Airs de Paris
Airs de Paris. Exposition du 25 avril au 15 août 2007 - Centre Georges Pompidou, Paris.
Texte intégral
1À l’occasion du trentième anniversaire de l’inauguration du Centre Pompidou, une exposition pluridisciplinaire de grande envergure est organisée sous la direction d’Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne. Cette exposition prend prétexte d’un ready-made de Marcel Duchamp — l’ampoule d’air de Paris de 1919 —, objet qu’elle met en exergue en une double orientation touchant à la fois à la question de l’air, de l’écologie, de l’environnement et à la question de Paris, de la ville, de l’urbanisme… Il y a de ce fait deux volets : l’un regroupant des interventions d’artistes et l’autre des projets de designers, architectes, paysagistes. Ces deux options donnent lieu à deux expositions de nature radicalement différente. La partie artistique s’apparente à la plupart des expositions « historiques » de Beaubourg ; quant à l’autre, elle ressemble plutôt à une sorte de « salon professionnel », avec des espaces plus importants, autonomisés, scénographiés avec l’appui de sponsors bien visibles — et surtout avec un public nettement plus dispersé.
2Restons-en à l’exposition spécifiquement artistique. Il s’agit, nous dit le dépliant de présentation, de prendre « Paris comme point de départ d’une énergie centrifuge qui dépasse largement son origine ». L’œuvre de Duchamp, nous dit-on, « porterait en elle-même l’idée d’une citoyenneté mondiale […] en proposant un air commun par-delà les océans ». L’emphase prête un peu à sourire. Va-t-on encore essayer de nous faire croire au « rayonnement universel » de la France ? Duchamp annonce-t-il la mondialisation ; voire l’excellence des produits français ? Certes, à bien y réfléchir, on pourrait tout à fait comprendre l’enfermement de l’air dans une ampoule comme un commentaire sur la « commercialisation de l’espace public » (au moment même où les océans, la terre, l’énergie sont eux-mêmes en voie de privatisation). Cela étant, à visiter l’exposition, il n’est pas sûr que cette interprétation soit la bonne. En effet, sans qu’il soit nécessairement question d’ « art à l’état gazeux » — pour parler comme Yves Michaud — il semblerait plutôt qu’il soit question de saisir quelque chose de « diffus », impalpable : l’air du temps. Un air du temps qui serait fait de préoccupations « globales » ayant des répercussions « locales » — pour utiliser le vocabulaire un peu passe-partout du dépliant d’aide à la visite.
3Paris a été choisi comme point de départ, mais il ne s’agit que d’un « centre de création parmi d’autres, dans un grand mouvement d’échanges et de réseaux multiples ». Soit. Mais comment définir plus précisément cet air du temps ? Toutes sortes de mots-clés sont avancés : « suburbia », « post-ville », « copyshare », « unpredictable future », « communitas », etc. Un forum de discussion entre les participants avait même été lancé à ce propos. Il y a vingt ans, pour les dix ans du Centre Pompidou, Bernard Blistène, Catherine David et Alfred Pacquement avaient eu à peu près la même démarche avec l’exposition « L’Époque, la mode, la morale, la passion » ; une exposition visant à refléter à la fois l’air du temps et les préoccupations artistiques du moment.
4Cela étant, en dépit de quelques similitudes dans le parti-pris ce n’est pas de cette exposition que s’inspirent les organisateurs d’ « Airs de Paris ». Dans le catalogue, Christine Macel, commissaire de la section art, explique en effet que « c’est ce mythe [l’écriture collective de l’exposition « Les Immatériaux »] que nous revisitons aujourd’hui, au risque encore une fois de ne pas satisfaire les attentes » (p. 19). Cette idée de « revisiter les mythes » attire l’attention sur une dimension importante de l’exposition, quoique assez peu revendiquée : celle qui consiste pour les artistes à recycler des éléments d’œuvres antérieures, voire à refaire littéralement certaines d’entre elles, en des sortes de remakes. Une grande partie de l’exposition est ainsi constituée de « commentaires en acte » d’artistes sur des œuvres d’autres artistes. C’est visible dès la première salle, où Olivier Babin refait les Date Paintings d’On Kawara, tandis que Marcel Duchamp inspire à la fois les peintures d’ombres de Richard Fauguet et les mini-ampoules d’air noirci de Michel Blazy. Même chose dans les salles qui suivent où l’on peut apercevoir Gordon Matta-Clark confronté à une double réinterprétation de son œuvre par Pierre Huyghe (dont l’une en compagnie de Rirkrit Tiravanija). Même chose encore avec Alain Bublex commentant Le Corbusier et Saâdane Afif « refaisant » Cadéré. Ailleurs, Mircea Cantor refait un travail de Pierre Huyhe et Philippe Parreno et Carsten Höller s’attaque à son tour à Gordon Matta-Clark. Dans une autre salle Dominique Gonzalez-Foerster se positionne quant à elle à la fois face à Jean-Luc Godard et à Oscar Niemeyer…
5S’il fallait définir l’air du temps de cette exposition, peut-être faudrait-il alors commencer par cela : l’idée que l’art de notre époque interroge volontiers son histoire en une sorte de commentaire autoréflexif permanent. Ce type de pratique évoque bien sûr l’exercice de la critique d’art ou du commissariat d’exposition, mais aussi d’autres objectifs nettement plus institutionnels. De nouvelles conditions de présentation sont régulièrement proposées, de nouveaux jeux de relations, un nouveau regard, sur des objets qui eux-mêmes n’ont pas besoin d’être neufs. C’est un schéma qui était visible à « Big bang » ou à « Mouvement des images » et qui se retrouve à « Airs de Paris ». Des œuvres « prétextes » sont puisées dans le grand réservoir de l’art contemporain des dernières décennies — complétées d’autres œuvres moins vues, voire de commandes spécifiques — et l’ensemble devient un énoncé, un « propos autorisé » sur la situation contemporaine.
Pour citer cet article
Référence papier
Jérôme Glicenstein, « Airs de Paris », Marges, 07 | 2008, 124-125.
Référence électronique
Jérôme Glicenstein, « Airs de Paris », Marges [En ligne], 07 | 2008, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/609 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.609
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