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Comptes rendu d'ouvrages et d'expositions

Danièle Méaux, Photographie contemporaine et anthropocène

Filigranes éditions, 2022, 288 p.
Clément Paradis
p. 182-183
Référence(s) :

Danièle Méaux, Photographie contemporaine et anthropocène – Lanbaëron, Filigranes éditions, 2022, 288 p.

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Texte intégral

1Troisième effort de Danièle Méaux aux éditions Filigranes, Photographie contemporaine et anthropocène semble clore une trilogie amorcée en 2015 avec Géo-photographies. Une approche renouvelée du territoire, qui fut suivi en 2019 par Enquêtes. Nouvelles formes de photographie documentaire. Ce précédent volume se concentrait en effet déjà sur la création contemporaine, en prenant pour activité focale les enquêtes menées sur le terrain ou au sein des archives, et les dispositifs de restitution qu’ils proposent (qu’il s’agisse de livres, de sites Web ou d’installations). Il prolongeait l’argument de Géo-photographies, qui observait quant à lui la manière dont les photographes auscultent les territoires. Il s’agissait alors de porter une attention particulière à ces images qui se font laboratoire de production de connaissances et nous instruisent sur la façon dont les modes de vie s’inscrivent dans un espace qui est tout à la fois cadre et enjeu des actions humaines.

2Ces interrogations sur les représentations des territoires puis sur les pratiques photographiques trouvent leur aboutissement logique dans Photographie contemporaine et anthropocène qui entreprend une réflexion sur la problématisation des relations à la planète, à la « nature », à la technique, à la croissance ou à une conception linéaire et ascendante du temps dans les œuvres contemporaines, tout en restant attentif à la manière dont celles-ci se construisent concrètement.

3Convoquant près de 50 photographes, abondamment illustré d’œuvres évoquées, l’ouvrage ne cherche cependant pas à proposer un simple panorama des travaux actuels orientés sur les sujets anthropocéniques, pas plus qu’il ne vise à établir une généalogie du développement de ces préoccupations : les œuvres examinées le sont pour leur valeur paradigmatique au sein d’un questionnement ciblé sur la capacité des photographes contemporains à engager une réflexion concernant l’anthropocène. Certains d’entre eux avaient déjà retenu l’attention de l’autrice dans ses précédents écrits (comme Mathieu Asselin, Jürgen Nefzger, Beatrix von Conta ou Mathieu Pernot), d’autres viennent enrichir l’abondant corpus analysé (comme Peter Fischli & David Weiss, Mishka Henner ou Thomas Struth) qui se déploie au cours des 8 chapitres thématiques du livre.

4Prenant pour point de départ les œuvres qui ouvrent notre regard sur des espaces de plus en plus larges, voire infinis (comme la série Désidération de SMITH), le volume revient sur les « formes d’investigation engagées » capables d’intervenir dans les débats publics sur le minage des métaux précieux, l’industrie pétrochimique ou l’agroalimentaire, montrant notamment à travers l’œuvre de Mishka Henner comment le Web devient également un « terrain d’enquête » pour les photographes. Prenant en compte la grande diversité des approches esthétiques suscitées par les préoccupations anthropocèniques, Danièle Méaux consacre aussi bien un chapitre aux représentations de catastrophes qui confinent au sublime qu’aux « tentatives d’archéologie visuelle », plus expérimentales. Qu’elles s’inspirent des travaux d’Aby Warburg (comme les Nouvelles histoires de fantômes d’Arno Gisinger) ou prennent le parti de la distance fictionnelle (comme la série Trepat de Joan Fontcuberta), ces « archéologies » collectent, classent, agencent et retouchent le monde contemporain et ce qui l’a engendré, redéfinissant notre rapport à la modernité.

5Une des originalités de la recherche de Danièle Méaux est de ne pas laisser de côté la photographie qui cherche à aller « à la rencontre du vivant », en considérant cette pratique autrement que comme une « chasse gardée » des seuls « photographes animaliers » qui s’en tiennent souvent à une imagerie stéréotypée. À travers les œuvres de Jean-Luc Mylayne et Michel Séméniako se dévoile ainsi une photographie refusant de traiter la bête en objet, une photographie dont la lecture est nourrie d’écrits théoriques comme ceux de Vincianne Despret et de l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, qui permettent d’envisager d’autres voies de coexistence esthétique avec les animaux, sans les priver de subjectivité, sans occulter leur agentivité. Ces perspectives enthousiasmantes n’évitent cependant pas, dans les derniers chapitres du livre, une interrogation sur le « deuil de la nature » dont témoignent de plus en plus d’œuvres photographiques alors qu’elles attestent de l’« anthropisation des territoires » et de la transformation des relations entre le « sauvage et le « domestiqué », tout particulièrement soulignée dans l’œuvre de Bertrand Stofleth.

6Montrant l’expression du besoin d’un « retour sur terre », d’un ajustement à un espace, à une pesanteur oubliée dans des œuvres où le « cheminement », souvent solitaire, devient un acte central, le volume choisit pourtant comme ultime thème de réflexion la « réinvention des biens communs ». Le dernier chapitre rappelle ainsi l’histoire du commoning, des pratiques consistant à prendre soin ensemble de ressources partagées, et évoque à travers les œuvres d’Ianna Andréadis et de Bruno Goosse les analyses d’Henri Lefebvre sur le « droit à la ville », ainsi que l’inlassable quête d’un monde partageable qui traverse l’histoire de l’art.

7Avec une érudition rare, l’ouvrage évoque donc, à travers les œuvres présentées, la diversité et la cohérence des appels à une profonde révision de nos fonctionnements socio-économiques, de nos valeurs et de nos façons de vivre, qui se déploient dans la photographie aujourd’hui. Convoquant alternativement des références comme Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, Paul J. Crutzen, Armel Campagne ou Michel Lussault, Danièle Méaux tisse un propos particulièrement serré sur la manière dont des travaux photographiques s’avèrent à même de documenter les choix politiques et économiques qui organisent la « nature », et à prendre part aux débats qui s’en suivent.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clément Paradis, « Danièle Méaux, Photographie contemporaine et anthropocène »Marges, 36 | 2023, 182-183.

Référence électronique

Clément Paradis, « Danièle Méaux, Photographie contemporaine et anthropocène »Marges [En ligne], 36 | 2023, mis en ligne le 19 avril 2023, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/3304 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.3304

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