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Entretien

Entretien avec Lauranne Germond

Benjamin Arnault et Lauranne Germond
p. 146-155

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Texte intégral

Benjamin Arnault  : Pouvez-vous revenir sur la genèse du prix COAL  ? Dans quel contexte l’avez-vous créé  ?

Lauranne Germond  : Le tout premier Prix COAL a été remis en 2010 à l’artiste Thierry Boutonnier pour son projet Prenez Racines déployé dans le quartier Mermoz à Lyon. C’était l’une des premières actions de l’association. COAL est né d’une rencontre entre amis et professionnels qui partageaient l’envie d’agir dans le champ de l’écologie avec une conviction commune  : celle que l’approche sensible, par la création, l’implication des artistes et de la culture en général, avait un rôle important à jouer dans la transformation de la société. C’était l’époque du Grenelle de l’Environnement et les parties prenantes se réunissaient autour d’un état des lieux scientifique sans appel, mais proposaient des solutions essentiellement techniques, économiques ou technocratiques. Les responsables du développement durable étaient généralement des ingénieurs ou des communiquants. Nous avions envie d’apporter une réponse culturelle à ce qui nous apparaissait être avant tout une crise des valeurs, une crise de la représentation, de la sensibilité et des récits. Les réponses ne pouvaient pas être exclusivement apportées dans le champ de la technique mais bien aussi dans celui des imaginaires, dans l’exploration de nos liens sensibles à la nature et des potentiels transformatifs de la création. Quand nous nous sommes réunis en 2008, cette approche était a priori inexistante, du moins invisible…

BA  : Dans le champ des arts visuels  ?

LG  : Dans le champ des arts visuels et dans le champ de la création en général. Des réponses émergeaient déjà en architecture et en design, notamment les principes de l’éco-conception. Mais c’était le tout début  : les institutions culturelles françaises ne s’étaient pas emparées de ces enjeux et la culture n’était pas invitée dans les débats. D’autres pays en revanche avaient un peu d’avance  : en Angleterre par exemple, des programmes structurant ont émergé dès le début des années 2000, comme le Centre Arts and Ecology de la Royal Society for the encouragement of Arts qui a été l’une des organisations les plus innovantes et créatives sur la thématique de 2005 à 2010  ; Greening the Art déployé par le British Council au sein de ses institutions dans les années 2000, ou encore le programme d’expédition artistique en arctique Cap Farewell créé en 2001.

BA  : Avez-vous effectué une veille pour voir ce qui existait  ?

LG  : Oui, d’abord de manière informelle, puis de manière structurée en 2010, en menant une enquête internationale auprès des acteurs culturels, avec le Ministère de l’Écologie sous l’impulsion de Patrick Degeorges qui était alors en charge des questions émergentes et stratégiques au ministère. Cet état des lieux a donné naissance au centre de ressources sur l’art et l’écologie en ligne Ressource0.com. Lorsque nous avons commencé à travailler sur ce champ d’étude, le premier constat était celui d’une sous-représentativité de la scène émergente  : peu d’artistes étaient identifiés et peu d’acteurs mobilisés. Aux États-Unis, le Greenmuseum [Greenmuseum.org] était sans doute la première base de données en ligne qui référençait des artistes engagés pour l’écologie, souvent issus du Land art et des collaborations art & science.

BA  : Ces constats vous ont-ils conduit à créer le Prix COAL  ?

LG  : Oui, le Prix COAL a été d’abord conçu comme un outil pour identifier et mobiliser des artistes investis et pour les faire connaître aux mondes de la culture et de l’écologie, tout en favorisant leur rencontre. Ce besoin a guidé son fonctionnement, par le biais d’un appel à projets international pour identifier les artistes  ; une vaste sélection de dix nommés, pour valoriser la diversité de ces pratiques  ; un jury et une cérémonie mêlant personnalités de l’art et de l’écologie susceptibles de porter cette approche et de la faire émerger. De manière plus pragmatique aussi, nous étions un petit groupe d’amis sans argent  ! Le format du prix nous permettait de monter une action à forte visibilité avec très peu de moyens. Le Comptoir Général à Paris a accueilli la cérémonie gracieusement, nous avons initié quelques partenariats en nature et nous nous étions promis de mettre 1 000 € chacun de notre poche dans la dotation de l’artiste lauréat si nous ne trouvions pas de financement  ! Heureusement, nous avons eu la chance de rencontrer le philanthrope Billy Suid quelques jours avant l’événement qui a fait don des 10 000 € de dotation au premier lauréat du Prix COAL.

BA  : Petit à petit, avez-vous pu obtenir plus de soutiens financiers  ?

LG  : Oui absolument. L’association s’est rapidement structurée, les financements sont arrivés et en seulement deux trois ans, nous avions acquis une certaine stabilité financière. Bien que l’organisation du prix restait due au bénévolat, les financements permettait de couvrir la cérémonie et la dotation. Très vite, nous avons développé d’autres champs d’action notamment la direction artistique d’exposition, qui est mon terrain de prédilection. Avant la création de COAL, j’avais codirigé le magazine puis la galerie NUKE, l’autoportrait de la génération polluée, lancé en 2004 par Jenny Mannerheim. C’est d’ailleurs de là que vient le nom de notre association. Cela faisait plusieurs années que je travaillais sur l’art et l’écologie et j’avais envie de monter des expositions plus ambitieuses sur ces sujets. En 2009, j’ai présenté un cycle d’expositions à la Tôlerie à Clermont-Ferrand où j’étais commissaire invitée, puis j’ai montée l’exposition Eclaircie au Quai d’Angers sur une invitation du réseau de coopération européenne imagine2020 – réseau sur l’art et le changement climatique que nous avons finalement intégré quelques années plus tard –, ainsi qu’un parcours d’œuvres dans le parc du château de la Bourdaisière. C’est à cette occasion que nous avons rencontré le WWF qui m’a demandé d’assurer le commissariat d’une grande exposition dans les parcs et jardins de la ville de Paris pour l’année de la biodiversité en 2010. Nous avons également commencé cette année-là à collaborer avec le Ministère de l’Écologie. Ensemble, nous nous sommes attachés à mieux comprendre comment accompagner l’émergence de cette scène et mobiliser les acteurs culturels sur ces enjeux. Enfin, un an plus tard, avec Loïc Fel et Clément Willemin, nous nous sommes vu confier la direction artistique de Domaine départemental de Chamarande où nous avons pu tous les trois développer une programmation dédiée à l’art et l’écologie pendant quatre ans.

BA  : Au fur et à mesure vous rencontrez d’autres acteurs qui s’emparent de ces thématiques  ?

LG  : Aujourd’hui enfin, tout le monde s’en empare  ! C’est même devenu incontournable mais cela a pris du temps. L’évolution durant ces quinze dernières années est spectaculaire. Plusieurs structures équivalentes à la nôtre ont émergé un peu partout dans le monde en même temps que nous et nous avons rapidement noué des liens de collaboration  : Julie’s Bicycle en Angleterre (2007), Imagine2020 à l’échelle européenne (2007), The center for sustainable practice in the Arts aux USA (2008), Cultura21 en Allemagne (2007), Campo Adentro en Espagne (2008). De même que des programmes ou des expositions emblématiques ont vu le jour comme Ueber Lebenskunst à Berlin (2009-2012), le festival 48° en Inde (2008), la 8e édition de la Biennale de Sharjah dédiée à l’écologie (2007) ou encore «  Beyond green  : Toward a Sustainable Art  », une exposition qui a tourné aux États Unis de 2006 à 2009. En France le Musée de la Chasse et de la Nature, qui est partenaire du Prix depuis 2014 était l’une des rares institutions muséales à créer un pont entre les arts plastiques et les questions écologiques. De même, nombreux sont les artistes aujourd’hui confirmés qui faisaient déjà de ces thématiques l’axe central de leurs recherches et de leur pratique, il y a dix ou quinze ans. À travers les treize éditions du Prix COAL nous avons pu identifier et suivre l’évolution des pratiques artistiques sur ces sujets.

BA  : Parmi les dossiers que vous recevez, constatez-vous désormais des analyses plus fines  ?

LG  : En l’espace de douze ans, les candidatures sont devenues pour la plupart des dossiers structurés, ils proviennent d’artistes reconnus ou émergents, français et internationaux. Lors des premières éditions, on recevait beaucoup de candidatures d’artistes qui travaillaient dans ou avec le paysage et la nature, mais sans considérations écologiques. Il s’agissait d’approches plutôt ornementales, formalistes, parfois cohérentes du point de vue de l’écoconception mais souvent complètement dénuées de réflexion de fond. En revanche aujourd’hui, la plupart des dossiers sont nourris par la pensée contemporaine. En effet, des penseurs ont eux aussi émergés durant cette période  : Bruno Latour, Baptiste Morizot, Vinciane Despret, Emmanuele Coccia sont cités dans la grande majorité des dossiers  ! La recherche scientifique s’est elle-aussi démocratisée. Beaucoup de programmes, de résidences d’artistes en milieux naturels, au sein de laboratoires de recherche, à bord d’expéditions scientifiques se sont mis en place. Les chercheurs se sont ouverts au champ de la culture et du sensible pour démultiplier leur impacts en terme de sensibilisation et de transmission. Réciproquement, les artistes se sont imprégnés de leurs réflexions et de leurs méthodes de travail. Globalement les propositions que nous recevons dans le cadre du prix COAL sont bien documentées. Cela ne veut pas dire que toutes ces pratiques sont pleinement abouties ou originales mais indéniablement, la connaissance a fait son chemin et les artistes sont au fait de la situation.

Réunion des jurés du Prix COAL en 2018.

Réunion des jurés du Prix COAL en 2018.

© Julie Bourges

Lauranne Germond et les lauréats du Prix COAL en 2018.

Lauranne Germond et les lauréats du Prix COAL en 2018.

© Julie Bourges

Réunion des jurés du Prix COAL en 2022.

Réunion des jurés du Prix COAL en 2022.

© Andrea Mantovani

BA  : Quels sont vos critères de sélection  ?

LG  : La sélection des dix artistes nommés repose sur un certain nombre de critères - tel que l’originalité, la faisabilité, la capacité à transmettre ou à mobiliser, mais les deux critères qui priment sont la qualité artistique et la pertinence du sujet traité. Nous souhaitons également représenter les diverses facettes de la thématique choisie chaque année. Si l’on prend l’exemple du Prix COAL 2022 sur les océans, les projets proposés témoignent de nombreux enjeux et aspects comme la pollution des plastiques mais aussi des nombreuses épaves de navires abandonnées en mer ou des marées noires et de leur impact sur la biodiversité  ; de l’importance du microbiome, des impacts de la montée des eaux ou encore des rituels pour renouer un lien intime entre les humains et les océans. À travers ce panel de propositions, nous cherchons également à rendre compte de la diversité des formes et des médiums, dans une parité hommes-femmes et une juste proportion d’artistes français et internationaux. Nous souhaiterions d’ailleurs augmenter la diversité internationale, mais l’appel à projets circule mieux en Europe et aux États-Unis que dans les pays du Sud. Nous avons également instauré des thématiques annuelles pour réguler le nombre de dossiers – nous en recevons 400 à 500 chaque année. C’est immense si l’on songe qu’il n’y a qu’un ou deux lauréats – nous avons créé un prix spécial du jury qui s’ajoute au premier prix depuis quelques années. Le format du Prix a ses vertus, il est reconnu sur le plan institutionnel, permet de trouver des financements et d’acquérir une bonne visibilité. Il est néanmoins critiquable, car il met les artistes en compétition. Mais nous faisons en sorte qu’il ne soit pas perçu comme tel en valorisant les dix artistes au même niveau. Aussi, au-delà du Prix, cette base de données de près de 6 000 dossiers que nous avons réunis depuis douze ans constitue un formidable vivier que nous partageons avec nos partenaires, les professionnels engagés dans les comités de sélections et les jury. Je suis également beaucoup sollicitée pour des conseils ou des recommandations, et je m’attache systématiquement à diffuser les artistes découverts à travers le prix.

BA  : Au-delà des choix thématiques de COAL, avez-vous constaté chez les candidats des évolutions quant à leurs propres choix thématiques  ?

LG  : Dorénavant les propositions vont plus loin, elles s’attaquent à des problèmes très spécifiques, contextuels. Bien souvent, les artistes collaborent avec des équipes scientifiques, ou des institutions de préservation de la nature  ; ils montent des équipes pluridisciplinaires, des collaborations avec des designers, des architectes, des jardiniers et ne se retrouvent plus seuls face à leur sujet. Cet aspect s’est beaucoup intensifié ces dernières années.

BA  : Les dossiers des candidats sont-ils archivés  ? Si un chercheur désirait les étudier, sont-ils accessibles  ?

LG  : Nous avons effectivement inclus un article dans l’appel à projets pour que les candidats au Prix COAL nous accordent le droit de partager leur dossier dans un but de recherche ou de diffusion lié à la thématique. Ainsi Nathalie Blanc et Barbara L. Benish ont écrit leur ouvrage Form, Art and the Environnement. Engaging in Sustainability [Routledge, 2016] en se basant notamment sur l’analyse du corpus de projets reçus dans le cadre du Prix COAL depuis sa création.

BA  : En 2014, vous faisiez part à une journaliste du Monde du fait qu’il y avait peu de soutien des institutions publiques en faveur de l’art écologique, y a-t-il davantage de soutien depuis  ?

LG  : C’est le jour et la nuit  ! La transformation a commencé en 2015, avec l’effet COP21. Bien que cette COP ait été très critiquée et à juste titre, elle a eu un effet évident sur la démocratisation de l’écologie. Ça a été particulièrement perceptible dans le champ de la culture. Dès 2014, nous avons commencé à coopérer avec le secrétaire général de la COP21, pour mettre en place ARTCOP21, l’Agenda Culturel de la COP21, qui avait pour but de fédérer les acteurs de la culture et d’amplifier leur prise de parole sous une bannière commune. ARTCOP21 était un plaidoyer pour le rôle de la culture dans la transition écologique et une opportunité de replacer la création à la table des négociations.

BA  : Au-delà du strict champ des arts visuels  ?

LG  : Ce n’était pas proprement lié aux arts visuels, cela concernait le secteur culturel en général. Globalement, avant la COP, le ministère de la Culture n’était pas ou peu sollicité aux côtés des autres ministères pour participer à l’élaboration des stratégies nationales et autres feuilles de route liées au développement durable. C’est seulement à quelques mois de la COP, face à l’affluence des propositions d’actions artistiques demandant leur labellisation, qu’une commission culturelle qualifiée s’est constituée au sein du secrétariat général de la COP21. Nous avons également contribué à mobiliser les institutions culturelles, les grands musées parisiens… Un an avant, personne ne savait que la COP21 allait se tenir à Paris, les acteurs culturels ne se sentaient pas concernés, et puis il y a eu une accélération exceptionnelle de dernière minute. En septembre – trois mois avant la COP –, tout le monde voulait son événement  ! Les grands musées ont organisé des ateliers, des conférences, nous avons été beaucoup sollicités, nous avons nous-même co-produits près de 25 évènements en quelques mois  !

BA  : Comment se sont positionnées les institutions  ?

LG  : Les institutions ont finalement su être très réactives  ! Elles ont déployé des moyens efficaces et en quelques semaines ont monté des programmations de très bonne qualité  ! Néanmoins, rien de structurant ni d’ambitieux comme avaient su le faire les musées de Copenhague pour la COP15. Cinq ans plus tôt, le très beau programme artistique «  Rethink – Contemporary Art & Climate Change  », [Copenhague, octobre 2009 – avril 2010] se déployait dans tous les grands musées de la ville. Même le Musée des Beaux-Arts présentait une exposition qui retraçait la présence de la nature dans les collections d’art classique. Il y avait notamment un solo show de Tomás Saraceno et plusieurs expositions collectives très belles, très complètes, regroupant tous les grands artistes engagés de l’époque. Cela n’avait strictement rien à voir avec la situation à Paris en 2015. Il est clair que les institutions muséales au Danemark étaient bien plus sensibilisées à la question et avaient collaboré très en amont. Néanmoins la COP à Paris a fait bouger les lignes. Après un temps de digestion, on a vu fleurir un peu partout des programmations sur l’écologie. L’exposition monographique de Tomás Saraceno «  ON AIR  », au Palais de Tokyo, à Paris, [octobre 2018 – janvier 2019] a clairement consacré l’entrée de l’écologie dans les grandes institutions françaises.

BA  : Les pays d’Europe du Nord sont-ils plus en avance  ?

LG  : Traditionnellement, ils sont plus sensibles à la question de la nature et à la fonction sociétale de l’art. En France, on a une tradition très ancrée de l’art pour l’art qui est constitutive de notre scène artistique. L’approche formaliste, très conceptuelle domine et l’idée d’un service rendu à la communauté n’est jamais prise en considération. À la création de COAL – cela a heureusement beaucoup changé –, on nous reprochait de vouloir instrumentaliser les artistes au service d’une cause à la mode  ! À l’inverse, une artiste scandinave m’expliquait qu’en Suède, pour obtenir des financements publics, il fallait faire la démonstration de l’intérêt sociétal de ton projet…

BA  : Cela commence un petit peu tout de même à aller dans ce sens  ?

LG  : Oui, les choses commencent à évoluer.

BA  : Et sur la question de l’enseignement… Avez-vous repéré ces dernières années des évolutions notables  ?

LG  : Cela évolue beaucoup dans les écoles. Certaines comme les Arts déco à Paris ont clairement pris position, des UFR ou des unités de recherche ont vu le jour, comme le programme les jardins suspendus de l’école de Belfort qui enseigne l’écologie aux étudiants ou encore le master Art média environnement de L’École Supérieure d’Art et Design Le Havre-Rouen. J’entends également une forte demande des étudiants qui précède la transformation des institutions. Les
étudiants sont à l’origine de projets innovants comme la fédération des Récupérathèques qui est né à l’ENSBA Lyon et qui a essaimé dans toutes les écoles d’art de France. Cela induit aussi un changement de perspectives dans les enseignements, pour promouvoir des pratiques moins exclusivement introspectives. Je me souviens, suite à l’une de mes premières interventions sur l’art et l’écologie il y a quinze ans, à l’École Supérieure d’Art de Lorraine, d’une jeune étudiante désemparée avait pris la parole les larmes aux yeux pour dire «  mais moi je ne veux pas m’occuper du reste du monde  »  ! C’est sur cette ouverture au monde que les pratiques changent. C’est la raison pour laquelle nous avons créé avec la Fondation Culture & Diversité un Prix spécial étudiant, pour les inciter à s’intéresser à ces questions et les inviter en résidence au sein d’une réserve naturelle pour se confronter à la nature.

BA  : Je pense à Marion Laval-Jeantet Responsable du programme Art, mondialité, environnement de l’Institut ACTE, à l’Université de Paris 1 ou Gérard Hauray artiste engagé, longtemps professeur à l’École des Beaux-Arts de Nantes…

LG  : Il y a dix ans, Marion Laval-Jeantet me disait combien elle avait du mal à remplir ses cours, car ces problématiques intéressaient très peu d’étudiants et Gérard Hauray se sentait bien seul au sein de son équipe enseignante. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il m’avait invité à participer au jury des DNAP aux Beaux-Arts de Nantes en 2012, pour tenter d’y intégrer d’autres critères d’évaluation. La question pourrait d’ailleurs se poser dès la sélection au concours d’entrée des écoles d’art. C’est tout un processus et un système de valeurs qui doit être réévalué. Manifestement, les étudiants sont demandeurs et trouvent que l’école n’évolue pas assez vite.

BA  : L’urgence… L’urgence de la situation donne-t-elle lieu à des gestes artistiques particuliers  ?

LG  : Je constate, parfois avec regret, que ce soit dans les candidatures du Prix COAL ou ailleurs, que les pratiques militantes, artivistes, transformatrices, très engagées, restent rares. Les pratiques documentaires dominent largement, la recherche interdisciplinaire également  : les artistes s’inscrivent dans le champ des humanités environnementales, parfois ils mènent des enquêtes de terrains, déploient des actions locales avec des communautés d’habitants, mais les gestes forts et emblématiques, j’en vois peu. Sur les 450 dossiers présentés pour le prix chaque année, la quasi-totalité des projets, aussi intelligents et réussis soient-ils, aboutissent à une série de photos ou un film présenté dans une exposition plutôt confidentielle. Tant que l’on reste cantonné à ce cadre, le champ d’action est d’emblée limité. De même, en restant dans l’économie du monde de l’art, l’artiste est amené à produire des objets de salon, dans un système marchand… Il y a des groupes d’actions artivistes plus structurés en Angleterre comme Culture Declares Emergency, Art not oil, des collaborations artistiques avec Extinction Rebellion…

BA  : Cela n’est pas présent dans les dossiers que vous recevez  ?

LG  : Disons qu’en France cela se traduit davantage par l’émergence de nouveaux lieux, d’espaces en marge des institutions, souvent créés par des artistes qui développent des petites utopies concrètes où réconcilier leurs convictions et leurs pratiques au quotidien. Il y a également des sites communautaires comme Notre-Dame-des-Landes, qui ont rallié toute une sphère alternative et créatrice. Il s’agit de pratiques très subversives mais relativement discrètes, dans le sens où elles se jouent à des échelles très locales et loin du regard des institutions culturelles. De plus en plus d’artistes investissent également des terrains forestiers, ruraux, dans le but de les soustraire à la gestion des territoires ou y proposer d’autres usages comme Art Orienté Objet, Thierry Boutonnier, Fabrice Hyber, Barthélémy Toguo au Cameroun et bien d’autres. L’urgence se traduit ainsi par un changement de mode de vie et la création de lieux déconnectés du monde de l’art qui ont une force de transformation extraordinaire. C’est ce que COAL essaye de soutenir avec La Table et le Territoire, notre programme sur l’alimentation regroupant cinq lieux à l’initiative d’artistes dont le Parco Arte Vivente (créé par Piero Gilardi), Zone Sensible (à l’initiative d’Olivier Darné), ou encore une école du pastoralisme en Espagne (formulée par Fernando García Dory). C’est là que se crée un nouveau monde, en résistance, sur des temporalités longues, avec des projets de vie, de territoire… Il y a également tout un autre champ de l’art contestataire qui est issue de la scène numérique, notamment avec les pratiques du hacking et le court-circuitage des lois du marché…

BA  : Ces pratiques ouvrent des perspectives  !

LG  : Plein  ! La mutation de la scène artistique et culturelle est lancée et je ne doute pas qu’elle saura nous surprendre dans les prochaines années.

Les participants et jurés du Prix COAL en 2022.

Les participants et jurés du Prix COAL en 2022.

© Andrea Mantovani du Prix COAL en 2022.

© Andrea Mantovani du Prix COAL en 2022.

© Andrea Mantovani

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Table des illustrations

Titre Réunion des jurés du Prix COAL en 2018.
Crédits © Julie Bourges
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Titre Lauranne Germond et les lauréats du Prix COAL en 2018.
Crédits © Julie Bourges
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Titre Réunion des jurés du Prix COAL en 2022.
Crédits © Andrea Mantovani
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Titre Les participants et jurés du Prix COAL en 2022.
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Titre © Andrea Mantovani du Prix COAL en 2022.
Crédits © Andrea Mantovani
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Pour citer cet article

Référence papier

Benjamin Arnault et Lauranne Germond, « Entretien avec Lauranne Germond »Marges, 35 | 2022, 146-155.

Référence électronique

Benjamin Arnault et Lauranne Germond, « Entretien avec Lauranne Germond »Marges [En ligne], 35 | 2022, mis en ligne le 02 janvier 2025, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/3115 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.3115

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Auteurs

Benjamin Arnault

Diplômé de l’ENSP Versailles et Docteur en Arts plastiques de l’Université de Picardie Jules Verne.

Articles du même auteur

Lauranne Germond

Commissaire d’exposition et directrice de l’association COAL qu’elle a co-fondé en 2008.

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