Éditorial
Texte intégral
1Ce numéro de Marges innove par rapport aux précédents en ce qu’il découle d’un appel à contributions assez large et qu’il présente de ce fait des textes plutôt hétérogènes, largement extérieurs au domaine habituel des arts plastiques. Il y a là un changement majeur, puisque jusque ici les auteurs publiés venaient prioritairement de l’Université Paris 8 ; les sujets abordés relevant presque toujours des journées d’études organisées au sein de notre département.
2La thématique proposée — les « vies d’artistes » — correspond aussi à des centres d’intérêt de plusieurs membres de notre équipe de recherche. La différence tient plutôt à l’approche que nous proposions, avec l’idée de mettre en doute un certain nombre de lieux communs sur le sujet. Ainsi, bien qu’il soit question de « vies d’artistes », sujet rebattu de nombreux ouvrages et colloques de par le monde, il ne s’agissait pas de se contenter des récits eux-mêmes — matière commune de l’histoire de l’art depuis Ghiberti et Vasari — mais plutôt d’essayer de voir comment ces textes pouvaient être écrits : qui les écrivait, comment, pourquoi, avec quels objectifs (littéraires, politiques ou autres). De ce point de vue, les textes reçus répondaient pour la plupart à la dynamique que nous souhaitions mettre en œuvre en suggérant plusieurs directions tout à fait stimulantes.
3La première consiste à étudier le récit qui est fait de la vie de l’artiste par lui-même en s’intéressant autant à la forme du texte qu’à son contenu. Florence Rougerie se penche ainsi sur le récit autobiographique des voyages de Paul Klee. Il s’agit de s’interroger au plus près du texte sur la relation entre écriture et production plastique dans l’œuvre de l’artiste.
4Les textes de Francine Fourmaux et Yann Kilborne ne sont pas très éloignés de cette approche, en ce qu’ils s’en remettent principalement aux récits de vie qui sont faits par les personnes concernées. Cependant, à la différence du texte de Rougerie, ces deux auteurs abordent des pratiques assez peu paradigmatiques de l’activité artistique : les danseuses de revue pour Fourmaux et les réalisateurs de cinéma documentaire pour Kilborne. Pour la première, il s’agit de montrer que la carrière des danseuses de revue s’effectue à la jonction entre un espace fantasmatique et un espace réel plutôt traditionnel. Kilborne interroge quant à lui la question des vies d’artistes « au plus près » des témoignages des artistes eux-mêmes en faisant appel à l’ethnométhodologie. Dans les deux cas, il s’agit de concevoir l’activité artistique non pas comme relevant d’une définition attribuée de l’extérieur, mais comme une pratique auto définie, auto construite et dont le sens serait aussi à comprendre dans le récit qu’en livre l’artiste lui-même.
5Dans un registre très différent, une autre façon d’aborder la question des vies d’artistes consiste à essayer de la reconstituer, voire à la construire à partir de documents ou de souvenirs. Il s’agit en quelque sorte d’aboutir à une totalité cohérente qui participera au discours « convenu » sur tel ou tel artiste. Le plus souvent c’est dans une visée prétendant à l’objectivité de la science historique, mais ce n’est pas toujours le cas. Riccardo Venturi s’intéresse ainsi à la façon dont une « légende » a pu se construire à travers l’interprétation qu’ont pu faire quelques auteurs de la fin tragique de Mark Rothko. Peut-on, ainsi que le voudrait la doxa, déceler dans les dernières œuvres de l’artiste une prémonition de son suicide ? Ainsi que le montre Venturi, le récit de vie participe aussi à la réinterprétation de son œuvre.
6Une approche un peu différente consiste à s’intéresser à des activités artistiques peu ou pas valorisées, non pas pour les « réévaluer » selon une technique bien connue, mais afin de montrer leurs logiques propres. C’est le cas en partie du texte de Francine Fourmaux ou encore avec l’article de Raphaële Delas sur les frères Duthoit. Il est ici question d’envisager les limites entre art et artisanat au 19e siècle, en considérant la création artistique non pas comme une ambition nécessairement « universelle » mais comme pouvant aussi relever d’itinéraires beaucoup plus modestes.
7Doit-on chercher à écrire l’histoire des marginaux de l’histoire de l’art, cette histoire étant, jusqu’à nos jours — à l’instar de l’histoire plus générale — encore marquée par l’héritage des « hagiographies » et autres histoires « héroïques » ? Une écriture « neutre » de la vie d’artiste est-elle possible ? On peut dire que le texte de Françoise Armengaud prend le taureau par les cornes en visant à mettre en question l’appel à contribution lui-même. Il s’agit de questionner les fausses évidences à l’œuvre dans toute dénonciation du culte de l’artiste et des fictions qui y sont attachées en montrant, à travers l’exemple de l’artiste Sacha Sosno, qu’un parcours d’artiste n’est pas toujours réductible à l’étude sociologique qui en est faite.
8Enfin, afin de compléter ce tour d’horizon de la question de ce que peut être une vie d’artiste, nous avons placé à la fin de ce numéro un entretien d’Audrey Leblanc avec le photographe Kyoichi Tsuzuki. Cet entretien permet d’entrevoir d’autres difficultés encourues par le chercheur dans son élucidation de la parole d’artiste.
Pour citer cet article
Référence papier
Jérôme Glicenstein, « Éditorial », Marges, 07 | 2008, 3-5.
Référence électronique
Jérôme Glicenstein, « Éditorial », Marges [En ligne], 07 | 2008, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/594 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.594
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