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Comptes rendu d'ouvrages et d'expositions

« Manifesto of Fragility »

16e Biennale de Lyon, 14 septembre – 31 décembre 2022
Jérôme Glicenstein
p. 184-185
Référence(s) :

«Manifesto of Fragility » – 16e Biennale de Lyon, 14 septembre – 31 décembre 2022

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Texte intégral

1La Biennale de Lyon est particulièrement étendue cette année : elle occupe à la fois le site gigantesque des usines Fagor et ses sept entrepôts, mais aussi le Musée d’art contemporain, le Musée Guimet, le Musée de Fourvière, le Lugdunum Musée et Théâtres romains et le Musée Gadagne – sans même évoquer quelques sites annexes (URDLA, Institut d’art contemporain, Musée des Beaux-Arts…). Cette extension considérable est redoublée par les partenariats avec d’autres institutions ; notamment le Musée des moulages et le Musée des Hospices civils, lesquels prêtent chacun des œuvres qui sont associées aux présentations d’artistes contemporains.

2L’étendue de la Biennale fait écho aux ambitions des commissaires Sam Bardaouil et Till Fellrath, lesquels présentent d’ailleurs trois expositions au lieu d’une. La plus importante est « Un monde d’une promesse infinie » : elle permet de découvrir les œuvres d’une soixantaine d’artistes, dans les lieux qui viennent d’être évoqués. Ce qui y est proposé s’apparente à ce que l’on voit habituellement dans des biennales d’art contemporain : un certain nombre de peintures relativement traditionnelles, (ChristinaQuarles, Mohammed Kazem, Giulia Andreani), des vidéos à tonalité documentaire (Michelle et Noel Keserwany), des installations de grandes dimensions (Hans Op de Beeck, Dana Awartani), des performances (Eszter Salamon) des œuvres participatives (Organon Art et Cie), des œuvres anciennes revisitées, etc. Ceci étant dit, bien que la Biennale se présente dans son ensemble comme un « manifeste » et cette section comme une « promesse », il est tout de même difficile d’identifier des formes d’engagement bien affirmées et la question de la fragilité reste assez vague. Le propos des organisateurs est visiblement de rester à distance de toute controverse, puisqu’ils nous expliquent vouloir produire « un panorama intemporel qui appréhende, à travers une pluralité de voix, des moments passés et actuels de persévérance globale et propose des formes futures d’être au monde ». Une forme de consensualisme semble même recherchée, puisque le « pouvoir émancipateur de la fragilité » est mis en avant, afin de parvenir à une « forme de résilience collective ».

3Qu’entend-on exactement par fragilité ? Entre les lignes, on saisit une volonté de promouvoir des artistes dont la démarche est peut-être engagée, mais pas de manière trop visible. Mettre en avant l’idée d’une fragilité, au sens d’une discrétion (ou d’une furtivité) est ainsi une manière de se protéger d’attaques possibles. Beaucoup d’artistes sont originaires du Moyen-Orient (notamment du Liban ou d’Arabie Saoudite), des pays où il est délicat d’afficher des positions politiques, quelles qu’elles soient. De fait, aucune référence explicite n’est faite aux problèmes sociaux ou politiques des pays concernés. La peur de faire des vagues est peut-être le premier symptôme de la fragilité.

4Une deuxième compréhension de l’idée de fragilité apparaît dans la deuxième exposition, « Beyrouth et les golden sixties ». Ici, il s’agit de montrer des images, des documents d’archives et des œuvres d’art des années 1960-1970, à une époque où visiblement l’art moderne est en pleine expansion au Liban. Ce qui est présenté comme un « âge d’or » du Liban par les commissaires, voit le monde arabe accueillir la modernité occidentale, sans rejet apparent, adoptant les façons de faire de Paris ou New York : bains de mer, discothèques, hôtels internationaux, rites de vernissages… Cette présentation, à la tonalité explicitement nostalgique, est néanmoins curieuse ; non seulement en raison de son propos qui reconduit le mythe un peu défraîchi d’un Liban autrefois uni malgré ses différences socio-culturelles, mais aussi du fait de sa mise en scène. En effet, le parti pris consiste à constamment mêler des images d’actualité démesurément agrandies à des œuvres d’art qui souvent ne sont pas exceptionnelles, bien qu’elles soient traitées comme des symboles d’émancipation : Beyrouth, nous laisse-t-on entendre, a été une ville où les femmes étaient libres d’agir comme elles l’entendaient et où les homosexuels ne faisaient l’objet d’aucune répression. Malheureusement, ces explications, comme les images ou les peintures qui les accompagnent, ne livrent qu’une partie de l’histoire : si les libanais se sont entretués pendant les quinze années qui ont suivi cette « époque bénie », ce n’est sans doute pas complètement dû au hasard. Il est regrettable en tout cas qu’au nom d’une fragilité prudente, écho de l’équilibre précaire des sixties – et sans doute pour ne pas froisser les prêteurs et institutions partenaires – les questions d’ordre politique ou religieux ne soient jamais abordées. L’âge d’or de Beyrouth garde ainsi son mystère tout entier.

5Un autre usage de l’idée de fragilité apparaît enfin au dernier étage du Musée d’art contemporain, dans une troisième exposition : « Les nombreuses vies et morts de Louise Brunet ». Il s’agit ici de s’inspirer d’une fileuse lyonnaise partie travailler au Liban au milieu du 19e siècle, après avoir été engagée dans la révolte des Canuts. L’histoire de Louise Brunet est évidemment un prétexte supplémentaire permettant de relier la Biennale de Lyon au Liban. Elle semble en tout cas prise comme emblème – une « plateforme » selon le guide de visite – de tout ce dont Bardaouil et Fellrath n’osent pas traiter directement. La réinterprétation de sa vie fournit ainsi l’occasion d’aborder les tourments du siècle écoulé. Louise Brunet est décrite, tour à tour, comme une femme sénégalaise à l’exposition coloniale de 1894, comme une tisseuse libanaise, comme un artiste gay mort du Sida aux États-Unis dans les années 1990. Ces récits de vie, mis en scène à grand renfort d’archives et d’œuvres d’artistes contemporains permettent aux auteurs d’accéder aux questions « du corps, de la race, du genre, du travail, du désir et de la lutte coloniale », à la question de la précarité de la vie aussi. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, c’est peut-être le moment où leur propos apparaît le plus clairement.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Glicenstein, « « Manifesto of Fragility » »Marges, 36 | 2023, 184-185.

Référence électronique

Jérôme Glicenstein, « « Manifesto of Fragility » »Marges [En ligne], 36 | 2023, mis en ligne le 19 avril 2023, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/3311 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.3311

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Auteur

Jérôme Glicenstein

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