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Journée d’étude « Image et Espace »

Le renga (« poème lié ») et l’esthétique du lieu

The Renga (“Bound Poem”) and the Aesthetics of Space
Yoneyama Masaru
p. 9-29

Résumés

Le renga — poème traditionnel japonais écrit de manière successive par plusieurs auteurs — nous présente une esthétique du lieu (le za) comme un espace dialogique qui évite tout principe de composition (pas d’unité du sujet ni de relation causale) et toute fixation en général. Celle-ci relève d’une pensée Zen où il n’y a pas d’essence substantielle et fixe des choses, mais une non-articulation par laquelle toutes les choses sont développées dans toutes les choses. Ce jeu de langage entre les différents poètes se situe dans un ici et maintenant où s’opère une négation absolue et réciproque, « une poursuite de la création dans la déviation de l’interprétation ». Cette esthétique du lieu pourra-t-elle favoriser un dialogue constructif entre les pensées orientale et occidentale et contribuer à la progression de la pensée contemporaine ?
Ce texte est suivi d’un Kasen du Sarumino et de notes à son propos.

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Texte intégral

  • 1 Hiroyuki Inui et Teizô Shiraïshi, Shinpan Renku eno Shôtaï [Invitation au renku, nouvelle édition], (...)

1Je voudrais parler du renga, poème japonais traditionnel, afin de développer une réflexion sur « l’esthétique du lieu ». On classe les rengas selon deux catégories : le renga au sens étroit et le renga au sens large. Quelques chercheurs appellent raisonnablement ce dernier tsukéaï bungeï (littérature successive), parce que ces poèmes sont formés d’une façon successive (tsukéaï en japonais) ordinairement par plusieurs personnes. La première personne compose un verset court de 17 mesures seulement, c’est-à-dire de trois vers comportant respectivement 5, 7 et 5 mesures. La deuxième personne y ajoute un verset court de 14 mesures, c’est-à-dire de deux vers de 7 chacun. La troisième personne ajoute encore un verset de 17 mesures et ainsi de suite. Retenons le fait qu’il y a principalement trois sortes de succession : l’évocation des mots, le développement des sens et le reflet des résonances 1.

Le renga et le haïkaï

2Je voudrais maintenant, à l’aide de la citation suivante, démontrer pourquoi on doit classer les rengas en deux catégories, puis expliquer les raisons pour lesquelles il est plus convenable d’employer le mot renku au lieu du mot renga :

  • 2 ibid., p. 3-4.

Au sens étroit renku est un autre nom de haïkaï, qui est opposé à renga. Mais au sens large renku est un terme générique de tsukéaï bungeï, qui est opposé à une littérature formée par une seule personne comme le haïku. Nous employons le mot renku comme terme générique pour la littérature successive, parce qu’il est un mot moderne qui a été inventé après la fin de l’histoire de la littérature successive et qu’il n’y a pas de risque de malentendu historique. C’est en effet un mot commode pour faire la synthèse du renga et du haïkaï. C’est non seulement pour éviter une confusion du sens étroit et du sens large que nous n’employons pas le mot historique renga, mais aussi à cause du fait que l’idée que le renga est surpassé par le haïkaï est connue de l’opinion générale. Le renga a établi la forme de cette activité poétique et le haïkaï en a établi le caractère littéraire. C’est ainsi que la littérature successive s’est constituée en tant que genre 2.

  • 3 Kôji Kawamoto, Nihonsiika no Dentô — Nana to Go no Shigaku — [Tradition des poèmes japonais. Poétiq (...)

3Il y a déjà plusieurs mots à expliquer dans cette citation. Il ne faut pas oublier le fait que les poèmes japonais classiques sont passés de la forme de waka (poèmes japonais classiques les plus anciens) à celle de renga, puis enfin à celle de haïkaï renga (c’est-à-dire renku). Le haïku, qui est en vogue aussi en Occident depuis quelque temps, est le produit d’une histoire longue de waka et renga 3.

  • 4 Kinjirô Kanéko, dans Recueils de renga et de haïkaï, éditions Shôgakukan, coll. Shinpen Nihon koten (...)
  • 5 Junko Takahashi, Renku no tanoshimi [Plaisir de renku], Shinchôsha, 1997, p. 17-18.
  • 6 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 8-9.
  • 7 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2 [Recueil de Bashô Matsuo n° 2], éditions Shôgakukan, coll. (...)
  • 8 ibid., p. 601.
  • 9 ibid.
  • 10 ibid., p. 600.
  • 11 ibid.
  • 12 Junko Takahashi, op. cit., p. 61.
  • 13 op. cit., p. 174.
  • 14 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 601.
  • 15 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 8.
  • 16 ibid.
  • 17 ibid.
  • 18 ibid.
  • 19 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï — Bashô et Buson — Haïkaï comme une expression. Bashô et B (...)
  • 20 cf. Torahiko Terada, L’art cinématographique, dans Œuvres complètes de Torahiko Terada, vol.  III, (...)
  • 21 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 11.
  • 22 Junko Takahashi, op. cit., p. 105.
  • 23 ibid., p. 32.
  • 24 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 5-6.
  • 25 cf. Octavio Paz et al., Renga, Paris, Gallimard, 1971, p. 12 et p. 28.

4On définit le renga ou le renku comme une « littérature de za (lieu) », une « littérature de renju (coauteurs de renga ou renku) » ou une « littérature de kaïseki (réunion) 4 ». Il s’agit d’un art « dialogique » ou « de salut », qui s’oppose à l’art contemporain, ce dernier se perdant dans des activités limitées et arbitraires 5. Le renga ou le renku n’est pas une « littérature solitaire » ou « littérature de chambre fermée 6 », parce que, ordinairement, plusieurs personnes participent ensemble à cette activité poétique — excepté pour le dokugin, séquences composées par un seul auteur. Toutefois le renku n’est pas une « coproduction » qui ordonne les idées de plusieurs personnes en un seul sujet 7. Il n’y a pas d’ordre ou d’unité invariable de sujet ou de teneur, pas plus qu’il n’y a de pensée suivie, d’humeur ou d’affectivité constante 8. Un des principes fondamentaux du renku est d’éviter d’aller en direction d’un sujet unique tout en changeant de sujet de verset en verset 9. Chaque verset est la production d’une personne. Chaque personne utilise un des éléments du verset écrit par son prédécesseur pour créer à son tour son propre verset. Ce dernier, qui sera bien sûr ajouté à celui d’avant servira alors d’inspiration à une autre personne pour la création du verset suivant et ainsi de suite 10 … On s’affirme en respectant la position des autres 11 dans un « lieu » appelé za. Le za pourtant n’est pas une sorte de société « civile » constituée d’individus au sens occidental de personnes liées par un « contrat social  ». En présupposant la position atomiste ou monadologique naïve, on ne peut pas comprendre ce qu’est la littérature successive. Au Japon, à l’époque où la « modernisation » était un commandement impératif, un poète japonais Shiki Masaoka (1867-1902) a critiqué cette « interdépendance mentale » réalisée dans le za —qui est une forme de conscience communautaire ancienne au Japon — pour élaborer le hokku (ou haïku) comme « littérature solitaire et moderne ». C’est le fameux argument sur la « non-littérarité du renku 12 », qui a joué un rôle dans le déclin de la littérature successive. Cette dernière, tombée en désuétude, est de nouveau à la mode depuis 1970 13. On pourrait poser la question suivante : peut-on dire qu’il y a une littérature sans sujet ou sans plan fixé par un thème 14  ? En pensant que la littérature doit permettre d’exprimer ses sentiments, Shiki Masaoka s’est donné pour objectif de moderniser la poésie japonaise en se limitant au hokku parce que seul celui-ci donne le moyen d’exprimer ses sentiments sans être contraint de prendre en considération le verset antérieur 15. Mais sa conception de la littérature est si naïve qu’elle ne lui permet plus le registre de parole élevé utilisé pour le renga 16. La fermeture aux éléments « de jeu » qui sont essentiels à tout art a plongé la littérature moderne dans le malheur 17. De toute façon, le déclin de la « littérature de renju » ou « littérature de za » est déjà arrivé une fois et il ne fait pas de doute que la pensée moderne qui vise l’établissement du « moi moderne » et le respect de l’individualité en est la cause 18. Mais, si nous réfléchissons bien, la vérité suivante se dévoile d’elle-même : il y a ici une différence fondamentale de conception de la littérature entre les Occidentaux et les Japonais. Le problème principal concernant la discussion sur le renku est de savoir s’il existe ou non une unité au sein de chaque œuvre, c’est-à-dire « un ordre dans le désordre », dans l’art du renku. En d’autres termes, savoir si l’on peut trouver une action de force centripète dans le processus créatif du renga dans lequel fonctionne toujours une force centrifuge 19. Cet argument est étroitement lié à l’art cinématographique. En effet, certains chercheurs conçoivent l’art cinématographique comme étant une possibilité d’art désordonné. La conception du montage selon Eisenstein, pour qui le développement des images cinématographiques constituait une « collision » de scènes, a été un défi au développement basé sur la relation causale et logique de type occidentale. Cette conception d’Eisenstein ressemble certainement au développement du tsukéaï dans l’art de renga 20. Torahiko Terada, un scientifique japonais, a soutenu qu’on pouvait trouver cette sorte de procédé de montage dans l’art traditionnel de l’arrangement des fleurs (Ikébana), l’art des jardins et l’art des peintures en rouleau 21. Il a été attentif à la « résonance » dans l’évocation 22. C’est un point de « cohérence ». N’oublions pas que ce sujet est en relation étroite avec une théorie du processus d’auto-organisation dans la science contemporaine. Cependant, je voudrais rappeler la musique polyphonique de la Renaissance. Une poète japonaise a dit que le kasen (une forme populaire de renku) était une symphonie merveilleuse 23. Mais la symphonie est trop unifiée. Aussi on exécute une improvisation de Jazz en respectant une sorte de convention ou forme ce qui fait que même des variations soudaines produisent malgré tout une certaine unité de rythme dans l’ensemble 24. Chaque personne participant à la réalisation d’un renju écoute en lui-même une polyphonie composée des voix de tous les participants 25.

Le renga et la pensée occidentale

  • 26 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 9.
  • 27 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 12.
  • 28 ibid.
  • 29 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 9.

5L’idée d’ouverture du renga a certainement des bornes « féodales » dès son origine 26. En un mot, il y a une distinction équivoque entre le « moi » et l’« autre » dans la culture japonaise traditionnelle 27. On peut dire, bien sûr, que cette équivocité rend possible une formation d’un « lieu » propre, c’est-à-dire un za, par une fonction de ki (le souffle de la nature) formé « naturellement » dans l’échange réciproque du moi « transformable 28 ». En tout cas, la littérature japonaise moderne n’aime pas cette limite féodale et vise à la dépasser. Ce projet a toutefois échoué. Car après avoir fait disparaître le renju, et ne pouvant pas non plus former d’ouverture vers l’universel, on s’est enfermé dans l’individualité 29.

  • 30 ibid., p. 12.
  • 31 ibid., p. 13.
  • 32 ibid.
  • 33 Keiichirô Tsuchiya, Nô to Renga [Nô et Renga], dans Kokubungaku [Revue de la littérature japonaise](...)
  • 34 cf. Yoshihito Tokuda et al., dans Haïku & Renku Ryôhô [Haïku et renku thérapie], Ôsaka, Sôgensha, 1 (...)
  • 35 ibid., p. 115-116.
  • 36 Octavio Paz et al., Renga, p. 29 ; Keiichirô Tsuchiya, op. cit., p. 51.
  • 37 Keiichirô Tsuchiya, op. cit., p. 51.
  • 38 http://www.renga.com/; http://www.syba. co.jp/kbit/renga2002/ linkedpicture1.html

6Dans la « littérature de za » il est proscrit de prendre une attitude peu naturelle, comme se contenter d’un sujet faute de ne pas réussir à en changer par exemple ; d’expliquer quelque chose avec prolixité pour éviter tout malentendu et d’harceler autrui de questions pour obtenir une réponse très détaillée. Ce genre d’attitude est néfaste au za 30. En ce qui concerne les situations de communication, les Japonais préfèrent la causerie au colloque 31. Si l’on pense que le colloque est supérieur à la causerie, on ne peut pas apprécier la littérature « improvisée » à sa juste valeur, puisqu’elle manque de suite logique 32. Tout le monde sait que l’on échange des paroles avec quelqu’un pour chercher à atteindre la vérité dans une communication ou une discussion « à l’occidentale 33 ». Mais, de nos jours, où l’on insiste sur une reconsidération du « moi moderne » et sur la notion de « sujet », il est certain qu’une pratique « à la japonaise » de la poésie est importante comme étant une autre possibilité offerte par l’art de penser. Le fait qu’on emploie le haïku et le renku en psychothérapie n’est pas étranger à cette reconsidération 34. Une thérapeutique par la poésie est la thérapie la plus ancienne et la plus efficace dans la psychiatrie comme nous le montrent plusieurs exemples datant de l’époque romaine 35. Octavio Paz qui s’intéressait beaucoup au renga émettait l’hypothèse que la « littérature de za » puisse être mise en rapport avec la communication sur Internet, parce que selon lui, l’activité de renga est « un antidote contre les notions d’auteur et de propriété intellectuelle 36 » . Car il n’y a rien de plus proche de la méthode et de l’esprit de renga que la communication sur Internet 37. Une autre sorte de renga, « la peinture liée » qui est formée d’une façon successive par de multiples personnes, comme le network art sur Internet, est un essai important de l’interaction en arts plastiques 38. C’est aussi pour cette raison que la notion d’« œuvre » est menacée comme on le verra ci-après.

  • 39 Junko Takahashi, op. cit., p. 127.
  • 40 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 14.
  • 41 ibid.
  • 42 ibid., p. 14-15.

7Comme le renga est une littérature de za, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas transmises aux personnes qui se trouvent hors du za 39. Dans la littérature de za on épure une expérience commune entre personnes de confiance, et il en résulte un style stagnant, fermé et une auto-satisfaction 40. C’est pourquoi, afin de rendre accessible le renku au plus grand nombre, on y ajoute des annotations. Cela fait partie du processus de développement de la littérature « à composer » — servant à divertir seulement les membres du za —, à la littérature « à être lue » même au-dehors du za 41. Cependant si le renku ne peut se passer d’une assistance de notes, on ne peut se contenter de simplement le lire. Il y a donc un argument qui nie la littérarité du renku 42. Il est pourtant possible de faire émerger une particularité de la littérature japonaise en clarifiant les raisons pour lesquelles les Japonais créent de tels poèmes. Kôji Kawamoto remarque que nous, Japonais, éprouvons d’abord une sorte de tristesse ou mélancolie quand nous rencontrons des expressions comme « le soir d’automne » par exemple, et qu’en même temps nous nous souvenons d’un paysage triste que Teika Fujiwara et Bashô Matsuo ont décrit dans leurs poèmes. Et Kawamoto continue comme suit :

  • 43 Kôji Kawamoto, op. cit., p. 4-5.

C’est un phénomène assez unique que certains mots ou thèmes poétiques évoquent, quasi automatiquement et exclusivement, certains sentiments ou associations d’idées, et qu’on les admet comme principes. Un mot, bien sûr, possède ordinairement des sens figurés en plus d’un sens propre. Un mot qui transmet sans aucune équivoque possible au lecteur certaines informations, et qui ne soulève aucune réaction superflue comme un signe mathématique, n’est qu’un rêve de logicien. De même, un mot qui éveille toujours les mêmes sous-entendus ou les mêmes résonances et cela sans aucun rapport avec l’auteur ou le lecteur, est d’une rare exception. On se sent entravé par ces états de choses, puisque c’est justement dans la littérature et surtout dans la poésie qu’on peut généralement sortir du carcan des sens stéréotypés. Mais on peut comprendre combien de possibilités sont offertes en poésie, dans certains cas, par ces états de choses 43.

8Ces observations visent à faire remarquer un caractère de la poésie japonaise par contraste, par exemple, avec la poésie française. La citation suivante le montre clairement :

  • 44 ibid., p. 13.

“Le soir d’automne” dans la poésie française moderne n’a aucun goût fixe et stéréotypé. En d’autres termes ces mots ont tellement de significations diverses que les poètes et les lecteurs doivent choisir la plus convenable. Cela contraste parfaitement avec la poésie japonaise 44.

En effet, les poésie de Baudelaire citées par Kawamoto montrent clairement une différence de sensibilité concernant « le soir d’automne ». Par exemple :

Quand, les deux yeux fermés,
en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone […]
Parfum exotique

C’est un soir “enflammé” d’automne,
empreint d’enivrement et d’ennui.
Que les fins de journées d’automne sont pénétrantes !
Ah ! Pénétrantes jusqu’à la douleur !
Le confiteor de l’artiste

9C’est un soir « imposant » d’automne, qui pique la sensibilité humaine par la pointe de l’infinité. Voudriez-vous comparer les deux vers suivants de « Chant d’automne » avec « l’uniformité » pour ainsi dire « japonaise » ?

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres  ; Adieu, vive clarté de nos étés trop courts  !

  • 45 ibid., p. 101.

Pour résumer, il y a « un réseau d’évocations littéraires 45 » dans la littérature japonaise. Quand le réseau s’est-il formé ?

  • 46 ibid., p. 165.

C’est justement après l’épanouissement de la littérature de renga qu’on a fait correspondre en les classant les mots kigo à chacune des saisons. Par exemple, on assigne la lune, le brouillard et le cerf toujours à l’automne. […] La création de nombreux poèmes est généralement régie par les correspondances kigo-saison que l’on trouve dans les poèmes antérieurs, surtout les poèmes célèbres. Ce qui est plus important ici, ce n’est pas la réalité même désignée par un mot mais la position relative de ce mot dans le réseau des mots du monde littéraire et de la tradition littéraire de la poésie etc. 46.

  • 47 On peut le lire en français aussi dans le livre suivant : René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, L’A (...)

10De toute façon, il nous faut donner une vue d’ensemble de l’his­toire du tsukéaï bungeï (littérature successive) pour éclaircir la présence et la fonction réelles du « réseau des évocations littéraires 47 » .

Une brève histoire du renga

  • 48 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 20.
  • 49 ibid., p. 20-21.

11L’origine du renga (composition par plusieurs personnes, à tour de rôle, d’un poème) est basée sur une croyance en la force spirituelle et merveilleuse des mots (Kotodam) 48. Par exemple, en amour, on croyait qu’on pouvait captiver l’interlocuteur en composant à plusieurs alternativement un poème. Yoshimoto Nijô (1320-1388) a expliqué le processus de formation du renga en trois étapes  : 1. Un dialogue à forme « non-fixe » entre deux dieux Izanagi et Izanami ; 2. Un dialogue à forme fixe (5-7-7 mesures, c’est-à-dire le Katauta) entre le général noble légendaire Takerunomikoto Yamato et l’allumeur de réverbères Hitomoshibito  ; 3. Un dialogue à forme fixe de renga entre le poète Ôtomo no Yakamochi et « une nonne 49 »  :

  • 50 Traduit par René Sieffert, cf. René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. XIII.

La nonne : De la Sahogawa
           l’on a endigué les eaux
           et du champ planté...
Yakamochi : Moissonné le riz précoce
           seul je saurai en user 50.

  • 51 ibid.
  • 52 ibid.
  • 53 cf. Kinjirô Kanéko, dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 240-241.
  • 54 René Sieffert, op. cit., p. V.
  • 55 cf. Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 606.
  • 56 Kinjirô Kanéko, dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 246.
  • 57 ibid., p. 254.
  • 58 ibid.
  • 59 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 606.

12Ce n’est pas là le seul dialogue poétique rapporté par l’anthologie ancienne du VIIIe siècle, toutefois habituellement chacun des auteurs s’exprime en un tanka (« poème court », de 5, 7 et 5 / 7 et 7 mesures), complet en soi 51. Le procédé employé ici, par contre, et qui est nommé renga (« poème lié »), est insolite en ce que, pour la première fois, deux auteurs composent chacun l’un des deux ku (« versets ») qui forment le tanka 52. C’est un poème à forme tan-renga (renga court) 53. Si le tanka classique est une œuvre individuelle, même lorqu’il est composé lors d’un concours, le renga est par définition un dialogue ; il sera donc un art social, un mode de communication qui, par voie de conséquence, sera très tôt soumis à des règles analogues à celles de la politesse 54. Par la suite, après une prospérité de cette forme tan-renga au second tiers de l’époque Heian, une forme chô-renga (kusari-renga, les renga en chaîne) dans laquelle on fait succéder le poème de 5-7-5 mesures à celui de 7-7 mesures tour à tour, l’emporte sur le tan-renga. Puis à l’ère Kamakura le nombre de successions de poèmes se monte à 50 ou à 100 (50 in-renga ou 100 in-renga) 55. Le renga devient plus raffiné et indépendant du waka (tanka) avec la formation de 100 in-renga56. Le renga a abouti à une forme et à un contenu complets au XIVe siècle, époque où un schisme politique surgit au Japon 57. Cette époque politiquement difficile a été celle de l’établissement du renga 58. Dans l’ère Muromachi, les poètes Shinkei (1406-1475), Sôgi (1421-1502) et Sôchô (1448-1532) ont considérablement développé la littérarité du renga 59. Citons maintenant un passage expliquant ces cadres sociaux relatifs à la littérature de za.

  • 60 Masakazu Yamazaki, Muromachi-ki, Tokyo, Shuppannsha Asahi, 1976, p. 126.

Ce qui est demandé ici, c’est de se mettre en disposition afin de saisir correctement le cours de l’atmosphère de za, et de s’auto-harmoniser avec cette atmosphère à la manière vivante mais réservée. Ce qui est éprouvé ici, c’est la capacité la plus subtile de l’âme de l’être humain. La grossièreté, l’affectation ou ces autres laideurs deviennent immédiatement évidentes.
C’est une extraordinaire sagesse qu’ont les gens vivant des époques de trouble, de ne croire que des personnes qui ont été éprouvées et se sont fiées mutuellement dans cette sorte de lieu. C’est l’essence des relations humaines qui reste toujours après l’écroulement de tous les systèmes politiques. Cette sorte de lieu serait plutôt une véritable grand-route de la société humaine 60.

  • 61 Yasutaka Téruoka et al., dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 599-600.
  • 62 cf. René Sieffert, op. cit., p. XVIII-XXI.
  • 63 Yasutaka Téruoka et al., dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 601.
  • 64 René Sieffert, op. cit., p. XXIII-XXIV ; cf. Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 11.
  • 65 cf. Inui et Shiraïshi, ibid.
  • 66 ibid.
  • 67 ibid.
  • 68 ibid., p. 12.

13Le renga a évolué vers le haïkaï. Un des tournants décisifs de cette histoire a été causé par la publication d’un recueil intitulé Inu Tsukuba-shû (le manuscrit est daté de 1525) de Sôkan Yamazaki et d’un recueil de « mille versets », Senku Moritaké (1540) de Moritaké Arakida (1473-1549) 61. Ce sont les œuvres d’un prêtre shintô et d’un rônin c’est-à-dire d’un guerrier en rupture de ban, réduit à l’oisiveté par la disparition de son clan 62. Ils ne sont pas de naissance noble, mais des lettrés, qui avaient souvent l’occasion de rencontrer des gens du peuple 63. Pourquoi devons-nous prêter attention au « peuple » ? Parce que dans le haïkaï on utilise des haïgon, des mots de haïkaï, autrement dit des mots prohibés dans la poésie classique, termes considérés comme triviaux ou vulgaires, et aussi des termes chinois, lesquels constituent, faut-il le rappeler, la quasi-totalité de la terminologie technique ou conceptuelle, et une bonne part du vocabulaire de cette époque-là 64. Le renga ou le haïkaï dépendent de l’utilisation du haïgon 65. Le haïkaï est le renga des drôleries 66. Introduire le haïgon au sein du renga, peut prêter à rire en raison de l’écart de leurs valeurs 67. Depuis lors, l’histoire du haïkaï est celle de l’enrichissement du haïgon 68.

  • 69 Yasutaka Téruoka et al., dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 608.
  • 70 ibid.
  • 71 ibid., p. 606 ; cf. René Sieffert, op. cit., p. XXV.
  • 72 René Sieffert, op. cit., p. XXIII ; cf. Yasutaka Téruoka et al., op. cit., p. 608-609.
  • 73 Yasutaka Téruoka, op. cit., p. 609.
  • 74 cf. René Sieffert, op. cit., p. XXIV.
  • 75 Yasutaka Téruoka, op. cit., p. 606.
  • 76 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 12.
  • 77 ibid.
  • 78 ibid.
  • 79 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 610 ; cf. René Sieffert, op. cit., p. XXXVII.
  • 80 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 37.
  • 81 ibid., p. 38.
  • 82 Sur les affinités, les analogies entre les jeux surréalistes et le renga, cf. Octavio Paz et al., R (...)
  • 83 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 40-41.

14Deux écoles célèbres, Teimon et Danrin, tracent ce chemin en adoptant la forme de 100 in-renga. La forme successive (tsukéaï) de Teimon a tendance à augmenter le torinashi-zuké, c’est-à-dire le changement des significations à l’aide des mots homonymes 69. En bref, ce sont des jeux de mots, qui ont pour objectif la connaissance, sans référence au goût 70. Ce n’est pas un haïkaï de « l’enchaînement par le sens », kokoro-zuké, mais celui de « l’enchaînement par les mots », mono-zuké 71. Pour faciliter les enchaînements, le Teimon publie des aide-mémoires ou répertoires de termes classés par associations d’idées. Ces répertoires seront continuellement réédités et enrichis, au point que l’on trouvera par exemple dans le Ruisen-shû, publié en 1676, jusqu’à vingt ou trente associations pour un même mot (soit près de quarante mille au total) 72. Ils sont infiniment pratiques, mais, d’un autre côté, ils engendreront des stéréotypes 73. En s’opposant au formalisme du Teimon, le Danrin devient puissant et émet l’idée que le haïkaï est dans l’esprit plutôt que dans la lettre 74. Au centre de ce mouvement se trouve Sôin Nishiyama (1605-1682), dont les disciples célèbres sont Ichû Saïkaku, et Takamasa. C’est le haïkaï de « l’enchaînement par le sens 75 ». En d’autres termes, l’histoire du haïkaï est un processus de violation du monde établi des mots élégants traditionnels, par la réalité du monde quotidien que le haïgon représente 76. Quand le monde du poème de renga est menacé dans son cours, Bashô Matsuo (1644-1694) le ressuscite comme le poème du haïgon, c’est-à-dire shôhû haïkaï, en lançant l’idée de « redressement du haïgon 77 » . Il vise à synthétiser le renga et le haïkaï par la « poétisation » du haïgon jusqu’alors traité comme un mouvement anti-poésie 78. C’est Bashô qui monte sur le trône de la littérature successive en perfectionnant la forme kasen — c’est-à-dire celle de 36 versets. Il (ou ils) compose(ent) un recueil célèbre, le Sarumino, que Kyoriku qualifie de « Kokin-shû du haïkaï 79 ». Mais le renku tombe rapidement en décrépitude et cela pendant une vingtaine d’années (de la fin de XVIIe siècle aux années 1720). Faisons une interprétation élargie de la citation suivante de Bashô : « on doit composer un verset comme si l’on composait un hokku sans kigo représentant une saison ». Cette tendance se dirige vers l’indépendance du verset, causant une rupture de la succession 80. Le za apparaît quand le successeur, aussi bien que le prédécesseur d’un verset, passent au suivant sans considérer le sens d’enchaînement 81. Cela évoque sans doute l’art poétique du surréalisme 82. Il est à noter que cette tendance démantèle le renga et arrive à l’histoire du haïkaï hokku-central. Depuis, Buson Yosa (1716-1783) et Issa Kobayashi (1763-1827) ont composé beaucoup d’œuvres de renku. Mais quand le hokku de Shiki Masaoka aspire à prendre rang parmi les poèmes « modernes » comme le haïku, le renku touche à son terme 83.

Le renga dans le monde contemporain

  • 84 Octavio Paz et al., Renga.
  • 85 Makoto Ôoka, Yôroppa de Renshi wo maku [Composer des poèmes-liés en Europe], Tokyo, Shoten Iwanami, (...)
  • 86 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïka, p. 4.
  • 87 Kenichi Sasaki, Sakuhin no Tetsugaku [Philosophie de l’œuvre], Tokyo, University of Tokyo Press, 19 (...)
  • 88 ibid., p. 38.
  • 89 cf. Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 6.
  • 90 cf. George P. Landow, Hypertext : the Convergence of Contemporary Critical Theory and Technology, T (...)
  • 91 Ernst Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Dritter Teil, Phänomenologie der Erkenntnis, D (...)
  • 92 Aristote, Poétique, 1450b, l.21 et sq.
  • 93 cf. Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 7.
  • 94 ibid.
  • 95 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 602.
  • 96 cf. Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 12.

15J’ai employé le mot « terme », mais la réhabilitation du renga ou renku est commencée depuis longtemps. Ce qui est très intéressant dans ce contexte, c’est que cette réhabilitation s’est déroulée au moment même où les pensées modernes ont abouti à une impasse. Dans ces circonstances, sont publiés le livre d’Octavio Paz 84 et celui d’un poète japonais Makoto Ôoka 85. De nos jours, à l’aide d’un moteur de recherche, on peut trouver immédiatement quelques milliers de sites Internet sur le renga, le renku et le renshi. Naturellement dans beaucoup de ces sites se forme le za de renga et de renku. Dans un réseau japonais de communications qui s’appelle « @nifty », un forum propose de composer un kasen sur une durée d’à peu près un an. Certes, on peut dire qu’il y a là une activité poétique. Mais, de nouveau, il nous faut mettre en question l’existence même d’une « œuvre ». Car une « œuvre » de renga par définition ne tolère pas de principe de composition et d’unité de l’œuvre, par conséquent les temps, les scènes, les positions des personnages et des choses changent avec une grande facilité. Au contraire, cette « œuvre » nie volontiers le contexte 86. L’essence d’une « œuvre », selon Umberto Eco, est (i) l’œuvre est une unité organique, (ii) elle permet plusieurs interprétations, (iii) il n’y a qu’un auteur, (iv) on peut trouver des traces de la personnalité originelle de l’auteur dans cette œuvre. Toutefois on ne peut qu’appliquer seulement la caractéristique (ii) à l’art du renga, fondé sur la création collective 87. Peut-on dire que l’œuvre « ouverte » est toujours une « œuvre » ? Umberto Eco considère toutefois que c’est une « œuvre 88 ». Cependant plusieurs personnes préfèrent le mot « énergie » au mot « œuvre 89 ». Ils visent à fuir « le fétichisme de l’œuvre — l’objet fermé, accompli et absolu » comme « une espèce d’idole 90 », parce que cette idole peut diminuer la force créative des autres auteurs. Nous ne devons pas prêter attention à « une simple œuvre (ergon) », mais plutôt à « l’énergie » qui soutient une forme nouvelle de formation 91. Il est très important de nous rappeler, dans ce contexte, les deux méthodes de composition des pièces de théâtre, c’est-à-dire celle d’Aristote et celle de Zéami. Le premier utilise les notions essentiellement statiques de « commencement, milieu et fin 92 », le second a une approche semblable à celle d’Aristote avec une différence majeure  : elle n’est pas statique mais dynamique 93. Trois parties selon Aristote forment la structure du contenu d’une pièce de théâtre, tandis que Jo-Ha-Kyû est un ordre concernant le style d’action 94. Ce qui compte dans le za, ce n’est pas de composer une œuvre mais d’apporter la paix aux participants 95. Chacun établit une communication de forme « non-fixe et fluide » avec des membres du za comme l’échange d’un ballon dans un cercle de volley-ball 96. « Le langage absolu » d’Alain est étroitement lié avec cette sorte de communication.

  • 97 Alain, « Vingt leçons sur les beaux-arts », dans Les Arts et les Dieux, Paris, Gallimard, Bibliothè (...)

Je veux considérer ici le premier langage, en vue de comprendre la danse considérée comme le langage absolu. Et voici ce que j’entends par langage absolu. Il y a une partie du langage qui n’a d’autre objet que lui-même ; il y a un moment du langage où le langage occupe toute la pensée. Comprendre, c’est seulement savoir que l’on communique ; c’est imiter sans chercher plus loin. C’est imiter et savoir que l’on est imité. Le pur signe, qui est le premier signe, n’a pas d’autre sens que lui-même ; il va, il revient ; il est confirmé par l’échange. Tel est sans doute le lien de société ; l’on peut comprendre par là ce que chacun sait, c’est qu’il y a bien de la différence de ce que l’on dit à l’étranger à la même parole que l’on dit aux siens. Faire société ce n’est pas principalement savoir ce qu’on exprime, c’est d’abord savoir que l’on est compris 97.

  • 98 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 601.
  • 99 ibid.
  • 100 ibid.
  • 101 ibid.
  • 102 cf. Alain, Propos sur l’éducation suivis de Pédagogie enfantine, Paris, PUF, 1986, p. 48.
  • 103 Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 200è édition, 1973, p.  (...)
  • 104 ibid., p. 56 et sq.
  • 105 Atsushi Fukui, Descartes kenkyû [Études cartésiennes], Tokyo, Sôbunsha, 1997, p. 53.
  • 106 cf. Leibniz, Monadologie, § 7.
  • 107 cf. Hiroki Azuma, Sonzairon-teki, Yûbin-teki — Jacques Derrida ni tuite— [Ontologique, postal. Sur (...)
  • 108 cf. George P. Landow, op. cit.
  • 109 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 9.
  • 110 ibid.

16L’échange des signes forme un « lieu ». Mais dans quel cas se forme le za « à la japonaise » ? Poursuivons notre argument en exploitant la différence entre deux za, le za synchronique ou spatial et le za diachronique ou temporel 98. Le premier est le za réel où les membres (renju) se réunissent pour la composition, et cela va sans dire que c’est la forme essentielle du za 99. Il est pourtant possible de considérer une solidarité entre des personnes, qui ne se trouvent pas dans un même lieu physique, comme un za synchronique, à condition qu’elles communiquent entre elles par l’intermédiaire du goût pour la poésie 100. Le za diachronique se forme sous l’influence des hommes des siècles passés par l’intermédiaire des œuvres classiques 101. On peut certainement dire que la technologie informatique a rendu possible la réalisation du za synchronique à l’échelle globale. Mais qu’est devenu, le za diachronique ? Certaines tendances de pensée moderne sont indifférentes à l’histoire. On s’imagine que la dernière vérité est ce qui lui convient (« lui » étant ici un étudiant) 102. Il me semble que nous devrions d’abord avoir conscience du fait que nous sommes des êtres historiques et nous diriger ensuite vers la création. Le doute « méthodique » de Descartes, qui reconsidérait tout, est évidemment important. Autrement on en est facilement réduit à retourner à une communauté « de connivence », c’est-à-dire à « une société close 103 »  ou à « une morale close 104 ». Il va sans dire qu’on doit suivre le doute « méthodique » pour considérer philosophiquement l’histoire 105. Le cogito ignorant de « l’autre soi » a certainement ouvert un chemin pour les monades leibniziennes, mais en même temps ce cogito et ces monades « qui n’ont point de fenêtre 106 » ont causé une espèce d’autisme par rapport à la subjectivité individuelle. Il est clair que c’est justement une reconsidération de cette situation qui nous incite à nous frayer un autre chemin. On dit souvent que le structuralisme a détruit le subjectivisme de Sartre. Mais si Lévi-Strauss reconnaît avec plaisir la détermination proposée par Paul Ricœur, c’est-à-dire « une sorte de kantisme sans sujet transcendental », le structuralisme renonce au subjectivisme, mais ne quitte pas le logocentrisme. Que devient, la pensée de Jacques Derrida ? Edward Saïd a critiqué la pensée de Derrida comme étant une sorte d’eurocentrisme 107. Cet argument se rapporte aussi à la discussion sur l’hypertexte qui se développe sous l’influence de la pensée de Derrida 108. Il est possible que l’homme « moderne » soit mort. Alors, aurait-il été remplacé par la vision optimiste de l’intelligence collective que l’on trouve chez Pierre Lévy ? La « médiologie » développe-t-elle quelque argument qui dépasse l’individualité de l’homme ? Je ne le sais pas. Ce que je suis en mesure de faire ici, c’est de développer un argument sur « l’esthétique du lieu » en étroite relation avec la « littérature successive », en utilisant la « logique du lieu » de Kitarô Nishida. Dans la succession du renku on accorde de l’importance à la polysémie et aux interprétations diverses, car le renku est une poursuite de la création dans la déviation de l’interprétation 109. Et cela nous suggère une idée de l’esthétique nouvelle qui ne peut être jugée par la philosophie « rationnelle » et occidentale 110.

Le renga et la conception zen des transformations de l’individu

Commentons maintenant la citation suivante, qui décrit la relation entre la poésie et le zen

  • 111 ibid., p. 179-180.

Je pose une question et tu réponds. Je pose une question et l’autre répond. Par un mouvement aller-retour, l’existence du lieu est établie, dans lequel “le moi” coexiste avec “l’autre” ; le monde du néant se confirme, qui enveloppe à la fois ce monde et l’au-delà. C’est justement ce monde que le zen-mondô (le dialogue zen) vise. Il est certain que cette méthode “dialectique” du zen a cours dans le monde de la poésie 111.

  • 112 Kitarô Nishida, Opera Omnia [Nishida Kitarô Zenshû] vol. XI, Tokyo, Shoten Iwanami, 1949, p. 115 et (...)
  • 113 Kitarô Nishida, Opera Omnia, vol. VII, 1949, p. 313.
  • 114 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 186.

17Kitarô Nishida a établi son argument concernant l’individu et le lieu, sur la base de la négation « absolue et réciproque ». Selon Nishida, c’est contre un autre individu qu’un individu est individu ; ils établissent des relations entre eux par la négation absolue 112. En même temps, même si le « général » n’est absolument pas l’individu, le « général » se transforme en monde des « individus » par la négation absolue 113. On ne doit alors pas reconnaître quelque chose de substantiel et de fixe. Et justement en raison de cela, toutes les choses entrent dans de véritables relations. Le monde du zen existe là. On ne doit pas oublier le fait que Bashô Matsuo était pratiquant de zen 114.

  • 115 Toshihiko Izutsu, Ishiki to Honsitsu [Conscience et essence], Tokyo, Shoten Iwanami, 1983, p. 121-1 (...)

Une fleur est anéantie une fois et ressuscite de nouveau comme une fleur, mais sans reprendre l’essence de la fleur, en d’autres termes à la manière non-essentielle... Dans ce monde mis en ordre à nouveau, toutes les choses sont distinguées entre elles, mais ne sont pas fixées à leur essence, donc sont “transparentes réciproquement”. Une fleur “se fond” dans un oiseau tout en étant une fleur. Un oiseau “se fond” dans une fleur tout en étant un oiseau. C’est justement le monde de “la pénétration mutuelle et pliée à l’infini des individus” (jijimuge) qu’un moine zen Dôgen a exprimé comme suit : l’eau pure passe la terre, un poisson nage comme s’il était un poisson. Le ciel vaste se fond dans l’univers, un oiseau vole comme s’il était un oiseau.
Je ne dis pas : “un oiseau est un oiseau” mais “comme s’il était un oiseau”. De plus, une chose qui apparaît “comme s’il était un oiseau” vole infiniment haut. Car on n’établit pas l’essence de l’oiseau dans ce contexte. Cet oiseau n’est pas astreint à l’essence de l’oiseau. Mais, quoique n’ayant pas l’essence de l’oiseau, cet oiseau est articulé comme un oiseau. Je voudrais l’appeler l’articulation non-essentielle de l’être, qui est caractéristique du zen, et qui appartient aux replis de l’expérience du zen115.

  • 116 ibid., p. 139.
  • 117 ibid., p. 178.
  • 118 ibid.
  • 119 cf. Leibniz, Monadologie § 66-68.

18La reconnaissance de « la non-articulation absolue » de l’être, en même temps que celle de « l’articulation empirique », est le point central de l’ontologie du zen 116. On peut dire que c’est un aspect positif qui se trouve dans l’ambiguïté « japonaise » de la distinction entre le « moi » et l’« autre ». Mais si nous en restons à cette ambiguïté, nous ne pouvons pas entrer dans le rapport de la négation absolue. Ainsi nous devons penser que le lieu ressuscite les individus qui sont détruits une fois par le lieu lui-même, et que les individus ressuscitent le lieu qui est détruit une fois par les individus eux-mêmes. C’est justement ce qui se passe dans le za du renku. Seul en participant à cette expérience, on peut comprendre que chaque chose articulée contient en elle-même toutes les autres choses, parce que toutes les choses sont des apparitions d’un « non-articulé » dans sa totalité. Une fleur est non seulement une fleur, mais elle contient dans sa structure interne de l’être un oiseau et toutes les autres choses articulés ; un oiseau n’est pas seulement un oiseau, mais il contient en lui une fleur ; toute chose contient toutes les autres 117. C’est une articulation typique du zen, dans laquelle toutes les choses sont « enveloppées » dans toutes les choses par l’intermédiaire de la non-articulation (c’est-à-dire par l’intermédiaire du lieu) 118. La monadologie ressuscite ici comme pensée vivante. Voilà « la monadologie créative » de Kitarô Nishida. Cet argument du jardin issu de la Monadologie de Leibniz 119 ressuscite dans la pensée du zen. Si l’on développe cet argument par rapport au langage, on participe à la réflexion concernant le mode d’emploi créatif du langage dans le renku.

  • 120 Toshihiko Izutsu, Ishiki to Honsitsu, p. 376.

Un être une fois articulé — entendez à partir d’ici pour articulé, conçu en pensée et prononcé comme mot — et devenu un cristal, si on le regarde comme un être fixe et statique, ne dévoile pas une entité originelle et antérieure à l’articulation, mais la dissimule derrière sa forme cristallisée. Dans ce cas on ne voit pas un être, mais on rêve de l’être.
Le zen se sert du langage pour enlever ce voile d’une seule traite. Il utilise le langage articulé afin de redonner, sur le moment, un mode d’existence non-articulé, à l’être articulé par l’intentionnalité “sémantique” du langage 120.

19Il ne faut pas que nous considérions l’utilisation de la langue comme un moyen d’exprimer un contenu déjà fixé pour l’utilisateur. La langue n’est pas un moyen pour un but externe. La relation entre les mots et le système de la langue éclaircit analogiquement la relation entre les individus et la société. Il n’est pas vrai que les individus en tant que substances (c’est-à-dire des êtres fixes et « cristallisés ») entrent dans la société comme substance « morale » hégélienne. Il n’est pas vrai que les personnalités substantielles s’unissent par fusion dans une personnalité « nouvelle, grande, sociale et substantielle ». La substantialité des individus et de la société, au sein de leurs relations, doit leur être ôtée. Ils apparaissent du néant, rencontrent, se quittent et sont réduits à néant d’un moment à l’autre. C’est justement ce que signifie « la négation absolue ». L’esthétique du lieu évite la fixation en générale. Si l’on fixe quelque chose et qu’on la répète, il n’y a pas là d’activité vitale. Alain dit :

  • 121 Alain, « Hegel », dans Les Passions et la Sagesse, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 19 (...)

[…] ce qui fait le mal d’une institution, si parfaite qu’on la suppose, c’est le retour à l’être abstrait et mécanique, c’est le bien sans âme, et la paresse de la pensée 121.

C’est ainsi que Nishida souligne « la création » dans sa philosophie.

  • 122 Kitarô Nishida, Opera Omnia, vol. X, 1950, p. 498.

Le monde où tous les membres entrent en relation par l’intermédiaire de la négation absolue doit être un monde “créant et créé”, c’est-à-dire un monde créatif. Chaque point de ce monde doit être le point de départ de la création 122.

  • 123 Kitarô Nishida, Opera Omnia, vol. VII, p. 59.

20Selon Nishida, un acte signifie une détermination réciproque, non seulement entre les individus eux-mêmes mais encore entre les individus et le lieu par l’intermédiaire de la négation absolue 123. Il y a là une opposition violente :

  • 124 ibid., p. 115.

Par le lieu, les individus se déterminent réciproquement. Et cela doit signifier, en ce qui concerne l’individu, que le lieu lui donne naissance et l’entretient mais qu’en même temps il le nie et le “tue” 124. 

  • 125 ibid., p. 302.

21Il est à noter que c’est justement dans cette opposition violente que la détermination individuelle s’unit à la détermination générale, et qu’à partir de là on peut mener une réflexion sur les arts 125. La philosophie du néant n’est pas un nihilisme. L’esthétique du lieu n’est pas basée sur le nihilisme. On vise souvent à une création « raide » que l’on réalise en admettant soit que la matière est impérissable (la position atomiste), soit que l’âme est impérissable (la position monadologique « naïve »). Mais ici je voudrais construire une esthétique qui vise à une création basée sur la « légèreté » flexible, karumi, de Bashô Matsuo. Il y a ici un point important de la pensée orientale qui peut contribuer à la progression de la pensée contemporaine. J’ai examiné dans ce texte un exemple concret de la pensée orientale dans la tradition japonaise de la poésie. J’aimerais maintenant conclure avec cette citation :

  • 126 Toshihiko Izutsu, op. cit., p. 21.

Le monde réel où nous vivons a de la réalité dans une certaine mesure, même s’il n’existe pas “d’essence” ou même s’il n’existe pas de point fixe de l’être comme essence. Bien qu’il n’existe pas d’essence, les choses existent. Même si l’on nie complètement la réalité de “l’essence”, on ne tombe pas pourtant dans un nihilisme concernant le monde empirique. On admet la réalité des “êtres” articulés que l’on ne peut pas penser d’une manière simple comme s’ils étaient un rêve ou une vision. C’est une tendance caractéristique de la pensée orientale. On peut rencontrer ce type de pensée à de nombreuses occasions et sous diverses formes dans la philosophie orientale et surtout dans le bouddhisme du Grand Véhicule sous une forme remarquable 126.

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Annexe

Dans la rue (ou Lune de l’été)
Un Kasen du Sarumino

Traduit par René Sieffert

1. Dans la rue marchande
ah ces odeurs qui se mêlent
lune de l’été
[Bonchô]

2. Qu’il fait chaud ah qu’il fait chaud
s’écrie-t-on de porte en porte
[Bashô]

3. À peine deux fois
a-t-on desherbé voici
déjà les épis
[Kyoraï]

4. La cendre il fait tomber
une sardine grillée
[Bonchô]

5. Dans ce coin perdu
l’on n’a jamais vu d’argent
ah quel embarras
[Bashô]

6. Longues démesurément
les rapières par ici
[Kyoraï]

7. Dans l’herbe touffue
les grenouilles vous font peur
pénombre du soir
[Bonchô]

8. Cherchant pousses de fuki
la lanterne s’est éteinte
[Bashô]

9. L’éveil à la voie
s’est produit à la saison
des fleurs en bouton
[Kyoraï]

à suivre jusqu’au n° 36.

Matchinaka wa
Un Kasen du Sarumino

(translittération du japonais)

1. Matchinaka wa
mono no nioï ya
natsu no tsuki
[Bonchô]

2. Atsushi atsushi to
kadokado no koé
[Bashô]

3. Niban gousa
torimo hatasazou
ho ni idé té
[Kyoraï]

4. Haï utchi tatakou
ouroumé itchimaï
[Bonchô]

5. Konosouji wa
gin mo mishirazou
hujiyousa yo
[Bashô]

6. Tada tohyôsi ni
nagaki wakizashi
[Kyoraï]

7. Kousamoura ni
kawazou kowagarou
Yoûmagouré
[Bonchô]

8. Fukinome tori ni
ando yourikésou
[Bashô]

9. Dôshin no
okori wa hana no
tsubomou toki
[Kyoraï]

Notes sur ce kasen

1a. Une rue étroite, populaire, d’une grande ville (Kyôto ?). Dans la chaleur humide et lourde, des odeurs fortes de poisson, de légumes fermentés, de cuisine. À ce tableau, la lune ajoute une touche de fraîcheur, purement visuelle, voire intellectuelle.
(René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 188).

1b. […] une atmosphère de sabi se fait ressentir dans un entrecroisement d’images opposées (c’est-à-dire celle de la chaleur humide dans la nuit d’été et celle de la lune claire dans la voûte céleste) par l’intermédiaire d’une interjection ya. Son rôle ici est d’introduire de l’espace vide dans ce verset. Les sons « m » et «  n » dans « MatchiNaka wa MoNo No Nioi » doivent produire un effet « collant », lequel correspond à l’humidité de l’été au Japon.
(cf. Hiroyuki Inui et Teizô Shiraïshi, Shinpan Renku eno Shôtaï, p. 200).
sabi : un sentiment de simplicité rustique, en d’autres termes une beauté sereine et raffinée au-delà de toute passion.

1c. […] L’auteur de ce verset exprime ici sa gratitude envers Bashô qui est venu d’Ômi à Kyôto, où la chaleur caniculaire est bien connue.
(Notes de Minoru Horikiri dans Matsuo Bashô Shé 2, p. 463).

2a. Le tableau s’anime : les portes-cloisons donnant sur la rue sont grandes ouvertes, et chacun, essayant de trouver sur le seuil un souffle d’air, interpelle son voisin. La répétition de atsushi, « qu’il fait chaud », donne un ton réaliste, populaire.
(René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 188).

2b. Bashô a formé des conjectures sur le verset précédent et a établi le climat de cette première scène comme étant une chaleur caniculaire.
(cf. Notes de Minoru Horikiri, p. 463).

3a. Toujours l’été. Jusque-là on imaginait des citadins ; que feront des paysans dans les mêmes conditions ? Ils parlent du riz, bien entendu. Naturellement, on procède à trois ou quatre désherbages au cours du mois de juillet, et c’est en principe au moment du troisième que le riz commence à monter en épis. Sa précocité indique qu’il règne cette année une chaleur exceptionnelle. En contrepartie des inconvénients que suggèrent les deux premiers versets, celui-ci laisse présager une récolte abondante, source de joie. (René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 188).

3b. Il y a une résonance entre « kadokado (les portes) » et « idé té (sortir) ».
(cf. Notes de Minoru Horikiri, p. 464).

4a. Petit tableau rustique, un personnage de condition modeste prend un frugal repas, une sardine grillée (itchimaï, une seule), tout en tapant la braise pour faire tomber la cendre.
(René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 188).
La sardine ici est sans aucun doute un poisson salé et séché.

4b. […] Bonchô s’est inspiré de l’impression d’empressement qui se dégage au troisième verset, en la déplaçant à un déjeuner pendant la saison des travaux agricoles.
(cf. Hiroyuki Inui et Teizô Shiraïshi, op. cit., p. 201).

5a. La simplicité de moeurs qu’évoque le verset précédent fait penser à une province reculée. Le voyageur venu des villes de Kamigata, Kyôto ou Ôsaka, régions de circulation monétaire intense, est surpris et embarrassé, car son argent (au sens propre, l’unité monétaire étant une pièce de ce métal pesant 161g) n’a pas cours, pour la simple raison qu’on ignore jusqu’à son existence.
(René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 188).

5b. Bashô a pris ce frugal déjeuner dans un restaurant retiré où il n’y a pas de poisson frais. Le voyageur a payé sa note avec sa petite monnaie car les pièces de grosse valeur n’ont pas cours ici.
(cf. Hiroyuki Inui et Teizô Shiraïshi, op. cit., p. 201-202).

6a. Étonnement ironique du même voyageur. Le wakizashi est la dague courte que portent les bourgeois ou les gens du peuple. Une dague « longue » implique des façons de rustre, de bravache villageois, plus ou moins liées à quelque lieu où l’on joue, où l’on boit, où l’on se querelle.
(René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 188).

6b. En sentant dans le cinquième verset un sentiment de mépris de la part du voyageur, Kyoraï a pris ce dernier pour un joueur et a ajouté un verset qui fait allusion à une allure de ce type.
(cf. Hiroyuki Inui et Teizô Shiraïshi, op. cit., p. 202).

7a. Sur un chemin de campagne, le bond d’une grenouille fait sursauter le matamore. Enchaînement par contraste qui apporte une note cocasse. La grenouille indique qu’on est au printemps.
(René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 190).

7b. En ressentant de l’ostentation dans la conduite du voyageur, Bonchô a ajouté un verset qui vise à faire rire. Ce voyageur est peureux au fond de lui-même.
(cf. Hiroyuki Inui et Teizô Shiraïshi, op. cit., p. 202).

8a. En lisant le sentiment d’une jeune fille dans le verset précédent, Bashô a changé la scène.

8b. Au printemps on cueille des pousses de fuki, petasites japonicus, plante de la famille des composées, dont on consomme les bourgeons. Les exégètes ne sont pas d’accord sur le sens à donner à ce verset, l’interprétation la plus communément admise étant que, effrayé par une grenouille, on laisse tomber la lanterne qui s’éteint. Le personnage serait donc cette fois une jeune femme qui cherche des fuki au crépuscule, mais une difficulté se présente  : le fuki correspond au premier mois, la grenouille au deuxième. La solution du problème serait que la femme ait cru avoir entendu une grenouille...
(René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 190).

9a. Fleurs de cerisier, verset de printemps. La vie est précaire comme une flamme au vent, la lanterne éteinte est une image de l’impermanence, et le sentiment de l’impermanence mène à l’éveil à la Loi du Bouddha. Les fleurs en bouton évoquent une femme jeune. (René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. 190).

9b. En écoutant (et voyant) les mots « pousses de fuki » Kyora a pensé aux « fleurs en bouton ». Son intention est de saisir l’impermanence non pas au moment de la chute des pétales mais à celui du bourgeonnement des fleurs.

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Notes

1 Hiroyuki Inui et Teizô Shiraïshi, Shinpan Renku eno Shôtaï [Invitation au renku, nouvelle édition], Osaka, Shoin Izumi, 2001, p. 5.

2 ibid., p. 3-4.

3 Kôji Kawamoto, Nihonsiika no Dentô — Nana to Go no Shigaku — [Tradition des poèmes japonais. Poétique de 7 et 5], Tokyo, Shoten Iwanami, 1991, p. 84.

4 Kinjirô Kanéko, dans Recueils de renga et de haïkaï, éditions Shôgakukan, coll. Shinpen Nihon koten bungaku Zenshû, vol.  LXI, 2001, p. 280.

5 Junko Takahashi, Renku no tanoshimi [Plaisir de renku], Shinchôsha, 1997, p. 17-18.

6 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 8-9.

7 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2 [Recueil de Bashô Matsuo n° 2], éditions Shôgakukan, coll. Shinpen Nihon koten bungaku Zenshû, au vol.  LXXI, 1997, p. 600.

8 ibid., p. 601.

9 ibid.

10 ibid., p. 600.

11 ibid.

12 Junko Takahashi, op. cit., p. 61.

13 op. cit., p. 174.

14 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 601.

15 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 8.

16 ibid.

17 ibid.

18 ibid.

19 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï — Bashô et Buson — Haïkaï comme une expression. Bashô et Buson, Shoten Iwanami, 2002, p. 4-5.

20 cf. Torahiko Terada, L’art cinématographique, dans Œuvres complètes de Torahiko Terada, vol.  III, Shoten Iwanami, 1950 ; Minoru Horikiri, Matsuo Bashô Shû 2, p. 600 ; Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 10.

21 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 11.

22 Junko Takahashi, op. cit., p. 105.

23 ibid., p. 32.

24 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 5-6.

25 cf. Octavio Paz et al., Renga, Paris, Gallimard, 1971, p. 12 et p. 28.

26 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 9.

27 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 12.

28 ibid.

29 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 9.

30 ibid., p. 12.

31 ibid., p. 13.

32 ibid.

33 Keiichirô Tsuchiya, Nô to Renga [Nô et Renga], dans Kokubungaku [Revue de la littérature japonaise], Gakutôsha, 1998, p. 51.

34 cf. Yoshihito Tokuda et al., dans Haïku & Renku Ryôhô [Haïku et renku thérapie], Ôsaka, Sôgensha, 1990.

35 ibid., p. 115-116.

36 Octavio Paz et al., Renga, p. 29 ; Keiichirô Tsuchiya, op. cit., p. 51.

37 Keiichirô Tsuchiya, op. cit., p. 51.

38 http://www.renga.com/; http://www.syba. co.jp/kbit/renga2002/ linkedpicture1.html

39 Junko Takahashi, op. cit., p. 127.

40 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 14.

41 ibid.

42 ibid., p. 14-15.

43 Kôji Kawamoto, op. cit., p. 4-5.

44 ibid., p. 13.

45 ibid., p. 101.

46 ibid., p. 165.

47 On peut le lire en français aussi dans le livre suivant : René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, L’Aigle, Publications Orientalistes de France, 1990.

48 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 20.

49 ibid., p. 20-21.

50 Traduit par René Sieffert, cf. René Sieffert, Le haïkaï selon Bashô, p. XIII.

51 ibid.

52 ibid.

53 cf. Kinjirô Kanéko, dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 240-241.

54 René Sieffert, op. cit., p. V.

55 cf. Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 606.

56 Kinjirô Kanéko, dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 246.

57 ibid., p. 254.

58 ibid.

59 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 606.

60 Masakazu Yamazaki, Muromachi-ki, Tokyo, Shuppannsha Asahi, 1976, p. 126.

61 Yasutaka Téruoka et al., dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 599-600.

62 cf. René Sieffert, op. cit., p. XVIII-XXI.

63 Yasutaka Téruoka et al., dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 601.

64 René Sieffert, op. cit., p. XXIII-XXIV ; cf. Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 11.

65 cf. Inui et Shiraïshi, ibid.

66 ibid.

67 ibid.

68 ibid., p. 12.

69 Yasutaka Téruoka et al., dans Recueils de renga et de haïkaï, p. 608.

70 ibid.

71 ibid., p. 606 ; cf. René Sieffert, op. cit., p. XXV.

72 René Sieffert, op. cit., p. XXIII ; cf. Yasutaka Téruoka et al., op. cit., p. 608-609.

73 Yasutaka Téruoka, op. cit., p. 609.

74 cf. René Sieffert, op. cit., p. XXIV.

75 Yasutaka Téruoka, op. cit., p. 606.

76 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 12.

77 ibid.

78 ibid.

79 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 610 ; cf. René Sieffert, op. cit., p. XXXVII.

80 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 37.

81 ibid., p. 38.

82 Sur les affinités, les analogies entre les jeux surréalistes et le renga, cf. Octavio Paz et al., Renga, p. 22-23.

83 Inui et Shiraïshi, op. cit., p. 40-41.

84 Octavio Paz et al., Renga.

85 Makoto Ôoka, Yôroppa de Renshi wo maku [Composer des poèmes-liés en Europe], Tokyo, Shoten Iwanami, 1987.

86 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïka, p. 4.

87 Kenichi Sasaki, Sakuhin no Tetsugaku [Philosophie de l’œuvre], Tokyo, University of Tokyo Press, 1985, p. 26.

88 ibid., p. 38.

89 cf. Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 6.

90 cf. George P. Landow, Hypertext : the Convergence of Contemporary Critical Theory and Technology, The Johns Hopkins University Press, 1992, traduit en japonais par Tadashi Wakashima et al., Tokyo, 1996, p. 104.

91 Ernst Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Dritter Teil, Phänomenologie der Erkenntnis, Darmstadt, 1964, § 526.

92 Aristote, Poétique, 1450b, l.21 et sq.

93 cf. Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 7.

94 ibid.

95 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 602.

96 cf. Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 12.

97 Alain, « Vingt leçons sur les beaux-arts », dans Les Arts et les Dieux, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1958, p. 498.

98 Minoru Horikiri, dans Matsuo Bashô Shû 2, p. 601.

99 ibid.

100 ibid.

101 ibid.

102 cf. Alain, Propos sur l’éducation suivis de Pédagogie enfantine, Paris, PUF, 1986, p. 48.

103 Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 200è édition, 1973, p. 24 et sq.

104 ibid., p. 56 et sq.

105 Atsushi Fukui, Descartes kenkyû [Études cartésiennes], Tokyo, Sôbunsha, 1997, p. 53.

106 cf. Leibniz, Monadologie, § 7.

107 cf. Hiroki Azuma, Sonzairon-teki, Yûbin-teki — Jacques Derrida ni tuite— [Ontologique, postal. Sur Jacques Derrida], Tokyo, Shinchôsha, 1998, p. 43-44 et p. 78-79.

108 cf. George P. Landow, op. cit.

109 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 9.

110 ibid.

111 ibid., p. 179-180.

112 Kitarô Nishida, Opera Omnia [Nishida Kitarô Zenshû] vol. XI, Tokyo, Shoten Iwanami, 1949, p. 115 et p. 194.

113 Kitarô Nishida, Opera Omnia, vol. VII, 1949, p. 313.

114 Minoru Horikiri, Hyôgen tosite no haïkaï, p. 186.

115 Toshihiko Izutsu, Ishiki to Honsitsu [Conscience et essence], Tokyo, Shoten Iwanami, 1983, p. 121-122.

116 ibid., p. 139.

117 ibid., p. 178.

118 ibid.

119 cf. Leibniz, Monadologie § 66-68.

120 Toshihiko Izutsu, Ishiki to Honsitsu, p. 376.

121 Alain, « Hegel », dans Les Passions et la Sagesse, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1960, p. 1017.

122 Kitarô Nishida, Opera Omnia, vol. X, 1950, p. 498.

123 Kitarô Nishida, Opera Omnia, vol. VII, p. 59.

124 ibid., p. 115.

125 ibid., p. 302.

126 Toshihiko Izutsu, op. cit., p. 21.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yoneyama Masaru, « Le renga (« poème lié ») et l’esthétique du lieu »Marges, 01 | 2003, 9-29.

Référence électronique

Yoneyama Masaru, « Le renga (« poème lié ») et l’esthétique du lieu »Marges [En ligne], 01 | 2003, mis en ligne le 15 mars 2004, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/815 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.815

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Auteur

Yoneyama Masaru

Philosophe et enseignant à l’Université de Nagoya.

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Droits d’auteur

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