Jeppe Hein. Labyrinthe invisible
Jeppe Hein, Labyrinthe invisible. Espace 315, Centre Pompidou, Paris, 15 septembre – 14 novembre 2005
Texte intégral
1À peu près 300 m2 de vide, voilà ce à quoi pourrait nous amener une lecture formaliste de l’œuvre de Jeppe Hein présentée à l’Espace 315 cet automne. Mais c’était bien sûr plus complexe que cela. Comme son titre l’indique, cette unique œuvre était un Labyrinthe invisible : non pas inexistant mais non matérialisé par un objet perceptible par les yeux, accessible par d’autres moyens intellectuels et techniques. Le thème du labyrinthe passionne Hein depuis longtemps et il en a sélectionné sept modèles issus entre autres de la littérature, des jeux vidéo ou de l’histoire des jardins pour concevoir cette œuvre : un différent pour chaque jour de la semaine.
2Pour accéder à l’œuvre, chaque visiteur se voit doté d’un casque émetteur-récepteur qui signale sa position au dispositif mis en place par l’artiste et lui renvoie un signal sous forme de vibration lorsque le malheureux heurte l’un des murs virtuels. Les spectateurs déambulent donc lentement, stoppant net, tournant à angle droit ou s’écartant prudemment pour se croiser au milieu de cette pièce complètement vide. Cet étrange ballet entre jeu interactif et danse contemporaine provoque une impression de gêne mêlée de complicité, un intérêt mâtiné d’humour et de surprise. Comme le souhaitait l’artiste, un certain lien (minimal) se crée parfois entre les personnes présentes, une nouvelle perception de l’espace se met en place en même temps que le jeu, en tout cas pour ceux que ce genre de pratique interactive amuse.
3Nous retrouvons dans ce labyrinthe l’ensemble des moyens qui constituent habituellement les œuvres de Hein, poussés ici à une sorte d’aboutissement qui laisse présager un possible tournant dans son travail. C’est par exemple le mouvement qui enclenche et matérialise l’œuvre, le jeu avec et sur l’espace et sa perception, une forme particulière d’interactivité puisque ses dispositifs ne fonctionnent pas en dehors de la présence du spectateur qui le déclenche et l’expérimente. C’est aussi un statut bien spécifique des objets. Ils ne sont pas les œuvres, ils en rendent possibles la perception et la compréhension, ils sont les supports de l’expérimentation, des outils, des sortes de catalyseurs de l’œuvre. Hein utilise ainsi toujours le minimum de forme – non pas une forme minimale – autrement dit juste ce qui est nécessaire au fonctionnement du projet, d’où les formes et matériaux élémentaires (pans de mur, boules, cubes, bancs, eau…). Cela semble issu de préoccupations fonctionnalistes – la forme suit la fonction, juste ce qu’il faut de matière, c’est la structure qui définit l’apparence… – ou fonctionnelles bien plus que formelles et minimalistes. Enfin, le statut de ses œuvres est identifiable à un principe immatériel, leur identité spécifique, potentiellement réitérable sans déperdition. Ainsi, rien n’empêcherait – et sans doute le verrons nous un jour – qu’il la réexpose dans un autre lieu, sous une forme différente ou simplement actualisée, sans que ni l’œuvre, ni son fonctionnement, ni ses effets, ni ses significations n’en soient en rien perturbés. Si cela ne lui est pas propre et se retrouve de plus en plus dans nombre de travaux contemporains, c’est chez lui tout à fait paradigmatique.
4Dans le cas de ce Labyrinthe invisible, l’immatérialité de l’œuvre est associée à une dématérialisation quasi totale des objets qui normalement nous la médiatisent. Cela le rapproche par exemple beaucoup plus des recherches d’un Yves Klein pour « manifester l’immatériel » (dans ses « zones de sensibilité picturale immatérielle ») que de celles, bien matérielles, des minimalistes auxquels il est souvent assimilé. En effet, si visuellement on peut toujours reconnaître des formes qui en sont proches, ses œuvres relèvent d’un principe bien loin de la simple tautologie et dont la réalisation nécessite une véritable maîtrise technique aux antipodes des préoccupations de ces artistes américains.
5Cette technologie lui permettra-t-elle de poursuivre ces processus de dématérialisation de l’œuvre et de ses objets jusqu’à nous en proposer de nouvelles, différentes, mais dont les manifestations physiques prendraient aussi, comme dans le cas du Labyrinthe invisible, la forme d’une pièce en apparence totalement vide ?
Pour citer cet article
Référence papier
Pascal Cuisinier, « Jeppe Hein. Labyrinthe invisible », Marges, 05 | 2007, 133-134.
Référence électronique
Pascal Cuisinier, « Jeppe Hein. Labyrinthe invisible », Marges [En ligne], 05 | 2007, mis en ligne le 25 juillet 2014, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/695 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.695
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