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Notes de lecture et comptes rendus d’expositions

Dominique Château, L’expérience esthétique : intuition et expertise

Rennes, PUR, Coll. Aesthética, 2010
Stéphane Reboul
p. 130-131
Référence(s) :

Dominique Château, L’expérience esthétique : intuition et expertise. Rennes, PUR, Coll. Aesthética, 2010

Texte intégral

1L’auteur constate que ses réflexions sur l’expérience esthétique ne lui ont rien apporté de nouveau, n’ayant fait que traduire en concepts sa propre expérience. La nouveauté de son approche porterait sur la manière de considérer que l’âgon du subjectif et de l’objectif n’est pas un enjeu de la théorie esthétique. Pour cela, il montre que nos expériences esthétiques impliquent à la fois le vécu (faire une expérience) et l’acquis (avoir de l’expérience), chacun nous orientant respectivement vers la subjectivité et l’objectivité. Si la subjectivité est encadrée par des déterminations objectives (l’objet considéré, les contextes…), les prédispositions déterminant l’adhésion d’un sujet à un goût ne peuvent s’activer qu’en étant intériorisées. Ainsi, Chateau replace le débat esthétique entre l’esthétique synthétique – le moment où l’expérience esthétique se concentre sur son objet et dont l’opérateur est l’intuition – et une esthétique analytique où l’expérience est un acquis relevant d’une théorie de l’expertise. Il s’agit pour Chateau de faire rejoindre ces deux traditions : « le savoir analytique spécifique qui construit l’esthète est très précisément ce qui fonde son aisance à vivre le plus pleinement possible le moment intuitif » (p. 116). Le moment intuitif se caractériserait par un état de naïveté qui ne renvoie pas à une pureté originelle mais exprime le degré de spécialisation donnant accès aux propriétés sensibles les plus fines : l’esthésie participe de l’esthétique comme une spécialisation du discernement sensible. Le moment intuitif relève du « sujet réfléchissant » kantien – c’est une représentation mentale du sujet qui ne se réduit pas à la représentation de son objet – mais s’en écarte, en considérant que « la représentation esthétique relève d’un jeu interactif entre la représentation de l’objet […] et un certain état mental ». (p. 51) Si on peut isoler le moment intuitif – l’expérience esthétique ne passe pas nécessairement par une communication consciente et explicite – cela ne conduit pas à l’enfermer dans une pure immédiation cognitive ou affective, sans extériorité. Pour cela, Chateau conçoit la notion de réaction : une extériorisation de l’expérience intime se situant entre l’intuition et la communication. La réaction est une prothèse de l’intuition, qui transforme le repli sur soi en échange avec autrui. Il y aurait un procès de la relation esthétique où les échanges sujet/objet et intersubjectifs associent un système à la fois fermé sur lui-même et ouvert à l’interaction.

2Pour le moment analytique, c’est à partir de La Norme du goût de Hume que Chateau élabore une « petite théorie de l’expertise esthétique ». La définition de la norme de goût par l’expertise éviterait de considérer que l’expert détient une vérité absolue si l’on considère que c’est de son point de vue d’expertise que l’expert est performant. Prendre la compétence du connaisseur et de l’expert comme étalon de l’expérience esthétique ne serait pas élitiste car la reconnaissance de sa supériorité de goût doit sans cesse être confirmée, expérimentée socialement. Des trois postures d’expertise (le collectionneur, le raisonneur et l’esthète) ce dernier serait un modèle car « le but de l’esthète étant d’exercer, voire de manifester sa délicatesse, […] c’est, chez lui, le sens du discernement qui domine ». (p. 94) Les opérations de discernement, de raffinement s’accordent avec le moment de l’intuition car elles ont une destination davantage affective que cognitive. Chateau développe l’articulation entre les moments « synthétiques » et « analytiques » de l’esthétique par une sémiotique fondée sur la notion peircienne d’interprétant. « Un signe esthétique est un ensemble d’aspects des choses qu’un interprétant spécifique médiatise adéquatement en sorte que le sujet qui fait l’épreuve de cette médiation trouve dans le plaisir la preuve de son efficience. » (p. 107) Moment pivot de la relation esthétique, la réaction s’étaye par la cette notion. Si l’expérience esthétique « nous rend capable de redécouvrir la réalité, c’est à dire à la fois de l’appréhender synthétiquement d’une nouvelle façon et de porter sa perception au comble du raffinement analytique » (p. 119), la surdétermination de l’allégeance culturelle n’entrave-t-elle pas la libre sensibilité esthétique ? Malgré ses déterminations culturelles, l’esthétique est un domaine expérimental qui se fonde sur une expérience intime du plaisir. Ce qui spécifierait le rapport à son objet serait que sa rencontre peut en retour agir sur notre goût, le changer et opérer sa conversion. La répulsion d’un objet étranger peut faire l’objet d’une conversion culturelle par l’attention que nous portons à certaines de ses qualités. Ce serait l’autonomie fonctionnelle de la relation esthétique qui engagerait ces conversions trans-culturelles.

3C’est sur ce point que l’approche de Chateau gagnerait à mieux prendre en compte les paramètres pragmatiques de la relation esthétique. L’intériorisation d’un goût passe aussi par l’adoption d’un mode de vie. Une stricte autonomie esthétique ne permet pas d’envisager que la conversion de nos goûts passe par des modifications de nos formes de vie. Le contexte (matériel, humain) joue un rôle dans l’articulation entre les orientations centripètes et centrifuges des rapports esthétiques (sujet/objet et inter-subjectifs). Si le moment pivot de la relation esthétique associe la réaction à l’élaboration d’un interprétant, il faut y réintroduire la maxime pragmatiste de Pierce pour qui « la signification intellectuelle de toute pensée [de toutes croyances] réside en dernière instance dans ses effets sur nos actions ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Stéphane Reboul, « Dominique Château, L’expérience esthétique : intuition et expertise »Marges, 12 | 2011, 130-131.

Référence électronique

Stéphane Reboul, « Dominique Château, L’expérience esthétique : intuition et expertise »Marges [En ligne], 12 | 2011, mis en ligne le 15 avril 2011, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/423 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.423

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Auteur

Stéphane Reboul

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