissent réciproquement au cours du déroulement de modifications reciproques les différenciant d’une manière imprévisible et créative. Dès lors, les spectateurs d’Internet ont la possibilité d’expérimenter cette connaissance sensible pré-rationnelle, car leur avatar participe à cet instant à une production collective, à un processus co-évolutif. Cet art rematérialisé nous offre une expérience esthétique qui n’est pas un sentiment du beau, mais une connaissance sensible, dans laquelle il n’y a que des stimulations et des réponses entre des êtres qui apprennent les comportements les plus appropriés pour établir une harmonie générale, un équilibre (même si l’éventualité catastrophique demeure). Cette expérience esthétique, comme connaissance sensible pré-rationnelle, n’est pas nécessairement causée par des caractéristiques particulières de l’œuvre d’art, elle est plutôt un processus pendant lequel l’accord d’un être avec l’environnement qui l’entoure est négocié, accord dont l’installation de Kac pose les conditions en construisant un problème collectif pour tous ces êtres transgéniques n’ayant jamais interagi ensemble auparavant. Problème dont la solution n’est pas contenue dans les prémisses et ouvrant un processus où la connaissance sensible, l’esthétique, permettra (ou non) la négociation d’un accord, la production d’un équilibre, d’un état contingent de l’écosystème. De ce point de vue, alors, l’œuvre d’art n’est déterminée ni par une nécessité logique, ni par une nécessité strictement causale (linéaire et déterministe) : il s’agit plutôt d’une expérience empirique au cours de laquelle un mécanisme naturel nécessaire est stimulé en vue de produire des effets, une différenciation, un accord ou une harmonie inédite et pour laquelle l’artiste est une sorte de co-créateur. En ce sens, l’œuvre n’est pas conditionnée par un a priori posé par l’artiste ; c’est plutôt l’artiste qui, stimulé par l’a priori d’un certain état de choses, construit un problème dont la solution consistera en une coproduction partiellement libre avec le mécanisme nécessaire. En empruntant la terminologie de Gilbert Simondon/11, nous pouvons dire que pendant le processus de résolution d’un problème se vérifie un processus d’individuation des termes en relations, c’est-à-dire une différenciation réciproque aboutissant à un nouvel équilibre métastable (ce qui ne signifie pas que des schémas nouveaux doivent nécessairement se vérifier). C’est en ce sens, il nous semble, qu’il faut lire le titre de l’installation d’Eduardo Kac. The Eighth Day fait allusion au huitième jour de la création biblique, jour supplémentaire à l’opération divine, au cours duquel le créé se recrée d’une façon autonome en se connaissant et se connaît se recréant.
10En ce qui concerne la question de la connaissance, le modèle réalisé par Eduardo Kac, en tant qu’œuvre rematérialisée, semble en lien avec une notion matérialiste de la signification de « connaître », laquelle diverge essentiellement de la perspective analytique. Selon la perspective matérialiste, le transcendantal est donné par l’organisation de la matière (ou par les changements de l’organisation de la matière du point de vue néo-matérialiste), selon la seconde l’a priori est rationnel. Il faut remarquer que la perspective que nous avons esquissée est néo-matérialiste, et non simplement matérialiste, car elle implique la supposition que le comportement de la matière soit strictement déterminé par une simple linéarité de causes et effets – ce qui empêcherait de donner raison à l’émergence de l’imprévisible et, donc, de la pensée –, mais qu’il est doué d’une certaine liberté, bien qu’il soit réglé d’une manière nécessaire par des lois connaissables. Autrement dit, le néo-matérialisme – contrairement au matérialisme des Lumières où tout était prédéterminé par la première cause – se caractérise par une vision de la nature au sein de laquelle existe de l’espace pour une certaine contingence. Selon le néo-matérialisme, le fait qu’à la même cause puissent correspondre plusieurs effets ne disqualifie pas la nécessité du mécanisme à la base de l’auto-organisation de la matière, mais conduit à l’évidence que ce mécanisme nécessaire est tel qu’il laisse un espace à la liberté et à la contingence. Il s’agit, alors, d’une manière de résoudre le problème de l’induction qui permet de soutenir à la fois la possibilité de connaître par induction les mécanismes nécessaires naturels et le devenir, c’est-à-dire la variabilité contingente des phénomènes observables.
- 12 Voir Stuart Kauffman, Origins of Order : Self-Organization and Selection in Evolution, Oxford, Oxfo (...)
- 13 Sur ce point, il s’accorde avec Ilya Prigogine (prix Nobel de chimie), dont les recherches sur la m (...)
- 14 Les réseaux booléens sont des ensembles où les différents éléments changent d’état par rapport aux (...)
- 15 Voir Manuel de Landa, Intensive Science and Virtual Philosophy, New York, Continuum, 2002.
11Cette perspective néo-matérialiste que nous avons évoquée, telle que nous la trouvons chez Eduardo Kac, est soutenue aussi dans le monde scientifiq ue. En effet, les œuvres de bioart doivent se réaliser dans des laboratoires et avec la participation d’équipes spécialisées et d’appareils techniques sophistiqués, ce qui implique que le projet proposé par l’artiste porte une valeur au moins heuristique aussi pour ceux qui en permettent la réalisation. Nous pouvons affirmer qu’une œuvre de bioart, comme celles considérées plus haut, est une sorte d’expérience scientifique qui doit rencontrer non seulement l’intérêt des biologistes, mais également une compatibilité théorique à propos de la vision de la nature et de la connaissance. Parmi les scientifiques ayant adopté une perspective néo-matérialiste, citons le biologiste américain Stuart Kauffman/12, qui s’est surtout occupé de réaliser des modèles mathématiques permettant de comprendre les règles qui président à l’auto-organisation des systèmes complexes. Ses expériences l’ont conduit à établir que l’univers n’est pas un système complètement déterminé et que la matière a la possibilité d’exprimer, dans son auto-organisation, une certaine liberté. Les systèmes complexes pris en compte par Kauffman, en effet, sont susceptibles de produire des phénomènes d’émergence imprévisibles, c’est-à-dire que, bien que possédant des tendances reconnaissables dans leur comportement, parfois se vérifie ce qui ne pouvait être déduit à partir des règles connues. Selon Kauffman, sans nier la nécessité des lois et la possibilité de les connaître, les études scientifiques les plus récentes concernant la complexité, les systèmes ouverts et la métastabilité nous obligent à refuser les suppositions de la physique classique à propos du déterminisme/13. En effet, le mécanisme à l’origine de l’organisation de la matière d’une manière nécessaire entraîne également des effets produisant des changements des règles d’organisation, c’est-à-dire des émergences. Il faut donc, selon Kauffman, une nouvelle science, une science dont les explications des mécanismes nécessaires donnent raison de la marge de contingence disponible aux systèmes auto-organisés et du devenir naturel, c’est-à-dire du fait que, même si cela est rare, se réalise l’émergence de ce qui n’était pas prédéterminé comme un possible dans les conditions de départ. La pensée humaine elle, du point de vue néo-matérialiste de ce biologiste, ne serait qu’un effet émergent relatif à un certain niveau complexe d’organisation, ainsi, sa créativité et son autonomie de choix ne seraient qu’une expression de la marge de liberté dont disposent les systèmes. De cette manière, penser signifie participer à la créativité naturelle, participer à sa liberté partielle, perspective qui résonne parfaitement avec celle de Kac. Concernant le rapport entre modèle et théorie, qui, comme nous l’avons vu, est fondamental afin de différencier l’approche analytique de l’approche matérialiste, il faut remarquer que Kauffman a élaboré ses théories sur l’auto-organisation des systèmes complexes par voie inductive – les phénomènes d’émergence qui l’intéressaient ne pouvant pas être déduits d’une axiomatique linéaire traditionnelle – en partant de modèles empiriques de réseaux booléens/14. Ceux-ci étaient des simulations de systèmes complexes capables d’auto-organisation permettant de comprendre le mécanisme nécessaire permettant leur autonomie. Dans ce cas, il est évident que le modèle n’est pas l’expérience fonctionnelle à vérifier une théorie dont la nécessité est déjà établie logiquement, mais une réalité dont le comportement nécessairement contingent n’est pas réductible à une formule. De ce point de vue, un modèle empirique n’est pas la réalisation imparfaite d’une idée, mais la théorie est une approximation de la réalité et incapable de donner raison de sa richesse. Cette perspective est prise en compte par le philosophe (et artiste) néo-matérialiste Manuel de Landa/15. Il soutient que l’un des traits caractérisant l’attitude néo-matérialiste est sûrement la considération de la précédence des modèles empiriques sur les théories qui les formalisent. Les modèles, de ce point de vue, servent à comprendre les mécanismes à la base des phénomènes observables dans leur nécessité réelle, c’est-à-dire selon la perspective causale. Naturellement, que des phénomènes déterminés par le même mécanisme soient variables, signifie tout simplement la nécessité d’une certaine contingence caractérisant la propriété d’auto-organisation de la matière. De plus, il faut remarquer que la possibilité de connaitre scientifiquement les mécanismes nécessaires est rendue possible par la marge de liberté disponible dans la matière : la pensée étant une émergence rendue possible par la créativité naturelle. Ainsi on peut entendre la connaissance et la pensée comme des manières de participer au devenir contingent du réel (ce qui ne signifie pas négliger la stabilité et les équilibres observables).
12Pour en revenir au bioart, nous pouvons dire que cet art rematérialisé implique la production d’un modèle empirique n’étant pas l’approximation d’une idée logique parfaite, mais la construction d’un problème dont les conditions sont suggérées par un certain état des choses concret. Dans le cas pris en compte, le problème concerne évidemment la manipulation biotechnologique du vivant, ce qui conduit d’une part à une meilleure compréhension du mécanisme qui fonde cette possibilité, et de l’autre à une coproduction où l’artiste participe à un certain processus de différenciation de la matière vivante. Il s’agit de stimuler une sorte de coévolution entre humains et organismes transgéniques. À ce propos, il faut noter que pour Kac la question de l’intégration d’êtres transgéniques au sein de la société est fréquente. C’est là un problème dont la solution pourrait amener à de nouvelles règles d’organisation sociale et à une nouvelle manière de pensér assumant, par exemple, un point de vue anti-anthropocentrique (comme Genesis semble le suggérer). Si l’art dématérialisé s’accorde alors avec la tendance analytique selon laquelle la seule nécessité que nous devons reconnaître dans la matière est logique, par contre, le processus de rematérialisation à l’œuvre semble adopter un point de vue différent que nous avons défini comme néo-matérialiste, selon lequel le modèle empirique concret, où s’expriment les propriétés réelles d’auto-organisation de la matière, nous donne non seulement les conditions problématiques pour penser, mais aussi pour participer au devenir naturel effectif. Ainsi, bien que l’activité artistique semble ne plus pouvoir se définir ni comme ce qui cause un effet esthétique particulier, ni comme le produit d’un jeu de langage spécifique, elle semble avoir trouvé la capacité de créer, de participer à la production du nouveau, ce que les autres options ne lui permettaient pas, toute production possible étant déjà donnée dans les conditions nécessaires de départ. Peut-être que cet art rematérialisé ne répond-il plus à une définition spécifique de l’art. Toutefois, il nous apparaît, que l’art a ainsi gagné une place dans le processus partiellement contingent d’une production collective, où le sujet humain a perdu son rôle central pour se reconnaître soumis à un ordre réel indépendant de lui, mais qui lui permet de créer : son autonomie est alors une participation à l’autonomie de la matière.
Notes
1 Il y a effectivement une tendance néo-matérialiste qui concerne la science (voir, par exemple, Stuart Kauffman, Origins of Order : Self-Organization and Selection in Evolution, Oxford, Oxford University Press, 1993, et At Home in the Universe : The Search for Laws of Self-Organization and Complexity, Oxford University Press, 1995) ainsi que d’autres domaines de la culture, comme l’a souligné François Dagognet (Rematérialiser, Paris, Vrin, 1998). Un portrait récent et assez complet de la tendance néo-matérialiste est offert par Rick Dolphijn et Iris van der Tuin (sld), New Materialism : Interviews & Cartographies, Ann Arbor, University of Michigan Library, 2012.
2 Lucy Lippard et John Chandler, «The Dematerialization of Art», Art International, vol. 12, n° 2, février 1968, p. 31-36.
3 Sol LeWitt, « Sentences on conceptual art », 0-9, n° 5, janvier 1969, p. 3-5. Traduction française « Positions », dans Charles Harrison et Paul Wood (sld), Art en théorie, Paris, Hazan, 1997, p. 914.
4 Nous pouvons dire que Karl Popper partage également ce point de vue sur le paradigme scientifique. Il soutient la précédence de la théorie sur l’expérience empirique. Alors que pour les positivistes logiques (comme Frege ou Russell), l’expérience n’est pas suffisante pour confirmer la vérité d’une théorie. Selon Popper, une théorie scientifique ne peut jamais être prouvée une fois pour toutes, elle est seulement susceptible d’être falsifiée par l’expérience.
5 Sol LeWitt a publié le texte « Alinéas sur l’art conceptuel » Artforum, en 1967. Il s’agit d’une théorisation de l’art conceptuel établissant des règles pour la production des œuvres.
6 Lucy Lippard et John Chandler, « The Dematerialization of Art », op. cit., p. 34.
7 Sol LeWitt, op. cit., p. 914.
8 En ce sens LeWitt écrit : « les artistes conceptuels sont plus mystiques que rationalists, les jugements rationnels succèdent aux jugements rationnels, les jugements illogiques amènent à une nouvelle expérience », op. cit., p. 913.
9 Joseph Kosuth, « Art after philosophy», Studio international, vol. 178, n° 915-917, octobre, novembre, décembre 1969, p. 134-137, p. 160-161, p. 212-213. « L’art après la philosophie », Art press, n° 1, décembre-janvier 1973.
10 À propos d’une théorie détaillée des rapports co-évolutifs d’interaction entre systèmes vivants auto-organisés, ouvrant des réflexions concernant cognition et connaissance, nous renvoyons à Francisco Varela et Humberto Maturana, L’Arbre de la connaissance, Paris, Addison-Wesley, 1994, notamment aux chapitres 5 et 6.
11 Voir Gilbert Simondon, L’Individuation à la lumière des notions de forme et information, Million, Paris, 2005.
12 Voir Stuart Kauffman, Origins of Order : Self-Organization and Selection in Evolution, Oxford, Oxford University Press, 1993 et At Home in the Universe : The Search for Laws of Self-Organization and Complexity, Oxford University Press, 1995 ou encore Reinventing the Sacred. A New View of Science, Reason and Religion, New York, Basic Books, 2008.
13 Sur ce point, il s’accorde avec Ilya Prigogine (prix Nobel de chimie), dont les recherches sur la métastabilité des systèmes complexes l’ont amené a soutenir le besoin d’une nouvelle physique, une physique du devenir, opposée à la mécanique classique où il n’y avait pas d’espace pour la contingence et où rien de nouveau pouvait jamais se produire. Voir Ilya Prigogine, Physique, temps et devenir, Masson, Paris, 1980 et La Fin des certitudes (avec Isabelle Stengers), Odile Jacob, Paris, 1996.
14 Les réseaux booléens sont des ensembles où les différents éléments changent d’état par rapport aux éléments avec lesquels ils sont connectés, selon des variables booléennes. Stuart Kauffman a été le premier, en 1969, à se servir de modèles de réseaux booléens pour simuler le comportement des réseaux génétiques, mettant en évidence l’émergence spontanée de certaines configurations stables à partir de dynamiques aléatoires ne pouvant pas être prévues à l’avance.
15 Voir Manuel de Landa, Intensive Science and Virtual Philosophy, New York, Continuum, 2002.
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Référence papier
Anna Longo, « Bioart et néo-matérialisme », Marges, 18 | 2014, 66-79.
Référence électronique
Anna Longo, « Bioart et néo-matérialisme », Marges [En ligne], 18 | 2014, mis en ligne le 01 mai 2016, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/873 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.873
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