You’re dead. Performance de Yann Duyvendak
You’re dead. Performance de Yann Duyvendak. Maison de la Villette, Paris, 1er octobre 2005, 23 h 45, 15 minutes
Texte intégral
1Yann Duyvendak s’introduit sur scène en traversant le public. Il est vêtu en militaire : tee-shirt impression feuillage vert et pantalon treillis. Il porte à la taille un émetteur relié à un micro hf en oreillette et une arme en bandoulière. Il investit l’espace scénique en se plaçant face au public tout en parlant et en marchant. Tandis qu’il marche, il décrit l’orientation de sa marche à venir. Il applique ainsi le principe austinien du performatif « quand dire c’est faire ». Dans ce premier temps, la zone qu’il délimite par sa marche semble indiquer un hors-champ que nous comprenons plus aisément lorsqu’il entre dans une autre zone de la scène côté cour. Dans cette zone balisée par une signalétique de bandes au sol, il se place devant le projecteur et le lecteur dvd qui s’y trouvent et il énonce là encore ce qu’il fait : « appuie sur on ». Cette tendance à énoncer tout ce qui est en train de se faire, nous la retrouvons tout au long de la performance.
2Cette animation – cinématique d’un jeu vidéo guerrier – expose une barre de défilement qui se télécharge. Pendant ce téléchargement Yann Duyvendak se colle à l’écran, se superpose à la projection, en position statique, en appui sur ses jambes maintenues écartées dans la même largeur que ses épaules, l’arme en bandoulière. Il se rend ainsi lisible comme image au même titre que l’animation : maintenu en position pause. Dans cette position d’attente, sa posture souligne et renforce l’idée du téléchargement en cours. Puis les composantes et paramètres du jeu s’affichent à l’écran, il commence alors à s’animer.
3Le performer explore une transposition des jeux entre réalités et niveaux de lecture autour des positions alternées : d’acteur, de joueur et de performer distant de la performance. Il pose ainsi les questions de l’immersion dans le jeu, de l’identification du joueur à l’acteur et de la distanciation par le travers burlesque de la gestuelle et des termes guerriers. Yann Duyvendak dans sa fonction de performer-soldat, prend la place subjective de l’acteur du jeu. Il se déplace, arme brandie. Il s’implique dans les changements de points de vue de la cinématique de jeu projetée en simulant la place occupée par l’acteur du jeu vidéo. Il suppose donc l’identification à l’acteur : il « performe » le jeu, le met en perspective et ce transfert frôle le caricatural, le comique. La gestuelle chorégraphique du performer se synchronise avec les axes acteur / caméra du film. L’image est mise en abîme par ce jeu quasi topographique de déplacements du performer ; ce dernier s’appliquant à marquer les changements de points de vue par des orientations axiales sur scène. Les demi-tours, les tours complets sur lui-même de Yann Duyvendak, les segments de lignes droites, formalisent ses directions et orientations dans l’espace avec ce qui est projeté. Les spectateurs obtiennent ainsi une double lecture, visuelle et directionnelle, où ils se projettent en retour.
4Un jeu chorégraphique insiste également sur la marche, sur une variation de type de sauts : il simule des actions comme la montée d’un escalier. Puis il s’assied sur une chaise pour évoquer la place du joueur localisé dans son espace de jeu cette fois-ci. Il simule maintenant le geste du joueur manipulant son interface : mitraillette ; à ce moment le bruitage sonore de la cinématique du jeu projeté est audible. Il est dos aux spectateurs, nous le voyons agir. Le plan de lecture s’est déplacé de l’interne vers l’externalité du jeu pour nous questionner sur les pratiques de la violence, sur les réalités mêlées entre guerre et spectacle. L’emplacement et la position critique du performer varient ainsi selon son adhésion au trajet spatial du jeu à l’écran. La performance s’anéantit littéralement dans un carnage : joute audio-visuelle des médias et du jeu dans laquelle les spectateurs sont cyniquement pris à partie jusqu’à la suffocation.
Pour citer cet article
Référence papier
Nathalie Fougeras, « You’re dead. Performance de Yann Duyvendak », Marges, 05 | 2007, 131-132.
Référence électronique
Nathalie Fougeras, « You’re dead. Performance de Yann Duyvendak », Marges [En ligne], 05 | 2007, mis en ligne le 15 juin 2007, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/693 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.693
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