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Notes de lecture et comptes rendus d’expositions

Prospective xxie siècle

FRAC Île-de-France/Le Plateau, 9 décembre 2010 – 20 février 2011
Marion Alluchon
p. 134-135
Référence(s) :

Prospective xxie siècle, FRAC Île-de-France/Le Plateau, 9 décembre 2010 – 20 février 2011

Texte intégral

1Cicéron proposait aux jeunes orateurs, pour mieux se souvenir de leurs discours, de ranger leurs différents arguments dans les pièces d’une maison imaginaire qu’ils parcourraient tout en déclamant. Ce moyen mnémotechnique se présentant sous la forme d’un habitat dont chaque pièce constitue un argument est à l’image de la scénographie choisie par Xavier Franceschi, directeur du FRAC Île-de-France/Le Plateau, pour présenter au public les nouvelles acquisitions du FRAC rassemblées sous la thématique de la mémoire. Pour Prospective xxie siècle, l’espace du Plateau a en effet été fragmenté en plusieurs petites pièces, contenant chacune les œuvres d’un même artiste, comme autant de propositions singulières sur le thème abordé.

2Plusieurs œuvres se fondent par exemple sur la réactivation d’archives sonores et de vidéos. Ainsi des pièces d’Arnaud Maguet (Prospective xxie siècle, 2008) et de Nate Harrison (Can I Get An Amen?, 2004) qui se réfèrent à des tubes musicaux, le premier à un vinyle du jazzman américain Sun Ra, et le second à un morceau de The Winstons. Tandis que le premier n’exploite le vinyle qu’à travers la projection de sa pochette sur le mur, utilisant comme bande son le bruit amplifié des diapositives qui défilent plutôt que les morceaux de musique eux-mêmes, le second montre à travers plusieurs documents comment le fameux break de batterie de The Winstons a été repris par d’autres compositeurs depuis sa création en 1969. La question du droit d’auteur intrinsèque à l’œuvre de Nate Harrison renvoie à la vidéo de Ryan Gander (2008) qui reprend une scène du film de Julian Schnabel sur Jean-Michel Basquiat (Basquiat, 1996) et la fait rejouer par son galeriste en en modifiant le texte de manière à mettre en abîme l’identité et la démarche de l’artiste.

3La réactivation de documents d’archive constitue également un aspect des œuvres de la jeune Emilie Pitoiset qui, dans sa série photographique Just Because (2010), établit un parallèle entre le tir comme activité populaire et inoffensive tel qu’il s’exerce dans les stands de tir des fêtes foraines et le tir de l’artiste prenant une photographie. Les photographies d’anonymes en train de tirer deviennent ici, grâce au travail de mise en scène de l’artiste qui place ces photographies dans des cadres en verre, brisés à l’endroit supposé de l’impact des balles, une métaphore de la pratique artistique qui n’est pas sans évoquer l’histoire de l’art et notamment les célèbres tirs de Niki de Saint-Phalle, réalisés dans les années 1960.

4Des anonymes à la collectivité, la notion de mémoire renvoie aussi à l’histoire sociale et politique. Témoignages d’événements passés comme dans le cas des photographies de Bruno Serralongue (2006-2007) sur la fermeture du camp de réfugiés de Sangatte à Calais ou dans les vidéos d’Elise Florenty sur la dictature argentine (Arriba ! Desde Abajo, 2008) ; reconstitution également d’une histoire culturelle sous-évaluée par l’Occident comme l’est la culture afro-américaine, représentée ici par la frise de Renée Green qui juxtapose sur le mur des noms de groupes et de musiciens afro-américains et qui, tel un fil rouge, s’étend sur plusieurs salles (Personal Props, 2001). L’actualité n’est pas négligée. Se construisant au fil des jours, l’installation de Michel François (Déjà vu, newspaper, 2003) se constitue entre autres d’une accumulation de pages du journal Le Monde que des gouttes d’encre, tombant du plafond, recouvrent et scellent lentement. La formation de cette nouvelle sculpture, fragile et éphémère, enregistre l’Histoire tout en l’annihilant, les actualités n’étant plus lisibles une fois tachées d’encre.

5D’autres œuvres illustrent le passage du temps, qu’il s’agisse du rythme sourd et régulier des diapositives qui défilent dans la pièce d’Arnaud Maguet ou de cette bande son de Laurent Montaron, encastrée dans le mur à hauteur de genoux et qui, silencieuse, tourne en boucle (Melancholia, 2005). Le thème de la mémoire rejoint ainsi celui, existentiel, de l’inexorable écoulement du temps que le motif romantique de la ruine, présent dans la vidéo de Mark Leckey (Shades of Destructors, 2005) et dans la sculpture en résine de Ryan Gander (L’art pour les o-o, 2009), vient corroborer.

6Enfin, il est également question pour le visiteur de se prêter lui-même à un jeu de mémoire. Il peut ainsi jouer sur la Table de rappel (2010) d’Aurélien Froment qui reprend les règles du jeu de société Memory, à l’exception du fait qu’il ne s’agit pas ici de retrouver les deux mêmes images mais plutôt d’associer deux images. Suivant cette même logique, la photographie de Florence Paradeis, Drink in Park (2005) accrochée à l’entrée de l’exposition, ne se réfère à la thématique de l’exposition que par association iconographique avec une autre photographie, accrochée presque à la fin du parcours : même action, même attitude, même regard en biais pour tous ces personnages tant chez Paradeis que chez Billy Owens (Dinner in Pool, 1980). Enfin, tout comme l’inaugurait la première œuvre de l’exposition, The All Seeing Eye The Easy Teenage Version (2005-2008) de Pierre Bismuth et Michel Gondry, vidéo montrant en boucle un appartement dont le décor disparaît furtivement à chaque passage de caméra, le commissaire d’exposition active la mémoire du visiteur en faisant reproduire à l’identique la pièce-installation de Michel François, la première version se situant au début du parcours et la seconde, presque à la fin. Ceux qui viennent au Plateau pour la première fois sont soudain désorientés. Lors d’une visite guidée dimanche dernier, certains se croyaient en effet revenus au début de l’exposition.

7S’il est parfois malaisé de rassembler dans une même thématique des œuvres acquises non pour leur appartenance à cette thématique mais pour leurs qualités intrinsèques, le but étant avant tout d’enrichir une collection d’art contemporain, le thème de la mémoire est ici abordé au sens large et ne s’adapte pas toujours aux œuvres, défaillance que pallie une scénographie élégante et ingénieuse.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marion Alluchon, « Prospective xxie siècle »Marges, 12 | 2011, 134-135.

Référence électronique

Marion Alluchon, « Prospective xxie siècle »Marges [En ligne], 12 | 2011, mis en ligne le 15 avril 2011, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/426 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.426

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