Vers une esthétique du vivant en temps d’extinction : le rôle de l’art ou l’art de faire connaissance
Résumés
Interrogeant l’idée que seul un art anesthétique saurait jouer un rôle face aux urgences écologiques, l’enquête sur la rencontre sensible avec les vivants – et son potentiel de transformation de l’attention – chez Tomás Saraceno et Marguerite Humeau invite à réévaluer les enjeux possibles de l’art et, à l’horizon, d’une esthétique du vivant en temps d’extinction – à condition de prendre au sérieux la dimension expérientielle de la crise actuelle, et de repenser les rapports entre sensibilité et action.
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- 1 Paul Ardenne, Un art écologique. Création plasticienne et Anthropocène, Lormont, Le Bord de l’Ea (...)
- 2 ibid., p. 256, 257.
- 3 ibid., p. 235, à propos de l’exposition Human/Nature en 2008-2009 à San Diego : « des réalisat (...)
1Dans Un art écologique. Création plasticienne et Anthropocène, Paul Ardenne définit l’art écologique – dont il dresse une généalogie remontant aux années 1960-70 – principalement à l’aune de sa valeur pratique et « utilitaire » face aux urgences écologiques1. Ce mouvement implique une reconfiguration de l’art et de l’esthétique au point qu’il faille parler selon lui d’un devenir « anesthétique » de l’art, l’esthétique étant dans cette perspective « une valeur périmée2 ». C’est que selon sa définition et l’histoire qu’il en fait, l’éco-art est une affaire d’engagement, de message politique et éthique revendiqué, et d’actions concrètes, plutôt que de « ressenti esthétique » ou de sensibilité, qui deviennent tout au moins secondaires dès lors qu’il s’agirait de juger de l’« efficience écologique3 » de l’art.
La crise écologique comme crise de la sensibilité et de l’expérience du vivant
- 4 Vincent Devictor, Nature en crise. Penser la biodiversité, Paris, Seuil, 2015, p. 15 ; voir aus (...)
- 5 Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Arles, Actes Sud, 2020, p. 16-17.
2Or, on peut penser la crise écologique, si l’on suit le philosophe Baptiste Morizot, comme étant avant tout non seulement une crise du vivant4 mais plus précisément une crise de nos relations au vivant : « C’est spectaculairement d’abord une crise de nos relations productives aux milieux vivants, visible dans la frénésie extractiviste et financiarisée de l’économie politique dominante. Mais c’est aussi une crise de nos relations collectives et existentielles, de nos branchements et de nos affiliations aux vivants, qui commandent la question de leur importance, par lesquels ils sont de notre monde, ou hors de notre monde perceptif, affectif, et politique. ». Il poursuit : « Un aspect de cette crise passe néanmoins plus inaperçu, […] celui qui consiste à la penser comme une crise de la sensibilité », que l’on peut définir comme « un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre et tisser comme relations à l’égard du vivant. Une réduction de la gamme d’affects, de percepts, de concepts et de pratiques nous reliant à lui5. ». Autrement dit, précisément une forme d’apathie et d’anesthésie généralisée envers les autres vivants dans nos cultures occidentales modernes, qui s’exprime dans la relative insensibilité de l’opinion publique et le manque d’action politique face à la crise de la biodiversité – l’érosion de la diversité du vivant à plusieurs échelles, caractérisée notamment par l’entrée dans une Sixième Extinction de masse des espèces, en majeure partie causée par les effets des activités humaines sur les écosystèmes et le climat.
- 6 Robert Pyle, « L’extinction de l’expérience », Écologie & politique, n° 53, 2016, p. 189 (ex (...)
- 7 En particulier en raison de disparitions locales des populations (voir Robert Pyle, op. cit.).
- 8 Voir James R. Miller, « Biodiversity conservation and the extinction of experience », Trends i (...)
- 9 Aiko Huckauf, « Biodiversity conservation and the extinction of experience », Mitt. Arbeitsgem (...)
3Concrètement, cette indifférence collective qui entretient l’inaction s’explique en partie par ce que plusieurs écologues ont décrit à la suite du lépidoptériste Robert Pyle dès 1993 comme une « extinction de l’expérience », ou perte de « contact direct et intime avec d’autres êtres vivants6 », dans des contextes de plus en plus urbanisés où les vivants autres qu’humains sont globalement absents de nos paysages quotidiens (extérieurs7 et mentaux) – la diminution des interactions renforçant l’indifférence, et réciproquement8. Selon Aiko Huckauf, qui reprend ce constat d’un « estrangement » (en anglais : le fait d’être « séparé », de ne plus se connaître) généralisé vis-à-vis de la nature, comme une cause principale du désintérêt et de l’inaction : « l’expérience humaine de la biodiversité joue un rôle important, voire est une condition de possibilité de la conservation de la biodiversité ». S’il y a bien un enjeu pédagogique de diffusion des connaissances de l’écologie scientifique sur la crise de la biodiversité, nous aurions surtout besoin selon lui non seulement de « conservateurs de l’expérience », mais aussi de « créateurs d’expérience9 » – il précise : d’expérience « de première main », « personnelle » – pour susciter l’intérêt de l’opinion publique pour le vivant et, partant, un plus grand engagement pour sa conservation.
Tomás Saraceno, Webs of At-tent(s)ion, 2018, dans « ON AIR », Palais de Tokyo, Paris, 2018.

Commissaire : Rebecca Lamarche-Vadel. Courtesy de l’artiste ; Andersen’s, Copenhagen ; Neugerriemschneider, Berlin ; Pinksummer Contemporary Art, Genoa ; Ruth Benzacar, Buenos Aires et Tanya Bonakdar Gallery, New York.
© Photographie : Studio Tomás Saraceno, 2018.
Marguerite Humeau, Lévitation, 2021.

Dichondra rampant / Dichondra repens, Matricaire / Matricaria, Camomille noble / Chamaemelum nobile, Anémone pulsatille / Pulsatilla vulgaris, Bourrache officinale / Borago officinalis, Pulmonaire officinale / Pulmonaria officinalis, Épiaire de Byzance / Stachys byzantina, Hépatique des fontaines / Marchantia polymorpha, Bouillon noir / Verbascum nigrum, Ortie brûlante / Urtica urens, Ortie blanche / Lamium album, Grande ortie / Urtica dioica, Marrube blanc / Marrubium vulgare, Menthe poivrée / Mentha x piperita, Molène Bouillon-blanc / Verbascum thapsus, Sauge officinale / Salvia officinalis, Orpin spatulé / Sedum spathulifolium, Sauge argentée / Salvia argentea, Sanguisorbe officinale / Sanguisorba officinalis, Fumeterre officinale / Fumaria officinalis, Géranium Herbe à Robert / Geranium robertianum, Ratanhia / Krameria lappacea, Nigritelle noire / Gymnadenia nigra, Griffe du diable / Harpagophytum, Amarante queue-de-renard / Amaranthus caudatus, Cœur de Marie / Lamprocapnos spectabilis, Orchis à odeur de bouc / Himantoglossum hircinum, Buddléia du père David / Buddleja davidii, Digitale / Digitalis, Échinacée / Echinacea, Tanaisie commune / Tanacetum vulgare, Balsamite / Tanacetum balsamita, Lupin / Lupinus, Fille de l’air / Tillandsia usneoides, Pyrèthre / Tanacetum, Orchidée papillon / Phalaenopsis, Orchidée vanda / Vanda, Monarde fistuleuse / Monarda fistulosa, Oxalis / Oxalis, Ipomée pourpre / Ipomoea purpurea, Liseron des champs / Convolvulus arvensis, Liseron des haies / Calystegia sepium. Courtesy de l’artiste et C L E A R I N G New York/Brussels.
© Photographie : Julia Andréone.
- 10 Il ne s’agit pas ici dans l’usage que nous faisons, par commodité, de l’adjectif substantivé, d’ (...)
4C’est en prenant au sérieux cette idée que nous proposons de réexaminer les rôles possibles de l’art dans un contexte de crise écologique, en étudiant le travail d’artistes contemporains qui comme Tomás Saraceno ou Marguerite Humeau semblent élaborer dans leurs installations les conditions de possibilité d’un contact direct, d’une rencontre sensible entre les visiteurs humains et les mondes d’autres vivants. Alors que dans certaines œuvres du Bioart, le « vivant » a pu être appréhendé à l’échelle de processus biologiques élémentaires plus ou moins abstraits ou de sa matérialité organique, soulevant des interrogations éthiques sur les limites de l’art et de la technique humaine ; les êtres vivants (araignées et plantes sauvages respectivement chez Saraceno et Humeau) apparaissent ici en tant qu’organismes individuels, et dans leurs différentes manières d’exister. Comment décrire la relation qui peut se nouer avec eux dans les œuvres ? L’expérience que nous y faisons du vivant10 ? L’art comme expérience (esthétique ? si oui : en quoi ?) ne pourrait-il pas aussi jouer un rôle face à la crise écologique, entendue dans sa dimension de crise de l’expérience et de la sensibilité au vivant – à condition de repenser les rapports entre sensibilité et action, entre effets esthétiques et valeur pratique ?
Les vivants présents pour eux-mêmes dans les œuvres ?
- 11 C’est le constat dont part Estelle Zhong Mengual dans Apprendre à voir. Le point de vue du vivan (...)
- 12 Victoria Dailey, Giovanni Aloi, « Should museums display artworks that feature live animals ? » (...)
5Les installations que nous prenons pour études de cas ont selon nous la particularité de mettre en présence les êtres vivants pour eux-mêmes, c’est-à-dire non réduits à être dans les œuvres de simples témoins, relais ou supports de significations et d’interrogations sur les histoires et les activités humaines – ce qu’ils ont été majoritairement dans l’histoire de l’art, qu’ils soient représentés11 ou même présents « en chair et en os ». Le coyote, par exemple, dans la performance de Joseph Beuys I Like America and America Likes Me (1974), était là plutôt comme symbole : choisi pour son importance particulière dans les mythes de nombreux peuples Amérindiens, il devait cohabiter dans un espace restreint avec Beuys, et venait uriner sur le Wall Street Journal placé au sol, faisant écho à l’histoire de la colonisation, et incarnant une critique de l’impérialisme économique américain. L’être vivant se trouve transfiguré en autre chose par la mise en scène et les intentions artistiques. On peut penser à d’autres œuvres comme Theater of the World (1993) de Huang Yong Ping, où les insectes, lézards, serpents et araignées qui s’entre-dévoraient constituaient l’allégorie d’un capitalisme tardif débridé où règnent la force et la compétition, représentant des êtres anonymes et interchangeables prisonniers de ce système. Comme le note Giovanni Aloi, réagissant à la polémique suscitée par l’exposition du Guggenheim qui devait présenter l’installation en 2017 : « les animaux sont là pour tout sauf pour eux-mêmes12 ». Or dans les œuvres qui nous intéressent, les vivants sont plutôt invités à habiter les espaces d’exposition et les installations comme pour avant tout y faire ou y « vivre leur vie ». S’il y a bien encore des intentions artistiques qui président à cette mise en présence (dont il s’agit d’analyser les effets), elles semblent ménager une place aux puissances propres des vivants et à leurs différentes « manières d’être vivant », pour reprendre la formule de Baptiste Morizot : leurs manières de sentir, de se mouvoir, de se comporter, d’interagir, de communiquer, etc., et souvent, d’échapper à nos attentes.
- 13 Invitées à investir de nouvelles toiles « hybrides », tissées par d’autres, elles sont libres (...)
- 14 Voir Jakob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain (1934), Paris, Payot & Rivages, 2010.
6Dans « ON AIR » au Palais de Tokyo (2018), Tomás Saraceno met en présence, dans l’installation Webs of A(t)-tent(s)ion, quelques araignées de l’espèce Holocnemus pluchei qui vivaient déjà dans le bâtiment13 ; une autre espèce, de la famille des Néphiles, est installée dans Particular Matter(s). Jam Session. Saraceno s’intéresse à la complexité des architectures de soie mais aussi à la manière dont elles forment un support de transmission de signaux vibratoires pour les araignées à toile. Quasiment aveugles malgré leurs quatre paires d’yeux, celles-ci vivent en effet dans un Umwelt principalement vibratoire – pour reprendre le concept du biosémioticien Jakob von Uexküll désignant le monde propre de chaque vivant, conditionné par ses facultés sensorielles et composé de ce qui a de l’intérêt pour lui14. Ne possédant pas de système auditif comparable au nôtre, les araignées ressentent les sons et vibrations se propageant à travers des substrats à l’aide d’organes spécialisés ultrasensibles : des petites fentes présentes sur les pattes et l’exosquelette et de longues soies fines sensibles aux vibrations infimes de l’air, ainsi qu’aux signaux intra- ou inter-spécifiques traversant la toile. Ces « poils » permettent aux araignées de détecter la présence d’un potentiel prédateur ou de localiser les proies piégées. Elles communiquent aussi avec leurs congénères et potentiels partenaires par voie de vibrations, notamment en pinçant les fils de leur toile. Ces signaux nous sont, pour la plus grande partie, strictement imperceptibles. Grâce à un système de capteurs piézoélectriques modifiés raccordés à la toile, transformant les vibrations en fréquences audibles pour nous et vice versa, Saraceno cherche à nous donner un accès à l’Umwelt des araignées, et même à nous faire interagir, dans des performances où il invite les visiteurs à poser des questions à une araignée « oracle », ou des « arachno-concerts » lors desquels il s’agirait de jouer de la musique avec elles.
- 15 Jean-Marie Appriou et Marguerite Humeau, Surface Horizon. Entretien avec Rebecca Lamarche-Vadel, (...)
7Dans « Surface Horizon » à Lafayette Anticipations (2021), Marguerite Humeau nous invite, elle, à nous tourner vers les végétaux. Pour cette exposition en duo avec Jean-Marie Appriou, elle a peuplé les différents étages du bâtiment de centaines de plantes : des orchidées tropicales, des plantes ornementales diverses et un ensemble d’espèces (Grand plantain, Achillée millefeuille, Liseron des haies, Grande ortie, Pissenlit, etc.) que nous appelons communément des mauvaises herbes. Les plantes, que l’artiste dit avoir appréhendées comme des « ready-made » duchampiens15, sont présentées telles quelles et leur profusion inédite dans un espace d’exposition, leur présence exubérante nous interpelle, déjouant nos attentes et nos manières habituelles de nous rapporter aux œuvres de l’art humain. Il s’agirait de célébrer les « trésors cachés » de ces « plantes mal aimées » : comme le dit l’artiste, c’est « avec elles, pour elles, et grâce à elles » que le scénario de cette exposition présentée comme une « odyssée en neuf chapitres » a été pensé.
8Quels sont les enjeux de ces installations qui nous invitent à tourner notre attention vers des êtres auxquels nous sommes le plus souvent indifférents dans notre expérience ordinaire ? S’agit-il d’acquérir des connaissances scientifiques sur les araignées et les « mauvaises herbes », l’art jouant un rôle pédagogique ?
Des dispositifs de mise en visibilité des vivants qu’on ne voyait pas
- 16 Estelle Zhong Mengual, op. cit., p. 10.
9Il se joue d’abord quelque chose de l’ordre du « renversement de l’attention » qu’analyse et piste l’historienne de l’art Estelle Zhong Mengual chez des peintres et des femmes naturalistes du 19e siècle anglais et américain dans Apprendre à voir. Le point de vue du vivant. Il faut revenir à son propos introductif pour comprendre ce sur quoi porte l’éducation de l’attention à laquelle elle nous invite, et prendre la mesure du changement de focale que les installations de Saraceno et de Humeau rendent possible : « Que signifie voir le vivant ? Et que signifierait alors ne pas le voir […], au-delà de la déficience visuelle ? Voir requiert l’association de deux types d’équipements : un équipement perceptif et un équipement mental, propre à la culture d’une époque. Cet équipement mental, c’est par exemple les catégories à partir desquelles on va classer les stimuli visuels que l’on reçoit. C’est aussi les savoirs que l’on va mobiliser spontanément pour interpréter ce que l’on perçoit. C’est enfin l’attitude que l’on adopte à l’égard de ce qui est vu. Cela signifie que, alors même que nous vivons la vue comme un sens spontané, notre œil ne perçoit jamais sans médiation, sans distinction, ce qui nous entoure […]. Nous remarquons, nous valorisons certaines choses et nous en laissons d’autres de côté ; et nous connotons dans le même temps où nous percevons16. ».
- 17 ibid., p. 88, 90.
- 18 « RIBOCA2, and suddenly it all blossoms », commissariat de Rebecca Lamarche-Vadel, Riga, Andre (...)
10Dès lors, « ne pas voir le monde vivant », c’est d’abord « ne pas y prêter attention », mais « cela comprend également certaines manières de prêter attention […] : il y a des manières de voir le monde vivant qui consistent en vérité à ne pas le voir17 », à annuler et remplacer ce qui relève de la spécificité existentielle des autres formes de vie que la nôtre – des capacités sensorielles et perceptives propres, différents types de relation aux autres et au milieu, et des comportements singuliers –, pour y voir autre chose. Les araignées sont typiquement de ces vivants que nous ne voyons pas, en ce double sens : la plupart du temps, nous ne les remarquons littéralement pas alors qu’elles sont très nombreuses à peupler nos environnements domestiques et extérieurs, urbains ou non ; lorsque nous les « voyons », c’est pour beaucoup comme représentantes d’une catégorie générale indifférenciée « araignée » ou « rampant plus ou moins indésirable » (alors qu’il en existe au moins 48 000 espèces à travers le monde, aux formes, aux tailles et aux mœurs très diverses), déclenchant des affects de l’ordre de la répulsion, voire de la peur, qui nous invitent à nous en détourner (ou à nous en débarrasser) – affects en partie ancrés dans notre histoire évolutionnaire, en partie conditionnés culturellement (exacerbés notamment par les imaginaires de l’horreur et de l’alien malfaisant). Or chez Saraceno, les dispositifs scénographiques et techniques concourent à mettre au centre de notre attention les araignées pour elles-mêmes : cela passe d’abord par la mise en lumière spectaculaire des toiles qui nous apparaissent pour la première fois dans toute leur complexité (ne manquant pas de susciter l’émerveillement, contre nos affects spontanés, mis entre parenthèses) ; ensuite par le dispositif technique de traduction des vibrations en sons qui est une invitation à se mettre à l’écoute des araignées. On passe d’une attention visuelle aux toiles à une attention auditive et presque tactile aux araignées. L’artiste se contente même parfois d’éclairer, de « sonifier » ou simplement de pister des toiles et des araignées déjà installées, comme à la biennale de Riga RIBOCA2 ou encore au Martin Gropius Bau à Berlin en 202018.
- 19 Surface Horizon, livret d’exposition, op. cit., p. 38 (le livret reprend les textes des cartels)
- 20 ibid., p. 7.
11Dans Lévitation, au rez-de-chaussée de Lafayette Anticipations, une « vague végétale19 » mêle des orchidées exotiques évoquant « la décoration d’un hôtel et la profusion de la surproduction » de fleurs ornementales (notamment l’Orchidée papillon, une des orchidées les plus cultivées et hybridées au monde), et un fond tapissé de « mauvaises herbes ». Cet assemblage au contraste saisissant témoigne aussi de deux manières de ne pas voir les plantes : ou bien on ne leur prête pas attention, ou bien on les réduit à la valeur ornementale qui leur a été attribuée (qui se double souvent d’une valeur marchande). C’est au premier étage, avec Les Oracles du désert, que Marguerite Humeau crée les conditions d’un renversement de l’attention, mis en scène dans le passage d’un niveau à l’autre du bâtiment. Après avoir quitté le sol indifférencié d’où seules les plantes ornementales émergeaient, on est invité à pénétrer dans une grande serre lumineuse sur les parois de laquelle se dessinent des formes végétales en ombres chinoises. On y entre seul ou à deux, pour y rencontrer, s’élevant au-dessus d’un sol argileux et fissuré et devant un miroir en arrière-plan, quelques espèces choisies que le dispositif intérieur met à hauteur de notre regard ; les autres, qui apparaissaient depuis l’extérieur dans la partie inférieure de la serre, ne sont pas visibles directement. Le Grand plantain, le Chénopode blanc, la Vergerette du Canada, pour ne citer qu’elles, se présentent dans cette installation-sculpture comme des individus, chacune dans sa forme et ses attributs singuliers, et échappent ainsi à l’alternative de notre style d’attention habituel aux plantes, entre simples « fleurs » ou « mauvaises herbes ». Humeau dit avoir cherché à « célébrer des individus qui sont habituellement invisibles ». En subvertissant le dispositif de la serre, normalement destinée à optimiser la croissance et la productivité de celles qui ont de la valeur dans un cadre commercial (pour l’ornementation ou la consommation), pour la peupler non d’orchidées mais de celles « qu’on pousse dans les marges20 », hors de nos paysages attentionnels et économiques, Humeau nous indique qu’il y a bien ici quelque chose à voir, qui plus est digne de valeur (d’un autre registre ?) : la serre-sculpture fonctionne comme un dispositif de mise en visibilité et d’orientation de notre attention.
De la promesse d’une interaction à l’expérience de l’altérité du vivant
- 21 Sally Bonn, Les paupières coupées. Essai sur les dispositifs artistiques et la perception esthét (...)
12Chez Humeau aussi bien que chez Saraceno, les dispositifs matériels de mise en visibilité se doublent de dispositifs discursifs, sous forme de récits spéculatifs, qui participent eux aussi à orienter, à intensifier, et à donner une inflexion particulière à notre attention aux araignées et aux plantes. Nous considérons que les textes qui nous guident dans ces expositions font partie des dispositifs artistiques, au sens où ils contribuent aussi à « la mise en perspective ou mise en scène de la perception », jouant le rôle de « cadres de l’expérience », pour reprendre les définitions de Sally Bonn, qui parle à ce sujet de « dispositif textuel-plastique », où le texte constitue une « zone intermédiaire entre l’œuvre et mon regard21 ».
13On connaît tous ces récits d’animaux qui réagissent à l’arrivée d’un tsunami bien avant les humains : beaucoup sont plus sensibles aux vibrations que nous. Physiologiquement limités, nous avons inventé des instruments techniques très sensibles, dont certains, comme les interféromètres de plus de 3 km de long des observatoires LIGO et VIRGO, sont même capables de détecter les oscillations de l’espace-temps produites par des événements cosmiques majeurs comme les ondes gravitationnelles. Au seuil de « ON AIR », le visiteur est accueilli par une enceinte sur une plate-forme carrée, et une spéculation déroutante : Et si l’araignée du Palais de Tokyo était capable de détecter les ondes gravitationnelles ? On lit le cartel qui définit les ondes gravitationnelles et nous explique que l’enceinte est reliée à l’une des toiles habitées, elle-même connectée au bruit reçu en continu et en direct de VIRGO et spontanément, on tend l’oreille. On fait basculer notre corps le plus près possible de la source sonore dans l’espoir d’entendre quelque chose. Pas un bruit, si ce n’est celui de la ventilation du bâtiment et les pas et discussions des visiteurs alentour, auxquels on n’avait pas prêté attention jusqu’alors. On se concentre. On a le sentiment que quelque chose pourrait se passer, que l’on pourrait entendre quelque chose. Ce dispositif technique et discursif, sous forme de provocation qui nous accroche, fonctionne bien comme un dispositif d’orientation, de recalibrage et d’intensification de notre qualité d’écoute : il nous met dans de nouvelles dispositions attentionnelles pour la suite de la visite. Dans d’autres installations, Saraceno ira plus loin, nous promettant une interaction sur le mode de la communication. En 2017, inspiré par des rituels divinatoires pratiqués avec les mygales en Afrique Centrale, il nous invitait à poser des questions à une araignée « oracle » à l’aide de ses instruments piézoélectriques spécialisés. Une toile sonifiée était installée dans la pièce, une néphile en son centre, et les visiteurs assis tout autour dans la pénombre posaient des questions tour à tour. Silence absolu pendant près d’une heure. L’araignée n’a pas envoyé une seule vibration à travers sa toile, aucune en tout cas qui nous soit audible. Même question lors de chacun de ses « arachno-concerts » : l’araignée va-t-elle (nous) répondre ? La plupart du temps, elle reste silencieuse et immobile au centre de sa toile, faute de percevoir un signal ayant du sens pour elle.
Marguerite Humeau, Les Oracles du désert (détail), 2021.

Acier, bois, plexy, aluminium, terre, diffuseur de lumière, dibond d’aluminium, Plexiglas, contreplaqué, lampes de culture, filtres ambrés, terre argileuse, mousse de matelas, clairvoyante, plantes bio-indicatrices : Grand plantain / Plantago major, Mercuriale annuelle / Mercurialis annua, Plantain corne-de-cerf / Plantago coronopus, Plantain lancéolé / Plantago lanceolata, Patience à feuilles obtuses / Rumex obtusifolius, Herbe aux mamelles / Lapsana communis, Ambroisie à feuilles d’armoise / Ambrosia artemisiifolia, Amaranthe réfléchie / Amaranthus retroflexus, Chénopode blanc / Chenopodium album, Patience crépue / Rumex crispus, Vergerette du Canada / Erigeron canadensis, Arum tacheté / Arum maculatum, Cardamine hirsute / Cardamine hirsuta, 561 x 654 x 381,3 cm. Courtesy de l’artiste et C L E A R I N G New York/Brussels.
© Photographie : Julia Andréone.
Tomás Saraceno, Particular Matter(s) Jam Session, 2018, dans « ON AIR », Palais de Tokyo, Paris, 2018.

Commissaire : Rebecca Lamarche-Vadel. Courtesy de l’artiste ; Andersen’s, Copenhagen ; Neugerriemschneider, Berlin ; Pinksummer Contemporary Art, Genoa ; Ruth Benzacar, Buenos Aires et Tanya Bonakdar Gallery, New York.
© Photographie : Studio Tomás Saraceno, 2018.
- 22 Les textes de l’exposition mêlaient les savoirs de l’écologie scientifique et ceux de la médecin (...)
- 23 Surface Horizon, livret d’exposition, op. cit., p. 4.
- 24 ibid., p. 32, p. 40.
14Dans « Surface Horizon », le récit hybride qui nous guide, inspiré de savoirs naturalistes mais aussi analogistes22, a aussi pour fil directeur l’idée que les plantes sont des « oracles » qui pourraient nous parler. Conviés à des « retrouvailles avec des êtres aux pouvoirs extraordinaires23 », on nous raconte que les plantes ont des super-pouvoirs à la croisée des milieux terrestres et aériens, qui peuvent nous soigner mais peut-être aussi nous orienter en temps de crise écologique, grâce à leurs capacités sensorielles et rythmes de vie propres, qui leur permettent de percevoir des choses invisibles pour nous : « L’achillée millefeuille cicatrise nos blessures, le datura officinal indique la menace de sols pollués, la carotte sauvage accompagne la naissance de nouveau-nés », « la mercuriale annuelle signale l’érosion des sols, la patience à feuilles obtuses révèle les métaux lourds24 ». Les plantes bio-indicatrices choisies par Humeau peuvent en effet indiquer l’état des sols et notamment leur appauvrissement à qui sait déchiffrer la signification de leur présence et les indices de leurs relations invisibles. Mais on se rend compte rapidement que l’on manque des outils et des savoirs pour lire les signes inscrits dans leurs corps. Encore faudrait-il parvenir à les identifier : où est donc cette plante dont on nous dit qu’elle soigne les yeux ? Celle qui ressemble à des poumons ? On aurait presque envie qu’à chaque nom soit associé un croquis permettant au moins de reconnaître les espèces. Finalement, on trouve peu ou pas du tout de réponses, prenant la mesure de notre ignorance de ces mondes végétaux.
Quand l’art isole la relation attentionnelle pour elle-même
- 25 On pourrait parler ici d’un « estrangement » qui ne serait pas une pure absence d’expérience o (...)
- 26 Estelle Zhong Mengual, op. cit., p. 96.
15Pas de réponse ni d’interaction. Faut-il en conclure qu’il ne se passe rien du point de vue de l’expérience des visiteurs ? Ne faut-il pas dire que la mise en relation annoncée est ratée ? Il se passe en fait quelque chose de plus discret, dont il s’agit ici de prendre la mesure : notre style ou mode d’attention se transforme, en se dirigeant activement vers ces vivants habituellement anonymes et fantomatiques, pour les envisager comme des individus étrangers25. Notre attention se tourne vers chacune des araignées et des plantes, en forme de question, orientée par des affects enquêteurs : Qui est-ce ? Qui es-tu ? À quoi es-tu sensible ? Comment ? Alors que nous attendons une réponse, nous faisons l’expérience de « la radicale altérité du monde vivant, qui prend la forme dans l’expérience vécue d’une indisponibilité […] – qui rend l’instauration de relations responsives avec lui, si ce n’est impossible, particulièrement exigeante26 », telle que la décrit Estelle Zhong Mengual.
- 27 Il faudrait élargir ce qu’on entend par attentionnalité, pour l’attribuer potentiellement à tous (...)
16Comment penser dès lors la fonction de ces dispositifs, dans leurs dimensions matérielles et discursives ? En multipliant les promesses d’interaction, de sens et de révélation de liens invisibles (ce que le détour par les savoirs analogistes et l’imaginaire des superpouvoirs ou de la divination renforce), ils ont pour effet de catalyser chez le visiteur un désir de se relier à ces araignées et à ces plantes, de les connaître (de savoir qui elles sont). Mais leur enjeu n’est pas tant finalement, en ce qui concerne le « contact » qu’ils rendent possible, de nous aider à constituer du sens et des savoirs, à déchiffrer des signes, à dialoguer ou à se comprendre, à prédire l’avenir, que de nous amener à accorder l’attention aux vivants, en un double sens : diriger mon attention vers ; et attribuer, reconnaître une capacité d’attention, autrement dit la capacité active d’être atteint par quelque chose, de le recevoir comme information et d’y répondre – selon des facultés sensorielles et des intérêts propres à chacun. Et ce quand bien même, ou précisément dans la mesure où la réponse se fait attendre, voire n’arrive pas du tout. Le point de vue qu’on adopte ici à l’égard des vivants a ceci de singulier qu’il consiste à les considérer ni comme de simples objets physiques, de la matière (muette), ni au contraire comme des intentionnalités semblables à la nôtre (avec qui je pourrais dialoguer), mais comme des centres attentionnels étrangers (toujours au moins en partie inaccessibles, incommunicables27). La toile d’araignée elle-même, de simple piège, nous apparaît alors comme le système attentionnel externalisé de l’araignée (dont elle est le centre), son interface sensible avec le monde.
17Un peu paradoxalement, ce nouveau style d’attention émerge et se renforce donc à la faveur de l’inachèvement et de la suspension de la relation d’interprétation et de communication que nous promettent les discours. L’échec, de ce point de vue, de la mise en relation (et partant, des installations dans leurs visées affichées), est précisément selon nous ce qui permet d’isoler et d’intensifier la relation attentionnelle pour elle-même, et de susciter une forme de réflexivité attentionnelle chez le visiteur. Cette relation attentionnelle a pour particularité d’être une tension entre centres attentionnels étrangers (entre humain et araignée par exemple), un « jeu des attentions », entre de potentiels points de contact (entre nos mondes attentionnels) et une asymétrie attentionnelle irréductible (jeu qu’il faudrait décrire plus avant), qui se révèle comme telle dans l’expérience de l’échec de l’interaction.
Contexte dépragmatisé et dimension réflexive : la mise en œuvre d’une attention à modalité esthétique
- 28 Il y a bien ici une dimension duchampienne dans la mise en présence des êtres vivants.
- 29 Sally Bonn, op. cit., p. 49. Il faudrait développer l’idée qu’il y a ici avec la présence du viv (...)
18L’art relève ici principalement du dispositif de capture de l’attention, qui pose les conditions d’un style d’attention et d’un type d’expérience (plus qu’il n’est acte créateur, ou transformation du matériau du réel28). On peut se référer là encore aux définitions de Sally Bonn : « il s’agit […] à la fois d’une mise en scène […], d’un cadrage (du regard), d’une disposition spatiale […], de la détermination ou la fixation d’un ou plusieurs points de vue » ; « à travers le dispositif l’artiste prend en charge la “pré-vision” des effets de l’art ; il “pré-voit” ce qui doit non seulement être vu […], mais aussi éprouvé […] voire pensé. Il “pré-voit” […] une expérience, l’œuvre étant pensée pour devenir le site d’une expérience particulière que l’on nomme l’expérience esthétique. Il crée les conditions de possibilité pour que quelque chose advienne29 ». La relation attentionnelle au vivant qui est isolée par les dispositifs artistiques et caractérise l’expérience que nous pouvons faire de ces installations a pour particularité d’être décorrélée de toute finalité gnoséologique ou pratique. On reconnaîtra certaines des caractéristiques principales que l’on peut attribuer à une attention infléchie esthétiquement, si l’on se réfère aux théories récentes sur l’expérience esthétique.
- 30 Marianne Massin, Expérience esthétique et art contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Re (...)
- 31 Jean-Marie Schaeffer, L’Expérience esthétique, Paris, Gallimard, 2015, p. 67.
- 32 Marianne Massin, op. cit., p. 40.
- 33 ibid.
- 34 ibid., p. 41.
- 35 Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 76.
19L’attention opère bien ici à partir de et dans le sensible (Marianne Massin insiste sur la « singularité sensible de l’expérience30 ») et se déploie dans un contexte dépragmatisé (là où dans l’expérience ordinaire, l’attention a des fonctions d’abord vitales et pratiques), pour reprendre le terme de Jean-Marie Schaeffer. La suspension d’intérêts pratiques et intellectuels est en effet selon lui la condition principale d’entrée dans l’expérience esthétique : « l’attention en régime esthétique n’a pas de “tâche” au sens fort du terme : elle n’a pas de but fixé en amont et du même coup possède une importante composante d’indétermination31 ». Marianne Massin parle à ce propos d’une « attention intensifiée qui neutralise le monde alentour, suspend les autres intérêts et nos habitudes causales32 ». L’attention esthétique déconditionne, défait les repères habituels, ordinaires33 et suspend les fonctions vitales et pratiques de l’attention, et même ici jusqu’à l’acte de constitution de sens, qui accompagne ordinairement notre attention. Cette dépragmatisation se double d’une relance de l’attention prêtée au vivant, qui se poursuit pour elle-même : Schaeffer parle d’une auto-reconduction de l’attention à modalité esthétique, Massin d’une « relance perpétuelle34 ». Cette mise en œuvre particulière des capacités et ressources attentionnelles de l’expérience ordinaire rend possible une expérience ouverte et suspensive (Schaeffer parle d’un abaissement du seuil d’attentionnalité, qui contribue à son caractère ouvert), dans laquelle est retardée toute montée en généralité interprétative trop rapide. « Dans l’exploration du monde en mode esthétique, qui […] contrairement à l’attention pragmatique n’a pas de tâche assignée spécifique, la “cible” attentionnelle est définie et redéfinie par et à travers l’exploration attentionnelle endogène elle-même35. ».
- 36 Comme le rappelle Marianne Massin (op. cit., p. 21), l’expérience, étymologiquement, relève d’ai (...)
20Enfin, il semblerait que l’attention se fasse ici réflexive. On peut penser au miroir qui dans la serre de Humeau démultiplie à l’infini le paysage désertique dans lequel poussent les plantes sélectionnées, et reflète notre propre regard, nous resituant ainsi parmi les végétaux, visage parmi ces « visages » étrangers. Il invite littéralement à une forme de réflexivité sur notre manière de (ne pas) voir : je me vois prêtant attention. On se détourne de notre propre reflet qui a d’abord spontanément capté notre attention pour la prêter à ces végétaux qui passent au premier plan, et parmi lesquels on se sent soudain en minorité au centre de la serre, impression redoublée par les longues listes de noms (en latin, français et anglais) sur les cartels (près de 130 espèces). Comme avec les araignées, on se met à prêter attention non seulement à la manière de « prêter attention » et de « répondre » ou non des autres vivants (qui apparaissent alors comme ne prêtant pas attention aux mêmes choses que nous), mais aussi à notre propre attentionnalité, à notre façon d’adresser des « appels » et de « répondre » : qu’est-ce qui pourrait bien avoir du sens pour l’araignée ? Ma question restée sans réponse était-elle ajustée à elle, digne d’intérêt ? Pourrais-je me rendre sensible aux vibrations ou à la composition des sols ? Je prends ici pour objet d’attention mon attention elle-même, mais précisément dans sa relation à ce qu’on pourrait appeler une « alter-attentionnalité » – et aux dispositifs, aux contraintes et aux dynamiques qui conditionnent la mise en œuvre de cette relation attentionnelle (et ses limites irréductibles36). Il faudrait approfondir l’enquête sur la spécificité de l’attention telle qu’elle se déploie à l’égard du vivant (et sa forme de réflexivité particulière qui peut nous amener, c’est notre hypothèse, à nous ressaisir comme vivant parmi différentes manières d’être vivant, point de vue parmi les points de vue), mais il semblerait selon cette première analyse que nous ayons bien affaire ici à une attention orientée esthétiquement.
Quel rôle pour l’art et pour une expérience esthétique du vivant dans un contexte de crise de l’attention ?
- 37 Paul Ardenne, op. cit., p. 257.
21Revenons à notre interrogation de départ. L’art ne peut-il véritablement rien, comme semblait le suggérer Paul Ardenne, si on juge de sa valeur et de son « efficience » à l’aune de ses pouvoirs intrinsèques sur le plan de l’aisthésis, et non des critères extrinsèques ou bien de l’écologie scientifique ou bien de l’écologie politique ? Autrement dit, et si l’on prend en compte la double dimension scientifique et politique de l’écologie, son rôle et ses enjeux écologiques ne peuvent-ils relever que, ou bien de la diffusion de connaissances scientifiques (une fonction de médiation pédagogique, de représentation de la crise), ou bien de l’invitation à l’engagement militant et à l’action concrète (en ayant fonction d’exemple) ? Si tel est le cas, ne faudrait-il pas revenir au constat initial d’Ardenne selon lequel l’art ne peut rien (en lui-même), à moins de devenir « anesthétique » ? Selon lui en effet, l’art serait écologique dans la mesure où « [l]e sensible cède le pas devant l’intelligible et le souci de produire des effets, devant celui de produire de la conscience et des résultats », ce qui nous obligerait à une révolution dans notre « manière de concevoir l’art et ses productions37 ».
- 38 Marianne Massin, op. cit., p. 42.
- 39 Voir Umut Ungan, « Entretien avec Marianne Massin (décembre 2016) », Marges n° 24, 2017, p. 9 (...)
22Nous avons proposé un changement de focale dans le questionnement : du point de vue de la poïétique à celui de l’esthétique, dont il s’agirait de réexaminer les enjeux (ce qui implique d’interroger nos définitions de l’esthétique, et de la crise écologique). Les expériences des œuvres que nous avons décrites invitent selon nous à penser l’articulation plutôt que la contradiction entre sensible et intelligible – l’expérience esthétique consistant en une « intelligence du sensible38 » pour reprendre la formule de Marianne Massin – ; entre production d’effets sur l’attention et la sensibilité, et réflexivité sur notre manière d’être au monde et de nous y relier (qui ouvre potentiellement de nouveaux chemins vers l’action). Il s’agirait en effet pour ainsi dire d’une expérience au second degré 39, au sens où elle nous permet de prendre conscience des conditions de possibilité de l’expérience (ici du vivant, et de notre relation à lui) : loin de la considérer comme une « valeur périmée » ou devenue secondaire, notre enquête s’inscrit plutôt dans la perspective d’un « renouveau de l’expérience esthétique » dans et par une partie de l’art contemporain, tel notamment que le pense Marianne Massin.
- 40 Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. Dans la cosmologie natural (...)
23Ces expériences esthétiques – des expériences sensibles et attentionnelles dépragmatisées, intensifiées et réflexives – ne pourraient-elles pas contribuer à recalibrer notre attention aux vivants en dehors de l’art ? L’extinction de l’expérience du vivant, si elle est en partie liée à la diminution des opportunités concrètes d’interaction avec des êtres vivants non humains dans des contextes massivement anthropisés (nous serions de mauvaise foi si nous cherchions dans la présence – rare – de vivants non humains dans des expositions d’art une réponse à cela), se caractérise aussi par ce que l’on peut appeler plus précisément une crise de l’attention à l’égard de ceux qui sont (encore) là, qui va de la cécité attentionnelle ou agnosie – ne pas voir, ne pas entendre – à des formes d’attention aliénée – voir sans voir, voir, entendre ou prêter attention au vivant pour autre chose que pour lui-même. C’est ce qu’on pourrait appeler une double crise attentionnelle, à la fois en quantité relative et en qualité, qui touche nos sociétés occidentales modernes et naturalistes au sens de Philippe Descola40. Dans ce contexte socio-historique, les expériences esthétiques singulières dont les dispositifs artistiques que nous avons pris pour exemples posent les conditions de possibilité pourraient, si l’on admet une certaine continuité entre expérience esthétique et expérience ordinaire, contribuer à déplacer et reconfigurer nos seuils et biais attentionnels au vivant, nous préparant ainsi à des rencontres futures. Selon l’hypothèse qui se dessine ici, si l’art peut jouer un rôle face à la crise du vivant que nous traversons, c’est en tant que créateur d’expériences potentiellement transformatrices (au sens d’expériences singulières vécues), participant à cultiver notre attention au vivant et à ouvrir des dimensions de notre expérience de celui-ci en général (au sens d’avoir de l’expérience, une forme de savoir que l’on acquiert par la pratique et le contact répétés avec le monde). Nos espaces de vie, y compris urbains, se repeupleront peut-être de ceux qui, quoiqu’encore présents, passent le plus souvent inaperçus.
- 41 Yves Citton, Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014, p. 121.
- 42 ibid., p. 202.
- 43 Cette « absence » de nos paysages attentionnels n’est pas seulement une absence de fait (due à (...)
- 44 ibid., p. 218.
- 45 ibid., p. 252.
24Cette hypothèse suppose que l’on pense le caractère en partie historiquement et culturellement déterminé de nos manières de prêter attention, autrement dit le caractère indissociablement individuel et collectif de l’attention : comme le remarque Yves Citton, « mon attention individuelle se trouve, constamment et de part en part, surdéterminée par les structures collectives qui la canalisent, qu’elles soient culturelles ou technologiques41 ». Il faut aussi prendre la mesure de la « dynamique d’auto-renforcement circulaire entre attention et valorisation » : « on ne peut valoriser que ce dont on a repéré l’existence par un effort d’attention ; en retour, on tend à prêter attention à ce qu’on a appris à valoriser » ; « j’accorde mon attention à ce que je valorise et je valorise ce à quoi j’accorde mon attention42 ». Or les autres vivants sont relativement absents de nos paysages attentionnels et donc de ce que nous valorisons43. D’où l’enjeu qu’il y a aujourd’hui à cultiver l’attention au vivant, à multiplier les dispositifs culturels pouvant la réorienter, collectivement, vers le vivant. Si l’on suit toujours Citton, les expériences esthétiques joueraient un rôle de reconfiguration des vecteurs et habitudes de valorisation, précisément en ce qu’elles sont un lieu de suspension des lois de l’économie cognitive ou économie de l’attention en vigueur : il évoque ainsi « le rôle de laboratoires de valorisation que jouent nos expériences esthétiques en général : […] l’immersion dans une expérience esthétique conduit à valoriser des sensations et des sentiments précédemment insoupçonnés, et/ou à modifier les valorisations qui leur sont associées44. » Cela passe par l’ouverture d’« espaces de réflexion méta-attentionnelle » qui « catalys[ent] […] notre individuation45 ».
- 46 Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, op. cit., p. 26-27.
25Dès lors, il s’agirait de penser une dimension politique des perspectives de transformation de l’attention au vivant à l’échelle à la fois individuelle et collective ; et partant des dispositifs et des expériences qui peuvent y contribuer. Comme le constate Baptiste Morizot : « […] force est de constater que la disponibilité et la sensibilité au vivant, ces arts de l’attention à part entière, sont volontiers reléguées à des problématiques bourgeoises, esthétiques, ou conservatrices, par ceux qui militent pour d’autres mondes possibles. Ils sont en fait puissamment politiques. Ces arts de l’attention sont politiques, car l’essence discrète et préinstitutionnelle du politique se joue dans les déplacements des seuils qui commandent ce qui mérite l’attention. […] L’enjeu, c’est que […] l’idée de disparition des oiseaux des champs, des insectes européens, et plus largement des formes de vie autour […], nous devienne aussi intolérable que la monarchie de droit divin. Et ce en préparant les rencontres qui font entrer les vivants dans l’espace politique de ce qui mérite attention : c’est-à-dire qui appelle qu’on y soit attentif et attentionné46. ».
- 47 Robert Pyle, op. cit., p. 190.
26Mais faire entrer les araignées et les « mauvaises herbes » en particulier « dans l’espace politique de ce qui mérite attention », est-ce bien sérieux ? C’est peut-être précisément parce que ce sont des vivants qui « vivent dans notre voisinage47 », mais que nous ne remarquons pas ou très rarement (et non des espèces en danger critique d’extinction vivant dans des pays exotiques, loin de nous), que les effets d’un renversement de l’attention à leur égard peuvent constituer un premier pas, discret mais puissant car au cœur de nos existences quotidiennes, pour ouvrir et élargir nos horizons attentionnels au vivant, alors que la crise que nous traversons est aussi et peut-être avant tout une crise de nos relations vécues. Cette crise exige de repenser et de reconfigurer les liens entre sensibilité, attention, intérêt, connaissance, éthique et politique.
- 48 Il y a connaître, au sens de posséder des savoirs (avoir des connaissances), et connaître, au se (...)
- 49 Vincent Devictor, op. cit., p. 334.
- 50 Christine Palmiéri, « Jacques Rancière : Le partage du sensible » (entretien), L’obsession du (...)
27Qui est-ce ? Quels sont ses intérêts propres ? Comment voit-il ou voit-elle le monde ? Quelles sont nos affinités ; nos divergences ? Sympathique ou antipathique ? Pourrions-nous vivre ensemble ? Il faut commencer par faire connaissance : pour protéger et chérir, il faut connaître ; pour connaître, il faut déjà prêter attention et apprendre à (se) connaître, autrement dit éprouver la rencontre48 – inventer des dispositifs culturels (dans l’art contemporain mais pas seulement) qui luttent contre notre anesthésie à l’égard du vivant. Le biologiste de la conservation Vincent Devictor conclut ainsi son livre Nature en crise. Penser la biodiversité : « Il est devenu nécessaire et urgent de jeter par-dessus bord les anesthésiants de la pensée, des valeurs et des émotions. On agit mal si on pense mal et on pense mal si on n’éprouve rien49. ». Nous nous sommes perdus de vue, et il y a aujourd’hui une urgence fondamentale à refaire connaissance avec ces étrangers que sont les autres vivants, dans leurs singularités et leurs différences, pour repeupler nos paysages attentionnels. Cela implique de suspendre et de remettre en question les habitudes attentionnelles et relationnelles toxiques qui nous rendent aveugles aux vivants et à leurs manières de vivre et de cohabiter. Ce premier pas, qui ne remplace pas les engagements et les actions concrètes ni l’acquisition de savoirs (mais peut y conduire), c’est l’un des enjeux possibles d’une nouvelle esthétique du vivant (seulement esquissée ici). Elle est fondée sur des dynamiques attentionnelles qui peuvent nous relier aux vivants sans pour autant réduire toute leur étrangeté, et participer à un renouveau de l’expérience du vivant en temps d’extinction, vers une reconfiguration du « partage du sensible ». À la jonction entre pratiques esthétiques et pratiques politiques, Jacques Rancière désigne précisément par là « la façon dont les formes d’inclusion et d’exclusion qui définissent la participation à une vie commune sont d’abord configurées au sein même de l’expérience sensible de la vie50 ». En déplaçant les lignes du visible et de l’invisible, en nous apprenant à faire connaissance, l’art comme expérience du vivant pourrait ainsi œuvrer à dessiner une place à nos relations au monde vivant au sein de ce qui fait communauté, autrement dit au sein de notre subjectivité politique.
Notes
1 Paul Ardenne, Un art écologique. Création plasticienne et Anthropocène, Lormont, Le Bord de l’Eau, 2019, p. 211. Le dernier chapitre s’intitule « Pas à pas vers l’art utile », p. 153.
2 ibid., p. 256, 257.
3 ibid., p. 235, à propos de l’exposition Human/Nature en 2008-2009 à San Diego : « des réalisations d’un intérêt discutable au regard non pas tant de la valeur esthétique que de l’efficience écologique ».
4 Vincent Devictor, Nature en crise. Penser la biodiversité, Paris, Seuil, 2015, p. 15 ; voir aussi Baptiste Morizot, « Ce que le vivant fait au politique », dans Frédérique Aït-Touati et Emanuele Coccia (sld), Le Cri de Gaïa, Paris, La Découverte, 2021 : « une crise des potentiels évolutifs de la biosphère et de chaque écosystème, des populations d’interdépendants, des dynamiques écologiques », p. 79.
5 Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Arles, Actes Sud, 2020, p. 16-17.
6 Robert Pyle, « L’extinction de l’expérience », Écologie & politique, n° 53, 2016, p. 189 (extrait de Robert Pyle, The Thunder Tree. Lessons from an Urban Wildland (1993), Corvallis, Oregon State University Press, 2011).
7 En particulier en raison de disparitions locales des populations (voir Robert Pyle, op. cit.).
8 Voir James R. Miller, « Biodiversity conservation and the extinction of experience », Trends in Ecology and Evolution, vol. 20, n° 8, août 2005, p. 430-434 ; et M. Soga, K. J. Gaston, « Extinction of experience : the loss of human-nature interactions », Frontiers in Ecology, vol. 14, n° 2, mars 2016. Robert Pyle parle d’un « cycle de désaffection » (op. cit., p. 190).
9 Aiko Huckauf, « Biodiversity conservation and the extinction of experience », Mitt. Arbeitsgem. Geobot. Schleswig-Holstein Hamb. vol. 65, 2008, p. 329-344. Je souligne. Voir aussi David L. Stokes, « Conservators of Experience », BioScience, vol. 56, n° 1, janvier 2006, p. 6-7.
10 Il ne s’agit pas ici dans l’usage que nous faisons, par commodité, de l’adjectif substantivé, d’hypostasier ou de personnifier le vivant. Il permet plutôt, selon le sens philosophique que lui donne Baptiste Morizot, de désigner à la fois la diversité des êtres vivants et de leurs manières d’être (dont l’humain fait partie), et les dynamiques écologiques et évolutionnaires qu’ils tissent et qui les tissent ensemble dans des réseaux d’interdépendances. « Le vivant » est ainsi à la fois « en nous et hors de nous » selon la formule de Morizot, et doit être pensé au croisement des perspectives éthologique, écologique, et évolutionnaire.
11 C’est le constat dont part Estelle Zhong Mengual dans Apprendre à voir. Le point de vue du vivant, Arles, Actes Sud, 2021 : le plus souvent, le vivant en peinture est présent en tant que décor des histoires humaines ; symbole ou signifié pour un signifiant humain ; ou enfin miroir de nos états intérieurs, de nos émotions. Mais certaines œuvres font effraction de ce mode de représentation et d’interprétation dominant.
12 Victoria Dailey, Giovanni Aloi, « Should museums display artworks that feature live animals ? », dans Apollo, mai 2018, [https://www.apollo-magazine.com/should-museums-display-artworks-live-animals/], consulté le 29 septembre 2021. L’œuvre devait être présentée dans « Art and China After 1989 : Theater of the World », au Guggenheim de New York (octobre 2017 – janvier 2018). Elle a été retirée de l’exposition new-yorkaise avant son ouverture à la suite de protestations et menaces d’activistes de la cause animale, mais montrée lors de la réitération de l’exposition au Guggenheim de Bilbao (mai-septembre 2018).
13 Invitées à investir de nouvelles toiles « hybrides », tissées par d’autres, elles sont libres de sortir des cadres en carbone ouverts créés par l’artiste, pour retrouver leurs recoins familiers.
14 Voir Jakob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain (1934), Paris, Payot & Rivages, 2010.
15 Jean-Marie Appriou et Marguerite Humeau, Surface Horizon. Entretien avec Rebecca Lamarche-Vadel, livret d’exposition (Paris, Lafayette Anticipations, 2021), Paris, 2021, p. 13.
16 Estelle Zhong Mengual, op. cit., p. 10.
17 ibid., p. 88, 90.
18 « RIBOCA2, and suddenly it all blossoms », commissariat de Rebecca Lamarche-Vadel, Riga, Andrejsala, 2020 ; « Down to Earth », Berlin, Martin Gropius Bau, 2020.
19 Surface Horizon, livret d’exposition, op. cit., p. 38 (le livret reprend les textes des cartels).
20 ibid., p. 7.
21 Sally Bonn, Les paupières coupées. Essai sur les dispositifs artistiques et la perception esthétique, Bruxelles, La Lettre Volée, 2009, p. 50, p. 102-103.
22 Les textes de l’exposition mêlaient les savoirs de l’écologie scientifique et ceux de la médecine analogiste Renaissante, basée sur la théorie des signatures dont Marguerite Humeau s’est inspirée pour ses compositions. Dans la cosmologie analogiste, on voit dans les formes et couleurs du monde naturel des indices de puissances et de liens invisibles. Les similitudes formelles entre des êtres et choses a priori éloignés révèlent des relations possibles.
23 Surface Horizon, livret d’exposition, op. cit., p. 4.
24 ibid., p. 32, p. 40.
25 On pourrait parler ici d’un « estrangement » qui ne serait pas une pure absence d’expérience ou de relation (comme dans le vocabulaire des biologistes de la conservation anglophones), mais au contraire une expérience de l’étrangeté ou « étrangèreté » (constitutive) du vivant, rendue possible par les dispositifs ou procédés artistiques, qui « raviv[ent] notre perception figée par l’habitude », en suspendant nos habitudes et automatismes attentionnels et perceptifs, nous permettant ainsi de voir et de prêter attention à nouveaux frais. Voir sur les procédés d’estrangement Carlo Ginzburg, À distance, Paris, Gallimard, 1998, p. 16 ; Viktor Chklovski, Sur la théorie de la prose [1929], Lausanne, L’Âge d’Homme, 1973.
26 Estelle Zhong Mengual, op. cit., p. 96.
27 Il faudrait élargir ce qu’on entend par attentionnalité, pour l’attribuer potentiellement à tous les vivants, végétaux compris, ce qui suppose de sortir d’une conception gnoséocentriste et intellectualiste de l’attention. Cela dit, on ne décrit pas ici une attribution réelle, mais une certaine manière de se rapporter aux vivants dans l’expérience (un point de vue, une manière de les envisager).
28 Il y a bien ici une dimension duchampienne dans la mise en présence des êtres vivants.
29 Sally Bonn, op. cit., p. 49. Il faudrait développer l’idée qu’il y a ici avec la présence du vivant dans les œuvres une part irréductible d’imprévisibilité, plus ou moins « pré-vue » par l’artiste (le vivant lui échappant toujours en partie, comme il échappera aux visiteurs dans l’expérience).
30 Marianne Massin, Expérience esthétique et art contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 36.
31 Jean-Marie Schaeffer, L’Expérience esthétique, Paris, Gallimard, 2015, p. 67.
32 Marianne Massin, op. cit., p. 40.
33 ibid.
34 ibid., p. 41.
35 Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 76.
36 Comme le rappelle Marianne Massin (op. cit., p. 21), l’expérience, étymologiquement, relève d’ailleurs d’une certaine mise en jeu, d’une épreuve de la limite (peras).
37 Paul Ardenne, op. cit., p. 257.
38 Marianne Massin, op. cit., p. 42.
39 Voir Umut Ungan, « Entretien avec Marianne Massin (décembre 2016) », Marges n° 24, 2017, p. 96.
40 Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. Dans la cosmologie naturaliste moderne, fondée sur un dualisme ontologique entre Nature et Culture, ou Grand Partage entre le monde des choses non humaines et le monde humain, on considère qu’il y a continuité des physicalités (tout est fait de la même matière), mais discontinuité des intériorités (nous avons un esprit, ce dont le non humain est privé). C’est une vision du monde située géographiquement et historiquement (l’Occident moderne). Dans une cosmologie animiste, il y a au contraire ressemblance des intériorités (continuité des âmes) et différence des physicalités (discontinuité des formes). Voir Philippe Descola, ibid., p. 403.
41 Yves Citton, Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014, p. 121.
42 ibid., p. 202.
43 Cette « absence » de nos paysages attentionnels n’est pas seulement une absence de fait (due à la disparition d’espèces en particulier en contexte massivement anthropisé), mais elle est aussi relative à nos manières de prêter (ou non) attention, de ne pas voir et de voir sans voir les vivants. Bien sûr, cette crise attentionnelle est plus ou moins marquée et se manifeste différemment selon les contextes et les trajectoires de vie (entre urbains et ruraux par exemple, quoiqu’il ne faille pas les opposer trop radicalement).
44 ibid., p. 218.
45 ibid., p. 252.
46 Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, op. cit., p. 26-27.
47 Robert Pyle, op. cit., p. 190.
48 Il y a connaître, au sens de posséder des savoirs (avoir des connaissances), et connaître, au sens d’avoir rencontré, fréquenté, d’avoir l’expérience répétée de quelque chose ou quelqu’un (avoir de l’expérience).
49 Vincent Devictor, op. cit., p. 334.
50 Christine Palmiéri, « Jacques Rancière : Le partage du sensible » (entretien), L’obsession du réel, n° 59, 2002, p. 34. Voir aussi Jacques Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
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Titre | Tomás Saraceno, Webs of At-tent(s)ion, 2018, dans « ON AIR », Palais de Tokyo, Paris, 2018. |
Légende | Commissaire : Rebecca Lamarche-Vadel. Courtesy de l’artiste ; Andersen’s, Copenhagen ; Neugerriemschneider, Berlin ; Pinksummer Contemporary Art, Genoa ; Ruth Benzacar, Buenos Aires et Tanya Bonakdar Gallery, New York. |
Crédits | © Photographie : Studio Tomás Saraceno, 2018. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/docannexe/image/3020/img-1.png |
Fichier | image/png, 2,9M |
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Titre | Marguerite Humeau, Lévitation, 2021. |
Légende | Dichondra rampant / Dichondra repens, Matricaire / Matricaria, Camomille noble / Chamaemelum nobile, Anémone pulsatille / Pulsatilla vulgaris, Bourrache officinale / Borago officinalis, Pulmonaire officinale / Pulmonaria officinalis, Épiaire de Byzance / Stachys byzantina, Hépatique des fontaines / Marchantia polymorpha, Bouillon noir / Verbascum nigrum, Ortie brûlante / Urtica urens, Ortie blanche / Lamium album, Grande ortie / Urtica dioica, Marrube blanc / Marrubium vulgare, Menthe poivrée / Mentha x piperita, Molène Bouillon-blanc / Verbascum thapsus, Sauge officinale / Salvia officinalis, Orpin spatulé / Sedum spathulifolium, Sauge argentée / Salvia argentea, Sanguisorbe officinale / Sanguisorba officinalis, Fumeterre officinale / Fumaria officinalis, Géranium Herbe à Robert / Geranium robertianum, Ratanhia / Krameria lappacea, Nigritelle noire / Gymnadenia nigra, Griffe du diable / Harpagophytum, Amarante queue-de-renard / Amaranthus caudatus, Cœur de Marie / Lamprocapnos spectabilis, Orchis à odeur de bouc / Himantoglossum hircinum, Buddléia du père David / Buddleja davidii, Digitale / Digitalis, Échinacée / Echinacea, Tanaisie commune / Tanacetum vulgare, Balsamite / Tanacetum balsamita, Lupin / Lupinus, Fille de l’air / Tillandsia usneoides, Pyrèthre / Tanacetum, Orchidée papillon / Phalaenopsis, Orchidée vanda / Vanda, Monarde fistuleuse / Monarda fistulosa, Oxalis / Oxalis, Ipomée pourpre / Ipomoea purpurea, Liseron des champs / Convolvulus arvensis, Liseron des haies / Calystegia sepium. Courtesy de l’artiste et C L E A R I N G New York/Brussels. |
Crédits | © Photographie : Julia Andréone. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/docannexe/image/3020/img-2.png |
Fichier | image/png, 3,5M |
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Titre | Marguerite Humeau, Les Oracles du désert (détail), 2021. |
Légende | Acier, bois, plexy, aluminium, terre, diffuseur de lumière, dibond d’aluminium, Plexiglas, contreplaqué, lampes de culture, filtres ambrés, terre argileuse, mousse de matelas, clairvoyante, plantes bio-indicatrices : Grand plantain / Plantago major, Mercuriale annuelle / Mercurialis annua, Plantain corne-de-cerf / Plantago coronopus, Plantain lancéolé / Plantago lanceolata, Patience à feuilles obtuses / Rumex obtusifolius, Herbe aux mamelles / Lapsana communis, Ambroisie à feuilles d’armoise / Ambrosia artemisiifolia, Amaranthe réfléchie / Amaranthus retroflexus, Chénopode blanc / Chenopodium album, Patience crépue / Rumex crispus, Vergerette du Canada / Erigeron canadensis, Arum tacheté / Arum maculatum, Cardamine hirsute / Cardamine hirsuta, 561 x 654 x 381,3 cm. Courtesy de l’artiste et C L E A R I N G New York/Brussels. |
Crédits | © Photographie : Julia Andréone. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/docannexe/image/3020/img-3.png |
Fichier | image/png, 3,4M |
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Titre | Tomás Saraceno, Particular Matter(s) Jam Session, 2018, dans « ON AIR », Palais de Tokyo, Paris, 2018. |
Légende | Commissaire : Rebecca Lamarche-Vadel. Courtesy de l’artiste ; Andersen’s, Copenhagen ; Neugerriemschneider, Berlin ; Pinksummer Contemporary Art, Genoa ; Ruth Benzacar, Buenos Aires et Tanya Bonakdar Gallery, New York. |
Crédits | © Photographie : Studio Tomás Saraceno, 2018. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/docannexe/image/3020/img-4.png |
Fichier | image/png, 3,4M |
Pour citer cet article
Référence papier
Joshua de Paiva, « Vers une esthétique du vivant en temps d’extinction : le rôle de l’art ou l’art de faire connaissance », Marges, 35 | 2022, 18-29.
Référence électronique
Joshua de Paiva, « Vers une esthétique du vivant en temps d’extinction : le rôle de l’art ou l’art de faire connaissance », Marges [En ligne], 35 | 2022, mis en ligne le 02 janvier 2025, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/3020 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.3020
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