John Maeda
John Maeda. Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, 19 novembre 2005 – 19 février 2006
Texte intégral
1C’est la seconde exposition personnelle de John Maeda en France. La première s’était tenue dans les locaux de la boutique Colette en 2002. Né en 1966, John Maeda a su s’imposer en tant que « gourou » d’un art « programmatique », notamment par le biais du Media Lab / mit, où il enseigne et où il a formé de talentueux jeunes artistes tels que Benjamin Fry, Casey Reas ou Josh Nimoy. Le public français connaît surtout Maeda par ses livres (Maeda@media, Design by Numbers et Code de création) et par ses élégants calendriers interactifs ou cartes de voeux pour Shiseido (ou encore pour… Cartier), visibles sur Internet (http://www.maedastudio.com).
2L’exposition Maeda à la Fondation Cartier était donc attendue. Deux séries d’œuvres sont présentées : Nature et Eye’m. Hungry. Sur le carton d’invitation, le mot « nature » est écrit avec une mosaïque de carrés qui font référence au pixel et nous préviennent de l’essence artificielle de la nature dont il sera question. Pour Eye’m Hungry, c’est le calembour du titre qui nous avertit que ce sont les yeux qui seront nourris et non les estomacs.
3Au sous-sol, dans une grande salle, sont disposés sept écrans (c’est Nature) au centre desquels une longue file d’attente (le jour du vernissage en tout cas) patiente pour voir Eye’m Hungry, série d’œuvres situées dans une petite salle dont l’accès est régulé par une paire de gardiens.
4Il y a là une petite astuce de mise en scène, certes pas inédite mais toujours intéressante : pour accéder à une série d’œuvres, le public patiente devant une autre, forcé peut-être d’y consacrer bien plus de temps qu’il ne l’aurait fait a priori.
5C’est à ce stade que les choses se gâtent. Nature est une série de sept vidéos pré-calculées (pas de hasard ou d’interactivité) diffusées en boucle et dont l’ambition annoncée est d’imiter, de retrouver des effets observés dans la nature : le gazon, les nuages, la pluie, etc. D’un aspect séduisant, elles lassent cependant très vite et, si elles parviennent bien à démontrer la virtuosité de leur auteur, on déplore que l’enquête sur la beauté des formes, des phénomènes et des processus de la nature qu’effectue Maeda semble à la fois laborieuse, indécise et mécanique. La pluie se transforme en feuilles qui se transforment en trames, qui se couvrent de gouttes d’eau… à intervalle régulier, les animations changent, comme s’il n’y avait pas eu suffisamment d’écrans pour tout exposer et qu’il avait fallu servir au public des pots-pourris, des sélections d’échantillons aux durées calibrées. Finalement, on ne pense ni à la pluie, ni au vent, ni aux micro-organismes, mais plutôt aux économiseurs d’écran des ordinateurs.
6Eye’m Hungry est d’un autre genre. Il s’agit d’une petite salle où six petits écrans sont accrochés aux murs. Face à chacun de ces écrans, on peut s’asseoir et manipuler un dispositif interactif : clavier, trackball, micro. Le thème est donc la nourriture : des brocolis s’envolent lorsque l’on manipule un clavier, des soupes en boîte (Campbell’s évidemment) s’ordonnent dans un espace 3D… On fait vite le tour de ces travaux un peu vains et à chaque fuite d’un visiteur, les gardiens demandent : « vous partez déjà ? ».
7John Maeda justifie Eye’m Hungry par sa biographie : il donnait un coup de main dans le restaurant familial et voulait être artiste alors que ses parents voulaient qu’il soit ingénieur. Il insiste également sur son héritage culturel : la nourriture japonaise – Maeda est américain mais ses parents sont originaires du Japon – est à regarder autant qu’à consommer. Mais ces justifications ressemblent plus à un vernis appliqué en catastrophe pour masquer les faiblesses du tout.
8En étant méchant, on pourrait dire de Maeda qu’il est le moins bon de ses élèves – ce qui fait de lui un excellent professeur. Dans ses livres, John Maeda prend des positions intransigeantes sur l’esthétique des œuvres numériques, il fustige les artistes qui, en ne fabriquant pas eux-mêmes leurs outils, se laissent guider par des logiciels tels que Photoshop ou Flash. En jugeant sur pièces, on est plutôt déçu : Maeda semble lui aussi se laisser guider par des limites – non pas celles des logiciels mais celles de son talent d’artiste.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Noël Lafargue, « John Maeda », Marges, 05 | 2007, 135-136.
Référence électronique
Jean-Noël Lafargue, « John Maeda », Marges [En ligne], 05 | 2007, mis en ligne le 25 juillet 2014, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/697 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.697
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