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Notes de lecture et comptes rendus d’expositions

Anne Cauquelin, À l’angle des mondes possibles

Paris, PUF, Coll. Quadrige, 2010
Nathalie Desmet
p. 128-129
Référence(s) :

Anne Cauquelin, À l’angle des mondes possibles. Paris, PUF, Coll. Quadrige, 2010.

Texte intégral

1Y a-t-il une réalité des univers parallèles ? Existe-t-il d’autres mondes que nous pourrions d’une façon ou d’une autre habiter ? L’hypothèse est séduisante. C’est celle que l’auteure nous invite à suivre, non pas en s’appuyant sur les théories de la fiction, mais en cherchant ce qui, dans certains mondes persistants dits virtuels, permettrait de confirmer la possibilité des mondes alternes. Pour construire une ontologie satisfaisante, l’auteure voit dans la prétention de l’art à ouvrir des mondes, ou à en créer, un préalable à étudier. Les relations entre le caché, l’invisible et le visible ou le réel dans l’art s’affirment en effet la plupart du temps comme une promesse d’accès à un autre monde. Sous cet aspect, l’ouvrage poursuit la réflexion menée dans Fréquenter les Incorporels (2006).

2Après une étude de nos représentations, notamment celles issues du modèle aristotélicien, emblématique d’un monde unique, l’auteur expose des contre-modèles, dont le plus attendu est celui de Leibniz. Des mondes parallèles seraient possibles. Cependant, de l’ouverture d’un monde à la possibilité d’y accéder, voire d’y habiter, il y a un saut délicat. La phénoménologie se place bien dans la problématique de l’accès à travers la formulation d’un visible que nous ne voyons pas et que les œuvres d’art devraient nous montrer. Cela relève d’une ouverture certes profonde, mais qui reste verticale et ne mène pas à des mondes parallèles. Un horizon persiste toujours, marquant le partage entre des fictions de monde – qui peuvent exister réellement – et le nôtre. L’ouverture de l’œuvre des sémioticiens (Umberto Eco), extensionniste, est plus horizontale mais pose aussi un au-delà de l’œuvre, un horizon à franchir pour l’interprétation. Pour voir l’art comme le moyen d’envisager un autre monde, un monde alterne, l’auteure propose plutôt de le penser comme relevant de phénomènes modaux en adoptant un réalisme modal, un monde des « si », de possibles qui ne sont pas advenus. C’est alors un chemin inverse qui apparaît : aucune œuvre n’existe sans une multiplicité de mondes possibles et corollairement aucune n’ouvre véritablement un monde. Tout au plus, l’œuvre montre que les mondes possibles le sont logiquement et qu’ils conditionnent son extension. C’est dans la gestation de l’œuvre que ces mondes de possibles résident – ce qui, au passage, rend caduque toute distinction entre art allographique et art autographique. L’œuvre doit être pensée comme processus dans une multiplicité simultanée, c’est-à-dire relevant d’une simultanéité d’évènements possibles, typique du temps et non de l’espace. C’est donc en amont qu’il faut penser ce monde parallèle, comme un univers en voie de réalisation, proche en cela des multivers (William James), comme une forme en cours de réalisation, mais jamais achevée. Si ontologie il y a, c’est une ontologie du « ne pas être encore ».

3L’art, en fournissant un modèle pour construire une ontologie des mondes possibles, se révèle être finalement limitant dans l’accession aux mondes alternes. En interrogeant les ontologies appropriées à la connaissance et à la logique de l’art, l’auteure montre le poids de l’ontologie dite d’arrière plan (ürdoxa), celle qui nous relie au réel, et à la question de l’habiter. Ceci dans notre incapacité à considérer d’autres ontologies plus régionales, faisant de la réalité une forme de transcendance dont il est impossible de s’échapper. Ainsi si la doxa admet volontiers que le cyberespace offre un monde virtuel plus « habitable », il reste comme l’œuvre d’art redevable du réel. Celui-ci finit toujours par absorber ces mondes. Des univers comme Second Life se soumettent d’ailleurs à des restrictions éthiques ou politiques très réelles. C’est un espace temps structuré auquel il manque d’être habité. On reste alors du côté de l’utopie, plus précisément peut-être d’une utopie concrète, un « souhait sans place » (Ernst Bloch). Le cybermonde rassemble des souhaits (ubiquité du temps et de l’espace, accès permanent aux informations, simultanéité des échanges) et les présente comme réalisés, ambition que l’art cherche toujours à atteindre. « D’un côté des habitants sans espace, de l’autre un espace sans habitants. »

4Que faire alors pour donner une place à ces mondes ? Il faut admettre les possibles pour introduire la réalité de ces autres mondes et les considérer comme une hypothèse utile ; accepter l’existence de mondes flottants, inconsistants, irréels comme des outils qui permettraient de s’éloigner de l’ontologie d’arrière-plan et de la réalité de notre monde et de nos mondes intramondains. Cela permettrait d’en finir avec l’essentialisme et surtout pour l’auteure de renouveler la question de l’altérité : penser l’autre comme un qua, un « en tant que » et non comme un autre soi-même.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Desmet, « Anne Cauquelin, À l’angle des mondes possibles »Marges, 12 | 2011, 128-129.

Référence électronique

Nathalie Desmet, « Anne Cauquelin, À l’angle des mondes possibles »Marges [En ligne], 12 | 2011, mis en ligne le 15 avril 2011, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/421 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.421

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Auteur

Nathalie Desmet

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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