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Notes de lecture et comptes rendus d’exposition

L’Esthétique traversée : psychanalyse, sémiotique et phénoménologie à l’œuvre

Jacinto Lageira, Bruxelles, La Lettre volée, 2007
Nathalie Desmet
p. 128-130
Référence(s) :

L’Esthétique traversée : psychanalyse, sémiotique et phénoménologie à l’œuvre. Jacinto Lageira, Bruxelles, La Lettre volée, 2007

Texte intégral

1Dans un souci de scientificité, certains discours sur l’art empruntent les outils, voire les méthodes, d’autres champs disciplinaires. Si ces emprunts sont parfois enthousiasmants, ils montrent aussi souvent une méconnaissance des enjeux et des distorsions au sein même des disciplines. Jacinto Lageira dans L’Esthétique traversée tente ainsi de comprendre quels sont les apports et les influences de la pensée psychanalytique, de la sémiotique et de la phénoménologie sur les théories de l’art du 20e siècle. En choisissant les disciplines qui « posent problème du point de vue de l’esthétique », il montre comment ces outils conceptuels ont été employés dans l’histoire de l’art, la critique ou l’esthétique. Si l’auteur admet que l’esthétique s’est beaucoup inspirée de ces savoirs, jusqu’à transformer ses propres enjeux, il se pose la question de savoir s’ils sont « pour autant aptes à renouveler les concepts et les problématiques esthétiques en apportant des solutions ou des éclaircissements à ses questionnements ».

2La spécificité de l’art est souvent noyée dans des arguments d’autorité et des présupposés purement disciplinaires qui en font soit une fonction soit un système et souvent un moyen de justifier leur propre méthode. « La prépondérance de la quête d’un ou du savoir fondamental en psychanalyse, en sémiotique et phénoménologie conduit à une conception partielle du sens que les œuvres peuvent délivrer, lequel est tout d’abord véhiculé par les formes des œuvres, trop généralement considérées comme de simples moyens permettant d’exhiber un contenu ou une fonction. » De l’autre côté, les auteurs de textes théoriques sur l’art montrent souvent une réelle ignorance des différents courants et enjeux disciplinaires jusqu’à méconnaître les remises en question fondamentales internes à chaque discipline.

3Considérant les différentes approches psychanalytiques de l’art, l’auteur montre que l’une des difficultés majeures réside dans le fait que l’entité œuvre d’art n’a pas de spécificité particulière à part celle de figurer l’inconscient ou de faire symptôme. La suprématie du contenu sur la forme, la prédominance du contenu psychique sur la valeur esthétique, la théorie des affects, n’empêchent pas de produire du sens mais du point de vue de l’esthétique, c’est risquer d’enfermer le sujet sur sa seule expérience.

4Avec la sémiotique, c’est au contraire l’expérience esthétique qui est mise entre parenthèses : les œuvres d’art sont considérées comme des systèmes de signes fonctionnant en circuit fermé oublieux à la fois du référent et du contexte. Les œuvres perdent leur sens. Malgré une critique sévère des aspects négatifs de la sémiotique (formalisation, objectivité, simple description, fonctionnalisme), l’auteur considère que l’esthétique doit pouvoir y trouver un « bon rempart aux esthétiques de l’ineffable, de l’affect, de la pure subjectivité, de l’hédonisme, de l’émotion (dont l’effort consiste essentiellement à fonder en raison l’indémontrabilité d’un jugement de goût, de critères ou de conditions que visent des principes tout à fait opposé à la subjectivisation). ».

5La phénoménologie quant à elle doit permettre à l’esthétique une réhabilitation du corps et de la corporéité dans notre relation aux œuvres d’art – entreprise amorcée par Merleau-Ponty. Le risque étant avec certains courants de la phénoménologie de tomber dans une « exacerbation de langages privés fortement subjectivés, individués, qui ne semblent être compris que par quelques uns. ». En effet, certains courants comme le tournant théologique, l’onto-théologie, ou l’ontologie « teintée de religiosité » (Heidegger, Henry, Marion, Lévinas…) n’offrent rien à l’esthétique : « […] de cette vérité Transcendante ou de cette vérité de l’ tre nous ne saurons rien. Ce non-savoir ou cette non-connaissance sont doublés par l’assujetissement des œuvres, transformées elles aussi pour l’occasion en non-savoir et en non-connaissance. ». Face aux différents courants de la phénoménologie qui ne partagent finalement que quelques concepts – même l’idée du « retour aux choses mêmes » fait débat – comment considérer l’œuvre d’art qui ne soit pas qu’un « pur donné » ?

6L’ouvrage se termine par un plaidoyer en faveur du discours critique « seul moment où l’œuvre parle en son temps ». Une rationalité proprement esthétique, fondée sur le lien entre compréhension, interprétation et évaluation, doit être vérifiable d’un point de vue critique – accompli par l’esthéticien ou le critique. C’est un lieu qui peut laisser une place aux théories de la vérité ou de l’affectivité, mais celles-ci ne peuvent se réfugier dans un tout subjectif ne laissant place qu’à un jugement relativiste.

7Il ne s’agit pas là de faire le procès de ces disciplines – certains apports fondamentaux sont bien établis –, ni de savoir qui peut le mieux prétendre analyser l’art : « aucune discipline n’est mieux placée que l’autre pour discourir sur l’art ». Mais bien de chercher comment ces disciplines, dans leur actualité, peuvent contribuer à élaborer une rationalité qui soit propre au domaine de l’esthétique, délivrée de « cette esthétisation de la raison qui, parvenue à un certain stade du développement de ses présupposés, bloque et empêche toute critique – démontrant par là même que nous ne sommes plus dans la raison ou la rationalité – et ouvre sur une esthétisation supposée libre de toute entrave. » Derrière ces analyses et interrogations, une question de fond, axiologique, est récurrente. Pourquoi n’est-il jamais question de valeur esthétique ? Psychanalystes, sémioticiens et phénoménologues se défendent généralement de toute évaluation, mais étrangement ne choisissent jamais d’œuvres ratées pour leurs démonstrations. Peut-on sérieusement analyser une œuvre – quelque soit la méthode adoptée – sans un début de jugement ?

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Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Desmet, « L’Esthétique traversée : psychanalyse, sémiotique et phénoménologie à l’œuvre  »Marges, 07 | 2008, 128-130.

Référence électronique

Nathalie Desmet, « L’Esthétique traversée : psychanalyse, sémiotique et phénoménologie à l’œuvre  »Marges [En ligne], 07 | 2008, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/613 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.613

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Auteur

Nathalie Desmet

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