Espaces d’expositions temporaires consacrés à l’art contemporain
Résumés
Aux espaces conventionnels dédiés à l’exposition d’art contemporain se substituent des lieux alternatifs. Comme en témoigne plusieurs manifestations européennes, le monde de l’art s’ouvre au monde qui l’abrite. Tandis que la neutralité promue par le modèle du White Cube s’est imposé, apparaissent d’autres modes d’exposition le remettant en cause. Le lieu urbain non muséal occupe une place nouvelle et souvent centrale de l’œuvre : il devient un catalyseur de créativité.
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1En visitant quelques expositions en Europe ces dernières années nous avons pu constater la prolifération des sites qui accueillent des manifestations liées à l’art contemporain. C’est-à-dire que l’on a souvent vu certaines œuvres installées dans des lieux muséaux conventionnels mais aussi dans des lieux « non classiques » auxquels le public n’était pas préparé. L’espace d’exposition a tendance à s’hybrider. On relève différents lieux pour une même manifestation artistique des œuvres dans des espaces de plus en plus hétérogènes. Il a fallu jalonner les recherches d’interrogations afin d’établir la part de l’investissement du projet d’exposition dans les différents espaces présentés ou représentés.
- 1 Catherine David, « Accompagner la discursivité de l’art expérimental », dans L’Art contemporain et (...)
2Catherine David définit les limites de l’espace d’exposition classique par rapport à des propositions esthétiques contemporaines : « La circulation et l’inscription (temporaires ou durables) des œuvres dans des espaces de plus en plus hétérogènes sont pourtant devenus une nécessité et, sauf pour des questions de conservation et de présentation, elles ne devraient pas poser de problèmes. Cependant, même sur cet aspect-là, il faudrait modifier nos manières de considérer l’art. Le problème de la conservation est spécifique au domaine des œuvres qui doivent être absolument protégées et conservées. Nombre d’artistes contemporains s’affranchissent de cette conception en ne cherchant pas, le plus souvent, à protéger leurs créations qu’ils ont précisément voulues et savent fragiles ou provisoires. Le musée n’est donc plus le lieu privilégié de confrontation entre le public et les œuvres contemporaines, et il n’est plus à même de garantir et d’imposer des valeurs esthétiques universelles et éternelles. Puisqu’il est manifeste aujourd’hui que les propositions contemporaines sont assez peu compatibles avec l’espace muséal ou l’espace d’exposition classique, il est nécessaire de penser autrement les modes de présentation au public1. » Des créations contemporaines sont donc nées de la nécessité d’être montrées dans un autre lieu et un autre espace.
3L’élément commun à toutes les manifestations artistiques dont on se propose d’analyser les modes de fonctionnement est qu’il n’y a pas un espace unique, comme pour les musées. Il y a très souvent un parcours, une déambulation entre différents lieux. Il n’est pas très difficile de constater qu’on quitte l’espace traditionnel de l’exposition (musée, centre d’art, etc.) pour passer à un espace urbain qui accueille ces événements artistiques. Cette recherche s’interroge sur le rôle de la limite entre ces deux espaces. Peut-être peut-on y voir la clé nécessaire à l’analyse de ces nouveaux modes d’exposition ?
Dispersion et / ou déambulation dans les lieux d’exposition
4Commençons par envisager l’édition du « Printemps de septembre » en 2003 ; il est intéressant de revenir sur les lieux d’exposition, ou devrait-on dire les sites. Intitulé « Gestes », ce festival s’est installé, du 26 septembre au 19 octobre 2003, à Toulouse dans une dizaine d’établissements : l’Espace Écureuil, le Couvent des Jacobins, la Galerie du Château d’eau, l’École des Beaux-Arts, une ancienne maison éclusière, l’espace EDF-Bazacle (une usine hydroélectrique de la fin du 19e siècle), le musée du Vieux-Toulouse, le Goethe Institut, le musée de la Médecine et les Abattoirs (Centre d’Art Contemporain de Toulouse). Auxquels on peut ajouter l’espace urbain : la place du Capitole, des vitrines de magasins de souvenirs et les éclairages nocturnes selon un certain itinéraire. Le « Printemps de septembre » a donc multiplié le plus possible le nombre de sites dans la ville entière. Chaque site a accueilli d’un seul à une dizaine d’artistes. La manifestation a partagé les espaces d’exposition en espaces conventionnels (musée, centre d’art) et espaces non conventionnels (sous-sols d’une centrale électrique, institut culturel, maison abandonnée…). Le visiteur était invité à se partager entre différents lieux et à faire l’expérience des limites des espaces dédiés à l’art et ceux de la vie quotidienne. Il était invité à faire l’expérience de visites diurnes et nocturnes ; les espaces d’exposition étant ouverts jusqu’à minuit. Et lors de week-ends, des événements tels que des concerts, des spectacles vivants, des projections colorées et imagées, accompagnaient les visites. Ce festival éclairait la ville pendant la nuit avec les autres champs de création : de la danse à la musique électronique, et encore avec une projection géante préparée par le Pavillon – le laboratoire de création du Palais de Tokyo à Paris – de l’autre côté de la Garonne, sur deux fois 40 m x 30 m, sur les façades de l’Hôtel-Dieu. Des dessins étaient projetés sur la façade de la mairie et modifiaient son architecture. Ils mettaient en scène la construction et la déconstruction de la façade par touches successives. La manifestation intervenait directement sur l’espace urbain et modifiait la fonction des bâtiments devenus des écrans de projection (la façade de l’Hôtel de Ville, la façade de l’Hôtel-Dieu) ; un parcours pour suivre les éclairages urbains modifiés était même proposé. L’accent avait été mis sur la multiplication des espaces ; le spectateur faisant l’expérience des limites entre l’art et la vie. L’une des conséquences de la dispersion des sites était de se plonger dans un autre territoire qu’il fallait apprendre à découvrir.
- 2 Cette Biennale de Lyon s’était déroulée du 18 septembre 2003 au 4 janvier 2004.
- 3 Livret de la Biennale de Lyon édité par le Consortium de Dijon et distribué aux visiteurs de l’expo (...)
5Le même type de dispersion de sites avait été mis en place à l’avant-dernière édition de la « Biennale de Lyon2 », où deux nouveaux sites, la Sucrière et l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, avaient été ouverts aux spectateurs. Ces sites s’ajoutaient à trois autres lieux utilisés dans la précédente biennale : le Musée d’Art Contemporain de Lyon, le Musée des Beaux-Arts et le Rectangle (le Centre d’Art de la Ville de Lyon). Dans le dépliant qui servait de plan au visiteur, il était noté que « chacun des bâtiments accueille un moment particulier de la Biennale pour constituer un paysage commun dans lequel les œuvres se répondent et s’enrichissent mutuellement. La cinquantaine d’artistes présents à la Biennale avaient en commun de participer à l’invention du monde : au spectateur de se laisser porter au gré de ses rencontres et de se construire son propre paysage3 ». Cette injonction à inventer le monde traduisait la nécessaire déambulation entre les espaces d’exposition. Le spectateur était laissé libre de poser ses propres frontières entre l’art et la vie. Le périmètre investi était cette fois plus large et il fallait au spectateur une bonne connaissance des réseaux de transport. On se servait du tramway, des métros, des bus publics, des navettes fluviales et des bus spécialement mis à disposition pour la biennale afin de circuler entre les lieux d’exposition. L’accès aux expositions était payant et si le spectateur voulait visiter l’ensemble des sites, il existait un ticket qui donnait accès une fois à chacun d’entre-eux. Le spectateur devait ainsi établir un programme de visite en fonction de la durée de son séjour. Chaque site avait sa spécificité et son propre accès. On peut noter, que pour la Sucrière il n’existait pas de moyen pratique d’accès avant la manifestation, aussi un système de navette avait été instauré. Entre deux navettes (fluviales ou bus) s’écoulaient deux ou trois heures (le temps d’une visite selon les organisateurs ?). À la différence de la manifestation de Toulouse, presque chaque lieu était déjà dédié à l’art. Le spectateur identifiait aisément les lieux : un centre d’art, un musée, une galerie…, l’espace blanc était privilégié, du fait de l’usage des centres contemporains préexistants pour l’exposition, y compris l’intérieur de la Sucrière quasiment recouvert de blanc pour devenir un espace propre à recevoir de l’art. Il était en effet rare de constater des efforts pour dépasser les limites de l’espace dédié à l’art, peut-être parce qu’aucun artiste ne voulait quitter l’espace privilégié du milieu de l’art – à moins que les œuvres choisies par les commissaires n’aient pas été assez compatibles avec un autre espace.
6Un autre exemple que nous pouvons citer est « Manifesta 4 » à Francfort, du 25 mai au 25 août 2002. La Biennale Européenne d’Art contemporain « Manifesta 4 » est itinérante. À chaque édition une ville différente est sélectionnée par une fondation après examen des dossiers des villes postulantes pour l’accueil de la manifestation. La ville est considérée comme un support de l’art contemporain. « Manifesta 4 » se déroulait ainsi dans les lieux très variés de la ville : Frankfurter Kunstverein, Frankensteiner Hof, Portikus, Städelsches Kunstinstitut entre autres. Le Frankfurter Kunstverein (Union Artistique de Francfort) est un lieu culturel : une association qui soutient les initiatives des habitants pour monter des projets culturels. Le Portikus, qui a été une librairie avant la Seconde guerre mondiale, est devenu un centre d’art en 1987. Un institut d’art (Städelsches Kunstinstitut) et un lieu alternatif (rraum-rraum2), qui sont tous deux des lieux artistiques, ont accueilli la manifestation, ainsi que d’autres lieux qui ne sont pas dédiés à l’art. Par exemple, le Frankensteiner Hof est un ancien bâtiment du service municipal des eaux qui n’avait jamais été conçu pour recevoir des activités artistiques avant cette occasion. On voit bien que ce bâtiment a été choisi pour disposer des œuvres très spécifiques. D’ailleurs, on peut trouver que le fait d’utiliser un ancien bâtiment du service municipal des eaux pour accueillir l’art est symboliquement très réussi parce que son rôle premier – distribuer de l’eau chez les particuliers par des conduites d’eau innombrables – est comme une métaphore. Il est transformé en moyen de diffusion de l’art à tout le monde à travers la vie quotidienne. La manifestation lui offre une autre manière de vivre. Elle permet de redonner à la biennale la place centrale qu’occupe symboliquement le bâtiment. Il l’irrigue symboliquement la biennale. Il abrite d’autres moyens de diffusion et de médiation : Internet, une radio locale et la télévision. Ce lieu est donc ouvert : il est un axe de communication.
- 4 Paul Ardenne, Un Art contextuel, Paris, Flammarion, 2002, p. 87.
- 5 Selon cette idée la ville serait devenue un « espace pratique » que les artistes ou les organisateu (...)
- 6 Stéphanie Moisdon-Tremblay, « Conférence Manifesta 4 », Université Paris 8, le 16 octobre 2002.
7Pour cette manifestation, les espaces urbains prolongent l’espace d’exposition. Celle-ci a-t-elle l’intention de s’adresser directement à l’individu anonyme en dispersant les œuvres sur des terrains locaux et ainsi de repousser les limites de l’espace pour les projets d’organisation ? À moins que les artistes n’aient besoin d’avoir des espaces urbains pour leurs projets… ? En tous cas, les interventions artistiques ont eu lieu dans un espace qui a permis la rencontre entre les habitants et les visiteurs. Des lieux du quotidien ont été investis. Les gens pouvaient découvrir des œuvres en attendant le bus à un arrêt (Andreja Kuluncic), le train à la gare (Maria Papadimitriou), l’avion à l’aéroport (Halil Altindere), ou bien en traversant un pont (information de la manifestation), en faisant une promenade au bord de la rivière (Ibon Aranberri, Antal Lakner). C’était une rencontre fortuite encore possible. Cette biennale a cherché à provoquer de l’inattendu, de la surprise et le mode opératoire a plutôt bien fonctionné. La ville est devenue « comme un espace pratique » : les artistes (ou encore les organisateurs) la récupérant officiellement pour l’ouvrir à toutes les formes d’expression artistique. Paul Ardenne explique ainsi l’idée de la ville par rapport à l’art dans Un Art contextuel : « La ville, c’est le lieu d’une activité contenue, routinière ou impulsive, que rythme l’extrême concentration des actes humains, activité toujours intense, frénétique, qui trouve sa correspondance dans l’excitation chérie par les modernes. Elle est aussi l’espace public par excellence, lieu de l’échange, de la rencontre : de l’art avec un public, en prise directe ; de l’artiste avec autrui, dans les termes d’une proximité qui peut prendre diverses formes, affective, ou polémique, selon4. ». C’est grâce à la manifestation que l’art arrive à la vie. En effet, l’art tente d’intégrer les gens et la ville au processus de création et de présentation. La ville devient un réceptacle pour l’art. Cette tentative d’ouverture du monde de l’art au monde qui l’abrite n’est pas réservée aux manifestations temporaires à grande échelle5. « Manifesta 4 » avait donc eu lieu dans deux champs différents, comme le suggérait l’une des commissaires, Stéphanie Moisdon-Tremblay : « Une exposition est un espace proprement problématique dans lequel on voit apparaître les questions, les tensions et justement les différences. On voit apparaître le rapport entre deux objets, entre deux personnalités, deux individualités, deux temporalités, deux espaces. Cette notion de deux et non pas d’un (pas de linéarité) est très importante. C’est un des aspects les plus controversés de « Manifesta 4 », puisqu’on nous a beaucoup reproché de ne pas avoir mis en réseau les travaux des artistes les uns par rapport aux autres, de ne pas les avoir mis en regard, de ne pas les avoir assez instrumentalisés d’une certaine manière6 ». Il me semble que « le rapport entre deux… » a plutôt permis de nouer une relation entre un objet exposé et un objet préexistant, entre une personnalité artistique et un commissaire, entre l’individualité d’un spectateur et celle d’un autre, entre la temporalité d’un passant et celle d’un spectateur, entre un espace d’exposition et un espace de la vie quotidienne.
- 7 « Voir en peinture », exposition au Plateau, Paris, du 18 septembre au 23 novembre 2003.
- 8 Dossier Service des Publics rédigé par Maëlle Dault, Responsable de ce service.
8Le même désir de multiplier les espaces d’exposition, s’exprimait lors « Voir en peinture » au centre d’art du Plateau7. Le commissaire et artiste Éric Corne avait eu pour intention de présenter les œuvres comme « [des] peintures de la deuxième moitié du 20e siècle qui s’imposent comme des références, interrogeant ainsi la notion de transmission et les problématiques sous-tendues par l’exposition8 ». Il était donc nécessaire d’engager des artistes pour montrer les différents modes de re-présentation. Une des artistes, Isabelle Arthuis était intervenue dans l’espace public, une rue à proximité du Plateau, avec des affiches de grand format représentant des photographies de « signes de peintures ». Le public ne les remarquait pas au premier regard mais, après la visite de l’exposition, il pouvait identifier comme tel l’intervention de l’artiste dans le milieu urbain comme telle. On était obligé de repasser devant les lieux où les affiches avaient été installées. Par contre, les habitants du quartier pouvaient identifier facilement les nouvelles apparitions, qui sortaient de leur cadre habituel. Cela permettait donc de donner aux habitants du quartier les clés nécessaires pour s’initier à l’art contemporain. C’est-à-dire qu’au moins leur visibilité dans un cadre inhabituel pouvait permettre de s’interroger quant à leur présence dans un cadre réservé à la publicité. L’interrogation pouvait être suivie d’une acceptation, d’un refus, d’une indifférence quant à leur présence.
9Toujours à Paris, une déambulation d’un autre genre avait été proposée en 2002. L’exposition intitulée « Please be… » se déroulait dans trois lieux : la galerie Éric Dupont, un appartement et une laverie. Deux des lieux de l’exposition étaient surtout dédiés à la représentation de la vie quotidienne. Pour visiter les trois lieux, on suivait un plan sur une carte distribuée au public. En suivant cette indication, les visiteurs croisaient un certain nombre de galeries d’art contemporain. Dans ce cas, le déplacement des visiteurs pouvait être utilisé en tant que « vecteur d’art ». En effet, les visiteurs pouvaient dialoguer sur l’art le temps du voyage proposé. On était là pour rencontrer l’autre. Dans la laverie, une performance n’a eu lieu que le jour du vernissage mais les espaces de la galerie et de l’appartement sont restés ouverts jusqu’à la fin de l’exposition. Dans la galerie, un ordinateur était connecté à l’appartement par lequel on voyait l’exposition par le biais d’une Webcam. Même si les deux lieux étaient loin l’un de l’autre, ils étaient liés. Une telle opération permettait aux visiteurs de faire partie de l’exposition à leur insu (ils étaient filmés sans le savoir à moins d’avoir visité la galerie avant). Chaque site était choisi pour recevoir au mieux les projets artistiques.
- 9 Comme nous l’avons vu précédemment lors de cette tentative d’« inventer le monde », l’art est intim (...)
10La dispersion des sites d’exposition ne marque pas seulement la volonté de montrer l’art au plus près de la vie9 mais propose aussi une adaptation nécessaire de l’art à un milieu étranger. Cette mise en place de différents espaces d’exposition au sein d’une même manifestation artistique répond-t-elle aux attentes des spectateurs (arriver à trouver des points d’accès aux œuvres présentées) ou bien est-elle la marque d’un stratagème utilisé par les commissaires pour inviter les spectateurs à des déambulations, à être étonnés, curieux ? Cette volonté de jouer avec les notions de champ de l’art et de hors champ de l’art (particulièrement en milieu urbain) semble être un point commun entre les différentes manifestations consacrées à l’art contemporain que nous avons citées.
Ancrages historiques de la salle d’exposition
11Dans le cadre d’une manifestation d’art contemporain, les présentations se déroulent à la fois dans des lieux aménagés, y compris des lieux muséaux – lieux traditionnels d’exposition – et dans des sites à spécificité propre. Il y a donc ces deux types de lieux : conventionnels et non conventionnels. D’une part, nous avons la mise en place d’espaces conventionnels. D’autre part, nous citerons des tentatives actuelles pour échapper à un modèle muséal prégnant d’espace d’exposition et ainsi nous observerons la répercussion que ces sites vont avoir sur la tentative des artistes d’habiter un espace. Nous verrons s’il existe une possibilité de résistance de l’œuvre au dispositif muséal.
- 10 Yve-Alain Bois, « Exposition : esthétique de la distraction, espace de démonstration » dans Cahiers (...)
- 11 ibid., p. 74.
- 12 Beatrix Nobis, « El Lissitzky : L’espace des abstraits pour le Musée provincial de Hanovre 1927 / 1 (...)
12La définition de l’espace d’exposition n’est pas une préoccupation uniquement contemporaine. Les problématiques qui l’entourent sont apparues dès l’émergence des conceptions modernistes de l’espace muséal, et le sujet a toujours fait partie des préoccupations importantes des commissaires d’exposition. L’art du 20e siècle nous a appris comment écarter le regard du centre du tableau vers ses bords. Puis à sa périphérie lorsqu’on a appris à valoriser sa mise en espace. Par exemple en 1923, El Lissitzky a pris conscience de l’importance d’une réflexion sur l’accrochage avec l’Espace Pro-oune, dans l’exposition de la Große Berliner Kunstausstellung : « L’espace n’est pas seulement là pour les yeux, ce n’est pas un tableau : on veut vivre dedans10 ». L’espace devient pour lui œuvre d’art autonome. Il suggère qu’une salle d’exposition soit comme un « espace de démonstration » où l’on circule, où l’on voit « une vitrine, une scène sur laquelle les tableaux apparaissent comme les acteurs d’un drame ou d’une comédie11 ». Il semble que pour El Lissitzky, l’exposition est le fruit de la rencontre complexe nouée entre l’espace et les œuvres12. Ses conceptions de l’espace d’exposition rejoignent celles d’Alexander Dorner (le directeur du musée provincial de Hanovre). À sa demande Lissitzky crée l’Espace des abstraits, un projet d’aménagement qui est inséré dans le musée de Hanovre en 1928.
- 13 ibid., p. 149.
13Quand Dorner était arrivé au musée pour occuper le poste de conservateur, il avait réaménagé la collection du musée, en regroupant les œuvres par style et par époque. Il avait tenté d’accrocher les œuvres sur des murs assez vastes pour laisser de l’espace entre elles, en s’interrogeant sur les problématiques suivantes : « la dissolution de la vacuité muséale, l’intégration dans l’environnement historique et l’expérimentation sensorielle à travers l’agencement de l’espace13. »
- 14 ibid., p. 145.
- 15 ibid., p. 148.
14Le projet d’El Lissitzky pour l’espace des abstraits est considéré comme une « architecture d’exposition, c’est-à-dire un espace dans lequel sont conservées et montrées des images14 ». Il développait un concept selon lequel « trois des quatre murs seraient recouverts de lamelles peintes en blanc d’un côté et en noir de l’autre. Cet espace mural gris, devait, en fonction de l’angle de vue du spectateur, produire des effets changeants. Les murs se dissolvaient dans un mouvement ondulatoire dont la vitesse dépendait du déplacement du visiteur. Tout comme les corps organiques, les murs développaient ainsi leur vie propre au côté des tableaux, et leur neutralité, en tant que surface, était abolie15 ». Il pensait la présence des œuvres et des spectateurs dans un espace déterminé pour développer l’activité de ceux-ci et programmer leur participation dans un échange œuvre-spectateur. Le visiteur était donc invité à faire coulisser les panneaux et à déplacer les tableaux. Chaque manipulation renvoyait à un aspect différent. L’espace avait donc des possibilités d’être agencé de différentes manières par les spectateurs.
- 16 Igor Zabel, « The return of the White Cube » dans Manifesta journal n° 1, « The Revenge of the Whit (...)
15Par la suite dans les années 1930, le mur blanc a été introduit pour des raisons esthétiques. Par exemple, en 1938 Willem Sandberg, le directeur du Stedelijk Museum d’Amsterdam, a peint en blanc des murs qui étaient à l’origine de plusieurs couleurs. Mais ce geste a modifié l’impact des murs où les œuvres étaient accrochées. La couleur des murs d’un musée devenait dès lors un problème indirect intéressant. Elle donnait la possibilité de proposer un nouveau contexte historique et artistique pour les œuvres. Au moment où Sandberg a peint les murs du musée en blanc, il a tiré celui-ci du passé pour en faire émerger son présent16. Sans être déclarée comme une norme, quelques années plus tard on s’aperçoit pourtant que la présence de murs blancs s’est généralisée dans les espaces d’exposition.
16Sur le modèle des espaces muséaux consacrés à l’art moderne et contemporain on retrouve dans des manifestations temporaires l’espace blanc et neutre. L’intérieur de l’espace d’exposition est construit comme les églises médiévales. Le monde extérieur ne doit pas interférer, les fenêtres sont closes et les murs blancs, le plafond devient une source de lumière, le sol est bien lisse et même recouvert de moquette pour éviter de perturber les spectateurs. On met ainsi une limitation à la disposition des œuvres dans un espace. On essaye d’isoler l’œuvre de toute contingence en recherchant une maîtrise maximale des interférences possibles, sachant qu’on ne peut jamais toutes les supprimer. L’espace blanc neutralisé sert à valoriser les œuvres ou à éviter une interprétation erronée. C’est pour cela que le modèle du White Cube est assez séduisant : il présente l’œuvre dans un espace comme un événement unique, autonome. Dans la deuxième moitié du 20e siècle, cet espace blanc – dans lequel l’œuvre pouvait trouver un environnement semble-t-il le plus neutre possible – est devenu l’espace conventionnel de la galerie et du musée.
- 17 Nicolas de Oliveira, Nicola Oxley, Michel Petryl, Installations. L’Art en situation, Paris, Thames (...)
- 18 ibid., p. 13.
17Le White Cube en tant qu’espace « idéal » pour l’exposition est transformé dès les années 1960 en question sociale, économique et esthétique par les artistes, les pratiques curatoriales, ou encore les théoriciens de l’espace d’exposition. Dans son recueil d’essais, Inside the White Cube : The Ideology of the Gallery Space, Brian O’Doherty note – à propos de l’intérêt porté aux murs de la galerie –, que lors de l’exposition Monet organisée par William C. Seitz au Museum of Modern Art de New York en 1960, ce dernier s’est intéressé à l’importance du cadre. Le commissaire est allé jusqu’à encastrer les peintures dans des panneaux muraux, de sorte que tableau et support ne formaient plus qu’un seul plan continu. La stratégie de Seitz s’alignait sur l’investigation de la tension entre l’existence objective et la fonction illusoire des œuvres, telle qu’elle apparaissait clairement17. Et il écrit par rapport à l’exposition de William Anastasi en 1967 dans la Dwan Gallery de New York : « Le mur, désormais participant plutôt que support passif pour l’art, devint le lieu d’idéologies opposées ; et chaque nouvelle étape devait être envisagée dans cette perspective18 ».
- 19 Brian O’Doherty, Inside the White Cube : The Ideology of Gallery Space, Santa Monica and San Franci (...)
- 20 ibid., p. 125.
18Les efforts pour effacer ou pour faire oublier l’existence de toutes les présences, excepté celles des œuvres d’art, dans une salle d’exposition, font apparaître un espace physique « qui peut sembler virtuellement disparaître sous les yeux des spectateurs mais reste marqué par son contexte ». L’espace blanc est devenu centre d’observation, il offre différents moyens d’action pour les artistes qui y travaillent. Selon O’Doherty : « Au fur et à mesure que le modernisme prend de l’âge, le contexte devient contenu. À travers un renversement particulier, l’objet introduit dans la galerie “encadre” la galerie et ses lois19. ». L’œuvre de Michael Asher dans une série d’installations réalisées au cours des années 1970, présente un exemple d’attitude à l’encontre du White Cube. À partir d’une action minimale, comme gratter la peinture blanche des murs de la galerie Toselli de Milan en 1973, il cherche à révéler la dimension historique du processus du regard. Asher explique : « Bizarrement, la surface peinte en blanc recouvrait toujours une surface beaucoup plus riche. L’action de l’ôter, condition soustractive, devenait additive au fur et mesure de la mise à nu du plâtre. Avec cette notion de mise à nu, d’autres éléments concernant la galerie et son environnement étaient reconnus. Le plâtre, laissé tel quel, se trouve en général à l’extérieur. En décapant la surface des murs, j’ai essentiellement contribué à faire passer le souvenir d’un matériau extérieur à l’intérieur20. ». Le terme White Cube se trouve donc directement au sein du projet artistique.
Réinvention du White Cube
- 21 En 2000, avec Zwischen anderen Ereignissen (Between other Events) au Musée d’Art Contemporain de Le (...)
19En 2001, le directeur du Portikus de Francfort Daniel Birnbaum a invité à exposer deux artistes Michael Elmgreen (Danois) et Ingar Dragset (Norvégien) qui collaborent ensemble depuis 1995 à une tervention architecturale : Powerless Structures. Il s’agit d’une série d’installations et de performances21, où les deux artistes expérimentent les diverses possibilités de sens et de fonctions de l’espace.
20Pour l’établissement Portikus, ils construisent Powerless Structures n° 111, pièces vides dont seul le sol est modifié, vallonné, et qui reste très proche du modèle du White Cube. Elmgreen et Dragset aiment se confronter aux limites d’un espace comme le White Cube ; un espace conventionnellement admis comme étant le plus adéquat pour recevoir de l’art moderne. Ils construisent une sorte de White Cube mais en introduisant un décalage : cet espace perd sa capacité à recevoir de l’art. Au lieu d’accueillir une exposition, l’espace est laissé tel quel, le spectateur se trouve devant un « espace vide ». Le lieu d’exposition se montre impuissant face à un projet qui tient trop peu compte de l’utilité et de sa fonction originelle. Il devient l’œuvre. À travers cette installation, les deux artistes posent la question de l’espace institutionnel de l’art et aussi celle de présentation.
- 22 Charles Arthur-Boyer, « Architecture », dans De A à Z. Les centres d’art contemporain, Paris, dca / (...)
- 23 ibid., p. 26.
21L’espace d’exposition est défini par des unités de lieu, de temps et d’action. Il semble qu’il y ait un nouvel intérêt pour ce type d’espace. De nombreuses expositions récentes, comme la « Documenta 11 », ou bien la « Biennale de Lyon », ont profité des théories sur l’espace blanc. Certaines œuvres ont été présentées dans des lieux réaménagés en espaces d’exposition même s’il s’agissait d’entrepôts, d’usines ou de gares à l’origine22. Il semble que nombre de manifestations ont de plus en plus tenté de récupérer des lieux non destinés à l’art pour montrer des œuvres. La réhabilitation donne souvent la possibilité d’avoir un espace plus important, à la « Documenta », à la « Biennale de Venise », à la « Biennale de Lyon » et encore dans nombre de centres d’art contemporain. Les lieux sont investis par l’événement, et habitent les espaces vacants. En effet, au départ, certains centres d’art contemporains sont nés d’une volonté de rupture avec les institutions muséales et l’image qu’elles s’étaient choisies : « une certaine architecture monumentale du 19e siècle, que l’on qualifiera un peu rapidement d’esprit académique ou école des “Beaux-Arts”, et devenue depuis caricaturale et symbolique du pouvoir, de la norme et de la convention. Ce qui va déterminer et identifier le centre d’art, ce ne sera donc plus son expression architecturale, mais son parti pris et son attitude vis-à-vis d’une situation artistique. Et par effet de différenciation affirmée, ils vont, en majorité, investir des lieux “non architecturés”, usines, magasins ou écoles, qu’ils réhabiliteront, et dont ils garderont le plus souvent le nom. Mais, en cela, ils enregistrent ce qui se faisait à New York où, dès les années soixante, artistes et galeristes s’étaient installés dans des entrepôts désaffectés, les fameux lofts de Soho, et en Italie où les artistes de “l’Arte povera” exposaient dans des garages. ». C’est le cas de la Sucrière à Lyon. Tous les lieux non muséaux ont été modifiés pour devenir des espaces blancs. Ils ont été réhabilités à l’occasion de projets ambitieux : être transformés en lieux artistiques en préservant une partie de leurs caractéristiques et en tentant de s’adapter à leur nouvelle fonction. Les œuvres sont non seulement installées, mais il faut qu’au-delà, elles puissent respirer et exister dans ce lieu. Aussi, peu d’organisateurs ont choisi un espace unique, et la plupart ont opté pour des espaces d’exposition successifs, fragmentés et différenciés, correspondant à autant de « possibilités de rencontres et de dialogues23 » pour reprendre l’idée des organisateurs.
- 24 Pierre Leguillon, éditorial : « Oublier l’exposition avec un luxe de détails », Art press spécial n (...)
22À la « Biennale de Lyon » 2003, certaines œuvres étaient installées dans des structures de cubes blancs qui avait été aménagées spécialement pour l’occasion. Chaque œuvre avait son propre espace défini, à distance d’une autre œuvre. La même logique était appliquée aux projections : « Les expositions temporaires s’enchaînent sur les murs blancs de la salle d’exposition comme elles s’impriment dans nos mémoires. Le White Cube est l’espace de projection par excellence – et ce, bien avant que les projections vidéo l’obscurcissent, permettant notamment de concevoir l’exposition sur plan24. » Mais cet espace a été préparé non seulement pour recevoir les œuvres d’art mais aussi pour engager une aventure avec les artistes. Il semble que les différentes utilisations des espaces blancs ne correspondent pas toujours à l’usage fait dans les institutions muséales : c’est-à-dire un espace « physique » visuel. L’espace des cubes blancs est donc un lieu de défi et de stratégie : comme pour les œuvres in situ, elles peuvent jouer de l’état naturel du lieu et aussi de son aménagement.
- 25 Livret distribué à l’occasion de la Biennale de Lyon 2003.
23Lors de la « Biennale de Lyon » 2003, l’artiste Lili van der Stokker était intervenue sur les murs mêmes de la Sucrière à deux étages différents. L’œuvre peinte Sorry Second Wallpainting et sa seconde peinture Sorry Second Wallpainting ont été réalisées au même emplacement l’une à l’étage au-dessous de l’autre, un ascenseur faisant le lien entre les deux. Ces deux œuvres étaient éphémères et leur existence était déterminée par la durée de la biennale. Ces peintures, qui s’appuient « sur une iconographie et un style enfantins, une palette volontiers acidulée et un sens du comique assumé, tentent de cerner la vérité même de l’art25 ». L’artiste prend l’espace blanc comme fond et support. Pour son projet, elle se sert du mur comme écran. Les murs nus de l’ancienne usine, à peine recouverts de peinture blanche, deviennent stratégiquement un support pour une peinture activiste moderne. Dans l’espace blanc, l’art vit sa propre autonomie ; c’est pour cela que l’artiste a préféré exécuter son travail dans ce lieu qui offre les conditions idéales de compréhension pour les visiteurs. Le mur est celui des fondations de la Sucrière, et il devient toile de fond de l’œuvre.
24Aux Abattoirs de Toulouse, le travail d’Aernout Mik avait été installé dans une partie d’un espace muséal pendant le festival du « Printemps de septembre ». Il s’agissait d’une structure architecturale sur laquelle des écrans de rétroprojection étaient disposés. Le spectateur se promenait autour des constructions en regardant les projections de groupes de gens qui représentaient le corps social dans toute sa fragilité, dans une attitude quasi grégaire. Le visiteur circulait le long de cette construction assez perturbatrice, au milieu de projections à deux dimensions. L’artiste proposait une relation entre les personnages de la projection vidéo et les spectateurs dans l’espace neutre du musée. L’espace blanc devient une stratégie de l’artiste et du commissaire d’exposition. Le musée permet de se concentrer uniquement sur les multiples espaces proposés aux spectateurs. D’un écran à l’autre (de taille humaine) nous passons de l’intimité d’une cuisine à l’espace public de la Bourse ; d’un vaste entrepôt au huis clos d’une pièce sans fenêtre… Le spectateur est invité à un va-et-vient dans une structure en labyrinthe. L’espace muséal, très ouvert, permet au spectateur d’avoir plusieurs angles vue sur cette installation.
- 26 Akiko Miki, Le Journal n° 3 du Palais de Tokyo, janvier / avril, 2003.
25Lorsqu’on évoque les salles d’exposition de l’art moderne, on parle de mur blanc, sol gris et du plafond d’éclairage. Dans l’art d’aujourd’hui on parle encore du « mur blanc ». Mais il semble qu’entre les deux murs (celui de l’espace moderne et celui de l’espace actuel) il existe une profonde différence. Si quelques espaces d’exposition conservent des éléments propres à l’état originel de l’espace moderne, ces espaces n’ont plus la même visée. L’espace d’exposition moderne a voulu séparer les œuvres de leur contexte, il a souhaité l’autonomisation de celles-ci au profit d’une idéologie. L’espace d’exposition contemporain préfère être concret, ouvert, et laisser les œuvres libres de dialoguer avec le monde extérieur. L’espace concret s’oppose en quelque sorte à l’espace neutre. Si les murs restent blancs, quelques échappées vers le monde extérieur sont possibles. Par exemple en 2003, au Palais de Tokyo, une installation de Rivane Neuenschwander permettait de modifier la perception du spectateur : celui-ci était invité à utiliser une échelle pour observer la Tour Eiffel. Le travail de « l’artiste laissait le spectateur libre d’établir des associations poétiques entre les œuvres et leur environnement26 ». Cette réappropriation du monde par l’espace d’exposition est visible dans d’autres types d’espaces. Si le White Cube a laissé un héritage dans les théories de muséologie et d’expographie, d’autres tentatives apparaissent pour permettre aux salles d’exposition de sortir l’art de son isolement et ainsi mettre l’accent sur un contexte social.
Les espaces d’exposition dans des lieux alternatifs
26Commençons par aborder la transformation d’un lieu spécifique – c’est-à-dire qui a sa propre fonction – en un lieu d’exposition. Cette opération peut être qualifiée d’agencement. Il ne s’agit pas de réaménagement en salle d’exposition mais plutôt d’un état d’origine conservé, auquel on aurait fait, ça et là, des greffes, des améliorations. Dans le cadre du festival du « Printemps de septembre » (en 2003), une ancienne maison éclusière, presque abandonnée, a été re-habitée par le travail de Sylvie Blocher. La spécificité de l’endroit n’a pas été totalement effacée pour l’événement artistique, mais a plutôt servi de support aux installations. Une cohabitation éphémère a eu lieu entre les œuvres proposées et les espaces investis. Au rez-de-chaussée, à l’entrée de l’habitation, les vidéos présentaient Pratiques quotidiennes pour rendre la vie plus agréable, présentable… Par exemple, dans la cuisine, était installée la vidéo d’une femme en train d’éplucher des oignons, qui, après un certain temps se met à pleurer ; une autre, installée dans une salle d’eau, montre une femme en train de repasser un slip d’homme, dont elle brûle le centre après l’avoir plié. À l’étage, dans une chambre à coucher, une vidéo présente une femme coupant les feuilles d’une plante pour « l’embellir ». Le spectateur, de vidéo en vidéo, avait traversé toutes les pièces de l’habitation, jusqu’à une annexe, sorte de hangar, où étaient installés trois écrans géants inclinés, renvoyant les images d’une gymnaste s’exerçant au trampoline. La salle obscure n’étant éclairée que par les vidéos de La Sauteuse, le spectateur n’identifiait pas tout à fait le contexte dans lequel il se trouvait. Il n’y avait pas de sièges d’où l’on pouvait contempler les écrans, on restait dans un lieu étrange : sorte d’annexe sombre et poussiéreuse mais qui abritait l’une des plus belles installations du festival.
- 27 Paul Ardenne, op. cit, p. 19.
27Les vidéos, la projection, étaient disposées en vue de créer une relation contextuelle. Chaque moment de présentation de la production de Sylvie Blocher dialoguait avec la maison, sous les yeux des spectateurs. Il semble que cette tentative d’installation dans un « autre type de lieu » ait été plutôt réussie, parce que le thème retenu correspondait à un contexte spécifique. Cette expérience illustre bien les propos de Paul Ardenne, selon qui « l’univers de la galerie, du musée, du marché, de la collection, est devenu, pour nombre de créateurs, trop étriqué, trop circonscrit, donc une entrave à la créativité. D’où le choix d’un art circonstanciel, sous-tendu par le désir d’abolir les barrières spatio-temporelles entre création et perception de l’œuvre. Dans le sens décisif, on le devine, de l’immédiateté, du rapport le plus court possible entre l’artiste et son public27. » Dans cette conjoncture, face à l’installation, le spectateur était invité non seulement à circuler le long des images proposées dans chaque coin de la maison, mais aussi à s’asseoir et à confronter un travail artistique avec l’espace de la maison.
28Dans le Frankensteiner Hof de « Manifesta 4 », on a pu remarquer le grand nombre d’installations in situ. Les artistes avaient conservé l’habitation telle quelle ; ils étaient intervenus avec leur propre façon de réagir. Dans un espace du bâtiment, l’artiste Hae-gue Yang avait installé plusieurs lampes fluorescentes au plafond, qui s’allumaient automatiquement, s’éteignaient et progressivement se rallumaient. Au lieu de nettoyer cet endroit empli de poussière, l’artiste l’avait conservé en l’état et avait tenté d’établir une relation entre un projet artistique et un espace déjà existant. L’espace avait été parfaitement considéré dans le processus de création. On peut dire aussi que c’est l’espace qui l’inspirait. L’installation incluait le bâtiment et permettait au visiteur non averti de faire l’expérience d’une œuvre d’art totale. À son insu, il devenait une portion improvisée de l’exposition en traversant les lieux vides ; sa présence presque fantomatique emplissait l’espace. Ainsi, l’espace n’était plus seulement un fond ou un support, mais se transformait en une partie de l’œuvre elle-même.
29Un autre artiste, Takehito Koganezawa, avait effectué une performance, dont il n’avait gardé qu’une installation, sonore et vidéo, dans une salle de douche collective. La performance avait eu lieu à l’ouverture de « Manifesta 4 ». Par la suite, le spectateur n’avait accès au site qu’à travers de petits trous percés dans la cloison posée par l’artiste. Pendant la durée de l’exposition, les « objets documentaires » restaient en tant que témoignages de la performance. Lors de celle-ci, les spectateurs étaient entrés dans une pièce froide et vide, dans laquelle on entendait un son indistinct et affreux. Les spectateurs se déplaçaient peureusement à la recherche de la source sonore. Tout à coup, on était saisi par une scène d’épouvante. Les lieux désaffectés avaient quelque chose d’effrayant ; les salles de douches collectives vides devenaient le réceptacle d’une performance inquiétante. Le lieu participait donc au caractère fantastique de l’œuvre, le spectateur se déplaçait dans une ambiance très particulière. L’artiste n’avait pas choisi seulement le lieu pour installer son travail, mais il l’avait aussi choisi pour mettre en valeur sa spécificité.
- 28 Happy Hours avait été conçu par Christian Boltanski, avec l’aide de l’éclairagiste Jean Kalman et e (...)
- 29 Uwe M. Schneede, « Exposition internationale du Surréalisme Paris 1938 », dans L’Art de l’expositio (...)
30Lors de l’événement-exposition Happy Hours28 les artistes avaient mis à profit les vestiaires d’une piscine pour y réactiver une œuvre présentée antérieurement à deux reprises : à Dijon, sous le titre Bienvenue, dans le cadre du Festival Nouvelles scènes en 2001 et sur le quai de Valmy, à Point P, à l’occasion du « Festival d’automne » de Paris en 2003. Les éléments préexistants – les douches, les cabines, l’humidité – avaient été réintroduits et assemblés pour les nouvelles interventions – des éclats de musique, l’éclairage, les gouttes d’eau, le brouillard et les acteurs. L’œuvre réalisée s’appuyait sur le lien fort qui existe entre l’exigence de l’artiste et l’atmosphère préexistante, comme Uwe M. Schneede l’explique à propos de « l’Exposition internationale du Surréalisme » de 1938 : « L’argumentation de l’exposition reposait, d’une part, sur des œuvres d’art, avec leur esthétique propre et leur mystère, et d’autre part, sur des matériaux dont le rayonnement reflétait la réalité dont ils provenaient. Dans le contexte artificiel de la mise en scène, les deux se rejoignaient, l’art et le réel, l’esthétique créée et l’esthétique naturelle, l’autoréférence et la référence externe29. ».
31Happy Hours donnait à voir l’art comme expérience, dans une mise en scène se situant entre le théâtre, un concert et une improvisation. La déambulation des spectateurs avait même été prise en compte pour compléter l’espace obscur du vestiaire. Le corps du spectateur était inscrit comme un élément actif d’une statuaire en mouvement. Dès que le visiteur entrait dans les vestiaires, il était transformé à son insu en (spect) acteur, lorsqu’il se dirigeait volontairement vers la source d’un son ou d’une lumière sans savoir ce qui l’attendait. Lors du déplacement, le spectateur interprétait un personnage aux yeux des autres visiteurs. Qui faisait partie de la scène ? Tous les individus semblaient avoir perdu leur identité dans cette atmosphère théâtrale. En conséquence, l’espace d’exposition était devenu un espace d’expérimentation pour les visiteurs. Le succès d’une telle installation résidait dans la rencontre du lieu et de l’imaginaire qu’il fait naître. L’artiste intervient alors comme pour souligner l’inquiétante étrangeté des lieux. Les installations précédentes, l’une dans une tente et l’autre sur un quai avaient toujours pris en compte les lieux, jusqu’à ce qu’ils deviennent l’élément central de l’installation.
- 30 Patrick Raynaud, « Art en contextes », dans L’Art contemporain et son exposition (1), op. cit., p. (...)
32On voit à travers ces exemples que l’espace d’exposition est aussi un catalyseur de créativité. L’artiste a réalisé son projet au sein d’un environnement spécifique. L’artiste Patrick Raynaud, en rappelant le principe d’une de ses œuvres in situ, explique la possibilité, ou bien la nécessité, de réagir à d’autres lieux, à un contexte spécifique : « Il s’agit déjà d’un travail in situ déménageable puisqu’il est produit par rapport à un lieu spécifique dans lequel il s’insère, tout en s’en détachant puisqu’il est déjà en caisse prêt à en partir. Cependant, il l’est surtout dans sa capacité à faire voyager sa signification. Fait pour parler du lieu pour lequel il a été originellement créé, son intérêt réside spécifiquement dans son aptitude à déménager les traces du site de création et à les confronter aux espaces dans lesquels il pourrait être installé. La pièce peut donc, par principe, être installée dans n’importe quels lieux existants pour interagir avec leurs plafonds, à l’exception peut-être du White Cube dont la neutralité en annulerait la portée30. » L’artiste quitte volontairement le territoire de l’idéalisme du White Cube. En l’occurrence il peut occuper les lieux les plus variés en offrant au spectateur une expérience originale et il tente de créer un microcosme artificiel qui est l’expression de sa relation au monde. Le contexte d’une ville ou d’un autre lieu est re-contextualisé par la réappropriation de l’artiste qui utilise habituellement l’espace où il inscrit son œuvre.
33À travers des espaces qui ne sont pas au premier abord repérables ou identifiables comme des espaces d’exposition, les commissaires et les artistes ont réussi à redynamiser la création contemporaine. En déplaçant l’art de son contexte habituel, naît un dialogue parfois plus riche. De plus, le public qui pouvait être effrayé par les espaces quasi sacrés des musées aura une approche plus libre dans des lieux réappropriés pour des expositions. Dans le cas de manifestations gratuites, on a vu un public local s’aventurer sur des terrains qui lui étaient inconnus. Exposer au risque du réel, du quotidien, voire du trivial, permet d’autres formes d’art qui semblent parfaitement s’adapter au côté transitoire et éphémère des grandes manifestations vouées aux arts plastiques.
- 31 Stephan Waetzhold, « Motive, Ziele, Zwänge : Die Ausgangslage in Ausstellungen – Mittel der Politik (...)
34Hubert Glaser, l’organisateur de l’exposition « Wittelsbach » à Munich en 1978, a résumé en quelques mots ce qui justifie, aujourd’hui encore, l’existence de telles manifestations : « Les expositions ont acquis un statut politique, elles font partie des moyens privilégiés par lesquels se documentent et s’illustrent l’entente et la coopération internationales, l’identité nationale et régionale, la continuité historique, la conscience de soi et l’amour de la culture d’un Etat31 ».
35Il existe une cinquantaine de manifestations qui ont lieu de manière répétée et qui sont consacrées à l’art actuel. Parmi celles-ci, on peut citer : les biennales de Venise, Sao Polo, Lyon, Montréal, Gwangju, Shanghai, Sydney, Moscou, du Whitney Museum, la Documenta de Kassel et la Manifesta ; qu’elles soient nationales, continentales ou internationales. Ce qui nous intéresse ici ce sont les intentions visibles à chaque édition. Il semble qu’à travers chaque exposition se devine une pensée, une visée, celle d’un acteur de la scène artistique face à un espace donné, à un moment particulier, qu’il soit artiste, commissaire, commissaire indépendant, historien de l’art, théoricien de l’art, chercheur ou enseignant, etc. L’exposition est le moment où l’espace d’accueil et de réception des œuvres d’art se transforme en un terrain d’expérimentation qui permet de montrer simultanément plusieurs manières de présenter l’art. L’enjeu qui consiste à monter une exposition comprenant plusieurs artistes aux projets multiples et hétérogènes réside dans l’usage qui est fait de l’espace d’exposition. Il faut pour cela trouver un terrain de rencontre possible entre les projets individuels qui partagent un même espace.
Remarque annexe sur le « local » dans les manifestations
36Pour aborder le thème de la ville en tant qu’espace pratique, nous envisagerons la question du public des manifestations d’art contemporain sous l’angle de leur localisation, de leur date de programmation, de leurs horaires, de leur médiatisation. Nous rechercherons des indices qui nous permettrons, de manière empirique, de dresser un portrait-robot des spectateurs. Par exemple, dans le cas de « Manifesta 5 » à Donostia – San Sebastian au pays basque espagnol (du 11 juin au 30 septembre 2004), il est intéressant de voir l’intention des commissaires d’immerger cet événement artistique dans une zone de débats à la fois politiques et sociaux. Le titre était évocateur de sous-entendus tels que « rumeur politique, paysage culturel, l’imparfait du présent, les ruines à l’envers, zones de contingence, en construction, bruits spirituels, projets et accusation… » Les deux commissaires Marta Kuzma et Massimiliano Gioni ont œuvré à choisir cinquante artistes qui répondraient à leur invitation à proposer différentes formes de compréhension de la relation des individus au monde. Ils ont moins cherché à présenter des réponses globales qu’à privilégier des réponses énigmatiques au potentiel transgressif et polémique. Le résultat de ce choix présente des projets inégaux ; certains lieux d’exposition étant parfaitement réussis, mettant en lumière des œuvres entre elles. Cette manifestation semble s’adresser en premier lieu aux habitants, il y a une forte résonance entre les œuvres et l’histoire de la région. Le local semble être mis en avant au profit d’un aspect européen ou même international. En effet, la question de la position géopolitique de la région semble se lire comme toile de fond de la manifestation. Pourtant l’un des commissaires, Marta Kuzma dit dans un entretien vouloir s’affranchir de préjugés : « Nous nous sommes concentrés sur notre ville hôte comme espace social privilégié et déclencheur catalytique pour démarrer la « Manifesta ». Nous avons fait abstraction de son expérience sociale et politique comme pratique municipale et régionale quotidienne, de son inconscient en quelque sorte, afin de tenter de formuler un cadre conceptuel pour la mise en forme du projet. ». Les différents sites ont été choisis « stratégiquement » de manière à faire voir les multiples facettes d’une ville trop souvent associée à deux images : balnéaire et point nodal d’une lutte d’indépendance au Pays basque. Si les commissaires ont cherché à minimiser ces deux aspects, il n’en demeure pas moins que le public reste confronté à la visibilité du désir d’indépendance chez les habitants : des slogans, des affiches, des marches silencieuses restent le quotidien de cette ville. Ils ont sélectionné sept lieux au total pour inscrire leur projet. Le Koldo Mixtelena est un espace d’exposition installé dans la bibliothèque municipale au cœur d’un quartier bourgeois et commerçant ; le Kubo Kutxa est une galerie au sein d’un bâtiment dont le style très moderniste domine la baie de San Sebastian. San Telmo est un ancien monastère des vieux quartiers de la ville aménagé en musée ethnographique ; la Casa Ciriza est une ancienne usine de poisson restaurée pour l’exposition et qui se trouve dans la région en perte de vitesse sur le plan économique de Pasaia, zone périurbaine. Ondartxo était quant à lui un ancien chantier naval et un passage piéton au bord de la route nationale en direction de la frontière française. Sur le plan offert au public pour se diriger, les sept lieux ne faisaient pas cas des grandes disparités visibles d’un site à l’autre.
37Mais pour les habitants de San Sebastian, il était très facile d’identifier les lieux d’exposition, trois d’entre eux se trouvent en dehors de la ville, soit près de la moitié, dans une zone portuaire accessible aux habitants du quartier et aux professionnels, commerçants, pêcheurs, restaurateurs, etc. Les organisateurs ont cherché à inviter les habitants des quartiers centraux (les étudiants, les amateurs d’activités artistiques…) à se déplacer vers les lieux qui leur étaient inconnus. C’est-à-dire qu’ils ont cherché à faire venir les spectateurs potentiels. D’autre part, ils ont privilégié l’accès à ces trois expositions pour les habitants du quartier peu enclins à voir de l’art contemporain. De ce point de vue l’organisation a beaucoup misé sur un intérêt local, en accordant la gratuité aux visiteurs, ce qui n’était pas le cas pour les éditions précédentes et l’équipe de direction a fait l’aveu d’un pari assez risqué. Par exemple, en installant une œuvre à la Casa Ciriza de l’Irlandais Duncan Campbell qui plonge dans les archives de Belfast pour faire émerger son passé protestataire, prolétaire et morose, le commissaire sait qu’il va établir une connivence directe entre l’habitant de Pasaia et l’artiste. Le spectateur est invité à mettre en perspective les œuvres et leur contexte d’inscription. L’habitant aura peut-être une relation plus viscérale, de l’ordre de l’affectif, c’est-à-dire qu’il pourra véritablement se projeter dans l’œuvre. « Manifesta » était donc très intégré au niveau local.
38Cette politique de complémentarité, se retrouve dans de nombreux projets d’exposition d’art contemporain. C’est-à-dire que les salles d’expositions ne sont plus fermées sur l’art lui-même, elles s’ouvrent à de nouveaux visiteurs, il ne s’agit pas d’une politique d’art local (qui propose des projets liés au lieu ou inscris dans la culture) mais d’une politique de public local. Il s’agit de s’adresser à un public ciblé, plus identifiable et avec lequel on pourra s’assurer des réelles retombées d’une exposition. Le public représente le véritable prolongement d’un projet, il permet d’étendre les manifestations au-delà de la programmation.
39On voit bien que les commissaires mettent en place de véritables stratégies pour promouvoir l’art contemporain auprès des milieux extérieurs à la sphère de l’art et le principe de gratuité joue pour beaucoup dans la réussite de telles démarches. De nombreuses manifestations ont pris ce parti, c’est le cas du « Printemps de septembre » à Toulouse, du festival « Visa pour l’image de photo journalisme » à Perpignan, du « Festival de la photo » en Arles, de « Nuit Blanche » et du « Mois de la photo » à Paris. Cela assure à ces évènements temporaires de remporter un certain succès. D’années en années les habitants prennent rendez-vous avec ces manifestations.
Une nécessaire visée internationale
40Si l’on a noté les efforts fournis pour ouvrir les manifestations d’art contemporain à d’autres visiteurs, notamment un public néophyte, il reste nécessaire de s’adresser au public averti, amateur non plus forcément cantonné à un public local, de proximité, mais qui peut être international. En observant les dates de programmation des manifestations on s’aperçoit que de nombreux évènements sont prévus l’été, souvent pour des périodes assez longues : la « Documenta », la « Biennale de Venise », « Manifesta » sont programmées du mois de juin au mois de septembre. Les organisateurs prévoient donc un public estivalier qui n’hésitera pas à faire un voyage mêlant tourisme et programmation artistique. Ainsi, ils obtiennent l’assurance que des gens du monde entier feront escale dans les manifestations. D’autres manifestations programmées à la rentrée scolaire telles le « Printemps de septembre » et la Biennale de Lyon ont prolongé leurs horaires d’ouverture jusqu’à minuit, permettant au visiteur d’alterner les plages de visites avec une découverte de la ville. On peut également penser à la position stratégique de la ville, qui accueille les évènements comme ayant une incidence sur la nature du public et sur sa provenance. Par exemple, Lyon se trouve à un carrefour de l’Europe ; son accès est relativement aisé pour des visiteurs venant de Suisse, d’Italie, d’Allemagne. De même, les organisateurs de « Manifesta » prenaient soin de sélectionner des villes aux croisées de l’Europe. Chaque « Manifesta » est trans-européenne, non seulement en raison du choix des artistes qu’elle invite mais aussi pour ce qui est du public qui s’y rend : en 1996 à Rotterdam, en 1998 à Luxembourg, en 2000 à Ljubljana, en 2002 à Francfort, le public nomade suit les déplacements de cette biennale. L’exposition devient un produit que l’on améliore, d’édition en édition. On pense au confort des spectateurs, les manifestations s’institutionnalisent. L’exposition se fait au risque d’une stratégie, elle a pour visée une reconnaissance internationale, on doit sentir des répercussions dans le monde de l’art, les stratégies de visibilité se font de jour en jour, plus offensives.
41En conclusion les manifestations ont tout à gagner en misant sur deux fronts : un public local qu’elles tentent d’apprivoiser et un public international qu’elles essaient de séduire. Au travers d’une confrontation périodique et ponctuelle, le public des manifestations est invité à vivre des expériences toujours plus riches, dans des lieux décalés, désaffectés, des lieux plus ou moins traditionnels, dans des « camps de transit » prolongé. Ces lieux qui ont en commun d’être habités de manière transitoire, sont autant de champs à explorer par de possibles publics. C’est une véritable aventure de l’expographie qui se joue, avec l’accroissement exponentiel et la prolifération galopante des expositions temporaires vouées à l’art contemporain ; il faut pourtant que l’alchimie prenne pour que le visiteur y devienne spectateur actif.
Notes
1 Catherine David, « Accompagner la discursivité de l’art expérimental », dans L’Art contemporain et son exposition (1), Paris, L’Harmattan, 2002, p. 66-67.
2 Cette Biennale de Lyon s’était déroulée du 18 septembre 2003 au 4 janvier 2004.
3 Livret de la Biennale de Lyon édité par le Consortium de Dijon et distribué aux visiteurs de l’exposition.
4 Paul Ardenne, Un Art contextuel, Paris, Flammarion, 2002, p. 87.
5 Selon cette idée la ville serait devenue un « espace pratique » que les artistes ou les organisateurs utilisent pour l’ouvrir à toutes sortes de formes artistiques. Considérer l’ensemble de la ville pose la question du public local.
6 Stéphanie Moisdon-Tremblay, « Conférence Manifesta 4 », Université Paris 8, le 16 octobre 2002.
7 « Voir en peinture », exposition au Plateau, Paris, du 18 septembre au 23 novembre 2003.
8 Dossier Service des Publics rédigé par Maëlle Dault, Responsable de ce service.
9 Comme nous l’avons vu précédemment lors de cette tentative d’« inventer le monde », l’art est intimement lié au contexte dans lequel il s’insère, ici les villes de Lyon et Toulouse. Le spectateur est face à la vie ordinaire qui se déroule aux côtés des expositions.
10 Yve-Alain Bois, « Exposition : esthétique de la distraction, espace de démonstration » dans Cahiers du mnam, Paris, Centre Georges Pompidou, automne 1989, p. 72.
11 ibid., p. 74.
12 Beatrix Nobis, « El Lissitzky : L’espace des abstraits pour le Musée provincial de Hanovre 1927 / 1928 », dans L’Art de l’exposition. Une documentation sur trente expositions exemplaires du 20e siècle, Paris, trad. fr. D. Trierwieler, Editions du Regard, 1998 (1991), p. 145.
13 ibid., p. 149.
14 ibid., p. 145.
15 ibid., p. 148.
16 Igor Zabel, « The return of the White Cube » dans Manifesta journal n° 1, « The Revenge of the White Cube ? », Amsterdam, International Foundation Manifesta, spring/summer 2003, p. 13.
17 Nicolas de Oliveira, Nicola Oxley, Michel Petryl, Installations. L’Art en situation, Paris, Thames & Hudson, 1999, p. 11-12.
18 ibid., p. 13.
19 Brian O’Doherty, Inside the White Cube : The Ideology of Gallery Space, Santa Monica and San Francisco, Lapis Press, 1986, cité par Nicolas de Oliveira, Nicolas Oxley, Michel Petryl, dans ibid., p. 13.
20 ibid., p. 125.
21 En 2000, avec Zwischen anderen Ereignissen (Between other Events) au Musée d’Art Contemporain de Leipzig, Elmgreen et Dragset développent comme question principale « l’espace blanc-l’espace de puissance ». Deux chômeurs engagés par les artistes, doivent peindre les murs du musée en blanc 35 fois pendant les sept semaines que durent l’exposition. Ainsi l’espace blanc refuse d’être « un espace de présentation », mais apparaît comme abandonné. L’espace de présentation est donc devenu un espace d’activité physique (perdant presque son activité traditionnelle de présentation d’objets).
22 Charles Arthur-Boyer, « Architecture », dans De A à Z. Les centres d’art contemporain, Paris, dca / Flammarion, 1994, p. 19.
23 ibid., p. 26.
24 Pierre Leguillon, éditorial : « Oublier l’exposition avec un luxe de détails », Art press spécial n° 21, « Oublier l’exposition », Paris, 2000, p. 14.
25 Livret distribué à l’occasion de la Biennale de Lyon 2003.
26 Akiko Miki, Le Journal n° 3 du Palais de Tokyo, janvier / avril, 2003.
27 Paul Ardenne, op. cit, p. 19.
28 Happy Hours avait été conçu par Christian Boltanski, avec l’aide de l’éclairagiste Jean Kalman et entre autres des musiciens Franck Krawczyk, Ryoko Sekiguchi. L’œuvre avait été présentée les 11, 12 et 13 décembre 2003, dans le cadre de la Biennale de Lyon.
29 Uwe M. Schneede, « Exposition internationale du Surréalisme Paris 1938 », dans L’Art de l’exposition, op. cit., p. 182.
30 Patrick Raynaud, « Art en contextes », dans L’Art contemporain et son exposition (1), op. cit., p. 107.
31 Stephan Waetzhold, « Motive, Ziele, Zwänge : Die Ausgangslage in Ausstellungen – Mittel der Politik ? », Symposium international, du 10 au 12 septembre, Berlin, 1980, p. 19. Cité dans Katharina Hegewisch, « Un médium à la recherche de sa forme, les expositions et leurs déterminations », L’Art de l’exposition, op. cit., p. 19.
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Référence papier
Bo-Kyoung Lee, « Espaces d’expositions temporaires consacrés à l’art contemporain », Marges, 05 | 2007, 40-60.
Référence électronique
Bo-Kyoung Lee, « Espaces d’expositions temporaires consacrés à l’art contemporain », Marges [En ligne], 05 | 2007, mis en ligne le 15 juin 2008, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/705 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.705
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