Menoud Lorenzo, Qu’est-ce que la fiction ?
Menoud Lorenzo, Qu’est-ce que la fiction ? Paris, Vrin, Coll. Chemins Philosophiques, 2005, 128 p.
Texte intégral
1La question traitée dans cet ouvrage rejoint celle de l’Image abordée par Jacques Morizot dans un ouvrage de la même collection. En effet, fiction et représentation ont souvent été convoquées simultanément pour analyser le fonctionnement des différents médiums artistiques. Il sera plus précisément question ici de la fiction dans le domaine des arts du langage et de la possibilité de définir le processus fictionnel. Pour caractériser les modalités d’application de cette notion au domaine de la littérature Menoud s’appuie sur la définition de Schaeffer qui, par opposition à la « feintise sérieuse » laquelle vise à tromper et à dire le faux, définit la fiction comme une « feintise ludique partagée » sans intention d’abuser celui à qui elle s’adresse. L’auteur va ensuite faire l’inventaire des différents critères de fictionalité d’une œuvre littéraire. Qu’est-ce qui fait qu’un texte est d’emblée perçu comme une fiction et que le lecteur joue le jeu de la fiction plutôt que de croire à la valeur documentaire du texte ?
2Dans son texte séminal Kate Hamburger décèle des « indices de fictionalité », notamment dans l’emploi du discours indirect qui suppose l’omniscience du narrateur lequel connaîtrait la pensée de ses personnages. La dimension sémantique du texte peut aussi constituer un critère de fiction, dans le cas où les symboles ne font référence à aucune réalité. Une autre solution a été proposée par Searle qui fait reposer l’indice de fictionalité dans l’intention de l’auteur d’inscrire son texte dans un cadre conventionnel qui oriente le lecteur vers la non-croyance des énoncés. Le simple fait de savoir qu’il s’agit d’un roman implique d’emblée que le contenu du texte est fictionnel. Le point de vue du lecteur sera également un paramètre à prendre en compte, sachant qu’un texte sera considéré comme fictionnel en fonction des compétences du lecteur à le faire fonctionner fictionnellement.
3Toutefois, tous ces critères de fictionalité ne peuvent constituer des critères suffisants dans une définition de la fiction littéraire. La proposition de Walton apporte une solution séduisante à l’énigme de la fiction en proposant d’appliquer le modèle des jeux d’enfant au domaine de la fiction littéraire. C’est notamment l’exemple du hobby horse évoqué par Gombrich, à savoir de ces jeux qui développent une disposition à faire-semblant (make-believe) qui se prolonge, selon Walton, dans les jeux de feintise ludique des œuvres littéraires. Une œuvre est fictionnelle ou représentationnelle (les deux termes sont interchangeables chez Walton) parce qu’elle propose un objet-support (a prop) configuré de telle sorte qu’il déclenche notre imagination. Pour Walton, le mécanisme fictionnel est dépendant du spectateur et de son imagination.
4Currie apporte une légère modification à ce modèle car, selon lui, cette attitude de faire-semblant ne dépend pas du spectateur mais plutôt de l’auteur de la fiction. Pour Currie le rôle de l’imagination est secondaire dans le fonctionnement des dispositifs fictionnels. Cette attitude visant à faire-semblant de croire à la véracité de ce qui est raconté est, selon Currie, contenue dans la proposition fictionnelle et ne relève pas d’une disposition à l’introspection. Autrement dit, si Walton fait dépendre la fiction de l’imagination, Currie de son côté la fait dépendre plutôt de l’artiste et de son intention de produire des objets qui participent à des jeux de faire-semblant. Autre point de désaccord, puisque pour Currie faire-semblant ou participer à un jeu de feintise ludique vient après la reconnaissance d’une représentation.
5Menoud va à son tour proposer deux conceptions du mécanisme fictionnel. Tout d’abord, une approche de nature institutionnelle fondée sur l’hypothèse que les objets fictionnels sont des objets sociaux qui assurent une fonction spécifique dans le monde social : il s’agit d’un objet qui a pour fonction de satisfaire le besoin de raconter et d’écouter des histoires. Puis, une conception ontologique de la fiction qui suppose que nous acceptions conjointement l’existence de textes qui énoncent des vérités sur le monde ainsi que de textes qui n’ont pas la prétention d’asserter des vérités. Le monde dans lequel nous vivons repose sur une ontologie dualiste partagée entre des assertions véridiques et un espace du discours qui permet de raconter des histoires sans craindre d’être pris au sérieux.
6Pour conclure Menoud s’intéresse à démêler les modalités d’application de la distinction fiction/non fiction aux différents champs artistiques. Pour Walton, il n’y pas d’œuvres visuelles non-fictionnelles, car les images ne peuvent asserter des vérités. En revanche, pour Currie la distinction entre fiction/non fiction concerne également le domaine des arts visuels. Car selon Currie si l’artiste espère que le public croit à ce qui est représenté, la reconnaissance précède toujours le jeu du faire-semblant. L’image, selon Currie, comme le texte pour fonctionner fictionnellement doivent posséder nécessairement une valeur référentielle. Mais parler de fiction ou de non fiction à propos de peinture ne peut avoir le même sens que dans le cas de la littérature ou du cinéma. Cette distinction fiction/non fiction dans le cas de la peinture correspond d’ailleurs davantage à la distinction entre peinture abstraite et peinture figurative. Par conséquent, selon Menoud ce n’est pas le critère d’assertabilité qui détermine le champ de la fictionalité mais plutôt un critère de discursivité, dans le sens ou c’est le déroulement du discours dans une temporalité qui permet de distinguer les médiums fictionnels comme la littérature et le cinéma des médiums qui au contraire ne peuvent prétendre à la fictionalité comme la peinture et la sculpture.
7Pour finir, Menoud s’interroge sur la pertinence de l’analogie entre fiction et représentation établie par Walton. Concernant le domaine de la représentation Menoud distingue entre les représentations directes et indirectes. Dans le cas des arts visuels ce qui est représenté est directement accessible, nous appréhendons d’emblée le contenu informationnel de l’image. Ce qui n’est pas le cas des textes. Plus précisément on observe différents degrés de transparence des représentations entre les différents médiums. Par exemple, une peinture est moins transparente qu’une photographie. De même, on observe différents niveaux de transparence dans les arts du langage. Ainsi, plutôt que d’opérer une distinction de nature entre fiction et représentation Menoud construit un continuum entre ces deux pôles qui irait de la représentation la plus concrète, réaliste ou mimétique à la plus abstraite, formelle ou fictionnelle.
Pour citer cet article
Référence papier
Yannick Bréhin, « Menoud Lorenzo, Qu’est-ce que la fiction ? », Marges, 06 | 2007, 130-131.
Référence électronique
Yannick Bréhin, « Menoud Lorenzo, Qu’est-ce que la fiction ? », Marges [En ligne], 06 | 2007, mis en ligne le 15 octobre 2008, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/654 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.654
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