Marcel Duchamp. Biographie / Marcel Duchamp. La vie à crédit
Marcel Duchamp. Biographie. Judith Housez, Paris, Grasset, 2007, 529 p.
Marcel Duchamp. La vie à crédit. Bernard Marcadé, Paris, Flammarion, coll. Grandes biographies, 2007, 595 p.t
Texte intégral
1Deux biographies sur Marcel Duchamp paraissent coup sur coup en ce début d’année. La première, de Judith Housez, et la seconde, de Bernard Marcadé, ont semble-t-il créé l’évènement. Aussi, pouvons-nous nous interroger sur les raisons d’un tel retentissement. Certes, les ouvrages consacrés à l’œuvre de Duchamp ne sont plus à compter. Pourtant, aucun auteur français ne s’était véritablement risqué à disséquer la vie de l’artiste, autrement qu’entrevue au détour d’une analyse d’œuvres. Hormis la brève biographie réalisée par Robert Lebel en 1959, soit 9 ans avant le décès de l’artiste, et plus récemment la chronologie assez complète établie par Marc Partouche, les seules biographies sont le fait de critiques américains. Nous pourions alors nous demander pour quelles raisons il fallut attendre près de 40 ans pour qu’enfin paraissent deux ouvrages sur la vie d’un artiste phare du 20e siècle. Pourquoi ce silence éditorial en France ? Il ne reste qu’à se pencher sur ces deux biographies afin de lever le voile sur ces interrogations et dissiper tout malentendu.
2Judith Housez choisit d’introduire son récit sur le scandale provoqué par le Nu descendant un escalier n° 2 lors de sa présentation à l’Armory Show, en février 1913. Tandis que ce même tableau passa totalement inaperçu en France, il suscita la controverse à New York face à un public non familiarisé avec l’art moderne. C’est donc dès 1913 et grâce à son Nu que Duchamp installa sa notoriété au sein de l’avant-garde new-yorkaise, aura qui ne cessera de se développer outre-Atlantique tout au long du 20e siècle. C’est ce même tableau qui clôt la première partie de l’ouvrage de Housez. Cette dernière y décèle l’origine de la rupture de Marcel Duchamp avec les cubistes parisiens qui ne souhaitent pas l’exposer au Salon des Indépendants de 1912. Ils y voyaient une parodie de leurs propres œuvres et une ressemblance trop affirmée avec l’art futuriste. Cet épisode confirmera le refus déjà ouvertement exprimé par Duchamp de s’affilier à un groupe d’avant-garde et, surtout, marquera son détachement brutal du modèle artistique « fraternel ». La première partie de l’ouvrage, intitulée « Jeunesse en “ismes” (1887-1912) », est en effet consacrée à la genèse de l’œuvre de Duchamp. L’auteure insiste longuement sur la place primordiale qu’occupe son cercle familial et sur les influences artistiques qui ont marqué la jeunesse de l’artiste. Elle décrit pas à pas le lent processus de réflexion de Duchamp qui l’amènera finalement à rompre avec la peinture : l’artiste est présenté comme un observateur, en quête d’une identité artistique. Cette quête incessante le conduira à ne jamais se répéter dans sa création ainsi que dans ses relations amoureuses. Judith Housez, dont c’est la première biographie, tente — ce qui n’exclut pas quelques erreurs — au fil des pages de pénétrer le quotidien de Duchamp afin de mieux envisager la portée théorique de ses travaux. Son parcours artistique serait inextricablement lié à sa perception détachée du monde et, plus particulièrement, du monde de l’art, dont il identifie très tôt les stratégies de carrière.
3En France, la renommée de Duchamp s’est fait attendre. C’est pourquoi Bernard Marcadé choisit d’introduire son récit sur l’exposition inaugurale du Centre Georges Pompidou de 1977, en hommage à Marcel Duchamp. Marcadé met ainsi l’accent sur cette renommée acquise tardivement dans son pays natal. Excepté un petit cercle d’artistes (notamment les Surréalistes) et de critiques d’art qui très tôt perçoivent le potentiel révolutionnaire de l’œuvre de Duchamp, peu d’institutions se risquent à l’intégrer dans leur fonds ou même tout simplement à l’exposer. Tandis qu’aux Etats-Unis, le musée de Philadelphie s’organise dès les années 1950 pour accueillir la collection de Lou et Walter Arensberg, qui comprend la majorité des œuvres de Duchamp, la première exposition qui lui est dédiée dans une grande institution française aura lieu seulement quelques années avant sa mort au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Les recherches minutieuses menées par Marcadé — qui souffrent parfois d’un trop plein de citations — le conduisent à s’attacher davantage aux techniques plastiques imaginées par Duchamp et à ses tournois d’échecs qu’à ses relations humaines. Aussi, la maturation de son œuvre est-elle abordée succinctement de même que ses influences artistiques. La proximité de l’artiste avec le groupe de Puteaux puis son éloignement sont néanmoins jugés par l’auteur comme des faits incontournables sur lesquels il s’attarde, à juste titre, plus longuement.
4En somme, ces deux biographies particulièrement conséquentes, qui bénéficient d’un réel recul historique, ont le mérite de présenter la trajectoire de Marcel Duchamp dont le principe de vie se révèle en totale adéquation avec son œuvre. Au delà, elles permettent de soulever la question de la postérité d’un artiste qui n’hésitait pas à proclamer le spectateur contemporain et futur seuls juges en matière esthétique.
Pour citer cet article
Référence papier
Nadia Ghanem, « Marcel Duchamp. Biographie / Marcel Duchamp. La vie à crédit », Marges, 07 | 2008, 126-127.
Référence électronique
Nadia Ghanem, « Marcel Duchamp. Biographie / Marcel Duchamp. La vie à crédit », Marges [En ligne], 07 | 2008, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/610 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.610
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