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Notes de lecture et comptes rendus d'expositions

Benjamin Olivennes, L’Autre art contemporain

Paris, Grasset & Fasquelle, 2021, 164 p.
Jérôme Glicenstein
p. 196-197
Référence(s) :

Benjamin Olivennes, L’Autre art contemporain, Paris, Grasset & Fasquelle, 2021, 164 p.

Texte intégral

1L’auteur, dit la quatrième de couverture, est né en 1990 ; il est normalien et agrégé de philosophie, préparant un doctorat de littérature à Columbia University. Ce jeune homme, bien né et bien formé, est visiblement destiné à une brillante carrière. Cela justifie-t-il pour autant la publication d’un ouvrage d’une aussi grande médiocrité ? On sent en tout cas, entre les lignes, l’assurance que confèrent déjà les signes d’une imminente reconnaissance sociale. Peu importe le contenu de l’ouvrage – qui oscille entre bavardage mondain et billet de blog – : celui-ci sera amplement diffusé et confortera probablement quelques vieilles personnes dans le refus nostalgique du monde qu’elles côtoient. Le plus surprenant est plutôt qu’un auteur de trente ans livre une confession, qui se veut personnelle, tout en réécrivant presque littéralement les Considérations sur l’état des beaux-arts de Jean Clair (qui date de 1983), référence qu’il assume d’ailleurs suffisamment pour recommander, en guise de bibliographie, de « tout lire » de cet écrivain. Ceci étant dit, là où le livre de Clair pouvait passer pour une provocation assumée, par moments habile, de la part de quelqu’un qui avait tout de même été parti-prenante de la scène de l’art contemporain des années 1960-70, celui d’Olivennes apparaît comme nettement plus décalé vis-à-vis de son époque.

2L’auteur déteste l’art contemporain et entend proclamer haut et fort son : « impression d’un immense foutage de gueule, d’une absence complète de sens, de la disparition de la beauté, du travail, de l’œuvre » (p. 23). Selon ses mots, « Personne ne trouve aucun intérêt à Jeff Koons  » (p. 11), même si les gens n’osent pas l’avouer, sous prétexte que «  refuser Koons, c’est refuser Van Gogh  » (p. 44). Il est vrai, ajoute-t-il, que l’étude des ventes de cartes postales permettrait assurément de donner la vraie hiérarchie des valeurs, «  peu de gens [voulant] avoir une reproduction du Balloon Dog sur leur bureau  » (p. 53). Sans tenir compte du populisme implicite de ce genre de remarque, qui devrait conduire en toute logique à célébrer la prose de Jean-Pierre Pernaud, Olivennes ne semble pas remarquer que Koons a malgré tout du succès auprès du grand public (son exposition au Centre Pompidou a été vue par 400 000 visiteurs et il ne vend pas que des objets à des collectionneurs milliardaires mais aussi une quantité considérable de produits dérivés à tout le monde). Bien entendu, le problème n’est pas Jeff Koons, mais l’art contemporain en général, dont cet artiste est pris pour emblème. L’auteur n’est de toute façon pas à quelques amalgames près, sa connaissance du sujet étant suffisamment sommaire, pour lui permettre d’évoquer «  les principales foires d’art contemporain (Cassel, Bâle, Venise, FIAC)  » (p. 19) ou pour expliquer doctement que « les monochromes et la peinture abstraite furent inventés, trente ans avant [Duchamp] » (p. 58).

3Au fond, le livre n’a pas grand-chose à dire sur l’art contemporain en tant que tel, si ce n’est que les valeurs qu’il promeut ne sont pas les bonnes et qu’elles occultent injustement d’autres valeurs qui seraient les seules « vraies  ». Le ton souvent apocalyptique de l’ouvrage sied à un apprenti philosophe  ; en revanche, l’apprenti universitaire devrait apprendre à creuser son sujet et s’interroger sur des concepts qu’il manie avec beaucoup de désinvolture. Il est question d’émotion sincère, de nature humaine, d’art véritable, de mimésis, de savoir-faire et de métier, de beauté, de vérité, de réalité, d’intemporel et d’universel, de pure présence, d’œuvre, de sens et d’absence de sens (qui génère tristesse ou détresse), de civilisation à sauver, etc. Malheureusement, ces notions sont plus déclamées que vraiment définies, ce qui conduit à une impression générale de philosophie de comptoir  : «  Le besoin d’art (même médiocre) qu’a notre âme ne disparaît pas. Il y a les lois de l’histoire, mais il y a aussi une nature humaine – et celle-ci a besoin de la mimésis pour que nous puissions nous connaître nous-mêmes  » (p. 74). Et ailleurs  : «  C’est à chacun de nous, à chaque époque, de faire le choix pour soi et pour les siens du Beau ou du Laid, du Vrai ou du Faux, du Bien ou du Mal  » (p. 153). Quelle profondeur  !

4La partie la plus curieuse, qui fait une nouvelle fois écho à Jean Clair, concerne l’évocation d’une «  histoire réelle de l’art en France, depuis Balthus et Giacometti  » (p. 80), histoire qui rendrait justice aux oubliés de l’histoire officielle. À de rares exceptions près, l’auteur s’appuie sur des artistes qu’il considère comme des contemporains, même s’ils sont morts depuis un certain temps  : Bonnard, Vuillard, Arikha, Mason, Szafran… et sur des textes à peu près aussi anciens et respectables  : Faure, Bonnefoy, Rosenberg, Malraux. Le seul auteur récent qui est cité est le rappeur Booba, auteur de l’aphorisme «  Vrais reconnaissent vrais  », qui permet d’affirmer que les vrais artistes se reconnaissent toujours entre eux (p. 80-82). Il n’est pas sûr que la démonstration soit très convaincante, mais la conclusion qui en est tirée permet au moins d’apprécier l’humour (involontaire) d’Olivennes  : «  La France d’aujourd’hui encore, ne se résout pas à la disparition de la beauté  » (p. 152). L’ensemble du livre prêterait à rire s’il ne reflétait pas une tendance assez répandue ces dernières années à prendre l’art contemporain pour bouc émissaire de tous les problèmes du monde. Il serait facile de considérer que de telles prises de position font figure de combats d’arrière-garde, nostalgiques d’une capacité fantasmatique de l’art à rassembler et à produire «  des objets qui feront l’admiration de tout être humain à toute époque et dans tout lieu  » (p. 153). De tels ouvrages n’arrivent pourtant pas par hasard  : ils accompagnent un repli identitaire plus large, inquiet de la mondialisation et de la perte des «  valeurs  » de la société bourgeoise des 19e-20e siècles. Tout ceci ne laisse présager rien de bon.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Glicenstein, « Benjamin Olivennes, L’Autre art contemporain »Marges, 33 | 2021, 196-197.

Référence électronique

Jérôme Glicenstein, « Benjamin Olivennes, L’Autre art contemporain »Marges [En ligne], 33 | 2021, mis en ligne le 21 octobre 2021, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/2735 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.2735

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Auteur

Jérôme Glicenstein

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