Cause and Effect. Performance de cinéma interactif par Chris Hales et Teijo Pellinen
Cause and Effect. Performance de cinéma interactif par Chris Hales et Teijo Pellinen. 75 minutes, festival « Émergences », Maison de la Villette, Paris, le 30 septembre 2005
Texte intégral
1La Maison de la Villette n’a rien d’une salle d’exposition commune, d’un théâtre ou d’un cinéma. Elle est l’un de ces lieux hybrides, propices à accueillir des œuvres hybrides elles aussi. Cause and Effect, créé et présenté par l’artiste britannique, enseignant et chercheur Chris Hales et le chercheur Finlandais Teijo Pellinen, est à la fois un spectacle, une performance et une séance de projections vidéo interactives. Le public, assis à même le sol, y participe de manière essentiellement collective et démocratique ; certes, une démocratie quelque peu primitive, puisque pour exprimer sa voix au sens figuré, il doit, par exemple, crier. C’est ce que Chris Hales et Teijo Pellinen nomment, non sans humour, « l’intelligence collective ».
2Mais d’autres expériences collectives sont proposées au spectateur, comme celle, particulièrement intéressante, de Jinxed. Ce film interactif gaguesque existe à l’origine sous forme de cd-rom dans lequel l’interacteur doit cliquer sur des objets qui vont agir sur le protagoniste comme autant d’embûches (peau de banane, savon glissant, lampe trop basse…). L’enjeu est de transposer l’espace de l’écran et de ses zones « clicables » sur l’espace formé par un public de masse. Avec peu de moyens, Chris Hales et Teijo Pellinen ont choisi de substituer à l’interface de la souris celle d’une lampe en forme de fleur. La lumière émise est captée par une caméra pointée vers le public et dont l’image est restituée sur l’écran, en marge du film. Chris Hales explique : « Il faut passer entre vous le flower power interface ». La notion de collectif est déclinée ici sous la forme d’un passage de relais. Le détenteur de la fleur lumineuse se voit simultanément à l’écran et visualise dans le film l’emplacement de son interface symbolisé par un curseur. Pour que ce curseur atteigne sa cible dans l’image, la lampe doit passer de main en main en quelques secondes, jusqu’à la personne du public située au niveau de la zone sensible dans l’image. Dans le cas contraire, le protagoniste du film échappe aux « mauvais sorts » des objets et passe une matinée sans encombre.
3Dans chacune des vidéos interactives de Cause and Effect, le spectateur, qui a une part déterminante sur le cours de l’histoire, devient l’élément d’un public massif : chacun assiste au même spectacle, au même moment et agit avec les autres. Ceci est relativement rare dans les arts interactifs, qui privilégient en général un rapport égalitaire entre l’homme et la machine, individualisant le spectateur. Jusqu’à, trop souvent hélas, le projeter sur le devant de la scène en le plaçant malgré lui, voire malgré l’auteur, en élément constitutif du « spectacle », observé et d’une certaine façon « jugé » par les autres spectateurs. Dans Cause and Effect, il arrive au spectateur de se trouver dans une telle situation, poussée à l’extrême, mais de manière critique et humoristique : le spectateur sorti de la masse est en quelque sorte trahi et piégé lorsque Teijo Pellinen l’interroge en enregistrant ses réponses à son insu, afin que Chris Hales les détourne pour les recontextualiser plus tard dans une parodie de film d’espionnage, I Spy.
4L’originalité de Cause and Effect réside également dans la présence de ses auteurs-performers, qui deviennent aussi animateurs. Plus précisément, Chris Hales endosse le rôle de programmeur-bricoleur, sorte de dj mixant « en live », et Teijo Pellinen forme un mélange de Monsieur Loyal, de médiateur entre le public et l’œuvre, et de « bonisseur-conférencier » – comme on nommait celui qui, avec le pianiste et parfois le bruiteur, accompagnait les images des premiers films muets français pour situer l’action, improviser les dialogues et établir un lien entre les différentes saynètes.
5Cause and Effect est la preuve – ô combien vivante – que l’hybridation entre art interactif, performance, cinéma et théâtre produit non seulement un artiste-auteur qui tend à élargir ses fonctions, mais aussi un spectateur hybride. Celui-ci se rapproche du spectateur populaire des premières curiosités spectaculaires, du 18e au début du 20e siècle (théâtre, foires, fééries, panoramas, puis cinéma). Il nous rappelle le sens premier du terme, qui renvoie au spectateur non pas d’expositions artistiques, mais de spectacle, à savoir de théâtre, de cirque, puis de cinéma et de variétés.
Pour citer cet article
Référence papier
Caroline Chik, « Cause and Effect. Performance de cinéma interactif par Chris Hales et Teijo Pellinen », Marges, 05 | 2007, 129-130.
Référence électronique
Caroline Chik, « Cause and Effect. Performance de cinéma interactif par Chris Hales et Teijo Pellinen », Marges [En ligne], 05 | 2007, mis en ligne le 25 juillet 2014, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/691 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.691
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