Navigation – Plan du site

AccueilNuméros36Comptes rendu d'ouvrages et d'exp...Peter Burke, Qu’est-ce que l’hist...

Comptes rendu d'ouvrages et d'expositions

Peter Burke, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ?

Paris, Les Belles Lettres, 2022, 255 p.
Nicolas Heimendinger
p. 178-179
Référence(s) :

Peter Burke, Qu’est-ce que l’histoire culturelle?Traduction de Christophe Jaquet, Paris, Les Belles Lettres, 2022, 255 p.

Entrées d’index

Haut de page

Texte intégral

1Qu’est-ce que l’histoire culturelle ? est la traduction d’un ouvrage initialement publié en 2004 et enrichi à cette occasion d’un avant-propos de Hervé Mazurel et d’un chapitre dédié aux développements de l’histoire culturelle depuis sa première parution. Historien britannique spécialiste de la Renaissance, Peter Burke a aussi publié de nombreux travaux d’historiographie et d’histoire des savoirs, moins connus de ses lecteurs français – il est pourtant l’auteur d’une importante étude sur l’Ecole des Annales.

2Burke propose un dense panorama des principaux travaux et enjeux de l’histoire culturelle depuis ses origines, qu’il fait remonter à Burckhardt et Huizinga. C’est à cette histoire de l’histoire culturelle que se consacre le premier chapitre du livre, en ne se limitant toutefois ni à la discipline historique ni aux formes convenues de la haute culture : il s’attarde plutôt sur les apports de la sociologie (à travers Weber ou Mannheim), de l’histoire de l’art (Panofsky, Antal ou Hauser) ou encore des premières enquêtes sur les cultures populaires (Hobsbawm et Thompson).

3Le second chapitre revisite cette histoire pour en dégager les problèmes auquel la discipline s’est souvent confrontée : subjectivisme d’une méthode traditionnellement fondée sur l’interprétation libre des textes ; remises en cause et limites du marxisme, critique vis-à-vis du « culturalisme » mais lui-même critiquable pour son économicisme ; ambiguïtés de la notion de tradition et des processus de transmission culturelle ; risques d’une approche homogénéisante de la culture comme d’une opposition trop schématique entre culture savante et culture populaire ; problème, enfin, de la définition même de la notion de culture, dont s’est imposée une conception anthropologique plus fidèle à la diversité de ses manifestations, mais qui tend à l’étendre sans limite.

4Le troisième chapitre se consacre justement aux apports de l’anthropologie, en s’intéressant à l’influence de Geertz et, dans une moindre mesure, à ceux de la micro-histoire, des études postcoloniales et du féminisme. Burke situe là l’origine du « tournant culturel » qu’a connu l’histoire comme d’autres sciences humaines dans les dernières décennies du 20e siècle. Le chapitre suivant prolonge cette analyse en présentant les sources et les objets de la « nouvelle histoire culturelle », nourrie de théoriciens extérieurs à la discipline historique (en particulier Bakhtine, Elias, Foucault et Bourdieu). Celle-ci s’intéresse moins aux produits habituels de la culture savante qu’aux « pratiques », aux « représentations » (ou « mentalités ») et à la « culture matérielle ». Elle accorde de ce fait une attention particulière aux marges comme aux acteurs collectifs et souvent anonymes de l’histoire.

5Le cinquième chapitre aborde le développement, au sein de ce « nouveau paradigme », du « constructivisme », comme méthode mais aussi comme sujet de recherche : « la question de savoir de quelle façon ou, mieux encore, jusqu’à quel point les chercheurs construisent eux-mêmes leurs objets d’étude est elle-même devenue un objet d’étude majeur » (p. 121). Burke présente ensuite quelques exemples de ces études sur la construction de catégories majeures de l’histoire (nations, classe, genre, tradition, etc.). Ces approches conduisent à reconcevoir la culture comme « performance », faisant exister des réalités partagées, à l’opposé de l’ancienne conception marxiste de la culture comme « reflet » d’une réalité préexistante. C’est aussi, remarque Burke, une réévaluation de la liberté ou, du moins, des marges d’interprétation et d’inventivité des individus au sein des systèmes socio-culturels.

6Les deux derniers chapitres de l’ouvrage sont plus prospectifs. Plus d’un demi-siècle après les débuts de la (plus si) nouvelle histoire culturelle, Burke propose trois scénarios possibles pour son avenir : « renouveau de l’histoire de la haute culture » (p. 155), qui pourrait redonner une place importante à l’histoire de l’art, mais à condition de la relire à l’aune des études des cultures subalternes ; « extension de la nouvelle histoire culturelle à des domaines auparavant négligés, parmi lesquels la politique, la violence et les émotions » (p. 156) ; « réaction contre la réduction constructiviste de la société à la culture » et « revanche de l’histoire sociale » (p. 154). Le septième chapitre, enfin, s’intéresse aux évolutions de ce domaine de recherche au 21e siècle. Burke y constate la multiplication récente des bilans sur l’histoire culturelle (dont le sien) et l’extension de cette grille d’analyse à tous les sujets imaginables ou presque. Il s’intéresse aussi aux inspirations mutuelles et délimitations réciproques avec les disciplines voisines : anthropologie, histoire de l’art, sociologie, folklore, géographie, archéologie et même biologie ou écologie. Il semble en revanche un peu plus dubitatif à l’égard des cultural studies et la prolifération des « studies » qu’elles ont engendrées, en regrettant leur fréquent manque de profondeur historique. L’ouvrage s’achève sur quelques polémiques contemporaines, comme les guerres culturelles, le multiculturalisme ou les enjeux écologiques – qui tendent à substituer au tournant culturel un « tournant naturel » (p. 206) –, moins pour prendre position que pour détailler quelques interrogations actuelles auxquelles l’historien peut apporter des éléments de clarification, sans prétendre toutefois les résoudre entièrement.

7De manière générale, l’ouvrage ne cherche pas à formuler de grandes théories ou prises de parti – ce n’est pas sa vocation. Adoptant un ton neutre et concis, il vaut surtout pour l’étendue des références qu’il mobilise, des grands classiques de la discipline à des textes plus récents ou méconnus, qu’il donne envie de découvrir ou de relire. Il s’appuie pour cela sur une impressionnante érudition qui ne s’arrête pas à la littérature de langue anglaise – les historiens français, que Burke connaît bien, y occupent ainsi une bonne place – même si, comme le reconnaît l’auteur lui-même, de futurs panoramas de ce type devront sans doute dépasser le cadre européen et nord-américain (déjà vaste !) sur lequel se concentre l’ouvrage pour se tourner vers une « mondialisation de l’histoire culturelle » (p. 192).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Heimendinger, « Peter Burke, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ? »Marges, 36 | 2023, 178-179.

Référence électronique

Nicolas Heimendinger, « Peter Burke, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ? »Marges [En ligne], 36 | 2023, mis en ligne le 19 avril 2023, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/3299 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.3299

Haut de page

Auteur

Nicolas Heimendinger

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search