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Comptes rendus d'expositions

«  La Collection Morozov – Icônes de l’art moderne  »

Paris, Fondation LVMH, 22 septembre 2021 – 3 avril 2022
Lisa Bouraly
p. 178-179
Référence(s) :

«  La Collection Morozov – Icônes de l’art moderne  », Paris, Fondation LVMH, 22 septembre 2021 – 3 avril 2022

Texte intégral

1Depuis 2016, la Fondation Louis Vuitton s’est trouvé une spécialité parmi les types d’expositions à grand déploiement dont les budgets sont aujourd’hui rarement accessibles aux institutions publiques et qui ont la capacité de battre des records de fréquentation  : l’exposition des collections des grands industriels. Après «  La Collection Chtchoukine  » (2016) au record de 1,3 million de visiteurs, «  Être moderne: Le MoMA à Paris  » (2017), «  La Collection Courtauld  » (2019), la fondation, présidée par le collectionneur et troisième homme le plus riche du monde Bernard Arnault, termine sa programmation printanière 2022 avec «  La Collection Morozov  » qui enregistre 1,2 million de visiteurs.

2Ce deuxième volet de «  Icônes de l’art moderne  » inauguré avec «  La Collection Chtchoukine  » rassemble un corpus de plus de 200 œuvres d’artistes français ou européens (30) et russes (17) du début du 20e siècle. Le parcours sur deux niveaux et divisé en onze galeries guide le visiteur à travers le «  regard  » et «  l’audace visionnaire  » des frères Morozov, Mikhaïl et Ivan, formés à l’École des Beaux-Arts de Moscou et dont la famille a fait fortune dans le textile. La visite débute avec les portraits des mécènes, collaborateurs et membres de la famille Morozov, puis la succession de salles thématiques (les paysages, les natures mortes et le nu) et monographiques cherchent à illustrer leur rôle de «  découvreurs  » d’artistes français auxquels sont consacrées sept salles individuelles (Pierre Bonnard, Paul Gauguin, Paul Cézanne, Vincent Van Gogh, Henri Matisse, Maurice Denis et Aristide Maillol). Ainsi, l’aménagement semble vouloir à retracer le projet muséal que s’était donné les Morozov en reconstituant des regroupements d’œuvres tels qu’exposées dans leur hôtel particulier ouvert à l’époque au monde culturel moscovite. Cette intention se manifeste dès le début du parcours avec dans la salle 4 les œuvres commandées et achetées à Bonnard qui autrefois ornaient l’escalier principal.

3Contrairement à l’exposition Chtchoukine les œuvres d’artistes russes ne sont pas regroupées, mais glissées dans les salles thématiques. Il faut donc être très attentif pour découvrir les artistes acclamés de l’époque tels que Serov et Répine, mais également des artistes plus contemporains comme Kontchalovski. En ne séparant pas les courants, la commissaire Anne Baldassari montre par la muséographie et les textes des connexions entre ces deux régions. Ce mélange met en valeur non seulement l’influence de l’art français sur l’avant-garde russe, mais surtout souligne l’importance de la collection pour les artistes moscovites. On pourrait y voir une volonté de la commissaire de briser les hiérarchies de l’histoire de l’art, mais j’en doute, car ce projet s’inscrit dans la grande tradition d’exposer le développement de l’art d’avant-garde.

4Une deuxième hypothèse peut être évoquée, celle de vouloir se rapprocher le plus possible des affinités et croisements des collectionneurs. Il faut noter que l’exposition n’est pas représentative, puisque la collection réunissait au total plus de 250 peintures et sculptures de français et près de 400 tableaux modernes de l’école russe. Ainsi timidement, l’exposition cherche à contextualiser l’histoire de l’art à partir du point de vue des collectionneurs grâce à des archives et des juxtapositions. Par exemple, la salle «  les amateurs d’orages  » met en correspondance les couleurs fauves et vives des nabis et des expressionnistes avec des œuvres d’avant-gardes russes comme Natalie Gontcharova et Piotr Outkine. La galerie 6 «  Modernité post-cézannienne  » confirme cette approche en faisant des croisements explicites notamment en plaçant côte à côté des portraits d’Illia Machov et de Picasso ou encore des natures modernes de Machov et de Cézanne.

5La documentation disséminée dans toute l’exposition ponctue le parcours et parfois recouvre l’ensemble des murs comme un papier peint (une technique spectaculaire aujourd’hui couramment utilisée). Elle présente l’accrochage de type salon des Morozov. Le fort contraste avec celui espacé, linéaire et épuré de la Fondation illustre parfaitement le passage à la muséographie moderne des années 1930 et positionne stratégiquement la Fondation dans le sillage des grandes institutions muséales. Pour autant, l’intérêt de l’archive exposée réside dans sa capacité à montrer le processus de recherche et de diplomatie titanesque entrepris pour mettre sur pied ce blockbuster. En effet, la collection Morozov est principalement dispersée entre trois musées russes (l’Ermitage, le Musée Pouchkine et la Galerie Trétiakov). Les photographies jouent alors un rôle de «  preuve  » pour le visiteur. Par exemple avant d’entrer dans la galerie «  l’invention du regard  » on traverse un couloir placardé d’une immense photo d’époque dont la peinture de Renoir Portrait de Mademoiselle Jeanne Samary (1878) a été recolorée. De la même manière, les cartels rappellent cette histoire en spécifiant la date d’acquisition par l’un des frères puis la collection muséale actuelle.

6L’autre élément qui retient l’intention est l’immersion du visiteur. Œuvre phare de l’exposition, La Ronde des prisonniers (1890) de Van Gogh a un traitement spectaculaire et moderniste. Après avoir fait la queue on accède à une tourelle sombre dans laquelle «  l’aura  » du chef-d’œuvre est matérialisée par un rétroéclairage de la peinture. Finalement, l’exposition se termine avec une reconstitution financée par le groupe de Bernard Arnault du Salon de musique des Morozov, normalement inséré dans le parcours des collections permanentes de l’Ermitage. Décor, mobilier et musique permettent au visiteur fatigué de découvrir entre autres les treize peintures commandées à Maurice Denis.

7Pour terminer, il faut évoquer les rôles politiques qui ont été attribués à cette exposition. Si à l’ouverture, elle était qualifiée de projet diplomatique entre la France et la Russie avec les remerciements de Macron à son homologue russe au vernissage, auquel s’ajoute la préface de Poutine dans le catalogue, la guerre en Ukraine lui a donné un autre rôle. L’exposition a été le théâtre, sur les réseaux sociaux et dans les médias, de nombreuses requêtes politiques dont celle de confisquer les œuvres. Aujourd’hui, la majorité a retrouvé son musée, mais deux peintures appartenant à des oligarques dont les avoirs ont été gelés et une toile du musée de Dnipro en Ukraine sont encore en attente de restitution.

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Pour citer cet article

Référence papier

Lisa Bouraly, « «  La Collection Morozov – Icônes de l’art moderne  » »Marges, 35 | 2022, 178-179.

Référence électronique

Lisa Bouraly, « «  La Collection Morozov – Icônes de l’art moderne  » »Marges [En ligne], 35 | 2022, mis en ligne le 14 octobre 2022, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/3134 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.3134

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